Adds

lundi 1 octobre 2018

CHANTS D'OMBRE - PRIERE AUX MASQUES


PRIERE AUX MASQUES

« Prière aux masques » prend une allure d’incantation, exactement le style du chef de famille avec sa calebasse de lait caillé aux pieds des Arbres Noirs, des Pangools. Souvenez-vous de « Or je revenais de Fa'oye !». Ici Senghor suit fidèlement le rituel de quelqu'un venu faire une libation aux pieds des « Esprits » représentés par les masques, aux pieds des Ancêtres. La méthode est assez particulière :

  • Le chef de famille commence par un éloge, une reconnaissance envers les Ancêtres, ces présences lointaines, une espèce de credo qui rejoint la conscience collective

  • Le « moi » est affirmé, sa propre participation, sa propre foi

  • Le déploiement des choses pour lesquelles le sacrificateur est venu : soucis, confidence, confession.

  1. « Masques ô Masques ! Masque noir masque rouge, vous masques blanc-et-noir masques aux quatre points d’où souffle l’Esprit, je vous salue dans le silence ! Et pas toi le dernier, Ancêtre à tête de lion. Vous gardez ce lieu forclos à tout rire de femme, à tout sourire qui se fane. Vous distillez cet air d’éternité où je respire l’air de mes Pères. Masques aux visages sans masque, dépouillés de toute fossette comme de toute ride…»

    Ici se présente l’aspect décrit au premier point ci–dessus. Le fidèle retrace sa foi, réaffirme sa confiance en énumérant certains traits, certains pouvoirs des Masques des Ancêtres : « Vous gardez ce lieu forclos à tout rire de femme, à tout sourire qui se fane. Vous distillez cet air d’éternité où je respire l’air de mes Pères ». Le poète sait qu’ils sont présents, qu’ils l’entendent.

    Masques aux visages sans maque : Le masque normalement cache quelque chose, mais pour le poète, ces visages sont découverts, vrais. Il n’y a aucune complicité, aucune ambigüité, aucun secret. Visages d’Ancêtres vieux comme le monde, et pourtant aucune ride, aucune fossette, ô éternelle jeunesse des dieux.

    N’en déplaise aux féministes, le lieu est forclos à tout rire de femme, à tout sourire qui se fane. Certains lieux étaient défendus aux femmes, d’autres aux hommes, rien de systématique, contrairement à ce système machinal que les chercheurs européens ont toujours hâte de mettre en place pour rejoindre leur chaire d’université.

    Ici je penserai plutôt pour la sensibilité légère, éphémère, à la sensualité qui, pour le poète-homme est naturellement rattaché à la nature de la femme et uniquement pour l’instant du poème. Sa culture est parmi celles qui parlent de « père-femme » et sur laquelle, pour réellement cerner le rôle de la femme, il faut plus de bagages que les analyses et décisions hâtives qui font les à la une de nos jours. La science se veut descriptive, ce qui est tout à fait le contraire lorsque le chercheur, à cause de la tendance moderne du féminisme, se met debout et, comme une personne allant faire des emplettes au marché se prémunit du récipient approprié, conclusion toute faite avant que le premier pas ait été pris. Mais revenons au poème.

  2. « [Masques] qui avez composé ce portrait, ce visage mien penché sur l’autel de papier blanc, à votre image écoutez-moi »

    Dans « Une saison au Congo » André Gide écrit : « La vraie foi n’est possible que sur la terre où les hommes se font dieux et les, dieux se font hommes ». Et c’est cette rencontre qui se produit : Le mortel vient aux pieds des Ancêtres. La rencontre entre mortels et immortels ne peut se faire que lorsque un des côtés flanches, se penchent vers l’autre. Et vous conviendrez certes que plus facile pour un dieu de se courber vers l’homme que le sens inverse. Les ancêtres composent donc un visage, reprennent le visage du poète qui est penché sur l’autel de papier blanc et le poète les prie de bien vouloir l’écouter. Ici il y a une transition rapide entre le point (2) et le point (3) cités ci-dessus, nommément le « moi » affirmé, la rencontre, et le déploiement des plaidoiries : le « visage composé » et « à votre image, écoutez-moi ! »

  3. « Voici que meurt l’Afrique des empires – c’est l’agonie d’une princesse pitoyable et aussi l’Europe à qui nous sommes liés par le nombril. »

    L’Afrique, c’est le royaume des Ancêtres, lègue laissé entre les mains de la génération actuelle et, partant du poète, comme la famille actuelle est après tout celle des Pangools qui lui doivent protection. Et si le poète est venu à leurs pieds, c’est pour déplier ses soucis :

    • L’Afrique des empire meurt – c’est l’agonie d’une princesse pitoyable. Ayant tué leur royauté, les Français ne pouvaient pratiquement pas accepter le maintient des monarchies au sein de leurs colonies, contrairement aux Anglais. Les grands empires Africains disparaissaient donc petit à petit, ne gardant plus qu’un rôle symbolique là où ils étaient encore permis.

    • L’Europe à qui nous sommes liés par le nombril, qui était espoir, guide, protectrice, cette Europe qui était venue nous coloniser et dont les fils se présentaient presque comme des dieux à nos yeux, elle aussi se meurt. Ici le poète traduit un drame qui, en quelque sorte unidimensionnel pour les Européens, s’avéraient multidimensionnel pour les Africains : c’est la cas d’un enfant qui voit son père, son dieu, abattu subitement sous ses yeux. Pour le père, c’est d’être abattu, pour le fils, c’est l’abattement d’un dieu. Que ressent le valet, l’esclave lorsque son maître tombe, esclave et valet, dans les mains d’un autre maître ? Réjouissance peut-être, anxiété surtout, surtout lorsque l’autre maître futur maître possible parlait de « Schwarze Schande ».

  4. « Fixez vos yeux immuables sur vos enfants que l’on commande qui donnent leur vie comme le pauvre son dernier vêtement. Que nous répondions présent à la renaissance du Monde Ainsi le levain qui est nécessaire à la farine blanche »

    Cette strophe recouvre la prière concrète, le vrai sujet qui préoccupe le sacrificateur venu verser ses offrandes de prières : fixez vos yeux immuables, regardez vos fils que l’on commande, qui ne sont d’emblée que des esclaves du Nord au Sud et de l’est à l’Ouest, regardez ces tirailleurs qui, après avoir perdu toute leur dignité au sein de leurs empires qui se meurent, donnent maintenant, dans la bataille de cette Europe divisée, leur vie comme le pauvre son dernier vêtement.

    Mais 1945, c’est aussi le commencement d’un nouvel ordre mondial. Les opprimés ont vu les maîtres opprimés à leur tour. Les colonisés ont vu à leur tour la terre des conquérants conquises et ceux qui devaient passer par l’arrière sans dignité des bus, ceux qui mouraient dans les kraals, ceux qui considéraient les occupants comme des dieux ont été à leur côté, les ont vu se vider de leur sang, se lamenter ; ils ont fraternisé et, dans certaines situations se sont certainement engagés dans des actions où les dieux ont reculé. Il y a donc l’espoir, la confiance, la conviction que ces enfants que l’on commande ont désormais la possibilité, la capacité de répondre présents à la renaissance du Monde.
    S’il n’y avait pas eu la deuxième guerre mondiale, si les Africains n’y avaient pas pris part, si elle n’avait pas passé par l’occupation de pays comme la France, la fin de la colonisation aurait certainement connu un autre parcours. Pour des gens conscients et consciencieux comme Senghor, l’entrevue de cette décolonisation n’était toutefois pas pure jubilation, comme l’arrivée du bébé est mélangée d’affres de mort.

    De cette expérience, les dirigeants africains pourraient toutefois entamer la décolonisation psychologique de nos peuples : Pour la première fois, avec le tsunami qui a frappé les pays riverains de l’Océan Pacifique, des gestes sont partis de pays africains pour venir en aide à d’autres pays. Jusqu’ici nous nous recroquevillions dans notre médiocrité de sous-développés, demandant toujours une aide humanitaire et n’intervenant jamais, comme si nous ne faisions pas partie des « humains » du « Globe Bleu ».

    Si la France ou l’Allemagne ou les Etats-Unis interviennent avec des aides, ce n’est nullement parce qu’il n’y a pas de mendiants en France ou aux Etats-Unis, ce n’est pas parce qu’il n’y a jamais ou qu’il n’y aura jamais de déficit budgétaire chez eux : c’est une question d’image, de geste, de principe.

    Revenu au Sénégal juste pendant la catastrophe qui frappait le Kosovo, nous avions dressé un plan d’intervention humanitaire à travers des évènements se déroulant sur une semaine, un programme très bien détaillé, que nous avions soumis à un conseiller du président Abdou Diouf. Il fut très enthousiasmé, mais la proposition fut noyée par certains de l’équipe et ne vit jamais le jour, certainement n’étant jamais venu jusqu’à la table du Président. C’est que, comme l’expérience de la deuxième guerre mondiale au sein des nègres, nous pensons que lorsque les écoliers africains vont commencer à donner une pièce de cinq francs pour venir symboliquement en aide à d’autres races, la médiocrité encrée dans les esprits qui veut que l’on soit la main tendue du Monde, -politique bailleur de fonds qui semble être la seule vision de nos dirigeants, ce jour-là, vous dis-je, beaucoup de choses auront changé dans notre vision du monde. Un geste est un geste. Si la quantité est importante, c’est la qualité qui prime : je préfère certes cent mille francs de très bon cœur et sans intérêts autre que l’humain à des milliards de dollars et des canons à ma porte comme condition.

  5. « Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des machines et des canons ? Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l’aurore ? Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l’homme aux espoirs éventrés ? »

    Pour comprendre le sentiment profond de Senghor, son goût marqué pour la culture, son penchant qui laisse à croire qu’il opte pour une prévalence du tama sur à la technique, il faut remonter jusqu’à sa grande déception qui découle de la guerre. Ceux qui se sont frottés à la philosophie de la science et qui savent de quoi elle tourne comprendront facilement Senghor. Africain, colonisé et éberlué par toute la force des Blancs en matière technologique, il se réveille à l’amère réalité que le fruit ultime de l’esprit est un produit de destruction. Il se réveille comme l’enfant aux mains de Ngousse-le-lutin et pose le regard sur un monde défunt, un monde de machines et de canons où la barbarie de l’homme est pire que tout ce que son esprit pouvait imaginer.

    Il se demande si le monde a réellement besoin de ces machines. Au moins pas cette Europe déchirée, pas cette Europe qui a soufflé sur la flamme des empires d’Afrique pour lui donner ces canons qui vomissent le feu et la mort.

    Dans ce drame double pour le poète, si ce ne sont les Africains qui gardent encore une certaine valeur de la vie, si ce ne sont les Africains qui n’ont pas encore franchi la ligne d’innocence, d’humanité brisée par les canons et les machines, qui sera l’espoir ? Qui est-ce qui poussera le cri de joie ? Qui, au sein de la maison Monde s’occupera des orphelins et leur redonnera l’espoir, la joie de vivre ?

    A la fin de la guerre, avec Dachau et Auschwitz, les villes européennes foudroyés par les forteresses volantes, les veuves et les orphelins qui se comptent à l’infini, à cette Europe dont les espoirs sont éventrés, disons-nous, qui est-ce qui va leur rappeler la joie de vivre, la vie, si les Africains encore innocents parce que n’ayant pas pris part à la construction des gadgets de destructions, eux qui savent aller jusqu’aux transes au rythme des tam-tams ?

    Ici, Senghor n’est pas loin du remords d’Oppenheimer après Hiroshima et Nagasaki. Pour le Poète, si le fruit ultime de l’esprit doit se résumer aux crachats de boulets, si la technique d’emblée n’apporte à ce monde que les charniers qui longent l’Europe, il faut réellement s’accouder aux tam-tams.

  6. « Ils nous disent les hommes du coton du café de l’huile. Ils nous disent les hommes de la mort… »

    Il reconnaît les définitions péjoratives, il reconnaît la vision du monde vis-à-vis de son peuple, la race noire, les descriptions qui longent certaines grandes lignes : le rythme dans le sang ; les esclaves qui doivent produire de l’huile et du coton, ceux qui sont noirs comme la mort, la race maudite, les descendant de Cham. Et il répond, corrige :

  7. « Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur. »

    Nous sommes justement cette humanité que n’a plus l’Europe des canons, l’Europe défunte des machines, l’Europe qui est réellement, au sortir de 1945, la terre de la mort, la terre des hommes de la mort avec ses charniers, son Verdun, son Rovaniemi, Hiroshima, Nagasaki, Pearl Harbour, Cherbourg, Auschwitz, Dachau, Leningrad, le lac Ladoga, l’Afrique du Nord et les eaux aux alentours de Dakar lcontre les pétainistes …

2 commentaires:

  1. Merci beaucoup ça m'as vraiment aider ces explications sont incroyables

    RépondreSupprimer
  2. Merci beaucoup j'ai tous compris

    RépondreSupprimer

UN RAPIDE EXEMPLE POUR LE DICtiONNAIRE

Njamala Njogoy