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lundi 3 septembre 2018

LE PROBLEME DE LA NEGRITUDE - TROISIEME PARTIE

Le Président Sarkozy est tombé, à notre avis, sous le même feu de l'incompréhension qui a foudroyé Senghor à cause de son émotion nègre et sa raison hellène. D'aucuns disent qu'il a nié l'histoire de l'Afrique. C'est une accusation gratuite et c'est sur une base purement émotionnelle et non rationnelle que des Nègres, encore une fois, se sont munis d'une hâche pour l'abbatre, abattre celui qui, dans le même même discours, parle de « cette Afrique qui a connu sur son sol tant de civilisations brillantes ». La réaction si inutilement vive nous a réveillé à une triste réalité et fait comprendre la réaction d'élèves qui, pendant des conférences, nous ont demandé, plutôt condamnation que question, pourquoi Senghor chante la femme noire, lui pourtant marié à une Blanche. Jusqu'à nos jours, l'Africain est d'une allergie sans borne face aux critiques, surtout lorsque la critique vient d'une peau blanche à telle enseigne que nous nions jusqu'à nos fautes et faiblesses qui sont pourtant si fragrantes.

Monsieur Sarkozy s'est adressé à la jeunesse africaine pour lui retracer les horreur de l'histoire africaine à travers la traite des nègres, la colonisation mais qu'il faut passer un balai dessus pour faire face à l'avenir : « ... Mais elle doit aussi à la terre africaine de mettre à son service les talents qu'elle aura développés. Il faut revenir bâtir l'Afrique ; il faut lui apporter le savoir, la compétence le dynamisme de ses cadres. Il faut mettre un terme au pillage des élites africaines dont l'Afrique a besoin pour se développer. Ce que veut la jeunesse africaine c'est de ne pas être à la merci des passeurs sans scrupule qui jouent avec votre vie. Ce que veut la jeunesse d'Afrique, c'est que sa dignité soit préservée. C'est pouvoir faire des études, c'est pouvoir travailler, c'est pouvoir vivre décemment. C'est au fond, ce que veut toute l'Afrique. L'Afrique ne veut pas de la charité. L'Afrique ne veut pas d'aide. L'Afrique ne veut pas de passe-droit. ».

Face à la profondeur du discours, la superficialité des attaques fait sérieusement peur surtout lorsque celles-ci viennent d'éminents professeurs d'université.

Nous pensons qu'il aurait fallu faire la part des choses, éviter de se baser sur évidences irréfutables plutôt que sur des attaques ad hominem purement superficielles. Mais cela ne peut pas surprendre. L'on sait la pluie de critiques sur Senghor à cause de sa raison hellène; d'avoir écrit femme noire alors qu'il est marié à une Normande; le reproche fait à Camara Laye d'avoir écrit « L'enfant noir » et qu'il n'y ait aucune condamnation du colonialisme comme le prouve cette citation : « Publié en 1954, cet ouvrage tranche nettement sur la production romanesque africaine des années cinquante dominée par des livres de critique sociale comme Ville Cruelle , Coeur d'Aryenne, Une vie de Boy. Déjà, l'apolitisme de son premire texte, l'Enfant Noir, autobiographie à peine romancée, avait valu à Camara Laye à la fois le Prix International du Roman Fraçais Charles Veillon, et les foudres de ses confrères africains. L'un des plus véhéments d'entre eux, A. Biyidi flétrissait le péché d'omission de toute référence au colonialisme dont s'était rendu coupable le jeune auteur guinéen dans un article demeuré fameux, paru dans Présence Africaine : « Afrique noire, littérature rose ».

Quel est, et comment doit se poursuivre l’apport du Nègre, sa part actuelle dans la civilisation de l’universel, puisque, après s’être dressé pour redresser le panorama de son humanité, de sa haute culture vieille comme la nuit, il a rejeté cette gloire douteuse du Blanc dont un des côtés les plus palpables est une puissance de destruction ?

Une bonne approche devrait commencer par faire le bilan, bilan qui ne peut être réalisé sans jeter un regard sur ce que c’est qu’une civilisation. Ce ne sera pas chose facile. La mondialisation a gagné du terrain, les religions révélées ont posé leur couche corrosive sur de larges étendues sociales et les gadgets de consommation et de communication pleuvent de partout. Faire la part de ce qui est propre à une société donnée n’est pas une tâche aisée. Toutefois, cet apport doit forcément reposer sur des éléments de base que nous allons essayer d’identifier.


  1. LA CIVILISATION

    Nous allons puiser dans Wikipedia la définition de la civilisation : « Le terme civilisation — dérivé indirectement du latin civis signifiant « citoyen » par l'intermédiaire de « civil » et « civiliser » — a été utilisé de différentes manières au cours de l'histoire.

    « La civilisation, c'est d'abord l'ensemble des traits qui caractérisent l'état d'évolution d'une société donnée, tant sur le plan technique, intellectuel, politique que moral, sans porter de jugement de valeur. A ce titre, on peut parler de civilisations au pluriel et même de civilisations primitives.

    « Comme ceux de culture, de religion ou de société, le mot civilisation est devenu un concept clé ou un « maître-mot » pour penser le monde et l'histoire à l'époque des Lumières. Le premier à avoir employé le mot civilisation dans une acception qui relève de la signification qu'il a encore aujourd'hui est Victor Riqueti de Mirabeau, le père de Mirabeau le révolutionnaire. En 1758, dans L'Ami des Hommes, il écrit : « La religion est sans contredit le premier et le plus utile frein de l'humanité : c'est le premier ressort de la civilisation. » De façon similaire, en 1795, dans Esquisse d'un tableau des progrès de l'esprit humain de Condorcet, l'idée de civilisation désigne les progrès accomplis par l'humanité dans une nation donnée lorsqu'il fut possible de passer de l'état de barbarie à celui de citoyen, de civil ou de civilisé.

    « Au XIXe siècle la civilisation, alors envisagée comme un idéal à atteindre et comme un processus de transformation de la société vers cet idéal, fut la principale légitimation donnée à la colonisation impérialiste. Il s'agissait de « civiliser » les peuples du monde dans une vision hiérarchique et évolutionniste des degrés de civilisation auxquels ceux-ci avaient accédé.

    « Aujourd'hui les vues sur la civilisation sont plus égalitaires de sorte que le terme désigne davantage un état de fait historique et social à valeur constante qu'un processus de transformation des sociétés. L'idée a cessé de fonctionner en opposition avec celles de barbarie ou de sauvagerie, tandis qu'était affirmé le principe du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ». Par suite, c'est dans l'égalité ou l'équivalence de ces entités supposées que peut se jouer l'affrontement, le dialogue ou l'entente des civilisations.

    « L'idée de civilisation reste cependant problématique car pour pouvoir désigner des civilisations, qui n'ont dans les faits ni structure précise, ni représentation institutionnelle, il faut sélectionner parmi les faits observables ceux que l'on juge aptes à définir les civilisations envisagées. Ainsi, on se fondera sur des faits linguistiques, éthiques, géographique, culturels, religieux ou politiques, mais, en procédant ainsi, il n'est pas plus aisé de savoir ce qu'est une civilisation qu'une religion ou une culture, des idées par ailleurs elles aussi assez vagues et qui sont parmi celles les plus employées pour décrire ce que sont les civilisations. Pour Bertrand Binoche « Après avoir prédit le triomphe de la civilisation, on peut bien annoncer le choc des civilisations, mais cela ne contribue pas à y voir plus clair» .

    Voilà la longue définition qui nous est fournie, avec ces diverses facettes et complications avant de nous livrer, comme baromètre, les deux groupes de classifications suivants. Selon ce baromètre, pour être qualifiée de civilisation, celle-ci doit regrouper la plupart des caractéristiques suivantes :

      Cinq critères primaires (organisation)

    • Présence d'une ville (sédentarisation des populations) ;
    • Spécialisation du travail à temps plein ;
    • Concentration de surplus de production ;
    • Structure de classe (hiérarchie) ;
    • Organisation étatique (État).

      Cinq critères secondaires (réalisations matérielles)

    • Travaux publics monumentaux ;
    • Commerce à longue distance ;
    • Réalisations artistiques monumentales ;
    • Ecriture (comptabilité, registre, etc.) ;
    • Connaissances scientifiques (arithmétique, géométrie, astronomie).

    On peut être d’accord sur certains points, mais sur d’autres on pourrait être dubitatif. L’existence de villes, ces jungles des magasins, des hauts buildings où les hommes pullulent dans leur solitude, se croisant comme des somnambules servent certes de baromètres, mais le baromètre de quoi ? Certes pas celui du petit enfant nègre ne voulait pas en faire partie, qui ne voulait pas comme un monsieur de la ville. Pour le reste, la sédentarisation, la spécialisation du travail, la structure des classes, l’organisation étatique, le commerce – nous ne sommes pas forcé d’accepter ‘sur de longues distances’ comme point pertinent, ne nous sont pas étrangers.

    Pour certains points, comme la construction de monuments colossaux, écriture, comptabilité, registres, nous pensons qu’ils purent exister surtout à cause d’une certaine conception de la vie. Une conception linéaire force l’homme à vouloir laisser une trace sur terre à sa mort. Celui qui replonge dans le cycle de la vie pour réapparaître le long des générations n’a pas la hantise de cette disparition, n’est pas poussé par une peur de disparaître à jamais : « Et la mort sur la crête de l’exultation ; à l’appel irrécusable du gouffre. Mais la pirogue renaîtra par les nénuphars de l’écume, surnagera la douceur des bambous au matin transparent du monde ».

    La notion de la science, astronomie, mathématique, médecine, est tout à fait arbitraire. Mon propre père savait guérir des morsures de serpent et a empêché plusieurs personnes vivantes encore aujourd’hui, d’être aveugles à jamais. Le vrai problème qui se pose, jusque dans l’apport, est justement que le Nègre, depuis sa colonisation, doit donner des réponses à des questions conceptuelles qui lui sont posées sur la base d’une certaine vision du monde qui n’est pas forcément la sienne. Si c’est lui qui avait été dominateur, la polygamie ; l’excision à travers certains de ces colons, auraient été imposées à l’Occident colonisée. L’excision n’est totalitaire sur aucune étendue territoriale en Afrique. Et puis, si le doute subsiste, reconnaissons que la colonisation française est différente de la colonisation britannique à travers plusieurs de leurs facettes.

    A travers ses écrits, Senghor s’est longuement penché sur la civilisation nègre, comme Cheikh Anta et le professeur Ki-Zerbo.


  2. L’APPORT HISTORIQUE

    Les tentatives d’apports historiques, à travers des fouilles archéologiques et des études de recherche ne sont pas des moindres, bien qu’une tendance de justification semble dominer et pousse coûte que coûte à vouloir pointer vers un cordon ombilical reliant à une autre civilisation pour se faire accepter. Il est tout à fait naturel que fouiller l’histoire ramène, d’une façon ou d’une autre, à se rapprocher des autres civilisations qui tapissent notre planète. C’est ce que le professeur Joseph Ki-Zerbo a bien senti et c’est ce qui fait la différence de vision entre lui et le professeur Cheikh Anta Diop. Monsieur Ki-Zerbo affirme que : « l’Egypte, par sa richesse économique, agricole, commerciale et culturelle est un point attracteur énorme et un creuset pour de nombreux peuples (comme les Hébreux, les Hyksos, les Ethiopiens, les Nubiens, etc.) qui viennent se mélanger au fond originel. Plus globalement, l'Histoire de l'Afrique (1972) est ainsi un vaste panorama diachronique et circonstancié, rendu vivant par des extraits de chroniques, des grands évènements et des évolutions des peuples du continent. En cela, la forme, le fait de présenter les évolutions sociales économiques et politiques de la même manière que d'autres encyclopédies ont présenté l'Europe et l'Asie, replace de fait, dans la pratique, l'Histoire de l'Afrique au même rang que celles des autres continents. Et cela, sans avoir besoin de clamer une Afrique originelle, objectif de pureté à retrouver que proclame Cheikh Anta Diop. La présentation diachronique à l'échelle du continent souligne ainsi de fait l'évolution contiguë des différentes grandes civilisations, soulignant ainsi les points communs et l'échange des idées mais aussi le fait que les chocs qui les ont abattues ont une origine commune : l'expansion européenne et ses conséquences (expansion marocaine, turque et omanaise) .

    Bien sûr, Cheikh Anta Diop a fait de grands efforts en ce sens, même si « ses thèses restent aujourd'hui contestées, et sont peu reprises dans la communauté scientifique. Si une grande partie de ses thèses, en particulier au sujet de l'Égypte antique, sont considérés comme dépourvus de fondements solides, Cheikh Anta Diop a toutefois eu un indéniable rôle de visionnaire en ce qui concerne la place de l'Afrique dans l'histoire. Sa vision peut en effet être interprétée comme une anticipation des découvertes archéologiques majeures des années 2000 sur le continent africain que ce soit Kerma ou, beaucoup plus ancien, Blombos » .

    L’historien anglais Basil Davidson a apporté une part qui n’est pas du tout négligeable, surtout dans son œuvre « L'Afrique avant les Blancs : découverte du passé oublié de l'Afrique », traduite de l’anglais et parue en France en 1962.


  3. L’APPORT CULTUREL

    La vision culturelle de Senghor va extrêmement plus loin que notre mbalax, qui est en réalité, dans sa forme actuelle, la paresseuse part de la tâche. Ce que lui projetait, c’était de rassembler des hommes et femmes qui apprendraient « le rythme au monde défunt des machines et des canons », une race qui « pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l’aurore » et qui « rendrait la mémoire de vie à l’homme aux espoirs éventrés ».

    L’affirmation de la culture africaine ne pourrait s’arrêter aux tam-tams qui maintenant rythment des mesures et pèsent sur la balance gourmande et décadente du showbiz. La création du magazine « Présence Africaine » par Alioune Diop en 1947 qui rimera à la création de la maison d’éditions du même nom en 1949 et plus tard la construction du Théâtre Daniel Sorano et la mise en place d’un Ballet national regroupant toutes les ethnies du Sénégal en passant par les tapisseries de Thiès seront autant de pièces pour ériger l’édifice de la culture. A cela il adjoindra l'amour de la connaissance, du rafinement de l'idée comme toilette primordiale menant à la table de la fête de la culture de l'universel.

    Un texte que nous allons citer longuement s'est penché sur les diverses phases du mouvement de la Négritude en exposant ce qui l'occasionna avant de présenter l'échelonnement du réveil et de la résistance à travers les oeuvres littéraires qui virent le jour par la suite. Ne voulant pas réinventer la roue et convaincu que nous ne pourrions pas trouvr meilleure approche, permettez-nous de l'emprunter intégralement .

    • LE DOMAINE LITTERAIRE

      • INTRODUCTION

        L'image de l'Afrique noire émerge dans la conscience à partir du 1750 grâce aux témoignages de nombreux écrivains philosophes et voyageurs .Néanmoins, la connaissance du monde noir reste rudimentaire, superficielle, fictive voire fragmentaire et cela pour deux raisons. D'une part peu d'explorateurs ont pénétré l'intérieur du continent, d'autre part l'africain lui-même reste absent parce que le privilège de prendre la parole lui était refusé. Ainsi la littérature coloniale dégage à la fois une image ambiguë et stéréotypée. Pour les uns, c'est un continent maudit, un repère de démons, de sorciers et d'animaux féroces. C'est l'exemple de l'écrivain Pierre Loti dans l'ouvrage « Le roman d'un Spahi » qui est le cliché de la représentation médiévale tandis pour d'autres, l'Afrique est un lieu parasidiaque.

        Par la suite, de nombreux intellectuels africains vont contribuer à modifier cette perception fallacieuse et négative que l'Occident avait du continent africain. Ainsi s'impose petit à petit l'idée selon laquelle chaque peuple, chaque civilisation, chaque culture, possède son originalité, sa spécialité, ses richesses propres.

      • NAISSANCE LITTÉRATURE NÉGRO-AFRICAINE

        La prise de conscience de la spécificité, la lutte contre l'injustice qui pèse sur le nègre, la réhabilitation de la personnalité nègre, l'appel à l'unité, à la solidarité des peuples opprimés, vont se faire sentir par la publication et le couronnement de « Batouala », du guyannais René Maran, véritable roman négre qui eut le Prix Goncours en 1921. Dans ce roman, l'auteur dénonce sans crainte les abus de l'exploitation coloniale et le traitement inhumain des Noirs en Oubangui Chari. Le livre fit scandale dans le milieu colonial et donna le signal du début de la littérature négro-africaine d'expression française qui fut engagée politiquement ou contre la colonisation.

      • LA NÉGRO-RENAISSANCE

        Force est de reconnaître que, bien avant la publication de « Batouala », le mouvement de la négro-renaissance luttait aux USA pour l'émancipation et la dignité de l'homme noire. En somme il luttait contre l'aliénation du Noir en Amérique et dans la monde. L'illustre père de ce mouvement était le noir américain W. E. B Dubois, 1869-1963, qui fut l'auteur du livre : « Ame noire ». Il faut également noter parmi les vaillants précurseurs de cette renaissance Claude McKay, 1860-1945, fondateur du roman psycho-réaliste negro-africian. Dans ses écrits, comme « Home to Harlem », il attaque violemment le Christianisme, la raison, la technique et leur influence sur les Négres. Ainsi sa célèbre boutade : “ Vous les Noirs instruits, vous êtes une bande perdue ”. Il y avait aussi Countee Cullen, 1903-1946., qui est le plus nostalgique et le plus religieux des poètes de ce mouvement. Il chante une Afrique mystique et idéalisée et enfin Langstone Hughes, 1902-1967, auteur de l'ouvrage « Le ménage », « Avoir peur » et « Moi je suis l'Amérique ». Il dit : “ Comme créateurs de la nouvelle génération nègre, nous voulons exprimer notre personnalité noire sans honte ni crainte, si cela plaît aux Blancs, nous en sommes forts heureux; si cela ne leur plaît peut importe, nous savons que nous sommes beaux et laids aussi ”.

      • LA NÉGRITUDE

        La Négritude est née en 1934 à Paris avec la publication de « L''etudiant noire ». C'est un néologisme qui a paru pour la première sous la plume du martiniquais Aimé Césaire .Le mot est vulgarisé par la suite avec la publication de « Cahier d'un retour natal » en 1939. Les principaux acteurs de la négrititude que sont Aimé Césaire, 1913-2008 et Léon Gontran Damas, 1912-1978, disaient : ”la négritude a été un projet, un projet spontané; elle a été la réaction d'une catégorie donnée d'individus dans un milieu donné à un moment de l'histoire ”. Pour Léopold Sédar Senghor, 1906-2001, et Lamine Diakhaté ”plus qu'un concept, la négritude est un ensemble de valeurs de définitions ”. Pour Alioune Diop : ”la négritude est née du sentiment d'avoir été frustrés au cours de l'histoire de la joie de créer et d'être considérés. En effet, la négritude est la simple reconnaissance du fait d'être noir et l'acceptation de de ce fait, de notre destin de noire, de notre histoire et de notre culture. Elle ne compte ni racisme, ni reniement de l'Europe, ni exclusivité mais au contraire une fraternité entre les Hommes ”.

      • EVOLUTION LITTÉTARUTE NÉGRO-AFRICAINE

        • NEGRITUDE ET POESIE : ANNEES 1940

          L'intelligentsia noire de Paris va tenter de relever le défit colonial. Les exactions de tout genre, comme la politique de la “table rase”, visaient à l'assimilation pure et simple du noir. Les étudiants antillais lancent « Légitime défense 3 », un journal paru en 1932 et qui sera le dernier, parce que les initiateurs furent victimes de la répression coloniale. Le mouvement de la négritude voit le jour à Paris, place de la Sorbonne, dans les années 1933-1935. Les pionniers de ce mouvement lancent en 1934 un périodique intitulé « L'Etudiant noir ». L'esclavage et la colonisation constituent les étapes essentielles de la dépersonnalisation de l'africain contre laquelle tout intellectuel noire doit se lever. Pour ce faire, la négritude utilise de la poésie comme moyen d'expression pour la réhabilitation et la restauration de l'homme noire.

          Le roman de la négritude lui, se fixe comme objectif de redonner aux Noirs le goût de la vie, la fierté d'être noir, de réaffirmer sa dignité dans le monde, de défendre les valeurs culturelles du monde noir au point de prendre parfois pour source de malheur l'Occident. Nous avons, à titre d'illustration, « Pigments » 1937 de Léon Gontran Damas, « Les armes miraculeuses », 1946 de Aimé Césaire, « Hosties noires », 1948 de L. S. Senghor. Ainsi le passé africain est idéalisé, un retour à la source vive delà la tradition africaine est prôné tout en incitant le feu de la nostalgie. En 1945, Alioum Doip fonde la revue présence africaine qui permet la diffusion de la poésie négro-africaine contemporaine.

        • LE COURANT ROMANESQUE : ANNEES 1950

          C'est une période qui va de 1950à 1960.Elle connaître une production importante d'ouvres romanesques qui met sous l'éteignoir (étouffé,caché), le mouvement de la negritude que la production poétique a fait connaître dans les années 30 et 40.Cette période connaît de grands auteurs tels que Ferdinand Oyono qui écrit « Une vie de boy »; Mongo Beti : « Le pauvre Christ de Bomba », Eza Bota : « Ville cruelle », Semben Ousmane : « Les bouts de bois de Dieu » , Bernard Belin Dadier : « Cimbier », 1966.

          Dans leurs romans, ils prennent position politiquement et se considèrent comme des militants de la libération de l'Afrique noire colonisés, un devoir qui s'impose à tout homme de lettres. L'ennemi commun à abattre est le colonisateur. Ainsi, administrateurs coloniaux, commerçants blancs et leurs alliés africains de même que les missionnaires constituent leurs cibles favorites. Ils font le procès de la colonisation. En général si le courant reste anti-colonial, il en demeure pas moins que certaines oeuvres vont ramer à contre courant de cette position. Parmi celles-ci, on peut citer « L'enfant noir » de Camara Laye. En effet dans ses oeuvres, il peint un tableau idyllique et joyeux de l'Afrique de l'Ouest avec une mère qui est toute tendresse, un père travailleur, un enfant choyé... Nulle part ailleurs on ne voit Camara Laye fustiger la colonisation. Alors sera-t-il rejeté, haï par ses pairs et connaîtra-t-il l'exil au Sénégal suite aux exactions du régime de Sékou Touré.

        • LES ANNEES 1960

          Au lendemain des indépendances, les écrivains changent leurs fusil d'épaule : ce n'est plus le colonisateur qui la cible mais les nouveaux maîtres de l'Afrique qui ont pris la place du colonisateur et qui perpétuent les abus, pires que ceux de la période coloniale : parti unique, dictature, le favoritisme, le tribalisme, le népotisme, le détournement deniers publics, la gabegie, la démagogie, le favoritisme... En général cette période connaît trois niveaux de courants littéraires qui sont :

          • Le courant du désenchantement
          • Le courant passette
          • Le courant du malaise

          Le courant le plus important est toutefois le premier cité. En effet le courant du désenchantement, appelé aussi la désillusion ou la déception, montre la déception et la révolte des africains qui attendaient beaucoup de l'indépendance : la liberté, le retour au passé colonial hanté. Ils seront déçus par le comportement des nouveaux dirigeants africains, bourreaux de leurs peuples qui s'attribuent les titres les plus vagues et les plus fanfarons : Guide providentiel, Eclairé, Grand timonier, Oeil droit du peuple, Père fondateur, etc, et qui sont obsédés par des complots irréels ou supposés de tout genre afin de terroriser et écraser le peuple.

      • CONCLUSION

        Après avoir joué un rôle déterminant dans l'éveil de la conscience africaine face à la colonisation et à la domination coloniale et entraîné par les Européens à avoir une vision des Noirs autre que celle d'une race sauvage et sans culture, le mouvement de la négritude représente aujourd'hui un obstacle non négligeable à la libération définitive de la démarche intellectuelle des africains à l'égard des préoccupations de renaissance.

        En effet ce qui n'était au début qu'un slogan et un mot d'ordre de lutte pour l'affirmation d'une personnalité nègre, se transforma en une doctrine pseudo philosophique. Par ailleurs, dans un examen intérieur, on est tenté de croire que la culture africaine manque de conviction. En effet, la culture traditionnelle du monde noir est comme rejetée par la jeune génération à telle enseigne qu'on est conduit à se demander si l'Afrique est toujours aussi riche de ses valeurs ancestrales. On avance que l'africain vit en suspension, car il est entre une modernité qui n'attend pas et une africanité qui n'arrive pas. Il est donc dans une salle d'attente où il n'attend rien.

        Enracinés dans nos cultures, nous avons le devoir de savoir presque tout des autres cultures car c'est par rapport à elles et pas en elles que la nôtre trouve son identité. C'est justement ce point qui semble nous échapper encore : nous parlons comme si la nôtre trouvait son identité dans les autres, ce qui, pour ce festin à la table de l'universel, est terriblement faussé de nos jours à cause de la tendance à la globalisation. Ceci est le contraire de la visision de Léopold Sédar Senghor.

        En philosopie, le mot culture « désigne ce qui est différent de la nature, c'est-à-dire ce qui est de l'ordre de l'acquis et non de l'inné. La culture a longtemps été considérée comme un trait caractéristique de l'humanité, qui la distinguait des animaux. Mais des travaux récents en éthologie et en primatologie ont montré l'existence de cultures animales.

        « En sociologie, la culture est définie comme ce qui est commun à un groupe d'individus et comme ce qui le soude. Ainsi, pour une institution internationale comme l'UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances . Ce réservoir commun évolue dans le temps par et dans les formes des échanges. Il se constitue en manières distinctes d'être, de penser, d'agir et de communiquer.

        « Par abus de langage, on utilise souvent le mot culture pour désigner presque exclusivement l'offre de pratiques et de services culturels dans les sociétés modernes, et en particulier dans le domaine des arts et des lettres » .

        La musique, au moins, n’a pas été dans le lot des reniements. Ils nous l’ont concédée. Senghor a terriblement soutenu la culture, l’a tellement soutenue que certains l’accusent parce que n'en ayant pas saisi toute la portée. Pourtant jusques dans les clips actuels, si l’on prêtait l’oreille attentive de l’esprit, on verrait que Senghor nous accompagne, qu’il est présent. Mais le côté le plus subtile nous échappe, ce côté de la finition qui aurait permis de participer à la précision de la technique, nous disons à la technicité. C’est la culture profonde qui peut empêcher de sombrer vers un monde où « il n'est rien que le temps ne déshonore ».

        Mais hélas, c’est tout le contraire. Le progrès, voire l’évolution qui est dans la nature de toute chose, l’ordre et la méthode de prônait Senghor, font justement défaut jusques dans nos chansons, encore pire, dans nos clips vidéo. Nés avec le rythme dans le sang - c’est que l’on dit - notre musique locale modernisée s’appauvrit de jour en jour par manque de recherche et d’application. C’est que nous ne sommes pas, au départ, partis avec toute la force des amarres de notre culture. Pensant avoir levé l’ancre, nous sommes partis avec les lambeaux de filets éparpillés sur le wharf, une faible partie de notre culture, les prenant comme lesdites amarres. Nos clips sont blafards et empreints de mauvais goût, clips dans lesquels les danseurs font les mêmes gestes vulgaires en suivant un mimétisme exécrable dans un salon, autour d’une piscine, au fond du couloir obscur d’un studio, sur la plage, décors qui, dans leur majorité, n’ont aucun sens par rapport au thème de la chanson si ce n'est dans de grosses bagnoles ou quelques pièces où le cameraman s'attarde sur des chaussures, bracelets et montres exhibitionnistes. Et la chanson elle-même ? A part deux ou trois, aucun de nos artistes ne semble maîtriser l’approche rédactionnelle de la lyrique, encore moins sa langue, ignorant totalement ques ses voyelles longues et courtes sont distinctives. Mais il y a pire : le thème existe rarement pour ne dire jamais, puisque pas soutenu du début à la fin – des hors-sujets impardonnables dans lesquels les phrases commencent par l’amour de la maman pour braquer une torche blafarde vers minarets et marabouts.

        La musique sénégalaise est actuellement sans âme. Elle s’effrite, s’arc-boute comme un corps déformé. Les voix laissent entendre le son aigu de cordes vocales bloquées et, par conséquence, ne donnant naissance à aucune vibration aux nuances colorées. Comme déjà dit, nos langues, qui connaissent des voyelles longues et courtes, sont bâclées dans une ignorance qui fait pâlir et nos organes d’alphabétisation, sources de budgets, restent pourtant muets, se présentant comme un simple coloris dans l’amas des institutions. Ailleurs, nous savons que la finition a poussé Paul Simon a chanté dans un zoulou phonétiquement impeccable dans sa performance au « South African Concert » tenu au Zimbabwe et à Shakira un « Waka waka » de pureté embaumée d’une danse de flamme légère comme les jumelles de Ndiaré le long des tanns de Djirol. Chez nous, il n’y a aucune recherche. Quand un wolof chante sérère, c’est une catastrophe, s’il ne prend la tangente de l’anglo-saxon et, pour nous servir encore pire, un président qui, pour frimer, se fait le ridicule de ne pas utiliser des interprètes et nous crucifie sur un calvaire linguistique, ignorant que le but primordial du discours est d’être compris. L’on se moque de l’amour du français de Senghor, - sa profession -, l’on se moque du fait qu’il adorait la poésie - son don divin -. Mais les vertus suprêmes de Senghor auraient du nous faire maîtriser nos propres langues et nous empêcher de débiter des « mooy kë ne » et des « jaajefal » des « yërëmal » et des « ñu ngi lay bege » qui font pâlir.

        Le Mali nous dessert, à ce niveau, une pureté à travers des voix profondes comme l’histoire mandingue de Salif Keïta et la recherche poursuivie par Ali Farka Touré et Toumani Diabaté est sans ambigüité, comme l’Afrique du Sud à travers la force de tigresse de Brenda Fassie qui font tous une unanimité internationale. Alors où est l’apport du Nègre ? S’il n’est pas encore palpable sur les hautes sphères, ce n’est pourtant pas de la place et la nécessité qui manquent. Le poète a lancé son appel pour sauver l’humanité. Il a posé et pesé le poids, lancé le défi. Pourquoi nous sommes-nous lancés pour nous agripper à son côté le plus léger, fracassantes baguettes sur la peau morte des tam-tams vifs dans une musicalité endiablée qui, de jour en jour, se dénature. Mais et l’autre bout ? Le fardeau ne se soulèvera jamais sans ce côté, qui est de « rendre la mémoire de vie à l’homme aux espoirs éventrés ». Qui, nous interpelle le poète, «apprendrait le rythme au monde défunt des machines et des canons ? Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l’aurore ?»

        Il ne faut pas s’y m’éprendre : le rythme n’est pas uniquement celui de nos danses, maintenant vulgaires ambassadrices – il y en a d’autres dans le répertoire et beaucoup plus dignes. Ce n’est pas uniquement celui des « Youza » et des « Thiakhagoune ». Il s’agit du rythme du monde, la pulsation de son âme, sa marche humaine qui doit résister à l’érosion, au réveil de la Bête, parce que nous sommes d’emblée affublés de l’œil cardinal du Serpent qui permet de ne pas sombrer « …dans la nuit de [notre] sang, car guette le silence des forêts ». C’est que, comme le poète, « [notre] force s’érige dans l’abandon,[notre] honneur dans la soumission et [notre] science dans l’instinct de ton rythme ».

        Une fois les bases intrinsèques de la Négritude posées, l’apport serait vain si, après avoir exhibé des valeurs recadrant l’identité et éclairci le contrepoids par rapport à l’Autre, aux Autres, l’on s’en arrêtait là. Il reste la face invisible de l’iceberg. Cet apport ne peut s’analyser qu’en s’appuyant sur les choses qui rendent le Nègre si solitaire, si perdu dans le système : pas du conquérant, du colonisateur, mais de celui qui vend, exhibe et force ses modèles.

        La vision de Senghor n’est ni simple, ni simpliste : « Il est temps d’arrêter le processus de désagrégation du monde moderne, et d’abord de la poésie. Il faut restituer celle-ci à ses origines, au temps qu’elle était chantée – et dansée. Comme en Grèce, en Israël, surtout dans l’Egypte des Pharaons. Comme aujourd’hui en Afrique noire. Toute maison divisée contre elle-même, tout art ne peut que périr. La poésie ne doit pas périr. Car alors, où serait l’espoir du monde ? »


  4. L’APPORT POLITIQUE

    En matière politique, des idées majeures mais surtout des relectures des grandes idées ont été formulées par des dirigeants africains. Par exemple, Ujamaa, mot swahili voulant dire ‘famille élargie’ ou ‘fraternité’, est un concept de Sir Julius Nyerere qui « qui forma la base de la politique de développement social et économique en Tanzanie peu après son indépendance du Royaume-Uni en 1961. En 1967, le Président Nyerere a publié son plan de développement intitulé la Déclaration d'Arusha, dans lequel il a souligné la nécessité d'un modèle africain de développement et qui a constitué la base du socialisme africain tanzanien. Ce modèle est caractérisé par quelques éléments clés, le fait par exemple qu'un individu ne se construise qu'à travers la société ou la communauté à laquelle il appartient ».

    Senghor, à travers les cinq tomes qui composent la série Liberté, fera de même, surtout dans «Liberté 2 : Nation et voie africaine du socialisme, discours, conférences, Le Seuil, 1971 » et « Liberté 4 : Socialisme et planification, discours, conférences, Le Seuil, 1983 ».

    Ici, le thème est très important, car cela concerne notre ère actuelle. Arrêtons-nous donc un moment et répondons, en âme et conscience aux questions suivantes : Tous, si nous prenions notre courage à deux mains et osions froidement regarder les choses, la réalité en face, nous saurions que notre monde est malade, gravement malade et cela depuis longtemps : « Voici que meurt l’Afrique des empires – c’est l’agonie d’une princesse pitoyable et aussi l’Europe à qui nous sommes liés par le nombril ».

    Mais pour parler de ce problème, il faudrait un dépassement surhumain. Il faut que l’Homme redescende dans l’arène pour affronter la Bête qui a repris des forces incommensurables depuis le coup de pieu et la danse de la glossalie du chant rutilant dansé. L’approche serait de refuser la dictature, prêcher l’ouverture. Mais l’ouverture ne doit pas être uniquement celle des autres. C’est une ouverture de tout le monde, surtout de ceux-là qui ont tellement chanté, tellement répété la chanson qu’ils se sentent infaillibles, et incapables, même enrhumés, de faire une fausse note. C’est là que réside le danger.

    L’on a parlé du printemps arabe, l’on est en train de démanteler un à un, parfois à juste titre, parfois peut-être à tort, toute structure qui semble ne pas suivre la vague déferlante, tsunami à l’encontre du monde. Mais nous nous demandons comment nous oserions défendre une distribution aveugle de droits, alors que justement l’expérience que nous sommes en train de vivre est la chaîne d’enfants, de citoyens pouvant descendre dans une salle de cinéma, de classe et, en face des camarades de jeux, faire sortir une mitrailleuse et les arroser de balles ? Comment oserions-nous nous dresser en symbole, lorsque la dénaturation compasse notre nation ? La démocratie est dégainée à tout bout de phrase, et cela à travers le monde, comme une hallucination de masse.

    Depuis la chute du mur de Berlin, tant de choses ont changé. C’est vrai, c’était bien le mur de la honte, mais il semble aussi avoir été le garde fou qui maintenait le monde dans une folie moindre. Il faut se ressaisir, peut-être prendre les grosses têtes et tous les patriarches du monde, les mettre en conclave pendant un mois pour qu’ils se penchent sur le monde et ressortent avec une piste nouvelle. La démocratie prônée comporte des facettes dont nulle ne fait mention, sauf le Livre d’Urantia qui ose nous dire : « Bien que la démocratie soit un idéal, elle est un produit de la civilisation et non de l’évolution. Allez lentement ! Choisissez soigneusement ! Car voici les dangers de la démocratie :

    1. La glorification de la médiocrité.
    2. Le choix des chefs ignorants et vils.
    3. L’incapacité de reconnaître les faits fondamentaux de l’évolution sociale.
    4. Le danger du suffrage universel aux mains de majorités frustes et indolentes.
    5. L’obéissance servile à l’opinion publique; la majorité n’a pas toujours raison.

    « L’opinion publique, l’opinion commune, a toujours retardé la société. Elle est néanmoins précieuse, car, tout en freinant l’évolution sociale, elle préserve la civilisation. L’éducation de l’opinion publique est la seule méthode saine et sûre pour accélérer la civilisation. La force n’est qu’un expédient temporaire, et la croissance culturelle sera d’autant plus accélérée que les balles de fusil céderont la place aux bulletins de vote. L’opinion publique (les mœurs) est l’énergie fondamentale et originelle dans l’évolution sociale et le développement de l’État ; mais, pour avoir une valeur pour l’État, il faut que son expression soit dépourvue de violence. La mesure du progrès d’une société est directement déterminée par le degré auquel l’opinion publique parvient à contrôler la conduite personnelle et les règlements d’État sans recourir à la violence. L’apparition du premier gouvernement réellement civilisé coïncida avec le moment où l’opinion publique fut investie des pouvoirs du droit de vote personnel. Les élections populaires ne décident pas toujours de la chose correcte à faire, mais elles représentent la manière juste de commettre même une erreur. L’évolution ne produit pas instantanément une perfection superlative, mais plutôt un ajustement comparatif avec des progrès pratiques. L’évolution d’une forme pratique et efficace de gouvernement représentatif comporte les dix étapes ou stades suivants :

    1. La liberté des personnes. L’esclavage, le servage et toutes les formes de servitude humaine doivent disparaître.
    2. La liberté mentale. À moins qu’une population libre ne soit éduquée — qu’on lui ait appris à penser intelligemment et à faire des projets sagement — la liberté fait généralement plus de mal que de bien.
    3. Le règne de la loi. On ne peut jouir de la liberté que si la volonté et les caprices des chefs humains sont remplacés par des actes législatifs conformes à la loi fondamentale acceptée.
    4. La liberté de parole. Un gouvernement représentatif est impensable sans la possibilité pour les aspirations et opinions humaines de s’exprimer librement sous toutes les formes.
    5. La sécurité de la propriété. Nul gouvernement ne peut durer longtemps s’il ne réussit pas à assurer le droit de jouir de la propriété privée sous une forme quelconque. Les hommes ont le désir ardent d’utiliser leurs biens personnels, d’en avoir le contrôle, de les donner, de les vendre, de les louer et de les léguer.
    6. Le droit de pétition. Un gouvernement représentatif implique le droit pour les citoyens d’être entendus. Le privilège de la pétition est inhérent à la libre citoyenneté.
    7. Le droit de gouverner. Il ne suffit pas d’être entendu. Il faut que le pouvoir de pétition progresse jusqu’à la direction effective du gouvernement.
    8. Le suffrage universel. Le gouvernement représentatif présuppose un électorat intelligent, efficace et universel. Le caractère de ce gouvernement sera toujours déterminé par le caractère et l’envergure de ceux qui le composent. À mesure que la civilisation progressera, le suffrage, tout en restant universel pour les deux sexes, sera efficacement modifié, regroupé et différencié encore autrement.
    9. Le contrôle des fonctionnaires. Nul gouvernement civil ne jouera de rôle utile et efficace à moins que ses citoyens ne possèdent et n’emploient de sages techniques pour guider et contrôler les détenteurs de charges publiques et les fonctionnaires.
    10. Des représentants intelligents et formés. La survie de la démocratie dépend de la réussite des gouvernements représentatifs, et cette réussite est conditionnée par la pratique de ne nommer aux charges publiques que les individus techniquement formés, intellectuellement compétents, socialement loyaux et moralement dignes. Ces dispositions sont indispensables pour préserver le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

    Selon Platon, il y a une logique interne qui gouverne la marche des régimes. On passe de l’un à l’autre selon cette logique, c’est-à-dire que c’est inévitable. Bien entendu, cette loi n’est pas un progrès mais une dégénérescence, c'est donc une loi de corruption et de décadence : « tout ce qui naît est soumis à corruption ». Ici, l’idée essentielle est que, soumise au temps, qui est la loi du devenir, du monde sensible, l’idée de constitution parfaite ne peut que se dégrader, puis finalement s’anéantir. Ce qui est le plus intéressant pour notre propos est que la démocratie se situe à la fin du parcours. Elle est donc ce qui marque le passage à la désintégration de la constitution idéale, et de la politique elle-même, puisqu'elle donne naissance à la tyrannie.

    Mais comment est-ce possible et qu’est-ce que c’est que cette démocratie dont on nous rabâche les oreilles ? La démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple et vient du grec démos qui signifie peuple et kratos qui est le pouvoir. Il ne faut pas confondre république et démocratie : ces deux concepts ne sont pas à mettre sur le même plan. La République désigne avant tout l’objet même du pouvoir politique : le bien commun, la chose publique, res publica. Par suite, bien sûr, c’est l’Etat de droit, un gouvernement légitime c’est-à-dire que le pouvoir ne s’exerce que sur des hommes libres, les lois ne sont pas répressives mais, plus précisément, limitent les libertés afin qu’elles s’accordent entre elles et au bout du compte soient mieux assurées :

    La démocratie est d’abord incapable de faire régner la justice dans la Cité : Le juste, pour Platon, résulte de l’harmonie qui s’établit en chaque homme entre les trois parties de l’âme ou qui s’instaure en chaque Cité entre les diverses classes de citoyens. Or, dans la démocratie, cette harmonie, par principe et par définition, fait défaut puisque seule la classe populaire entend gouverner, c’est-à-dire prendre un total ascendant sur les deux autres. Il est par conséquent essentiel à la démocratie qu’elle s’installe dans le déséquilibre.

    Ensuite, le peuple est par définition indigne de la politique : Elle doit ainsi, inévitablement, se transformer en anarchie : si tous en effet légifèrent et commandent, alors, personne ne détient l’autorité et nul n’obéit. Les vertus d’ordre et de discipline se perdent alors, et sont remplacées par le désordre et l’indiscipline.

    • Démocratie et anarchie Rappel : le peuple souverain chez les grecs n’est pas tout le monde, mais l’ensemble des citoyens (en sont exclus les femmes, les enfants, les esclaves, les métèques). Pourtant la dénonciation platonicienne de la démocratie est dénonciation du peuple, qui est capable du pire, et tyran en puissance. C’est qu’il ne prend pas le terme de ‘peuple’ en son sens positif. Quand on parle de ‘peuple’, il faut savoir distinguer entre la foule et le grand nombre (plèthos) et le peuple proprement dit (dèmos). Depuis Homère, le terme ‘plèthos’ désignait la masse des gens qui, n’étant pas beaux ni bons, forment une foule aveugle et insensée qu’entoure généralement le mépris. Par contre, dans l’Athènes du Ve siècle, le terme de ‘dèmos’ fut crédité par Périclès d’un sens plus positif : il reconnut que le peuple est capable de choix raisonnable, même si souvent il tombe dans l’irresponsabilité en cédant soit à la colère et à l’emportement, soit à l’apathie et à l’indifférence. Platon, lui, ne reconnaît pas la différence. Disons que quand il parle de peuple, il parle principalement de la plèbe. Pour lui, étant donné que la démocratie repose sur le principe de la souveraineté du peuple, l’anarchie en est la conséquence inéluctable, et c'est pour cette raison qu'elle donne naissance à la tyrannie : Au bout du compte, les discordes et les dissensions grondent. La vie de la communauté n’est plus possible. Au lieu de libérer, la liberté se retourne contre ceux qui l’invoquent et les asservit au déferlement de leurs désirs. Plus personne n’accepte de règles ou d’obligations, plus personne ne veut obéir. Bref, la Cité démocratique est en guerre avec elle-même.

    • Démocratie et ignorance : Autre critique du peuple : à référer à la thématique centrale de la République : celle du ‘philosophe-roi’. De même que l’art de la médecine et que l’art de la navigation ne peuvent s’exercer que si le pilote et le médecin possèdent le savoir requis, l’art directif de l’homme politique est inconcevable sans la connaissance théorique des vérités humaines. Or, cette connaissance, pour être authentique, ne se laisse pas diviser entre plusieurs individus ; a fortiori ne se disperse-t-elle pas dans le ‘grand nombre’, qui est ‘prisonnier de la caverne’, donc, des apparences, des préjugés. Bref : la foule est incapable d’accéder à la science du philosophe. Elle est par conséquent incapable de gouverner (ou de se gouverner elle-même). Le bon gouvernement est celui du roi-philosophe, qui seul a accès à la vérité, au ciel des Idées.

    Nous précisons que Platon critique donc l’idée même de démocratie, les principes qui nous paraissent à nous avoir une valeur absolue : la liberté et l’égalité de tous. La Cité parfaite, le meilleur des régimes, est donc la totale antithèse de la démocratie. Faites donc attention : Platon ne dit nullement que, en théorie, la démocratie est le meilleur des régimes, mais que, dans les faits, elle est « le ‘plus’ mauvais ».

    Le livre d’Urantia, de son côté nous dit : « Les nations d’Urantia se sont déjà engagées dans la lutte gigantesque entre le militarisme nationaliste et l’industrialisme. Sous bien des rapports, ce conflit est analogue à la lutte séculaire entre les pâtres-chasseurs et les cultivateurs. Mais, si l’industrialisme doit triompher du militarisme, il doit éviter les dangers qui l’assaillent. Les périls de l’industrie naissante sur Urantia sont :

    1. La forte tendance au matérialisme, l’aveuglement spirituel.
    2. L’adoration de la puissance de la richesse, la dénaturation des valeurs.
    3. Les vices attenants au luxe, le manque de maturité culturelle.
    4. Les dangers croissants de l’indolence, l’insensibilité à l’esprit de service.
    5. L’accroissement d’une mollesse raciale indésirable, la dégénérescence biologique.
    6. La menace d’esclavage industriel standardisé, la stagnation de la personnalité.

    Le travail ennoblit, mais les corvées fastidieuses abêtissent. Le militarisme est autocrate et cruel — voire sauvage. Il favorise l’organisation sociale parmi les conquérants, mais il désintègre les vaincus. L’industrialisme est plus civilisé et devrait être mené de manière à encourager les initiatives et l’individualisme. La société devrait favoriser l’originalité par tous les moyens. Ne commettez pas l’erreur de glorifier la guerre ; discernez plutôt ce qu’elle a fait pour la société afin de pouvoir imaginer plus exactement le rôle de ses substituts pour continuer à faire progresser la civilisation. A défaut de substituts adéquats, vous pouvez être certains que la guerre continuera encore longtemps. Les hommes n’accepteront jamais la paix, en tant que mode normal de vie, avant d’avoir été convaincus, entièrement et à maintes reprises, que la paix est ce qu’il y a de mieux pour leur bien-être matériel, et aussi avant que la société ait sagement fourni des substituts pacifiques pour satisfaire à l’une de leurs tendances inhérentes, celle de laisser périodiquement libre cours à une poussée collective destinée à libérer les sentiments et les énergies perpétuellement accumulés provenant des réactions de l’instinct humain de conservation. Mais, même en passant, la guerre devrait être honorée en tant qu’école d’expérience qui a contraint une race d’individualistes arrogants à se soumettre à une autorité hautement concentrée —un chef exécutif. La guerre à l’ancienne mode conduisait à choisir pour chefs les hommes naturellement éminents, mais la guerre moderne ne le fait plus.

    Science et éthique force un droit de regard et d’ingérence de la société, du citoyen. La Science et la technologie ont aussi besoin du regard extérieur porté sur eux par la société à travers ses institutions juridiques et politiques, ses associations humanistes et religieuses, ses fondations, afin que soit instauré un dialogue fructueux sur les attentes de tous en matière de recherche et d’applications passées au crible d’une éthique centrée sur la dignité humaine, le respect de l’environnement, la sauvegarde de notre terre patrie ».

    Aristote de son côté nous dit : « C'est pourquoi toute cité est naturelle, puisque le sont les premières communautés qui la constituent. Car elle est leur fin, et la nature est fin : car ce que chaque chose est une fois que sa genèse est complètement achevée, nous disons que c'est la nature de cette chose, ainsi pour un homme, un cheval, une famille. De plus le « ce en vue de quoi » c'est-à-dire la fin, c'est le meilleur ; et l'autarcie est à la fois la fin et le meilleur.

    « Nous en déduisons qu'à l'évidence la cité fait partie des choses naturelles, et que l'homme est par nature un animal politique ; si bien que celui qui vit hors cité, naturellement bien sûr et non par le hasard des circonstances, est soit un être dégradé, soit un être surhumain : il est comme celui qu'Homère injurie en ces termes : sans lignage, sans loi, sans foyer. Car un tel homme est du même coup naturellement passionné de guerre. Il est comme une pièce isolée au jeu de trictrac.

    « C'est pourquoi il est évident que l'homme est un animal politique, bien plus que n'importe quelle abeille ou n'importe quel animal grégaire. Car, nous le disons souvent, la nature ne fait rien en vain. Et seul parmi les animaux l'homme est doué de parole.

    « Certes la voix sert à signifier la douleur et le plaisir, et c'est pourquoi on la rencontre chez les autres animaux (car leur nature s'est hissée jusqu'à la faculté de percevoir douleur et plaisir et de se les signifier mutuellement). Mais la parole existe en vue de manifester l'utile et le nuisible, puis aussi, par voie de conséquence, le juste et l'injuste. C'est ce qui fait qu'il n'y a qu'une chose qui soit propre aux hommes et les sépare des autres animaux : la perception du bien et du mal, du juste et de l'injuste et d’autres notions de ce genre ; et avoir de telles notions en commun, voilà ce qui fait une famille et une cité. »


  5. APPORT DU SENS MORAL - HUMANISME CENTRAL

    Prêtons attentivement l’oreille à lhumanisme dans le poème Kaya Magan :

    « Kaya-Magan je suis ! La personne première, Roi de la nuit noire de la nuit d’argent,
    Roi de la nuit de verre.
    Paissez mes antilopes à l’abri des lions, distants au charme de ma voix.
    « Le ravissement de vous émaillant les plaines du silence !
    Vous voici quotidiennes mes fleurs mes étoiles, vous voici à la joie de mon festin.
    Donc paissez mes mamelles d’abondance, et je ne mange pas qui suis source de joie.
    Paissez mes seins forts d’homme, l’herbe de lait qui luit sur ma poitrine. »

    « Que l’on allume chaque soir douze mille étoiles sur la Grand-Place,
    que l’on chauffe douze mille écuelles cerclées du serpent de la mer pour mes sujets très pieux,
    pour les faons de mon flanc, les résidents de ma maison et leurs clients,
    les Guélowârs des neufs tatas et les villages des brousses barbares,
    pour tous ceux-là qui sont entrés par les quatre portes sculptées
    – la marche solennelle de mes peuples patients !
    Leurs pas se perdent dans les sables de l’Histoire.»

    Pour les blancs du Septentrion, les nègres du Midi d’un bleu si doux.
    Et je ne dénombre pas les rouges du Ponant, et pas les transhumants du Fleuve !
    Mangez et dormez enfants de ma sève, et vivez votre vie des grandes profondeurs
    et paix sur vous qui déclinez. Vous respirez par mes narines.

    Je dis Kaya-Magan je suis ! Roi de la lune, j’unis la nuit et le jour.
    Je suis Prince du Nord du Sud, du Soleil-levant Prince et du Soleil-couchant
    la plaine ouverte à mille ruts, la matrice où se fondent les métaux précieux. Il en sort l’or rouge et l’Homme rouge – rouge ma dilection à moi le Roi de l’or
    – qui a la splendeur du soleil, la douceur féminine de la nuit.

    Donc picorez mon front bombé, oiseaux de mes cheveux serpents.
    Vous ne vous nourrissez seulement du lait bis, mais picorez la cervelle du Sage,
    Maître de l’hiéroglyphe dans sa tour de verre.
    Paissez faons de mon flanc sous ma récade et mon croissant de lune.

    Je suis le buffle qui se rit du Lion, de ses fusils chargés jusqu’à la gueule.
    Et il faudra bien qu’il se prémunisse dans l’enceinte de ses murailles.
    Mon empire est celui des proscrits de César,
    des grands bannis de la raison ou de l’instinct.

    Mon empire est celui de l’Amour, et je suis faiblesse pour toi femme,
    l’Etrangère aux yeux de clairière, aux lèvres de pomme cannelle au sexe de buisson ardent,
    car je suis les deux battants de la porte, rythme binaire de l’espace,
    et le troisième temps. Car je suis le mouvement du tam-tam, force de l’Afrique future.
    Dormez faons de mon flanc sous mon croissant de lune. »

    La relation d’un homme à ce qui l’entoure est à la base des thèses contractualistes, des éthiques, des théories sur la justice, sur l’Etat et de bien d’autres théories. Par exemple, chez Hobbes, dans Le Léviathan, dans l’état de nature, l’homme est un « loup pour l’homme », ce qui va justifier la création de l’Etat. Chez Hegel, l’homme se construit dans le combat contre l’autre.

    Les relations entre les hommes vont évoluer. Ainsi les sociétés traditionnelles sont holistes tandis que les sociétés modernes tendent à être des sociétés individualistes. Dans une société de type holiste, le tout est plus important que la partie. Dans cette société, l’individu se définit uniquement par sa place dans la société. Il est d’abord son rôle social avant d’être un individu. Dans une société aristocratique, chacun est défini par son rang et il n’est pas pensable d’en sortir. Pour Tocqueville, ce type de société offre l’avantage que le roi ne peut pas non plus aller au-delà de ses pouvoirs, ce qui est une sécurité. Dans le monde moderne, l’homme est libre de ses actions sans limite. C’est une menace contre la liberté de chacun. Chaque action de l’individu a des conséquences sur les autres d’où l’importance de cette conscience d’autrui en philosophie et en sociologie.

    Simmel explique que nous sommes passés d’une société avec des liens forts à une société de liens faibles. Dans les sociétés de liens forts, tous les individus se connaissent entre eux. Avec les liens faibles, chacun connaît certains individus mais ces individus ne se connaissent pas entre eux. Simmel décrit le passage de l’un à l’autre. Les sociétés étaient au départ communautaires mais à force d’accumuler des richesses elles vont vouloir commercer, d’où l’arrivée du commerçant. Le commerçant n’appartient pas à la communauté et va commencer à créer des liens faibles. Finalement le commerçant va rester de façon permanente et les liens faibles vont se diffuser dans la société et perdurer jusqu’à nos jours. Cette notion de liens faibles minimise l’impact des autres sur la construction de soi.

dimanche 2 septembre 2018


LE PROBLEME DE LA NEGRITUDE - DEUXIEME PARTIE : L’APPORT

Voilà le point multidimensionnel et fondamental sur lequel, les Nègres, il nous semble, devraient se pencher pour apporter une réponse définitive, raison pour laquelle nous aurions du laisser des pages blanches à partir de ce point, pages à remplir par tous les nègres, comme dans les blogs. Il s’agit ici de notre place dans la Civilisation de l’Universel et cela pourrait se résumer en termes d’être et de devenir ; de notre développement, l'Etant, c'est-à-dire le point historique ne nous servant d'emblée que comme miroir et devoir de mémoire pour mieux embrasser le futur et nous y faire une place confortable.

  • Etre : Cela renferme ce que nous sommes, ce que nous avons, culture et visions confondues et que nous ne devons jamais perdre. Ce n'est pas à marchander en termes de débarras, mais plutôt comme valeur ajoutée à présenter à la rencontre des Nations.

  • Devenir : Comme tout organisme ou élément, nous sommes appelé aux changements. Ici il faut se souvenir d'Héraclite qui dit: « On ne peut pas entrer une seconde fois dans le même fleuve, car c'est une autre eau qui vient à vous ; elle se dissipe et s'amasse de nouveau ; elle recherche et abandonne, elle s'approche et s'éloigne. Nous descendons et nous ne descendons pas dans ce fleuve, nous y sommes et nous n'y sommes pas ». Ainsi nous sommes forcé d'emboîter le pas à une certaine cadence du monde mais le bon choix de cette cadence doit trouver ses racines dans le point de l'Etre.

C'est ainsi que cette question, au-delà du Nègre, interpelle tout Etre Humain, surtout dans ce monde qui semble tombé sur la tête. Ce ne sont pas les tentatives qui manquent, pour ce qui concerne la justification ou la vérification de l'apport, mais hélas ! A notre avis elles nous semblent toutes être comme ce mot ‘nègre’ que l’on retourna comme une pierre à l’expéditeur, c'est-à-dire toujours comme une ré-action et non en initiative auto-promulguée. Et pourtant, cette réponse est au début et à la fin de tous nos problèmes car ce serait une prise de conscience d’une autre dimension, une décision quant à la trajectoire, au rôle que nous nous définissons et partant, à notre raison d’être, à notre part et place dans cette Civilisation de l’Universel.

Dans le « Discours de Dakar » , le Président Nicholas Sarkozy a bien effleuré le juste switch, faisant toutefois une contradiction personnelle quand, après avoir parlé d'un « continent qui a connu tant de civilisations brillantes », il nous sert une « Afrique n'étant pas assez entrée dans l'histoire ». Etant donné qu'il s'adressait spécifiquement aux jeunes d'Afrique, symboles d'avenir et partant, un devoir de prise de part dans l'apport, il aurait du certainement dire que « l'Afrique n'est pas assez entrée ou ne s'est pas encore assez munie pour faire face au futur », ce qu'il fait d'ailleurs dans un autre paragraphe de sons discours: « Le problème de l'Afrique, ce n'est pas de s'inventer un passé plus ou moins mythique pour s'aider à supporter le présent mais de s'inventer un avenir avec des moyens qui lui soient propres ».

Quoi que l'on puisse dire ou penser de l'homme, sa vision est très juste. Mais l'émotion nègre se fera juge et va lui infliger la « perpéte ». C'est ainsi que le Président François Hollande, se préparant pour venir à Dakar, va recevoir des menaces à peine voilées à travers les blogs locaux : on « l’attendait de pied ferme ». C’est dire que bien que notre nez dégoulinât, il ne fallait pas qu’il nous enjoignît d’aller nous moucher. Pathétique ! car son discours plaisant aurait du nous faire beaucoup plus peur : il nous a justement dit seulement ce que nous voulions entendre, pas forcément la vérité en ce qui nous concerne. A nous aussi on va certaiement en vouloir, car nous ne partageons pas la même vision que les gros bonnets appelés à la rescousse pour démonter Monsieur Sarkozy, à savoir Messieurs Boubacar Boris Diop, Universitaire et écrivain sénégalais, Ibrahima Thioub du Département d'Histoire de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Achille Mbembe, Universitaire camerounais, professeur d’histoire et de sciences politiques à l’université Witwatersrand de Johannesburg, Afrique du Sud, ni avec Monsieur Habib Thiam, ancien Premier ministre du Sénégal de 1981 à 1983 puis de 1991 à 1998 et ancien président de l’Assemblée nationale sénégalaise de 1983 à 1984.

Voilà que, fidèles à notre amour du clinquant superficiel, nous avons dressé une liste de gros bonnets ayant pris le contre-pied et qui, de par l'analyse râtée, donnent des arguments qui font froid au dos. Encore une fois, nous y sommes partis armés de l'émotion et non de la raison.

Comment peut-on accuser celui qui a dit expressément : « ce continent qui a connu tant de brillantes civilisations » d'avoir nié l'histoire de ce même continent ? Voyons le contenu de ce discours, qui est digne de tous les mea culpa adressés aux peuples africains spécialement par des hôtes émérites ayant visité Gorée au Sénégal et Elimina au Ghana.

QUELQUES PARTIES DU DISCOURS

  1. Diplomatie oblige

    « Permettez-moi de remercier d'abord le gouvernement et le peuple sénégalais de leur accueil si chaleureux. Permettez-moi de remercier l'université de Dakar qui me permet pour la première fois de m'adresser à l'élite de la jeunesse africaine en tant que président de la République française. Je suis venu vous parler avec la franchise et la sincérité que l'on doit à des amis que l'on aime et que l'on respecte. J'aime l'Afrique, je respecte et j'aime les Africains. Entre le Sénégal et la France, l'histoire a tissé les liens d'une amitié que nul ne peut défaire. Cette amitié est forte et sincère. C'est pour cela que j'ai souhaité adresser, de Dakar, le salut fraternel de la France à l'Afrique tout entière...»

    On pourrait peut-être accuser le Président Sarkozy d'avoir opté pour un ton aux nuances paternalistes, ce qui, à notre avis est aussi un tort, notre tort à nous, tort issu de notre fierté mal mesurée et, partant, négative et négationiste puisque nous le refusons dans les discours mais l'acceptons dans les salons de Paris, de Londres, de Washington ou de Berlin comme dans nos plans de budgets. Dans les démarches le long de nos conflits comme dans des recherches en mer ou lors d'incendies chez nous, ne nous accoudons-nous pas sur ces puissances ? Ne nous laissons-nous pas nous partinaliser ? Et cela à chaque fois que cela nous arrange ? L'on ne peut vouloir l'un et son contraire ! Nos présidents, ministres et députés ne vont-ils pas se soigner dans les hopitaux de la Métropole, comme y vont accoucher leur femme avec un espoir de pouvoir leur offrir la citoyenneté amiraince au passage ? Qui est le candidat à une présence africaine qui ne s'accoude sur « ses amis » pour le financement de ses visions souvent de trop courte portée ? Et la liste est loin d'être exhaustive, loin d'être assez accerbe et pessimiste.

  2. La cible : la jeunesse en particulier

    «... Je veux, ce soir, m'adresser à tous les Africains qui sont si différents les uns des autres, qui n'ont pas la même langue, qui n'ont pas la même religion, qui n'ont pas les mêmes coutumes, qui n'ont pas la même culture, qui n'ont pas la même histoire et qui pourtant se reconnaissent les uns les autres comme des Africains. Là réside le premier mystère de l'Afrique. Oui, je veux m'adresser à tous les habitants de ce continent meurtri, et, en particulier, aux jeunes, à vous qui vous êtes tant battus les uns contre les autres et souvent tant haïs, qui parfois vous combattez et vous haïssez encore mais qui pourtant vous reconnaissez comme frères, frères dans la souffrance, frères dans l'humiliation, frères dans la révolte, frères dans l'espérance, frères dans le sentiment que vous éprouvez d'une destinée commune, frères à travers cette foi mystérieuse qui vous rattache à la terre africaine, foi qui se transmet de génération en génération et que l'exil lui-même ne peut effacer... ».

    Le discours cible la jeunesse, symbole du futur, et forçe à une approche particulière. Cela aurait été d'un grand tord si le Président Sarkozy avait plongé dans une vision du futur sans brosser le passé et ainsi se faire accuser de vouloir volontairement donner un coup de balai, renier intégralement ce passé. Il lui a donc fallu retracer ce temps amer des temps coloniaux, mettre le doigt sur la plaie de l'histoire. Mais il est conscient d'une chose : passée cette période, l'Africain est dans un dilemne : des combats de clans et des combats ethniques ont vu le jour. Nous pourrions dire que ces combtas, malgré leur caractère néfaste, sont bien normaux. Ils relèvent de la nature même de l'homme. Le drame se situe donc ici au niveau de l'homme qui s'affirme en africain; un continent soudé et solidaire autour de sa couleur de peau, forcé par son passé historique qui, au-delà de la géographique est collé à la couleur de sa peau et qui, partant, lui a, à certaines occasions, fait oublier ses différences. Après toutc'est rare que l'européen se soude à un autre européen par la couleur de la peau, comme le font les nègres : le français, l'allemand, le russe ou l'anglais ne va pas, le long des rues d'une certaine capitale aller vers l'italien ou le polonais ou le kosovar pour lui déguéner un « nous sommes des frères ». En se soudant autour de leur couleur de peau à cause d'une colonisation qui a été quasi total et répandue sur un continent à la couleur semi unique, le Nègre s'est vu prisonnier et aveuglé par elle. C'est là que la colonisation a le plus réussi : tout peuple dominé brisera tot ou tard ses chaînes, mais si ces chaînes se situent au niveau de l'esprit, il y a très peu de chance que l'on s'en sorte, d'où cette résistance bucale qui est diamétralement opposé à la réalité qui a bien serré ses carcans dans notre mental.

    En prenant les indépendances, ce semblant de liberté nous a fait entrevoir certaines réalités de l'heure, frontières tracées à la règle et un pan de nos propres différences internes : « ... Je m'adresse à vous qui vous êtes tant battus les uns contre les autres et souvent tant haïs, qui parfois vous combattez et vous haïssez encore mais qui pourtant vous reconnaissez comme frères, frères dans la souffrance, frères dans l'humiliation, frères dans la révolte, frères dans l'espérance, frères dans le sentiment que vous éprouvez d'une destinée commune, frères à travers cette foi mystérieuse qui vous rattache à la terre africaine, foi qui se transmet de génération en génération et que l'exil lui-même ne peut effacer ».

  3. La démarche

    « ... Je ne suis pas venu, jeunes d'Afrique, pour pleurer avec vous sur les malheurs de l'Afrique. Car l'Afrique n'a pas besoin de mes pleurs. Je ne suis pas venu, jeunes d'Afrique, pour m'apitoyer sur votre sort parce que votre sort est d'abord entre vos mains. Que feriez-vous, fière jeunesse africaine de ma pitié ? Je ne suis pas venu effacer le passé car le passé ne s'efface pas ».

    Sincère ou pas, et peu importe certaine dimension personnelle, puisqu'ici ce n'est pas là l'essentiel : l'essentiel est de rappeler aux jeunesnafricains qu'ils doivent reprendre en leurs mains mortelles la destinée de leurs nations respectives ; qu'ils ne doivent plus s'apitoyer sur eux-mêmes, mais prendre en leurs mains propres leur propre sort. Le passé ne s'efface pas, donc ce qu'il faut c'est l'avoir en mémoire pour mieux faire face à demain. La galère d'hier devrait les armer de plus de détermination afin de se libérer définitivement et de tout faire « pour être le sel à la table de la civilisation de l'universel ».

  4. Mea culpa du président du pays colonisateur

    « ... Je ne suis pas venu nier les fautes ni les crimes car il y a eu des fautes et il y a eu des crimes. Il y a eu la traite négrière, il y a eu l'esclavage, les hommes, les femmes, les enfants achetés et vendus comme des marchandises. Et ce crime ne fut pas seulement un crime contre les Africains, ce fut un crime contre l'homme, ce fut un crime contre l'humanité tout entière. Et l'homme noir qui éternellement « entend de la cale monter les malédictions enchaînées, les hoquettements des mourants, le bruit de l'un d'entre eux qu'on jette à la mer ». Cet homme noir qui ne peut s'empêcher de se répéter sans fin. «Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ». Cet homme noir, je veux le dire ici à Dakar, a le visage de tous les hommes du monde. Cette souffrance de l'homme noir, je ne parle pas de l'homme au sens du sexe, je parle de l'homme au sens de l'être humain et bien sûr de la femme et de l'homme dans son acceptation générale. Cette souffrance de l'homme noir, c'est la souffrance de tous les hommes. Cette blessure ouverte dans l'âme de l'homme noir est une blessure ouverte dans l'âme de tous les hommes... Mais il est vrai que jadis, les Européens sont venus en Afrique en conquérants. Ils ont pris la terre de vos ancêtres. Ils ont banni les dieux, les langues, les croyances, les coutumes de vos pères. Ils ont dit à vos pères ce qu'ils devaient penser, ce qu'ils devaient croire, ce qu'ils devaient faire. Ils ont coupé vos pères de leur passé, ils leur ont arraché leur âme et leurs racines. Ils ont désenchanté l'Afrique. Ils ont eu tort. Ils n'ont pas vu la profondeur et la richesse de l'âme africaine. Ils ont cru qu'ils étaient supérieurs, qu'ils étaient plus avancés, qu'ils étaient le progrès, qu'ils étaient la civilisation. Ils ont eu tort. Ils ont voulu convertir l'homme africain, ils ont voulu le façonner à leur image, ils ont cru qu'ils avaient tous les droits, ils ont cru qu'ils étaient tout puissants, plus puissants que les dieux de l'Afrique, plus puissants que l'âme africaine, plus puissants que les liens sacrés que les hommes avaient tissés patiemment pendant des millénaires avec le ciel et la terre d'Afrique, plus puissants que les mystères qui venaient du fond des âges. Ils ont eu tort. Ils ont abîmé un art de vivre. Ils ont abîmé un imaginaire merveilleux. Ils ont abîmé une sagesse ancestrale. Ils ont eu tort. Ils ont créé une angoisse, un mal de vivre. Ils ont nourri la haine. Ils ont rendu plus difficile l'ouverture aux autres, l'échange, le partage parce que pour s'ouvrir, pour échanger, pour partager, il faut être assuré de son identité, de ses valeurs, de ses convictions... Mais la colonisation fut une grande faute qui fut payée par l'amertume et la souffrance de ceux qui avaient cru tout donner et qui ne comprenaient pas pourquoi on leur en voulait autant. La colonisation fut une grande faute qui détruisit chez le colonisé l'estime de soi et fit naître dans son cœur cette haine de soi qui débouche toujours sur la haine des autres. La colonisation fut une grande faute mais de cette grande faute est né l'embryon d'une destinée commune. Et cette idée me tient particulièrement à cœur. La colonisation fut une faute qui a changé le destin de l'Europe et le destin de l'Afrique et qui les a mêlés. Et ce destin commun a été scellé par le sang des Africains qui sont venus mourir dans les guerres européennes... Face au colonisateur, le colonisé avait fini par ne plus avoir confiance en lui, par ne plus savoir qui il était, par se laisser gagner par la peur de l'autre, par la crainte de l'avenir. Le colonisateur est venu, il a pris, il s'est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail.

  5. Crime contre l'humanité

    « Cette souffrance de l'homme noir, c'est la souffrance de tous les hommes. Cette blessure ouverte dans l'âme de l'homme noir est une blessure ouverte dans l'âme de tous les hommes ».

    Ce passage aurait pu passer comme une demande de pardon digne de celui du Pape à Gorée, une condamnation de la traite négrillère, si servi à Gorée ou Elmina, car Sarkozy reconnaît ici que ce qui est arrivé au continent africain et, partant, à l'homme noir est un crime contre l'humanité.

    Comment nos flambeaux, universitaires et illustres premiers ministres, ont-ils pu se gourer si terriblement ? Le degré émotionnel est-il si géant qu'il nous rend aveugles, ou du moins allergiques à toute parole, même de vérité, si décochée par un Blanc dans certaines circonstances ? Comment, d'un discours de combien de minutes, de si grands intellectuels ont-ils pu sauter tous les paragraphes le composant pour s'embourber dans la seule expression « l'Afrique n'est pas assez entrée dans l'histoire » ? N'est-ce point cette vérité qui fausse en quelque sorte l'approche de nos supposés architectes ? N'est-ce point cette sorte de réaction qui fit dire à Senghor « l'émotion est nègre, la raison hellène ». Il n'a certainement pas tort.

    Ici, si nous avons quelque tentation de vous rejoindre, c'est plutôt pour redresser la contradiction personnelle de Nicholas Sarkozy qui a parlé d'un continent ayant connu tant de civilisations brillantes et puis d'une Afrique n'étant pas assez entrée dans l'histoire : il aurait du dire que l'Afrique ne s'est pas assez préparée pour le futur. Nous pensons certes que nous émergeons. Au milieu de quoi ? De tonnes de méduses, de laves incandescentes d'un volcan ou bien de sables enlisants ?

    Démunis d'une certaine identité dans le présent par rapport aux autres peuples et happés comme une mouche par le crapaud de la globalisation, nous faisons un pied de grue embourbé dans notre passé lointain : Egypte, Lucie... Nous nous accrochons à des lambeaux de roseaux dans le courant fou d'affluents de royaumes éteints, raison pour laquelle Monsieur Sarkozy s'adressant aux jeunes parle de l'Afrique du futur, de l'Afrique de demain.

    C'est qu'au-delà de la pure science, les fouilles dans notre passé prennent plutôt le goût amer d'une autopsie de notre identité enfouillie par la colonisation. C'est vrai, et certains aiment le souligner : jadis quelques savants ont tenté, avec un certain degré de réussite, de couvrir un certain pan de ce passé et, partant, de notre identité, de notre apport et participation dans les civilisations du passé, participation que le président français n'a absolument pas niée.

  6. Cité du futur sur les cendres d'hier

    « ... Mais nul ne peut demander aux générations d'aujourd'hui d'expier ce crime perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères. Jeunes d'Afrique, je ne suis pas venu vous parler de repentance. Je suis venu vous dire que je ressens la traite et l'esclavage comme des crimes envers l'humanité. Je suis venu vous dire que votre déchirure et votre souffrance sont les nôtres et sont donc les miennes. Je suis venu vous proposer de regarder ensemble, Africains et Français, au-delà de cette déchirure et au-delà de cette souffrance. Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique, non d'oublier cette déchirure et cette souffrance qui ne peuvent pas être oubliées, mais de les dépasser. Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique, non de ressasser ensemble le passé mais d'en tirer ensemble les leçons afin de regarder ensemble l'avenir. Je suis venu, jeunes d'Afrique, regarder en face avec vous notre histoire commune ».

    Voilà justement le point que nous interpêtons comme l'apport, point qui peut poser un danger aussi bien parmi les jeunes européens que pour les jeunes africains. En effet :

    • Pour le jeune européen, le danger est de se cramponner sur le passé et vouloir coûte que coûte rappeler à la contrepartie africaine la servitude de jadis. Des racistes y trouvent leur compte.

    • Pour le jeune africain, le danger - et c'est toujours le cas - c'est de ne pas pouvoir passer un balai sur le passé colonial pour faire face à la Cité de Demain. Le doigt accusateur est toujours pointé vers le colonisateur et, à tort ou à raison, sert surtout d'échapatoire pour ne pas prendre nos responsabilités en face de la plupart de nos problèmes. Ce pari, le Finalnde l'a bien réussi, qui a su se libérer de la Suède et d'une super puissance, la Russie, et adopter une Realpoliitk pour se hisser au rang supérieur des pays modernes et rebâtir une dignité indénaible parmi les peuples et même se proposer en modèle.

    Mais les deux points ci-dessus ne concernent pas que la jeunesse des deux continents : lors du drame du Bateau le Joola, un président de la république a-t-il hésité de menacer la France et la Grande Bretagne d'une plainte à la Haye pour avoir divisé le Sénégal et la Gambie si jamais les familles françaises de victimes déposaient une plainte contre l'Etat du Sénégal ? Comme si, même sans colonisation le Sénégal ne pouvait envisager un va-et-vient de dizaines de bateaux croisant entre Dakar et Ziguinchor avec toutes les conditions de navigation maritime requies !

    Ne nous méprenez pas : il ne faut pas ignorer le passé mais, que ce soit dans un camp ou l'autre, le fait de s'y cramponner comme si cela datait d'aujourd'hui équivaudrait à une stagnation mortelle, surtout pour le continent africain car : « ... nul ne peut demander aux générations (européennes) d'aujourd'hui d'expier ce crime perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères...» C'est pourquoi Sarkozy dit expressément : « Je suis venu vous proposer de regarder ensemble, Africains et Français, au-delà de cette déchirure et au-delà de cette souffrance. Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique, non d'oublier cette déchirure et cette souffrance qui ne peuvent pas être oubliées, mais de les dépasser. Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique, non de ressasser ensemble le passé mais d'en tirer ensemble les leçons afin de regarder ensemble l'avenir... ».

    En effet la colonisation nous sert souvent de couverture pour cacher nos échecs et ne pas faire face à nos responsabilités. Ainsi dépendant des avantages ou des inconvénents, l'Africain va condamner l'Europe ou bien l'embrasser sans rechigner. Malgré cette fierté et la souveraineté nationale dégainée pour camper sur une bêtise, nos présidents comme nos ministres dédaignent nos hôpitaux qu'ils regardent comme « indigènes » pour aller se faire soigner aux Etats Unis, en France ou au Canada, hôpitaux dont le personnel médical est pourtant sorti des universités soutenues par nos déniers publiques de la nation souveraine, qui forment de très bon docteurs, mais sans équipement aucun ou bien font accoucher leurs femmes aux Etats Unis dans l'espoir de pouvoir obtenir la nationalité américaine pour leur progéniture. Le Nègre a terriblement goûté à la pomme de l'occidentalisation, ce « mécanisme mondialisé et ancien qui conduit des individus ou des sociétés à adopter des traits culturels, organisationnels ou idéologiques provenant de l'Occident » et y a plongé plus profondément que l'abysse, broutant plus à son clinquant côté superficiel qu'à l'essence des choses, des super bolides le long des routes dont nous ignorons le tracé des voies aux produits cosmétiques qui cirent notre peau. Justement cet Occident devant lequel il veut en même temps affirmer son africnité.

  7. Quelque chose de positif ?

    « ... Le colonisateur a pris mais je veux dire avec respect qu'il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu féconde des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir. Je veux le dire ici, tous les colons n'étaient pas des voleurs, tous les colons n'étaient pas des exploiteurs. Il y avait parmi eux des hommes mauvais mais il y avait aussi des hommes de bonne volonté, des hommes qui croyaient remplir une mission civilisatrice, des hommes qui croyaient faire le bien. Ils se trompaient mais certains étaient sincères. Ils croyaient donner la liberté, ils créaient l'aliénation. Ils croyaient briser les chaînes de l'obscurantisme, de la superstition, de la servitude. Ils forgeaient des chaînes bien plus lourdes, ils imposaient une servitude plus pesante, car c'étaient les esprits, c'étaient les âmes qui étaient asservis. Ils croyaient donner l'amour sans voir qu'ils semaient la révolte et la haine ».

    Oui, nous partageons d'emblée la même histoire. Celle de l'Afrique ne pourra plus jamais s'écrire sans l'européenne et l'européeene ne peut plus s'écrire sans l'africaine, notamment la française. Ce cordon ombilical se pose en dilemne aux deux parties, raison pour laquelle, ici, Sarkozy ne peut pas blâmer tous les européens qui étaient présents dans les colonies comme il ne peut pas non plus tous les absoudre. N'y avait-il pas Leo Frobenius qui fut « l'un des premiers ethnologues à remettre en cause les bases idéologiques du colonialisme, en contestant notamment l'idée que les Européens auraient trouvé en Afrique des peuples véritablement sauvages, auxquels ils auraient apporté la civilisation » ? Il avait osé voir en face la réalité des choses malgré la vision du nègre sauvage et sans civilisation que l'on prônait à l'époque : « Lorsqu’ils arrivèrent dans la baie de Guinée et abordèrent à Vaïda, les capitaines furent fort étonnés de trouver des rues bien aménagées, bordées sur une longueur de plusieurs lieues par deux rangées d’arbres ; ils traversèrent pendant de longs jours une campagne couverte de champs magnifiques, habités par des hommes vêtus de costumes éclatants dont ils avaient tissé l’étoffe eux-mêmes ! Plus au sud, dans le Royaume du Congo, une foule grouillante habillée de « soie » et de « velours », de grands États bien ordonnés, et cela dans les moindres détails, des souverains puissants, des industries opulentes. Civilisés jusqu’à la moelle des os ! Et toute semblable était la condition des pays à la côte orientale, le Mozambique, par exemple » . N'y a-t-il pas Joost Van Vollenhoven qui refusa le recrutement de nouvelles troupes indigènes demandé par Clémenceau en 1917 ?

    Une prise de conscience de ce fait nous aidera beaucoup. Et c'est justement ce que sut Senghor et que peut-être beaucoup ne comprirent point : « Ah ! ne dites pas que je n’aime pas la France – je ne suis pas la France, je sais – Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu’il a libéré ses mains, a écrit la fraternité sur la première page de ses monuments, qu’il a distribué la faim de l’esprit comme de la liberté à tous les peuples de la terre conviés solennellement au festin catholique. Ah ! je ne suis-je pas assez divisé ? Et pourquoi cette bombe dans le jardin si patiemment gagné sur les épines de la brousse ? Pourquoi cette bombe sur la maison édifiée pierre à pierre ? ».

    Ailleurs, voyant la disparité des peuples fraternels rassemblés pour la bataille, frères d'armes baptisés dans et unis par le sang, il ne put s'empêcher de s'émouvoir : «...Divers de traits de costumes de coutumes de langue ; mais au fond des yeux la même mélopée de souffrances à l’ombre des longs cils fiévreux. Le Cafre le Kabyle le Somali le Maure, le Fân et le Fôn le Bambara le Bobo le Mandiago le nomade le mineur le prestataire, le paysan et l’artisan le boursier et le tirailleur et tous les travailleurs blancs dans la lutte fraternelle. Voici le mineur des Asturies le docker de Liverpool le Juif chassé d’Allemagne, et Dupont et Dupuis et tous les gars de Saint-Denis ». C'est ce métissage qui s'est imposé au monde au sortir de la colonisation dont la boucle fut les deux guerres mais surtout la deuxièeme qui, sans planification, devait souder la fraternité entre les hommes et, partant entre les nations tout en permettant la naissance des indépendances.

  8. Prendre sa part de responsabilité

    «... L'Afrique a sa part de responsabilité dans son propre malheur. On s'est entre-tué en Afrique au moins autant qu'en Europe... La colonisation n'est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l'Afrique. Elle n'est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux. Elle n'est pas responsable des génocides. Elle n'est pas responsable des dictateurs. Elle n'est pas responsable du fanatisme. Elle n'est pas responsable de la corruption, de la prévarication. Elle n'est pas responsable des gaspillages et de la pollution... Et la France n'oublie pas ce sang africain versé pour sa liberté. Nul ne peut faire comme si rien n'était arrivé. Nul ne peut faire comme si cette faute n'avait pas été commise. Nul ne peut faire comme si cette histoire n'avait pas eu lieu. Pour le meilleur comme pour le pire, la colonisation a transformé l'homme africain et l'homme européen. Jeunes d'Afrique, vous êtes les héritiers des plus vieilles traditions africaines et vous êtes les héritiers de tout ce que l'Occident a déposé dans le cœur et dans l'âme de l'Afrique. Jeunes d'Afrique, la civilisation européenne a eu tort de se croire supérieure à celle de vos ancêtres, mais désormais la civilisation européenne vous appartient aussi ».

    L'Afrique a sa part de responsabilité fait ressortir celle de l'autre en même temps, mais cette responsabilité incombe, à prime abord, à celui qui est concerné, c'est-à-dire à l'Africain. Des tueries il y en a eu et il y en a encore, mais, même poussés par une force occulte occidentale qui semble jeter les dés et remuer les tempêtes, c'est bien de notre faute. Nous disons que si nous sommes manipulés, si des frères sont achetés pour se jeter au travers pour en assassiner d'autres, c'est qu'il y a une certaine profondeur de nos visions qui n'est pas encore la nôtre malgré nos revendications à tout bout de champ.

  9. Le devoir de la jeunesseJeunes d'Afrique, ne cédez pas à la tentation de la pureté parce qu'elle est une maladie, une maladie de l'intelligence, et qui est ce qu'il y a de plus dangereux au monde. Jeunes d'Afrique, ne vous coupez pas de ce qui vous enrichit, ne vous amputez pas d'une part de vous-même. La pureté est un enfermement, la pureté est une intolérance. La pureté est un fantasme qui conduit au fanatisme. Je veux vous dire, jeunes d'Afrique, que le drame de l'Afrique n'est pas dans une prétendue infériorité de son art, sa pensée, de sa culture. Car, pour ce qui est de l'art, de la pensée et de la culture, c'est l'Occident qui s'est mis à l'école de l'Afrique. L'art moderne doit presque tout à l'Afrique. L'influence de l'Afrique a contribué à changer non seulement l'idée de la beauté, non seulement le sens du rythme, de la musique, de la danse, mais même dit Senghor, la manière de marcher ou de rire du monde du XXème siècle. Je veux donc dire, à la jeunesse d'Afrique, que le drame de l'Afrique ne vient pas de ce que l'âme africaine serait imperméable à la logique et à la raison. Car l'homme africain est aussi logique et raisonnable que l'homme européen. C'est en puisant dans l'imaginaire africain que vous ont légué vos ancêtres, c'est en puisant dans les contes, dans les proverbes, dans les mythologies, dans les rites, dans ces formes qui, depuis l'aube des temps, se transmettent et s'enrichissent de génération en génération que vous trouverez l'imagination et la force de vous inventer un avenir qui vous soit propre, un avenir singulier qui ne ressemblera à aucun autre, où vous vous sentirez enfin libres, libres, jeunes d'Afrique d'être vous-mêmes, libres de décider par vous-mêmes.

    Je suis venu vous dire que vous n'avez pas à avoir honte des valeurs de la civilisation africaine, qu'elles ne vous tirent pas vers le bas mais vers le haut, qu'elles sont un antidote au matérialisme et à l'individualisme qui asservissent l'homme moderne, qu'elles sont le plus précieux des héritages face à la déshumanisation et à l'aplatissement du monde. Je suis venu vous dire que l'homme moderne qui éprouve le besoin de se réconcilier avec la nature a beaucoup à apprendre de l'homme africain qui vit en symbiose avec la nature depuis des millénaires. Je suis venu vous dire que cette déchirure entre ces deux parts de vous-mêmes est votre plus grande force, et votre plus grande faiblesse selon que vous vous efforcerez ou non d'en faire la synthèse. Mais je suis aussi venu vous dire qu'il y a en vous, jeunes d'Afrique, deux héritages, deux sagesses, deux traditions qui se sont longtemps combattues : celle de l'Afrique et celle de l'Europe. Je suis venu vous dire que cette part africaine et cette part européenne de vous-mêmes forment votre identité déchirée.

  10. Savoir tourner la page

    Je ne suis pas venu, jeunes d'Afrique, vous donner des leçons. Je ne suis pas venu vous faire la morale. Mais je suis venu vous dire que la part d'Europe qui est en vous est le fruit d'un grand péché d'orgueil de l'Occident mais que cette part d'Europe en vous n'est pas indigne. Car elle est l'appel de la liberté, de l'émancipation et de la justice et de l'égalité entre les femmes et les hommes. Car elle est l'appel à la raison et à la conscience universelles. Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne mais l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable ou tout semble être écrit d'avance. Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin. Le problème de l'Afrique et permettez à un ami de l'Afrique de le dire, il est là.

    Le défi de l'Afrique, c'est d'entrer davantage dans l'histoire. C'est de puiser en elle l'énergie, la force, l'envie, la volonté d'écouter et d'épouser sa propre histoire. Le problème de l'Afrique, c'est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l'éternel retour, c'est de prendre conscience que l'âge d'or qu'elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu'il n'a jamais existé. Le problème de l'Afrique, c'est qu'elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l'enfance. Le problème de l'Afrique, c'est que trop souvent elle juge le présent par rapport à une pureté des origines totalement imaginaire et que personne ne peut espérer ressusciter. Le problème de l'Afrique, ce n'est pas de s'inventer un passé plus ou moins mythique pour s'aider à supporter le présent mais de s'inventer un avenir avec des moyens qui lui soient propres. Le problème de l'Afrique, ce n'est pas de se préparer au retour du malheur, comme si celui-ci devait indéfiniment se répéter, mais de vouloir se donner les moyens de conjurer le malheur, car l'Afrique a le droit au bonheur comme tous les autres continents du monde. Le problème de l'Afrique, c'est de rester fidèle à elle-même sans rester immobile. Le défi de l'Afrique, c'est d'apprendre à regarder son accession à l'universel non comme un reniement de ce qu'elle est mais comme un accomplissement. Le défi de l'Afrique, c'est d'apprendre à se sentir l'héritière de tout ce qu'il y a d'universel dans toutes les civilisations humaines. C'est de s'approprier les droits de l'homme, la démocratie, la liberté, l'égalité, la justice comme l'héritage commun de toutes les civilisations et de tous les hommes. C'est de s'approprier la science et la technique modernes comme le produit de toute l'intelligence humaine. Le défi de l'Afrique est celui de toutes les civilisations, de toutes les cultures, de tous les peuples qui veulent garder leur identité sans s'enfermer parce qu'ils savent que l'enfermement est mortel.

    Les civilisations sont grandes à la mesure de leur participation au grand métissage de l'esprit humain. La faiblesse de l'Afrique qui a connu sur son sol tant de civilisations brillantes, ce fut longtemps de ne pas participer assez à ce grand métissage. Elle a payé cher, l'Afrique, ce désengagement du monde qui l'a rendue si vulnérable. Mais, de ses malheurs, l'Afrique a tiré une force nouvelle en se métissant à son tour. Ce métissage, quelles que fussent les conditions douloureuses de son avènement, est la vraie force et la vraie chance de l'Afrique au moment où émerge la première civilisation mondiale. La civilisation musulmane, la chrétienté, la colonisation, au-delà des crimes et des fautes qui furent commises en leur nom et qui ne sont pas excusables, ont ouvert les cœurs et les mentalités africaines à l'universel et à l'histoire.

    Ne vous laissez pas, jeunes d'Afrique, voler votre avenir par ceux qui ne savent opposer à l'intolérance que l'intolérance, au racisme que le racisme. Ne vous laissez pas, jeunes d'Afrique, voler votre avenir par ceux qui veulent vous exproprier d'une histoire qui vous appartient aussi parce qu'elle fut l'histoire douloureuse de vos parents, de vos grands-parents et de vos aïeux. N'écoutez pas, jeunes d'Afrique, ceux qui veulent faire sortir l'Afrique de l'histoire au nom de la tradition parce qu'une Afrique ou plus rien ne changerait serait de nouveau condamnée à la servitude. N'écoutez pas, jeunes d'Afrique, ceux qui veulent vous empêcher de prendre votre part dans l'aventure humaine, parce que sans vous, jeunes d'Afrique qui êtes la jeunesse du monde, l'aventure humaine sera moins belle. N'écoutez pas jeunes d'Afrique, ceux qui veulent vous déraciner, vous priver de votre identité, faire table rase de tout ce qui est africain, de toute la mystique, la religiosité, la sensibilité, la mentalité africaine, parce que pour échanger il faut avoir quelque chose à donner, parce que pour parler aux autres, il faut avoir quelque chose à leur dire.

    Écoutez plutôt, jeunes d'Afrique, la grande voix du Président Senghor qui chercha toute sa vie à réconcilier les héritages et les cultures au croisement desquels les hasards et les tragédies de l'histoire avaient placé l'Afrique. Il disait, lui l'enfant de Joal, qui avait été bercé par les rhapsodies des griots, il disait : « nous sommes des métis culturels, et si nous sentons en nègres, nous nous exprimons en français, parce que le français est une langue à vocation universelle, que notre message s'adresse aussi aux Français et aux autres hommes ». Il disait aussi : « le français nous a fait don de ses mots abstraits - si rares dans nos langues maternelles. Chez nous les mots sont naturellement nimbés d'un halo de sève et de sang ; les mots du français eux rayonnent de mille feux, comme des diamants. Des fusées qui éclairent notre nuit ». Ainsi parlait Léopold Senghor qui fait honneur à tout ce que l'humanité comprend d'intelligence. Ce grand poète et ce grand Africain voulait que l'Afrique se mît à parler à toute l'humanité et lui écrivait en français des poèmes pour tous les hommes. Ces poèmes étaient des chants qui parlaient, à tous les hommes, d'êtres fabuleux qui gardent des fontaines, chantent dans les rivières et qui se cachent dans les arbres. Des poèmes qui leur faisaient entendre les voix des morts du village et des ancêtres. Des poèmes qui faisaient traverser des forêts de symboles et remonter jusqu'aux sources de la mémoire ancestrale que chaque peuple garde au fond de sa conscience comme l'adulte garde au fond de la sienne le souvenir du bonheur de l'enfance.

    Car chaque peuple a connu ce temps de l'éternel présent, où il cherchait non à dominer l'univers mais à vivre en harmonie avec l'univers. Temps de la sensation, de l'instinct, de l'intuition. Temps du mystère et de l'initiation. Temps mystique ou le sacré était partout, où tout était signes et correspondances. C'est le temps des magiciens, des sorciers et des chamanes. Le temps de la parole qui était grande, parce qu'elle se respecte et se répète de génération en génération, et transmet, de siècle en siècle, des légendes aussi anciennes que les dieux. L'Afrique a fait se ressouvenir à tous les peuples de la terre qu'ils avaient partagé la même enfance. L'Afrique en a réveillé les joies simples, les bonheurs éphémères et ce besoin, ce besoin auquel je crois moi-même tant, ce besoin de croire plutôt que de comprendre, ce besoin de ressentir plutôt que de raisonner, ce besoin d'être en harmonie plutôt que d'être en conquête. Ceux qui jugent la culture africaine arriérée, ceux qui tiennent les Africains pour de grands enfants, tous ceux-là ont oublié que la Grèce antique qui nous a tant appris sur l'usage de la raison avait aussi ses sorciers, ses devins, ses cultes à mystères, ses sociétés secrètes, ses bois sacrés et sa mythologie qui venait du fond des âges et dans laquelle nous puisons encore, aujourd'hui, un inestimable trésor de sagesse humaine. L'Afrique qui a aussi ses grands poèmes dramatiques et ses légendes tragiques, en écoutant Sophocle, a entendu une voix plus familière qu'elle ne l'aurait crû et l'Occident a reconnu dans l'art africain des formes de beauté qui avaient jadis été les siennes et qu'il éprouvait le besoin de ressusciter. Alors entendez, jeunes d'Afrique, combien Rimbaud est africain quand il met des couleurs sur les voyelles comme vos ancêtres en mettaient sur leurs masques, « masque noir, masque rouge, masque blanc-et-noir ».

    Ouvrez les yeux, jeunes d'Afrique, et ne regardez plus, comme l'ont fait trop souvent vos aînés, la civilisation mondiale comme une menace pour votre identité mais la civilisation mondiale comme quelque chose qui vous appartient aussi. Dès lors que vous reconnaîtrez dans la sagesse universelle une part de la sagesse que vous tenez de vos pères et que vous aurez la volonté de la faire fructifier, alors commencera ce que j'appelle de mes vœux, la Renaissance africaine. Dès lors que vous proclamerez que l'homme africain n'est pas voué à un destin qui serait fatalement tragique et que, partout en Afrique, il ne saurait y avoir d'autre but que le bonheur, alors commencera la Renaissance africaine. Dès lors que vous, jeunes d'Afrique, vous déclarerez qu'il ne saurait y avoir d'autres finalités pour une politique africaine que l'unité de l'Afrique et l'unité du genre humain, alors commencera la Renaissance africaine. Dès lors que vous regarderez bien en face la réalité de l'Afrique et que vous la prendrez à bras-le-corps, alors commencera la Renaissance africaine. Car le problème de l'Afrique, c'est qu'elle est devenue un mythe que chacun reconstruit pour les besoins de sa cause. Et ce mythe empêche de regarder en face la réalité de l'Afrique.

    La réalité de l'Afrique, c'est une démographie trop forte pour une croissance économique trop faible. La réalité de l'Afrique, c'est encore trop de famine, trop de misère. La réalité de l'Afrique, c'est la rareté qui suscite la violence. La réalité de l'Afrique, c'est le développement qui ne va pas assez vite, c'est l'agriculture qui ne produit pas assez, c'est le manque de routes, c'est le manque d'écoles, c'est le manque d'hôpitaux. La réalité de l'Afrique, c'est un grand gaspillage d'énergie, de courage, de talents, d'intelligence.

    La réalité de l'Afrique, c'est celle d'un grand continent qui a tout pour réussir et qui ne réussit pas parce qu'il n'arrive pas à se libérer de ses mythes. La Renaissance dont l'Afrique a besoin, vous seuls, Jeunes d'Afrique, vous pouvez l'accomplir parce que vous seuls en aurez la force. Cette Renaissance, je suis venu vous la proposer. Je suis venu vous la proposer pour que nous l'accomplissions ensemble parce que de la Renaissance de l'Afrique dépend pour une large part la Renaissance de l'Europe et la Renaissance du monde. Je sais l'envie de partir qu'éprouve un si grand nombre d'entre vous confrontés aux difficultés de l'Afrique. Je sais la tentation de l'exil qui pousse tant de jeunes Africains à aller chercher ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas ici pour faire vivre leur famille. Je sais ce qu'il faut de volonté, ce qu'il faut de courage pour tenter cette aventure, pour quitter sa patrie, la terre où l'on est né, où l'on a grandi, pour laisser derrière soi les lieux familiers où l'on a été heureux, l'amour d'une mère, d'un père ou d'un frère et cette solidarité, cette chaleur, cet esprit communautaire qui sont si forts en Afrique.

    Je sais ce qu'il faut de force d'âme pour affronter le dépaysement, l'éloignement, la solitude. Je sais ce que la plupart d'entre eux doivent affronter comme épreuves, comme difficultés, comme risques. Je sais qu'ils iront parfois jusqu'à risquer leur vie pour aller jusqu'au bout de ce qu'ils croient être leur rêve. Mais je sais que rien ne les retiendra. Car rien ne retient jamais la jeunesse quand elle se croit portée par ses rêves. Je ne crois pas que la jeunesse africaine ne soit poussée à partir que pour fuir la misère. Je crois que la jeunesse africaine s'en va parce que, comme toutes les jeunesses, elle veut conquérir le monde. Comme toutes les jeunesses, elle a le goût de l'aventure et du grand large. Elle veut aller voir comment on vit, comment on pense, comment on travaille, comment on étudie ailleurs.

    L'Afrique n'accomplira pas sa Renaissance en coupant les ailes de sa jeunesse. Mais l'Afrique a besoin de sa jeunesse. La Renaissance de l'Afrique commencera en apprenant à la jeunesse africaine à vivre avec le monde, non à le refuser. La jeunesse africaine doit avoir le sentiment que le monde lui appartient comme à toutes les jeunesses de la terre. La jeunesse africaine doit avoir le sentiment que tout deviendra possible comme tout semblait possible aux hommes de la Renaissance.

    Alors, je sais bien que la jeunesse africaine, ne doit pas être la seule jeunesse du monde assignée à résidence. Elle ne peut pas être la seule jeunesse du monde qui n'a le choix qu'entre la clandestinité et le repliement sur soi. Elle doit pouvoir acquérir, hors d'Afrique la compétence et le savoir qu'elle ne trouverait pas chez elle.

    Mais elle doit aussi à la terre africaine de mettre à son service les talents qu'elle aura développés. Il faut revenir bâtir l'Afrique ; il faut lui apporter le savoir, la compétence le dynamisme de ses cadres. Il faut mettre un terme au pillage des élites africaines dont l'Afrique a besoin pour se développer. Ce que veut la jeunesse africaine c'est de ne pas être à la merci des passeurs sans scrupule qui jouent avec votre vie. Ce que veut la jeunesse d'Afrique, c'est que sa dignité soit préservée. C'est pouvoir faire des études, c'est pouvoir travailler, c'est pouvoir vivre décemment. C'est au fond, ce que veut toute l'Afrique. L'Afrique ne veut pas de la charité. L'Afrique ne veut pas d'aide. L'Afrique ne veut pas de passe-droit.

    Ce que veut l'Afrique et ce qu'il faut lui donner, c'est la solidarité, la compréhension et le respect. Ce que veut l'Afrique, ce n'est pas que l'on prenne son avenir en main, ce n'est pas que l'on pense à sa place, ce n'est pas que l'on décide à sa place. Ce que veut l'Afrique est ce que veut la France, c'est la coopération, c'est l'association, c'est le partenariat entre des nations égales en droits et en devoirs. Jeunesse africaine, vous voulez la démocratie, vous voulez la liberté, vous voulez la justice, vous voulez le Droit ? C'est à vous d'en décider. La France ne décidera pas à votre place. Mais si vous choisissez la démocratie, la liberté, la justice et le Droit, alors la France s'associera à vous pour les construire. Jeunes d'Afrique, la mondialisation telle qu'elle se fait ne vous plaît pas.

    L'Afrique a payé trop cher le mirage du collectivisme et du progressisme pour céder à celui du laisser-faire. Jeunes d'Afrique vous croyez que le libre-échange est bénéfique mais que ce n'est pas une religion. Vous croyez que la concurrence est un moyen mais que ce n'est pas une fin en soi. Vous ne croyez pas au laisser-faire. Vous savez qu'à être trop naïve, l'Afrique serait condamnée à devenir la proie des prédateurs du monde entier. Et cela vous ne le voulez pas. Vous voulez une autre mondialisation, avec plus d'humanité, avec plus de justice, avec plus de règles.

    Je suis venu vous dire que la France la veut aussi. Elle veut se battre avec l'Europe, elle veut se battre avec l'Afrique, elle veut se battre avec tous ceux, qui dans le monde, veulent changer la mondialisation. Si l'Afrique, la France et l'Europe le veulent ensemble, alors nous réussirons. Mais nous ne pouvons pas exprimer une volonté votre place.

    Jeunes d'Afrique, vous voulez le développement, vous voulez la croissance, vous voulez la hausse du niveau de vie. Mais le voulez-vous vraiment ? Voulez-vous que cesse l'arbitraire, la corruption, la violence ? Voulez-vous que la propriété soit respectée, que l'argent soit investi au lieu d'être détourné ? Voulez-vous que l'État se remette à faire son métier, qu'il soit allégé des bureaucraties qui l'étouffent, qu'il soit libéré du parasitisme, du clientélisme, que son autorité soit restaurée, qu'il domine les féodalités, qu'il domine les corporatismes ? Voulez-vous que partout règne l'État de droit qui permet à chacun de savoir raisonnablement ce qu'il peut attendre des autres ? Si vous le voulez, alors la France sera à vos côtés pour l'exiger, mais personne ne le voudra à votre place.

    Voulez-vous qu'il n'y ait plus de famine sur la terre africaine ? Voulez-vous que, sur la terre africaine, il n'y ait plus jamais un seul enfant qui meure de faim ? Alors cherchez l'autosuffisance alimentaire. Alors développez les cultures vivrières. L'Afrique a d'abord besoin de produire pour se nourrir. Si c'est ce que vous voulez, jeunes d'Afrique, vous tenez entre vos mains l'avenir de l'Afrique, et la France travaillera avec vous pour bâtir cet avenir. Vous voulez lutter contre la pollution ? Vous voulez que le développement soit durable ? Vous voulez que les générations actuelles ne vivent plus au détriment des générations futures ? Vous voulez que chacun paye le véritable coût de ce qu'il consomme ? Vous voulez développer les technologies propres ? C'est à vous de le décider. Mais si vous le décidez, la France sera à vos côtés.

    Vous voulez la paix sur le continent africain ? Vous voulez la sécurité collective ? Vous voulez le règlement pacifique des conflits ? Vous voulez mettre fin au cycle infernal de la vengeance et de la haine ? C'est à vous, mes amis africains, de le décider. Et si vous le décidez, la France sera à vos côtés, comme une amie indéfectible, mais la France ne peut pas vouloir à la place de la jeunesse d'Afrique.

    Vous voulez l'unité africaine ? La France le souhaite aussi. Parce que la France souhaite l'unité de l'Afrique, car l'unité de l'Afrique rendra l'Afrique aux Africains. Ce que veut faire la France avec l'Afrique, c'est regarder en face les réalités. C'est faire la politique des réalités et non plus la politique des mythes. Ce que la France veut faire avec l'Afrique, c'est le co-développement, c'est-à-dire le développement partagé.
    La France veut avec l'Afrique des projets communs, des pôles de compétitivité communs, des universités communes, des laboratoires communs. Ce que la France veut faire avec l'Afrique, c'est élaborer une stratégie commune dans la mondialisation. Ce que la France veut faire avec l'Afrique, c'est une politique d'immigration négociée ensemble, décidée ensemble pour que la jeunesse africaine puisse être accueillie en France et dans toute l'Europe avec dignité et avec respect. Ce que la France veut faire avec l'Afrique, c'est une alliance de la jeunesse française et de la jeunesse africaine pour que le monde de demain soit un monde meilleur.
    Ce que veut faire la France avec l'Afrique, c'est préparer l'avènement de l'Eurafrique, ce grand destin commun qui attend l'Europe et l'Afrique.

    A ceux qui, en Afrique, regardent avec méfiance ce grand projet de l'Union Méditerranéenne que la France a proposé à tous les pays riverains de la Méditerranée, je veux dire que, dans l'esprit de la France, il ne s'agit nullement de mettre à l'écart l'Afrique, qui s'étend au sud du Sahara mais, qu'au contraire, il s'agit de faire de cette Union le pivot de l'Eurafrique, la première étape du plus grand rêve de paix et de prospérité qu'Européens et Africains sont capables de concevoir ensemble. Alors, mes chers Amis, alors seulement, l'enfant noir de Camara Laye, à genoux dans le silence de la nuit africaine, saura et comprendra qu'il peut lever la tête et regarder avec confiance l'avenir. Et cet enfant noir de Camara Laye, il sentira réconciliées en lui les deux parts de lui-même. Et il se sentira enfin un homme comme tous les autres hommes de l'humanité ».

    Nous pensons avoir présenté l'essentiel du discours. Peu importe, encore une fois, les caractéristiques du personnage. Le contenu est la vraie triste réalité de l'Afrique. La nécessité que l'on nous débite de tels discours nous est intrinsèque. C'est que nous la méritons, même si nous pensons que nous n'en avons pas besoin, ce qui est très très très très loin de la vérité. Si l'on nous tend un mouchoir, c'est forcément parce que nous avons des larmes aux yeux, ou bien nous sommes....MORVEUX. Et BIEN MORVEUX nous sommes.

UN RAPIDE EXEMPLE POUR LE DICtiONNAIRE

Njamala Njogoy