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dimanche 2 septembre 2018


LE PROBLEME DE LA NEGRITUDE - DEUXIEME PARTIE : L’APPORT

Voilà le point multidimensionnel et fondamental sur lequel, les Nègres, il nous semble, devraient se pencher pour apporter une réponse définitive, raison pour laquelle nous aurions du laisser des pages blanches à partir de ce point, pages à remplir par tous les nègres, comme dans les blogs. Il s’agit ici de notre place dans la Civilisation de l’Universel et cela pourrait se résumer en termes d’être et de devenir ; de notre développement, l'Etant, c'est-à-dire le point historique ne nous servant d'emblée que comme miroir et devoir de mémoire pour mieux embrasser le futur et nous y faire une place confortable.

  • Etre : Cela renferme ce que nous sommes, ce que nous avons, culture et visions confondues et que nous ne devons jamais perdre. Ce n'est pas à marchander en termes de débarras, mais plutôt comme valeur ajoutée à présenter à la rencontre des Nations.

  • Devenir : Comme tout organisme ou élément, nous sommes appelé aux changements. Ici il faut se souvenir d'Héraclite qui dit: « On ne peut pas entrer une seconde fois dans le même fleuve, car c'est une autre eau qui vient à vous ; elle se dissipe et s'amasse de nouveau ; elle recherche et abandonne, elle s'approche et s'éloigne. Nous descendons et nous ne descendons pas dans ce fleuve, nous y sommes et nous n'y sommes pas ». Ainsi nous sommes forcé d'emboîter le pas à une certaine cadence du monde mais le bon choix de cette cadence doit trouver ses racines dans le point de l'Etre.

C'est ainsi que cette question, au-delà du Nègre, interpelle tout Etre Humain, surtout dans ce monde qui semble tombé sur la tête. Ce ne sont pas les tentatives qui manquent, pour ce qui concerne la justification ou la vérification de l'apport, mais hélas ! A notre avis elles nous semblent toutes être comme ce mot ‘nègre’ que l’on retourna comme une pierre à l’expéditeur, c'est-à-dire toujours comme une ré-action et non en initiative auto-promulguée. Et pourtant, cette réponse est au début et à la fin de tous nos problèmes car ce serait une prise de conscience d’une autre dimension, une décision quant à la trajectoire, au rôle que nous nous définissons et partant, à notre raison d’être, à notre part et place dans cette Civilisation de l’Universel.

Dans le « Discours de Dakar » , le Président Nicholas Sarkozy a bien effleuré le juste switch, faisant toutefois une contradiction personnelle quand, après avoir parlé d'un « continent qui a connu tant de civilisations brillantes », il nous sert une « Afrique n'étant pas assez entrée dans l'histoire ». Etant donné qu'il s'adressait spécifiquement aux jeunes d'Afrique, symboles d'avenir et partant, un devoir de prise de part dans l'apport, il aurait du certainement dire que « l'Afrique n'est pas assez entrée ou ne s'est pas encore assez munie pour faire face au futur », ce qu'il fait d'ailleurs dans un autre paragraphe de sons discours: « Le problème de l'Afrique, ce n'est pas de s'inventer un passé plus ou moins mythique pour s'aider à supporter le présent mais de s'inventer un avenir avec des moyens qui lui soient propres ».

Quoi que l'on puisse dire ou penser de l'homme, sa vision est très juste. Mais l'émotion nègre se fera juge et va lui infliger la « perpéte ». C'est ainsi que le Président François Hollande, se préparant pour venir à Dakar, va recevoir des menaces à peine voilées à travers les blogs locaux : on « l’attendait de pied ferme ». C’est dire que bien que notre nez dégoulinât, il ne fallait pas qu’il nous enjoignît d’aller nous moucher. Pathétique ! car son discours plaisant aurait du nous faire beaucoup plus peur : il nous a justement dit seulement ce que nous voulions entendre, pas forcément la vérité en ce qui nous concerne. A nous aussi on va certaiement en vouloir, car nous ne partageons pas la même vision que les gros bonnets appelés à la rescousse pour démonter Monsieur Sarkozy, à savoir Messieurs Boubacar Boris Diop, Universitaire et écrivain sénégalais, Ibrahima Thioub du Département d'Histoire de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Achille Mbembe, Universitaire camerounais, professeur d’histoire et de sciences politiques à l’université Witwatersrand de Johannesburg, Afrique du Sud, ni avec Monsieur Habib Thiam, ancien Premier ministre du Sénégal de 1981 à 1983 puis de 1991 à 1998 et ancien président de l’Assemblée nationale sénégalaise de 1983 à 1984.

Voilà que, fidèles à notre amour du clinquant superficiel, nous avons dressé une liste de gros bonnets ayant pris le contre-pied et qui, de par l'analyse râtée, donnent des arguments qui font froid au dos. Encore une fois, nous y sommes partis armés de l'émotion et non de la raison.

Comment peut-on accuser celui qui a dit expressément : « ce continent qui a connu tant de brillantes civilisations » d'avoir nié l'histoire de ce même continent ? Voyons le contenu de ce discours, qui est digne de tous les mea culpa adressés aux peuples africains spécialement par des hôtes émérites ayant visité Gorée au Sénégal et Elimina au Ghana.

QUELQUES PARTIES DU DISCOURS

  1. Diplomatie oblige

    « Permettez-moi de remercier d'abord le gouvernement et le peuple sénégalais de leur accueil si chaleureux. Permettez-moi de remercier l'université de Dakar qui me permet pour la première fois de m'adresser à l'élite de la jeunesse africaine en tant que président de la République française. Je suis venu vous parler avec la franchise et la sincérité que l'on doit à des amis que l'on aime et que l'on respecte. J'aime l'Afrique, je respecte et j'aime les Africains. Entre le Sénégal et la France, l'histoire a tissé les liens d'une amitié que nul ne peut défaire. Cette amitié est forte et sincère. C'est pour cela que j'ai souhaité adresser, de Dakar, le salut fraternel de la France à l'Afrique tout entière...»

    On pourrait peut-être accuser le Président Sarkozy d'avoir opté pour un ton aux nuances paternalistes, ce qui, à notre avis est aussi un tort, notre tort à nous, tort issu de notre fierté mal mesurée et, partant, négative et négationiste puisque nous le refusons dans les discours mais l'acceptons dans les salons de Paris, de Londres, de Washington ou de Berlin comme dans nos plans de budgets. Dans les démarches le long de nos conflits comme dans des recherches en mer ou lors d'incendies chez nous, ne nous accoudons-nous pas sur ces puissances ? Ne nous laissons-nous pas nous partinaliser ? Et cela à chaque fois que cela nous arrange ? L'on ne peut vouloir l'un et son contraire ! Nos présidents, ministres et députés ne vont-ils pas se soigner dans les hopitaux de la Métropole, comme y vont accoucher leur femme avec un espoir de pouvoir leur offrir la citoyenneté amiraince au passage ? Qui est le candidat à une présence africaine qui ne s'accoude sur « ses amis » pour le financement de ses visions souvent de trop courte portée ? Et la liste est loin d'être exhaustive, loin d'être assez accerbe et pessimiste.

  2. La cible : la jeunesse en particulier

    «... Je veux, ce soir, m'adresser à tous les Africains qui sont si différents les uns des autres, qui n'ont pas la même langue, qui n'ont pas la même religion, qui n'ont pas les mêmes coutumes, qui n'ont pas la même culture, qui n'ont pas la même histoire et qui pourtant se reconnaissent les uns les autres comme des Africains. Là réside le premier mystère de l'Afrique. Oui, je veux m'adresser à tous les habitants de ce continent meurtri, et, en particulier, aux jeunes, à vous qui vous êtes tant battus les uns contre les autres et souvent tant haïs, qui parfois vous combattez et vous haïssez encore mais qui pourtant vous reconnaissez comme frères, frères dans la souffrance, frères dans l'humiliation, frères dans la révolte, frères dans l'espérance, frères dans le sentiment que vous éprouvez d'une destinée commune, frères à travers cette foi mystérieuse qui vous rattache à la terre africaine, foi qui se transmet de génération en génération et que l'exil lui-même ne peut effacer... ».

    Le discours cible la jeunesse, symbole du futur, et forçe à une approche particulière. Cela aurait été d'un grand tord si le Président Sarkozy avait plongé dans une vision du futur sans brosser le passé et ainsi se faire accuser de vouloir volontairement donner un coup de balai, renier intégralement ce passé. Il lui a donc fallu retracer ce temps amer des temps coloniaux, mettre le doigt sur la plaie de l'histoire. Mais il est conscient d'une chose : passée cette période, l'Africain est dans un dilemne : des combats de clans et des combats ethniques ont vu le jour. Nous pourrions dire que ces combtas, malgré leur caractère néfaste, sont bien normaux. Ils relèvent de la nature même de l'homme. Le drame se situe donc ici au niveau de l'homme qui s'affirme en africain; un continent soudé et solidaire autour de sa couleur de peau, forcé par son passé historique qui, au-delà de la géographique est collé à la couleur de sa peau et qui, partant, lui a, à certaines occasions, fait oublier ses différences. Après toutc'est rare que l'européen se soude à un autre européen par la couleur de la peau, comme le font les nègres : le français, l'allemand, le russe ou l'anglais ne va pas, le long des rues d'une certaine capitale aller vers l'italien ou le polonais ou le kosovar pour lui déguéner un « nous sommes des frères ». En se soudant autour de leur couleur de peau à cause d'une colonisation qui a été quasi total et répandue sur un continent à la couleur semi unique, le Nègre s'est vu prisonnier et aveuglé par elle. C'est là que la colonisation a le plus réussi : tout peuple dominé brisera tot ou tard ses chaînes, mais si ces chaînes se situent au niveau de l'esprit, il y a très peu de chance que l'on s'en sorte, d'où cette résistance bucale qui est diamétralement opposé à la réalité qui a bien serré ses carcans dans notre mental.

    En prenant les indépendances, ce semblant de liberté nous a fait entrevoir certaines réalités de l'heure, frontières tracées à la règle et un pan de nos propres différences internes : « ... Je m'adresse à vous qui vous êtes tant battus les uns contre les autres et souvent tant haïs, qui parfois vous combattez et vous haïssez encore mais qui pourtant vous reconnaissez comme frères, frères dans la souffrance, frères dans l'humiliation, frères dans la révolte, frères dans l'espérance, frères dans le sentiment que vous éprouvez d'une destinée commune, frères à travers cette foi mystérieuse qui vous rattache à la terre africaine, foi qui se transmet de génération en génération et que l'exil lui-même ne peut effacer ».

  3. La démarche

    « ... Je ne suis pas venu, jeunes d'Afrique, pour pleurer avec vous sur les malheurs de l'Afrique. Car l'Afrique n'a pas besoin de mes pleurs. Je ne suis pas venu, jeunes d'Afrique, pour m'apitoyer sur votre sort parce que votre sort est d'abord entre vos mains. Que feriez-vous, fière jeunesse africaine de ma pitié ? Je ne suis pas venu effacer le passé car le passé ne s'efface pas ».

    Sincère ou pas, et peu importe certaine dimension personnelle, puisqu'ici ce n'est pas là l'essentiel : l'essentiel est de rappeler aux jeunesnafricains qu'ils doivent reprendre en leurs mains mortelles la destinée de leurs nations respectives ; qu'ils ne doivent plus s'apitoyer sur eux-mêmes, mais prendre en leurs mains propres leur propre sort. Le passé ne s'efface pas, donc ce qu'il faut c'est l'avoir en mémoire pour mieux faire face à demain. La galère d'hier devrait les armer de plus de détermination afin de se libérer définitivement et de tout faire « pour être le sel à la table de la civilisation de l'universel ».

  4. Mea culpa du président du pays colonisateur

    « ... Je ne suis pas venu nier les fautes ni les crimes car il y a eu des fautes et il y a eu des crimes. Il y a eu la traite négrière, il y a eu l'esclavage, les hommes, les femmes, les enfants achetés et vendus comme des marchandises. Et ce crime ne fut pas seulement un crime contre les Africains, ce fut un crime contre l'homme, ce fut un crime contre l'humanité tout entière. Et l'homme noir qui éternellement « entend de la cale monter les malédictions enchaînées, les hoquettements des mourants, le bruit de l'un d'entre eux qu'on jette à la mer ». Cet homme noir qui ne peut s'empêcher de se répéter sans fin. «Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ». Cet homme noir, je veux le dire ici à Dakar, a le visage de tous les hommes du monde. Cette souffrance de l'homme noir, je ne parle pas de l'homme au sens du sexe, je parle de l'homme au sens de l'être humain et bien sûr de la femme et de l'homme dans son acceptation générale. Cette souffrance de l'homme noir, c'est la souffrance de tous les hommes. Cette blessure ouverte dans l'âme de l'homme noir est une blessure ouverte dans l'âme de tous les hommes... Mais il est vrai que jadis, les Européens sont venus en Afrique en conquérants. Ils ont pris la terre de vos ancêtres. Ils ont banni les dieux, les langues, les croyances, les coutumes de vos pères. Ils ont dit à vos pères ce qu'ils devaient penser, ce qu'ils devaient croire, ce qu'ils devaient faire. Ils ont coupé vos pères de leur passé, ils leur ont arraché leur âme et leurs racines. Ils ont désenchanté l'Afrique. Ils ont eu tort. Ils n'ont pas vu la profondeur et la richesse de l'âme africaine. Ils ont cru qu'ils étaient supérieurs, qu'ils étaient plus avancés, qu'ils étaient le progrès, qu'ils étaient la civilisation. Ils ont eu tort. Ils ont voulu convertir l'homme africain, ils ont voulu le façonner à leur image, ils ont cru qu'ils avaient tous les droits, ils ont cru qu'ils étaient tout puissants, plus puissants que les dieux de l'Afrique, plus puissants que l'âme africaine, plus puissants que les liens sacrés que les hommes avaient tissés patiemment pendant des millénaires avec le ciel et la terre d'Afrique, plus puissants que les mystères qui venaient du fond des âges. Ils ont eu tort. Ils ont abîmé un art de vivre. Ils ont abîmé un imaginaire merveilleux. Ils ont abîmé une sagesse ancestrale. Ils ont eu tort. Ils ont créé une angoisse, un mal de vivre. Ils ont nourri la haine. Ils ont rendu plus difficile l'ouverture aux autres, l'échange, le partage parce que pour s'ouvrir, pour échanger, pour partager, il faut être assuré de son identité, de ses valeurs, de ses convictions... Mais la colonisation fut une grande faute qui fut payée par l'amertume et la souffrance de ceux qui avaient cru tout donner et qui ne comprenaient pas pourquoi on leur en voulait autant. La colonisation fut une grande faute qui détruisit chez le colonisé l'estime de soi et fit naître dans son cœur cette haine de soi qui débouche toujours sur la haine des autres. La colonisation fut une grande faute mais de cette grande faute est né l'embryon d'une destinée commune. Et cette idée me tient particulièrement à cœur. La colonisation fut une faute qui a changé le destin de l'Europe et le destin de l'Afrique et qui les a mêlés. Et ce destin commun a été scellé par le sang des Africains qui sont venus mourir dans les guerres européennes... Face au colonisateur, le colonisé avait fini par ne plus avoir confiance en lui, par ne plus savoir qui il était, par se laisser gagner par la peur de l'autre, par la crainte de l'avenir. Le colonisateur est venu, il a pris, il s'est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail.

  5. Crime contre l'humanité

    « Cette souffrance de l'homme noir, c'est la souffrance de tous les hommes. Cette blessure ouverte dans l'âme de l'homme noir est une blessure ouverte dans l'âme de tous les hommes ».

    Ce passage aurait pu passer comme une demande de pardon digne de celui du Pape à Gorée, une condamnation de la traite négrillère, si servi à Gorée ou Elmina, car Sarkozy reconnaît ici que ce qui est arrivé au continent africain et, partant, à l'homme noir est un crime contre l'humanité.

    Comment nos flambeaux, universitaires et illustres premiers ministres, ont-ils pu se gourer si terriblement ? Le degré émotionnel est-il si géant qu'il nous rend aveugles, ou du moins allergiques à toute parole, même de vérité, si décochée par un Blanc dans certaines circonstances ? Comment, d'un discours de combien de minutes, de si grands intellectuels ont-ils pu sauter tous les paragraphes le composant pour s'embourber dans la seule expression « l'Afrique n'est pas assez entrée dans l'histoire » ? N'est-ce point cette vérité qui fausse en quelque sorte l'approche de nos supposés architectes ? N'est-ce point cette sorte de réaction qui fit dire à Senghor « l'émotion est nègre, la raison hellène ». Il n'a certainement pas tort.

    Ici, si nous avons quelque tentation de vous rejoindre, c'est plutôt pour redresser la contradiction personnelle de Nicholas Sarkozy qui a parlé d'un continent ayant connu tant de civilisations brillantes et puis d'une Afrique n'étant pas assez entrée dans l'histoire : il aurait du dire que l'Afrique ne s'est pas assez préparée pour le futur. Nous pensons certes que nous émergeons. Au milieu de quoi ? De tonnes de méduses, de laves incandescentes d'un volcan ou bien de sables enlisants ?

    Démunis d'une certaine identité dans le présent par rapport aux autres peuples et happés comme une mouche par le crapaud de la globalisation, nous faisons un pied de grue embourbé dans notre passé lointain : Egypte, Lucie... Nous nous accrochons à des lambeaux de roseaux dans le courant fou d'affluents de royaumes éteints, raison pour laquelle Monsieur Sarkozy s'adressant aux jeunes parle de l'Afrique du futur, de l'Afrique de demain.

    C'est qu'au-delà de la pure science, les fouilles dans notre passé prennent plutôt le goût amer d'une autopsie de notre identité enfouillie par la colonisation. C'est vrai, et certains aiment le souligner : jadis quelques savants ont tenté, avec un certain degré de réussite, de couvrir un certain pan de ce passé et, partant, de notre identité, de notre apport et participation dans les civilisations du passé, participation que le président français n'a absolument pas niée.

  6. Cité du futur sur les cendres d'hier

    « ... Mais nul ne peut demander aux générations d'aujourd'hui d'expier ce crime perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères. Jeunes d'Afrique, je ne suis pas venu vous parler de repentance. Je suis venu vous dire que je ressens la traite et l'esclavage comme des crimes envers l'humanité. Je suis venu vous dire que votre déchirure et votre souffrance sont les nôtres et sont donc les miennes. Je suis venu vous proposer de regarder ensemble, Africains et Français, au-delà de cette déchirure et au-delà de cette souffrance. Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique, non d'oublier cette déchirure et cette souffrance qui ne peuvent pas être oubliées, mais de les dépasser. Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique, non de ressasser ensemble le passé mais d'en tirer ensemble les leçons afin de regarder ensemble l'avenir. Je suis venu, jeunes d'Afrique, regarder en face avec vous notre histoire commune ».

    Voilà justement le point que nous interpêtons comme l'apport, point qui peut poser un danger aussi bien parmi les jeunes européens que pour les jeunes africains. En effet :

    • Pour le jeune européen, le danger est de se cramponner sur le passé et vouloir coûte que coûte rappeler à la contrepartie africaine la servitude de jadis. Des racistes y trouvent leur compte.

    • Pour le jeune africain, le danger - et c'est toujours le cas - c'est de ne pas pouvoir passer un balai sur le passé colonial pour faire face à la Cité de Demain. Le doigt accusateur est toujours pointé vers le colonisateur et, à tort ou à raison, sert surtout d'échapatoire pour ne pas prendre nos responsabilités en face de la plupart de nos problèmes. Ce pari, le Finalnde l'a bien réussi, qui a su se libérer de la Suède et d'une super puissance, la Russie, et adopter une Realpoliitk pour se hisser au rang supérieur des pays modernes et rebâtir une dignité indénaible parmi les peuples et même se proposer en modèle.

    Mais les deux points ci-dessus ne concernent pas que la jeunesse des deux continents : lors du drame du Bateau le Joola, un président de la république a-t-il hésité de menacer la France et la Grande Bretagne d'une plainte à la Haye pour avoir divisé le Sénégal et la Gambie si jamais les familles françaises de victimes déposaient une plainte contre l'Etat du Sénégal ? Comme si, même sans colonisation le Sénégal ne pouvait envisager un va-et-vient de dizaines de bateaux croisant entre Dakar et Ziguinchor avec toutes les conditions de navigation maritime requies !

    Ne nous méprenez pas : il ne faut pas ignorer le passé mais, que ce soit dans un camp ou l'autre, le fait de s'y cramponner comme si cela datait d'aujourd'hui équivaudrait à une stagnation mortelle, surtout pour le continent africain car : « ... nul ne peut demander aux générations (européennes) d'aujourd'hui d'expier ce crime perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères...» C'est pourquoi Sarkozy dit expressément : « Je suis venu vous proposer de regarder ensemble, Africains et Français, au-delà de cette déchirure et au-delà de cette souffrance. Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique, non d'oublier cette déchirure et cette souffrance qui ne peuvent pas être oubliées, mais de les dépasser. Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique, non de ressasser ensemble le passé mais d'en tirer ensemble les leçons afin de regarder ensemble l'avenir... ».

    En effet la colonisation nous sert souvent de couverture pour cacher nos échecs et ne pas faire face à nos responsabilités. Ainsi dépendant des avantages ou des inconvénents, l'Africain va condamner l'Europe ou bien l'embrasser sans rechigner. Malgré cette fierté et la souveraineté nationale dégainée pour camper sur une bêtise, nos présidents comme nos ministres dédaignent nos hôpitaux qu'ils regardent comme « indigènes » pour aller se faire soigner aux Etats Unis, en France ou au Canada, hôpitaux dont le personnel médical est pourtant sorti des universités soutenues par nos déniers publiques de la nation souveraine, qui forment de très bon docteurs, mais sans équipement aucun ou bien font accoucher leurs femmes aux Etats Unis dans l'espoir de pouvoir obtenir la nationalité américaine pour leur progéniture. Le Nègre a terriblement goûté à la pomme de l'occidentalisation, ce « mécanisme mondialisé et ancien qui conduit des individus ou des sociétés à adopter des traits culturels, organisationnels ou idéologiques provenant de l'Occident » et y a plongé plus profondément que l'abysse, broutant plus à son clinquant côté superficiel qu'à l'essence des choses, des super bolides le long des routes dont nous ignorons le tracé des voies aux produits cosmétiques qui cirent notre peau. Justement cet Occident devant lequel il veut en même temps affirmer son africnité.

  7. Quelque chose de positif ?

    « ... Le colonisateur a pris mais je veux dire avec respect qu'il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu féconde des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir. Je veux le dire ici, tous les colons n'étaient pas des voleurs, tous les colons n'étaient pas des exploiteurs. Il y avait parmi eux des hommes mauvais mais il y avait aussi des hommes de bonne volonté, des hommes qui croyaient remplir une mission civilisatrice, des hommes qui croyaient faire le bien. Ils se trompaient mais certains étaient sincères. Ils croyaient donner la liberté, ils créaient l'aliénation. Ils croyaient briser les chaînes de l'obscurantisme, de la superstition, de la servitude. Ils forgeaient des chaînes bien plus lourdes, ils imposaient une servitude plus pesante, car c'étaient les esprits, c'étaient les âmes qui étaient asservis. Ils croyaient donner l'amour sans voir qu'ils semaient la révolte et la haine ».

    Oui, nous partageons d'emblée la même histoire. Celle de l'Afrique ne pourra plus jamais s'écrire sans l'européenne et l'européeene ne peut plus s'écrire sans l'africaine, notamment la française. Ce cordon ombilical se pose en dilemne aux deux parties, raison pour laquelle, ici, Sarkozy ne peut pas blâmer tous les européens qui étaient présents dans les colonies comme il ne peut pas non plus tous les absoudre. N'y avait-il pas Leo Frobenius qui fut « l'un des premiers ethnologues à remettre en cause les bases idéologiques du colonialisme, en contestant notamment l'idée que les Européens auraient trouvé en Afrique des peuples véritablement sauvages, auxquels ils auraient apporté la civilisation » ? Il avait osé voir en face la réalité des choses malgré la vision du nègre sauvage et sans civilisation que l'on prônait à l'époque : « Lorsqu’ils arrivèrent dans la baie de Guinée et abordèrent à Vaïda, les capitaines furent fort étonnés de trouver des rues bien aménagées, bordées sur une longueur de plusieurs lieues par deux rangées d’arbres ; ils traversèrent pendant de longs jours une campagne couverte de champs magnifiques, habités par des hommes vêtus de costumes éclatants dont ils avaient tissé l’étoffe eux-mêmes ! Plus au sud, dans le Royaume du Congo, une foule grouillante habillée de « soie » et de « velours », de grands États bien ordonnés, et cela dans les moindres détails, des souverains puissants, des industries opulentes. Civilisés jusqu’à la moelle des os ! Et toute semblable était la condition des pays à la côte orientale, le Mozambique, par exemple » . N'y a-t-il pas Joost Van Vollenhoven qui refusa le recrutement de nouvelles troupes indigènes demandé par Clémenceau en 1917 ?

    Une prise de conscience de ce fait nous aidera beaucoup. Et c'est justement ce que sut Senghor et que peut-être beaucoup ne comprirent point : « Ah ! ne dites pas que je n’aime pas la France – je ne suis pas la France, je sais – Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu’il a libéré ses mains, a écrit la fraternité sur la première page de ses monuments, qu’il a distribué la faim de l’esprit comme de la liberté à tous les peuples de la terre conviés solennellement au festin catholique. Ah ! je ne suis-je pas assez divisé ? Et pourquoi cette bombe dans le jardin si patiemment gagné sur les épines de la brousse ? Pourquoi cette bombe sur la maison édifiée pierre à pierre ? ».

    Ailleurs, voyant la disparité des peuples fraternels rassemblés pour la bataille, frères d'armes baptisés dans et unis par le sang, il ne put s'empêcher de s'émouvoir : «...Divers de traits de costumes de coutumes de langue ; mais au fond des yeux la même mélopée de souffrances à l’ombre des longs cils fiévreux. Le Cafre le Kabyle le Somali le Maure, le Fân et le Fôn le Bambara le Bobo le Mandiago le nomade le mineur le prestataire, le paysan et l’artisan le boursier et le tirailleur et tous les travailleurs blancs dans la lutte fraternelle. Voici le mineur des Asturies le docker de Liverpool le Juif chassé d’Allemagne, et Dupont et Dupuis et tous les gars de Saint-Denis ». C'est ce métissage qui s'est imposé au monde au sortir de la colonisation dont la boucle fut les deux guerres mais surtout la deuxièeme qui, sans planification, devait souder la fraternité entre les hommes et, partant entre les nations tout en permettant la naissance des indépendances.

  8. Prendre sa part de responsabilité

    «... L'Afrique a sa part de responsabilité dans son propre malheur. On s'est entre-tué en Afrique au moins autant qu'en Europe... La colonisation n'est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l'Afrique. Elle n'est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux. Elle n'est pas responsable des génocides. Elle n'est pas responsable des dictateurs. Elle n'est pas responsable du fanatisme. Elle n'est pas responsable de la corruption, de la prévarication. Elle n'est pas responsable des gaspillages et de la pollution... Et la France n'oublie pas ce sang africain versé pour sa liberté. Nul ne peut faire comme si rien n'était arrivé. Nul ne peut faire comme si cette faute n'avait pas été commise. Nul ne peut faire comme si cette histoire n'avait pas eu lieu. Pour le meilleur comme pour le pire, la colonisation a transformé l'homme africain et l'homme européen. Jeunes d'Afrique, vous êtes les héritiers des plus vieilles traditions africaines et vous êtes les héritiers de tout ce que l'Occident a déposé dans le cœur et dans l'âme de l'Afrique. Jeunes d'Afrique, la civilisation européenne a eu tort de se croire supérieure à celle de vos ancêtres, mais désormais la civilisation européenne vous appartient aussi ».

    L'Afrique a sa part de responsabilité fait ressortir celle de l'autre en même temps, mais cette responsabilité incombe, à prime abord, à celui qui est concerné, c'est-à-dire à l'Africain. Des tueries il y en a eu et il y en a encore, mais, même poussés par une force occulte occidentale qui semble jeter les dés et remuer les tempêtes, c'est bien de notre faute. Nous disons que si nous sommes manipulés, si des frères sont achetés pour se jeter au travers pour en assassiner d'autres, c'est qu'il y a une certaine profondeur de nos visions qui n'est pas encore la nôtre malgré nos revendications à tout bout de champ.

  9. Le devoir de la jeunesseJeunes d'Afrique, ne cédez pas à la tentation de la pureté parce qu'elle est une maladie, une maladie de l'intelligence, et qui est ce qu'il y a de plus dangereux au monde. Jeunes d'Afrique, ne vous coupez pas de ce qui vous enrichit, ne vous amputez pas d'une part de vous-même. La pureté est un enfermement, la pureté est une intolérance. La pureté est un fantasme qui conduit au fanatisme. Je veux vous dire, jeunes d'Afrique, que le drame de l'Afrique n'est pas dans une prétendue infériorité de son art, sa pensée, de sa culture. Car, pour ce qui est de l'art, de la pensée et de la culture, c'est l'Occident qui s'est mis à l'école de l'Afrique. L'art moderne doit presque tout à l'Afrique. L'influence de l'Afrique a contribué à changer non seulement l'idée de la beauté, non seulement le sens du rythme, de la musique, de la danse, mais même dit Senghor, la manière de marcher ou de rire du monde du XXème siècle. Je veux donc dire, à la jeunesse d'Afrique, que le drame de l'Afrique ne vient pas de ce que l'âme africaine serait imperméable à la logique et à la raison. Car l'homme africain est aussi logique et raisonnable que l'homme européen. C'est en puisant dans l'imaginaire africain que vous ont légué vos ancêtres, c'est en puisant dans les contes, dans les proverbes, dans les mythologies, dans les rites, dans ces formes qui, depuis l'aube des temps, se transmettent et s'enrichissent de génération en génération que vous trouverez l'imagination et la force de vous inventer un avenir qui vous soit propre, un avenir singulier qui ne ressemblera à aucun autre, où vous vous sentirez enfin libres, libres, jeunes d'Afrique d'être vous-mêmes, libres de décider par vous-mêmes.

    Je suis venu vous dire que vous n'avez pas à avoir honte des valeurs de la civilisation africaine, qu'elles ne vous tirent pas vers le bas mais vers le haut, qu'elles sont un antidote au matérialisme et à l'individualisme qui asservissent l'homme moderne, qu'elles sont le plus précieux des héritages face à la déshumanisation et à l'aplatissement du monde. Je suis venu vous dire que l'homme moderne qui éprouve le besoin de se réconcilier avec la nature a beaucoup à apprendre de l'homme africain qui vit en symbiose avec la nature depuis des millénaires. Je suis venu vous dire que cette déchirure entre ces deux parts de vous-mêmes est votre plus grande force, et votre plus grande faiblesse selon que vous vous efforcerez ou non d'en faire la synthèse. Mais je suis aussi venu vous dire qu'il y a en vous, jeunes d'Afrique, deux héritages, deux sagesses, deux traditions qui se sont longtemps combattues : celle de l'Afrique et celle de l'Europe. Je suis venu vous dire que cette part africaine et cette part européenne de vous-mêmes forment votre identité déchirée.

  10. Savoir tourner la page

    Je ne suis pas venu, jeunes d'Afrique, vous donner des leçons. Je ne suis pas venu vous faire la morale. Mais je suis venu vous dire que la part d'Europe qui est en vous est le fruit d'un grand péché d'orgueil de l'Occident mais que cette part d'Europe en vous n'est pas indigne. Car elle est l'appel de la liberté, de l'émancipation et de la justice et de l'égalité entre les femmes et les hommes. Car elle est l'appel à la raison et à la conscience universelles. Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne mais l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable ou tout semble être écrit d'avance. Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin. Le problème de l'Afrique et permettez à un ami de l'Afrique de le dire, il est là.

    Le défi de l'Afrique, c'est d'entrer davantage dans l'histoire. C'est de puiser en elle l'énergie, la force, l'envie, la volonté d'écouter et d'épouser sa propre histoire. Le problème de l'Afrique, c'est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l'éternel retour, c'est de prendre conscience que l'âge d'or qu'elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu'il n'a jamais existé. Le problème de l'Afrique, c'est qu'elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l'enfance. Le problème de l'Afrique, c'est que trop souvent elle juge le présent par rapport à une pureté des origines totalement imaginaire et que personne ne peut espérer ressusciter. Le problème de l'Afrique, ce n'est pas de s'inventer un passé plus ou moins mythique pour s'aider à supporter le présent mais de s'inventer un avenir avec des moyens qui lui soient propres. Le problème de l'Afrique, ce n'est pas de se préparer au retour du malheur, comme si celui-ci devait indéfiniment se répéter, mais de vouloir se donner les moyens de conjurer le malheur, car l'Afrique a le droit au bonheur comme tous les autres continents du monde. Le problème de l'Afrique, c'est de rester fidèle à elle-même sans rester immobile. Le défi de l'Afrique, c'est d'apprendre à regarder son accession à l'universel non comme un reniement de ce qu'elle est mais comme un accomplissement. Le défi de l'Afrique, c'est d'apprendre à se sentir l'héritière de tout ce qu'il y a d'universel dans toutes les civilisations humaines. C'est de s'approprier les droits de l'homme, la démocratie, la liberté, l'égalité, la justice comme l'héritage commun de toutes les civilisations et de tous les hommes. C'est de s'approprier la science et la technique modernes comme le produit de toute l'intelligence humaine. Le défi de l'Afrique est celui de toutes les civilisations, de toutes les cultures, de tous les peuples qui veulent garder leur identité sans s'enfermer parce qu'ils savent que l'enfermement est mortel.

    Les civilisations sont grandes à la mesure de leur participation au grand métissage de l'esprit humain. La faiblesse de l'Afrique qui a connu sur son sol tant de civilisations brillantes, ce fut longtemps de ne pas participer assez à ce grand métissage. Elle a payé cher, l'Afrique, ce désengagement du monde qui l'a rendue si vulnérable. Mais, de ses malheurs, l'Afrique a tiré une force nouvelle en se métissant à son tour. Ce métissage, quelles que fussent les conditions douloureuses de son avènement, est la vraie force et la vraie chance de l'Afrique au moment où émerge la première civilisation mondiale. La civilisation musulmane, la chrétienté, la colonisation, au-delà des crimes et des fautes qui furent commises en leur nom et qui ne sont pas excusables, ont ouvert les cœurs et les mentalités africaines à l'universel et à l'histoire.

    Ne vous laissez pas, jeunes d'Afrique, voler votre avenir par ceux qui ne savent opposer à l'intolérance que l'intolérance, au racisme que le racisme. Ne vous laissez pas, jeunes d'Afrique, voler votre avenir par ceux qui veulent vous exproprier d'une histoire qui vous appartient aussi parce qu'elle fut l'histoire douloureuse de vos parents, de vos grands-parents et de vos aïeux. N'écoutez pas, jeunes d'Afrique, ceux qui veulent faire sortir l'Afrique de l'histoire au nom de la tradition parce qu'une Afrique ou plus rien ne changerait serait de nouveau condamnée à la servitude. N'écoutez pas, jeunes d'Afrique, ceux qui veulent vous empêcher de prendre votre part dans l'aventure humaine, parce que sans vous, jeunes d'Afrique qui êtes la jeunesse du monde, l'aventure humaine sera moins belle. N'écoutez pas jeunes d'Afrique, ceux qui veulent vous déraciner, vous priver de votre identité, faire table rase de tout ce qui est africain, de toute la mystique, la religiosité, la sensibilité, la mentalité africaine, parce que pour échanger il faut avoir quelque chose à donner, parce que pour parler aux autres, il faut avoir quelque chose à leur dire.

    Écoutez plutôt, jeunes d'Afrique, la grande voix du Président Senghor qui chercha toute sa vie à réconcilier les héritages et les cultures au croisement desquels les hasards et les tragédies de l'histoire avaient placé l'Afrique. Il disait, lui l'enfant de Joal, qui avait été bercé par les rhapsodies des griots, il disait : « nous sommes des métis culturels, et si nous sentons en nègres, nous nous exprimons en français, parce que le français est une langue à vocation universelle, que notre message s'adresse aussi aux Français et aux autres hommes ». Il disait aussi : « le français nous a fait don de ses mots abstraits - si rares dans nos langues maternelles. Chez nous les mots sont naturellement nimbés d'un halo de sève et de sang ; les mots du français eux rayonnent de mille feux, comme des diamants. Des fusées qui éclairent notre nuit ». Ainsi parlait Léopold Senghor qui fait honneur à tout ce que l'humanité comprend d'intelligence. Ce grand poète et ce grand Africain voulait que l'Afrique se mît à parler à toute l'humanité et lui écrivait en français des poèmes pour tous les hommes. Ces poèmes étaient des chants qui parlaient, à tous les hommes, d'êtres fabuleux qui gardent des fontaines, chantent dans les rivières et qui se cachent dans les arbres. Des poèmes qui leur faisaient entendre les voix des morts du village et des ancêtres. Des poèmes qui faisaient traverser des forêts de symboles et remonter jusqu'aux sources de la mémoire ancestrale que chaque peuple garde au fond de sa conscience comme l'adulte garde au fond de la sienne le souvenir du bonheur de l'enfance.

    Car chaque peuple a connu ce temps de l'éternel présent, où il cherchait non à dominer l'univers mais à vivre en harmonie avec l'univers. Temps de la sensation, de l'instinct, de l'intuition. Temps du mystère et de l'initiation. Temps mystique ou le sacré était partout, où tout était signes et correspondances. C'est le temps des magiciens, des sorciers et des chamanes. Le temps de la parole qui était grande, parce qu'elle se respecte et se répète de génération en génération, et transmet, de siècle en siècle, des légendes aussi anciennes que les dieux. L'Afrique a fait se ressouvenir à tous les peuples de la terre qu'ils avaient partagé la même enfance. L'Afrique en a réveillé les joies simples, les bonheurs éphémères et ce besoin, ce besoin auquel je crois moi-même tant, ce besoin de croire plutôt que de comprendre, ce besoin de ressentir plutôt que de raisonner, ce besoin d'être en harmonie plutôt que d'être en conquête. Ceux qui jugent la culture africaine arriérée, ceux qui tiennent les Africains pour de grands enfants, tous ceux-là ont oublié que la Grèce antique qui nous a tant appris sur l'usage de la raison avait aussi ses sorciers, ses devins, ses cultes à mystères, ses sociétés secrètes, ses bois sacrés et sa mythologie qui venait du fond des âges et dans laquelle nous puisons encore, aujourd'hui, un inestimable trésor de sagesse humaine. L'Afrique qui a aussi ses grands poèmes dramatiques et ses légendes tragiques, en écoutant Sophocle, a entendu une voix plus familière qu'elle ne l'aurait crû et l'Occident a reconnu dans l'art africain des formes de beauté qui avaient jadis été les siennes et qu'il éprouvait le besoin de ressusciter. Alors entendez, jeunes d'Afrique, combien Rimbaud est africain quand il met des couleurs sur les voyelles comme vos ancêtres en mettaient sur leurs masques, « masque noir, masque rouge, masque blanc-et-noir ».

    Ouvrez les yeux, jeunes d'Afrique, et ne regardez plus, comme l'ont fait trop souvent vos aînés, la civilisation mondiale comme une menace pour votre identité mais la civilisation mondiale comme quelque chose qui vous appartient aussi. Dès lors que vous reconnaîtrez dans la sagesse universelle une part de la sagesse que vous tenez de vos pères et que vous aurez la volonté de la faire fructifier, alors commencera ce que j'appelle de mes vœux, la Renaissance africaine. Dès lors que vous proclamerez que l'homme africain n'est pas voué à un destin qui serait fatalement tragique et que, partout en Afrique, il ne saurait y avoir d'autre but que le bonheur, alors commencera la Renaissance africaine. Dès lors que vous, jeunes d'Afrique, vous déclarerez qu'il ne saurait y avoir d'autres finalités pour une politique africaine que l'unité de l'Afrique et l'unité du genre humain, alors commencera la Renaissance africaine. Dès lors que vous regarderez bien en face la réalité de l'Afrique et que vous la prendrez à bras-le-corps, alors commencera la Renaissance africaine. Car le problème de l'Afrique, c'est qu'elle est devenue un mythe que chacun reconstruit pour les besoins de sa cause. Et ce mythe empêche de regarder en face la réalité de l'Afrique.

    La réalité de l'Afrique, c'est une démographie trop forte pour une croissance économique trop faible. La réalité de l'Afrique, c'est encore trop de famine, trop de misère. La réalité de l'Afrique, c'est la rareté qui suscite la violence. La réalité de l'Afrique, c'est le développement qui ne va pas assez vite, c'est l'agriculture qui ne produit pas assez, c'est le manque de routes, c'est le manque d'écoles, c'est le manque d'hôpitaux. La réalité de l'Afrique, c'est un grand gaspillage d'énergie, de courage, de talents, d'intelligence.

    La réalité de l'Afrique, c'est celle d'un grand continent qui a tout pour réussir et qui ne réussit pas parce qu'il n'arrive pas à se libérer de ses mythes. La Renaissance dont l'Afrique a besoin, vous seuls, Jeunes d'Afrique, vous pouvez l'accomplir parce que vous seuls en aurez la force. Cette Renaissance, je suis venu vous la proposer. Je suis venu vous la proposer pour que nous l'accomplissions ensemble parce que de la Renaissance de l'Afrique dépend pour une large part la Renaissance de l'Europe et la Renaissance du monde. Je sais l'envie de partir qu'éprouve un si grand nombre d'entre vous confrontés aux difficultés de l'Afrique. Je sais la tentation de l'exil qui pousse tant de jeunes Africains à aller chercher ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas ici pour faire vivre leur famille. Je sais ce qu'il faut de volonté, ce qu'il faut de courage pour tenter cette aventure, pour quitter sa patrie, la terre où l'on est né, où l'on a grandi, pour laisser derrière soi les lieux familiers où l'on a été heureux, l'amour d'une mère, d'un père ou d'un frère et cette solidarité, cette chaleur, cet esprit communautaire qui sont si forts en Afrique.

    Je sais ce qu'il faut de force d'âme pour affronter le dépaysement, l'éloignement, la solitude. Je sais ce que la plupart d'entre eux doivent affronter comme épreuves, comme difficultés, comme risques. Je sais qu'ils iront parfois jusqu'à risquer leur vie pour aller jusqu'au bout de ce qu'ils croient être leur rêve. Mais je sais que rien ne les retiendra. Car rien ne retient jamais la jeunesse quand elle se croit portée par ses rêves. Je ne crois pas que la jeunesse africaine ne soit poussée à partir que pour fuir la misère. Je crois que la jeunesse africaine s'en va parce que, comme toutes les jeunesses, elle veut conquérir le monde. Comme toutes les jeunesses, elle a le goût de l'aventure et du grand large. Elle veut aller voir comment on vit, comment on pense, comment on travaille, comment on étudie ailleurs.

    L'Afrique n'accomplira pas sa Renaissance en coupant les ailes de sa jeunesse. Mais l'Afrique a besoin de sa jeunesse. La Renaissance de l'Afrique commencera en apprenant à la jeunesse africaine à vivre avec le monde, non à le refuser. La jeunesse africaine doit avoir le sentiment que le monde lui appartient comme à toutes les jeunesses de la terre. La jeunesse africaine doit avoir le sentiment que tout deviendra possible comme tout semblait possible aux hommes de la Renaissance.

    Alors, je sais bien que la jeunesse africaine, ne doit pas être la seule jeunesse du monde assignée à résidence. Elle ne peut pas être la seule jeunesse du monde qui n'a le choix qu'entre la clandestinité et le repliement sur soi. Elle doit pouvoir acquérir, hors d'Afrique la compétence et le savoir qu'elle ne trouverait pas chez elle.

    Mais elle doit aussi à la terre africaine de mettre à son service les talents qu'elle aura développés. Il faut revenir bâtir l'Afrique ; il faut lui apporter le savoir, la compétence le dynamisme de ses cadres. Il faut mettre un terme au pillage des élites africaines dont l'Afrique a besoin pour se développer. Ce que veut la jeunesse africaine c'est de ne pas être à la merci des passeurs sans scrupule qui jouent avec votre vie. Ce que veut la jeunesse d'Afrique, c'est que sa dignité soit préservée. C'est pouvoir faire des études, c'est pouvoir travailler, c'est pouvoir vivre décemment. C'est au fond, ce que veut toute l'Afrique. L'Afrique ne veut pas de la charité. L'Afrique ne veut pas d'aide. L'Afrique ne veut pas de passe-droit.

    Ce que veut l'Afrique et ce qu'il faut lui donner, c'est la solidarité, la compréhension et le respect. Ce que veut l'Afrique, ce n'est pas que l'on prenne son avenir en main, ce n'est pas que l'on pense à sa place, ce n'est pas que l'on décide à sa place. Ce que veut l'Afrique est ce que veut la France, c'est la coopération, c'est l'association, c'est le partenariat entre des nations égales en droits et en devoirs. Jeunesse africaine, vous voulez la démocratie, vous voulez la liberté, vous voulez la justice, vous voulez le Droit ? C'est à vous d'en décider. La France ne décidera pas à votre place. Mais si vous choisissez la démocratie, la liberté, la justice et le Droit, alors la France s'associera à vous pour les construire. Jeunes d'Afrique, la mondialisation telle qu'elle se fait ne vous plaît pas.

    L'Afrique a payé trop cher le mirage du collectivisme et du progressisme pour céder à celui du laisser-faire. Jeunes d'Afrique vous croyez que le libre-échange est bénéfique mais que ce n'est pas une religion. Vous croyez que la concurrence est un moyen mais que ce n'est pas une fin en soi. Vous ne croyez pas au laisser-faire. Vous savez qu'à être trop naïve, l'Afrique serait condamnée à devenir la proie des prédateurs du monde entier. Et cela vous ne le voulez pas. Vous voulez une autre mondialisation, avec plus d'humanité, avec plus de justice, avec plus de règles.

    Je suis venu vous dire que la France la veut aussi. Elle veut se battre avec l'Europe, elle veut se battre avec l'Afrique, elle veut se battre avec tous ceux, qui dans le monde, veulent changer la mondialisation. Si l'Afrique, la France et l'Europe le veulent ensemble, alors nous réussirons. Mais nous ne pouvons pas exprimer une volonté votre place.

    Jeunes d'Afrique, vous voulez le développement, vous voulez la croissance, vous voulez la hausse du niveau de vie. Mais le voulez-vous vraiment ? Voulez-vous que cesse l'arbitraire, la corruption, la violence ? Voulez-vous que la propriété soit respectée, que l'argent soit investi au lieu d'être détourné ? Voulez-vous que l'État se remette à faire son métier, qu'il soit allégé des bureaucraties qui l'étouffent, qu'il soit libéré du parasitisme, du clientélisme, que son autorité soit restaurée, qu'il domine les féodalités, qu'il domine les corporatismes ? Voulez-vous que partout règne l'État de droit qui permet à chacun de savoir raisonnablement ce qu'il peut attendre des autres ? Si vous le voulez, alors la France sera à vos côtés pour l'exiger, mais personne ne le voudra à votre place.

    Voulez-vous qu'il n'y ait plus de famine sur la terre africaine ? Voulez-vous que, sur la terre africaine, il n'y ait plus jamais un seul enfant qui meure de faim ? Alors cherchez l'autosuffisance alimentaire. Alors développez les cultures vivrières. L'Afrique a d'abord besoin de produire pour se nourrir. Si c'est ce que vous voulez, jeunes d'Afrique, vous tenez entre vos mains l'avenir de l'Afrique, et la France travaillera avec vous pour bâtir cet avenir. Vous voulez lutter contre la pollution ? Vous voulez que le développement soit durable ? Vous voulez que les générations actuelles ne vivent plus au détriment des générations futures ? Vous voulez que chacun paye le véritable coût de ce qu'il consomme ? Vous voulez développer les technologies propres ? C'est à vous de le décider. Mais si vous le décidez, la France sera à vos côtés.

    Vous voulez la paix sur le continent africain ? Vous voulez la sécurité collective ? Vous voulez le règlement pacifique des conflits ? Vous voulez mettre fin au cycle infernal de la vengeance et de la haine ? C'est à vous, mes amis africains, de le décider. Et si vous le décidez, la France sera à vos côtés, comme une amie indéfectible, mais la France ne peut pas vouloir à la place de la jeunesse d'Afrique.

    Vous voulez l'unité africaine ? La France le souhaite aussi. Parce que la France souhaite l'unité de l'Afrique, car l'unité de l'Afrique rendra l'Afrique aux Africains. Ce que veut faire la France avec l'Afrique, c'est regarder en face les réalités. C'est faire la politique des réalités et non plus la politique des mythes. Ce que la France veut faire avec l'Afrique, c'est le co-développement, c'est-à-dire le développement partagé.
    La France veut avec l'Afrique des projets communs, des pôles de compétitivité communs, des universités communes, des laboratoires communs. Ce que la France veut faire avec l'Afrique, c'est élaborer une stratégie commune dans la mondialisation. Ce que la France veut faire avec l'Afrique, c'est une politique d'immigration négociée ensemble, décidée ensemble pour que la jeunesse africaine puisse être accueillie en France et dans toute l'Europe avec dignité et avec respect. Ce que la France veut faire avec l'Afrique, c'est une alliance de la jeunesse française et de la jeunesse africaine pour que le monde de demain soit un monde meilleur.
    Ce que veut faire la France avec l'Afrique, c'est préparer l'avènement de l'Eurafrique, ce grand destin commun qui attend l'Europe et l'Afrique.

    A ceux qui, en Afrique, regardent avec méfiance ce grand projet de l'Union Méditerranéenne que la France a proposé à tous les pays riverains de la Méditerranée, je veux dire que, dans l'esprit de la France, il ne s'agit nullement de mettre à l'écart l'Afrique, qui s'étend au sud du Sahara mais, qu'au contraire, il s'agit de faire de cette Union le pivot de l'Eurafrique, la première étape du plus grand rêve de paix et de prospérité qu'Européens et Africains sont capables de concevoir ensemble. Alors, mes chers Amis, alors seulement, l'enfant noir de Camara Laye, à genoux dans le silence de la nuit africaine, saura et comprendra qu'il peut lever la tête et regarder avec confiance l'avenir. Et cet enfant noir de Camara Laye, il sentira réconciliées en lui les deux parts de lui-même. Et il se sentira enfin un homme comme tous les autres hommes de l'humanité ».

    Nous pensons avoir présenté l'essentiel du discours. Peu importe, encore une fois, les caractéristiques du personnage. Le contenu est la vraie triste réalité de l'Afrique. La nécessité que l'on nous débite de tels discours nous est intrinsèque. C'est que nous la méritons, même si nous pensons que nous n'en avons pas besoin, ce qui est très très très très loin de la vérité. Si l'on nous tend un mouchoir, c'est forcément parce que nous avons des larmes aux yeux, ou bien nous sommes....MORVEUX. Et BIEN MORVEUX nous sommes.

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UN RAPIDE EXEMPLE POUR LE DICtiONNAIRE

Njamala Njogoy