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lundi 3 septembre 2018

LE PROBLEME DE LA NEGRITUDE - TROISIEME PARTIE

Le Président Sarkozy est tombé, à notre avis, sous le même feu de l'incompréhension qui a foudroyé Senghor à cause de son émotion nègre et sa raison hellène. D'aucuns disent qu'il a nié l'histoire de l'Afrique. C'est une accusation gratuite et c'est sur une base purement émotionnelle et non rationnelle que des Nègres, encore une fois, se sont munis d'une hâche pour l'abbatre, abattre celui qui, dans le même même discours, parle de « cette Afrique qui a connu sur son sol tant de civilisations brillantes ». La réaction si inutilement vive nous a réveillé à une triste réalité et fait comprendre la réaction d'élèves qui, pendant des conférences, nous ont demandé, plutôt condamnation que question, pourquoi Senghor chante la femme noire, lui pourtant marié à une Blanche. Jusqu'à nos jours, l'Africain est d'une allergie sans borne face aux critiques, surtout lorsque la critique vient d'une peau blanche à telle enseigne que nous nions jusqu'à nos fautes et faiblesses qui sont pourtant si fragrantes.

Monsieur Sarkozy s'est adressé à la jeunesse africaine pour lui retracer les horreur de l'histoire africaine à travers la traite des nègres, la colonisation mais qu'il faut passer un balai dessus pour faire face à l'avenir : « ... Mais elle doit aussi à la terre africaine de mettre à son service les talents qu'elle aura développés. Il faut revenir bâtir l'Afrique ; il faut lui apporter le savoir, la compétence le dynamisme de ses cadres. Il faut mettre un terme au pillage des élites africaines dont l'Afrique a besoin pour se développer. Ce que veut la jeunesse africaine c'est de ne pas être à la merci des passeurs sans scrupule qui jouent avec votre vie. Ce que veut la jeunesse d'Afrique, c'est que sa dignité soit préservée. C'est pouvoir faire des études, c'est pouvoir travailler, c'est pouvoir vivre décemment. C'est au fond, ce que veut toute l'Afrique. L'Afrique ne veut pas de la charité. L'Afrique ne veut pas d'aide. L'Afrique ne veut pas de passe-droit. ».

Face à la profondeur du discours, la superficialité des attaques fait sérieusement peur surtout lorsque celles-ci viennent d'éminents professeurs d'université.

Nous pensons qu'il aurait fallu faire la part des choses, éviter de se baser sur évidences irréfutables plutôt que sur des attaques ad hominem purement superficielles. Mais cela ne peut pas surprendre. L'on sait la pluie de critiques sur Senghor à cause de sa raison hellène; d'avoir écrit femme noire alors qu'il est marié à une Normande; le reproche fait à Camara Laye d'avoir écrit « L'enfant noir » et qu'il n'y ait aucune condamnation du colonialisme comme le prouve cette citation : « Publié en 1954, cet ouvrage tranche nettement sur la production romanesque africaine des années cinquante dominée par des livres de critique sociale comme Ville Cruelle , Coeur d'Aryenne, Une vie de Boy. Déjà, l'apolitisme de son premire texte, l'Enfant Noir, autobiographie à peine romancée, avait valu à Camara Laye à la fois le Prix International du Roman Fraçais Charles Veillon, et les foudres de ses confrères africains. L'un des plus véhéments d'entre eux, A. Biyidi flétrissait le péché d'omission de toute référence au colonialisme dont s'était rendu coupable le jeune auteur guinéen dans un article demeuré fameux, paru dans Présence Africaine : « Afrique noire, littérature rose ».

Quel est, et comment doit se poursuivre l’apport du Nègre, sa part actuelle dans la civilisation de l’universel, puisque, après s’être dressé pour redresser le panorama de son humanité, de sa haute culture vieille comme la nuit, il a rejeté cette gloire douteuse du Blanc dont un des côtés les plus palpables est une puissance de destruction ?

Une bonne approche devrait commencer par faire le bilan, bilan qui ne peut être réalisé sans jeter un regard sur ce que c’est qu’une civilisation. Ce ne sera pas chose facile. La mondialisation a gagné du terrain, les religions révélées ont posé leur couche corrosive sur de larges étendues sociales et les gadgets de consommation et de communication pleuvent de partout. Faire la part de ce qui est propre à une société donnée n’est pas une tâche aisée. Toutefois, cet apport doit forcément reposer sur des éléments de base que nous allons essayer d’identifier.


  1. LA CIVILISATION

    Nous allons puiser dans Wikipedia la définition de la civilisation : « Le terme civilisation — dérivé indirectement du latin civis signifiant « citoyen » par l'intermédiaire de « civil » et « civiliser » — a été utilisé de différentes manières au cours de l'histoire.

    « La civilisation, c'est d'abord l'ensemble des traits qui caractérisent l'état d'évolution d'une société donnée, tant sur le plan technique, intellectuel, politique que moral, sans porter de jugement de valeur. A ce titre, on peut parler de civilisations au pluriel et même de civilisations primitives.

    « Comme ceux de culture, de religion ou de société, le mot civilisation est devenu un concept clé ou un « maître-mot » pour penser le monde et l'histoire à l'époque des Lumières. Le premier à avoir employé le mot civilisation dans une acception qui relève de la signification qu'il a encore aujourd'hui est Victor Riqueti de Mirabeau, le père de Mirabeau le révolutionnaire. En 1758, dans L'Ami des Hommes, il écrit : « La religion est sans contredit le premier et le plus utile frein de l'humanité : c'est le premier ressort de la civilisation. » De façon similaire, en 1795, dans Esquisse d'un tableau des progrès de l'esprit humain de Condorcet, l'idée de civilisation désigne les progrès accomplis par l'humanité dans une nation donnée lorsqu'il fut possible de passer de l'état de barbarie à celui de citoyen, de civil ou de civilisé.

    « Au XIXe siècle la civilisation, alors envisagée comme un idéal à atteindre et comme un processus de transformation de la société vers cet idéal, fut la principale légitimation donnée à la colonisation impérialiste. Il s'agissait de « civiliser » les peuples du monde dans une vision hiérarchique et évolutionniste des degrés de civilisation auxquels ceux-ci avaient accédé.

    « Aujourd'hui les vues sur la civilisation sont plus égalitaires de sorte que le terme désigne davantage un état de fait historique et social à valeur constante qu'un processus de transformation des sociétés. L'idée a cessé de fonctionner en opposition avec celles de barbarie ou de sauvagerie, tandis qu'était affirmé le principe du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ». Par suite, c'est dans l'égalité ou l'équivalence de ces entités supposées que peut se jouer l'affrontement, le dialogue ou l'entente des civilisations.

    « L'idée de civilisation reste cependant problématique car pour pouvoir désigner des civilisations, qui n'ont dans les faits ni structure précise, ni représentation institutionnelle, il faut sélectionner parmi les faits observables ceux que l'on juge aptes à définir les civilisations envisagées. Ainsi, on se fondera sur des faits linguistiques, éthiques, géographique, culturels, religieux ou politiques, mais, en procédant ainsi, il n'est pas plus aisé de savoir ce qu'est une civilisation qu'une religion ou une culture, des idées par ailleurs elles aussi assez vagues et qui sont parmi celles les plus employées pour décrire ce que sont les civilisations. Pour Bertrand Binoche « Après avoir prédit le triomphe de la civilisation, on peut bien annoncer le choc des civilisations, mais cela ne contribue pas à y voir plus clair» .

    Voilà la longue définition qui nous est fournie, avec ces diverses facettes et complications avant de nous livrer, comme baromètre, les deux groupes de classifications suivants. Selon ce baromètre, pour être qualifiée de civilisation, celle-ci doit regrouper la plupart des caractéristiques suivantes :

      Cinq critères primaires (organisation)

    • Présence d'une ville (sédentarisation des populations) ;
    • Spécialisation du travail à temps plein ;
    • Concentration de surplus de production ;
    • Structure de classe (hiérarchie) ;
    • Organisation étatique (État).

      Cinq critères secondaires (réalisations matérielles)

    • Travaux publics monumentaux ;
    • Commerce à longue distance ;
    • Réalisations artistiques monumentales ;
    • Ecriture (comptabilité, registre, etc.) ;
    • Connaissances scientifiques (arithmétique, géométrie, astronomie).

    On peut être d’accord sur certains points, mais sur d’autres on pourrait être dubitatif. L’existence de villes, ces jungles des magasins, des hauts buildings où les hommes pullulent dans leur solitude, se croisant comme des somnambules servent certes de baromètres, mais le baromètre de quoi ? Certes pas celui du petit enfant nègre ne voulait pas en faire partie, qui ne voulait pas comme un monsieur de la ville. Pour le reste, la sédentarisation, la spécialisation du travail, la structure des classes, l’organisation étatique, le commerce – nous ne sommes pas forcé d’accepter ‘sur de longues distances’ comme point pertinent, ne nous sont pas étrangers.

    Pour certains points, comme la construction de monuments colossaux, écriture, comptabilité, registres, nous pensons qu’ils purent exister surtout à cause d’une certaine conception de la vie. Une conception linéaire force l’homme à vouloir laisser une trace sur terre à sa mort. Celui qui replonge dans le cycle de la vie pour réapparaître le long des générations n’a pas la hantise de cette disparition, n’est pas poussé par une peur de disparaître à jamais : « Et la mort sur la crête de l’exultation ; à l’appel irrécusable du gouffre. Mais la pirogue renaîtra par les nénuphars de l’écume, surnagera la douceur des bambous au matin transparent du monde ».

    La notion de la science, astronomie, mathématique, médecine, est tout à fait arbitraire. Mon propre père savait guérir des morsures de serpent et a empêché plusieurs personnes vivantes encore aujourd’hui, d’être aveugles à jamais. Le vrai problème qui se pose, jusque dans l’apport, est justement que le Nègre, depuis sa colonisation, doit donner des réponses à des questions conceptuelles qui lui sont posées sur la base d’une certaine vision du monde qui n’est pas forcément la sienne. Si c’est lui qui avait été dominateur, la polygamie ; l’excision à travers certains de ces colons, auraient été imposées à l’Occident colonisée. L’excision n’est totalitaire sur aucune étendue territoriale en Afrique. Et puis, si le doute subsiste, reconnaissons que la colonisation française est différente de la colonisation britannique à travers plusieurs de leurs facettes.

    A travers ses écrits, Senghor s’est longuement penché sur la civilisation nègre, comme Cheikh Anta et le professeur Ki-Zerbo.


  2. L’APPORT HISTORIQUE

    Les tentatives d’apports historiques, à travers des fouilles archéologiques et des études de recherche ne sont pas des moindres, bien qu’une tendance de justification semble dominer et pousse coûte que coûte à vouloir pointer vers un cordon ombilical reliant à une autre civilisation pour se faire accepter. Il est tout à fait naturel que fouiller l’histoire ramène, d’une façon ou d’une autre, à se rapprocher des autres civilisations qui tapissent notre planète. C’est ce que le professeur Joseph Ki-Zerbo a bien senti et c’est ce qui fait la différence de vision entre lui et le professeur Cheikh Anta Diop. Monsieur Ki-Zerbo affirme que : « l’Egypte, par sa richesse économique, agricole, commerciale et culturelle est un point attracteur énorme et un creuset pour de nombreux peuples (comme les Hébreux, les Hyksos, les Ethiopiens, les Nubiens, etc.) qui viennent se mélanger au fond originel. Plus globalement, l'Histoire de l'Afrique (1972) est ainsi un vaste panorama diachronique et circonstancié, rendu vivant par des extraits de chroniques, des grands évènements et des évolutions des peuples du continent. En cela, la forme, le fait de présenter les évolutions sociales économiques et politiques de la même manière que d'autres encyclopédies ont présenté l'Europe et l'Asie, replace de fait, dans la pratique, l'Histoire de l'Afrique au même rang que celles des autres continents. Et cela, sans avoir besoin de clamer une Afrique originelle, objectif de pureté à retrouver que proclame Cheikh Anta Diop. La présentation diachronique à l'échelle du continent souligne ainsi de fait l'évolution contiguë des différentes grandes civilisations, soulignant ainsi les points communs et l'échange des idées mais aussi le fait que les chocs qui les ont abattues ont une origine commune : l'expansion européenne et ses conséquences (expansion marocaine, turque et omanaise) .

    Bien sûr, Cheikh Anta Diop a fait de grands efforts en ce sens, même si « ses thèses restent aujourd'hui contestées, et sont peu reprises dans la communauté scientifique. Si une grande partie de ses thèses, en particulier au sujet de l'Égypte antique, sont considérés comme dépourvus de fondements solides, Cheikh Anta Diop a toutefois eu un indéniable rôle de visionnaire en ce qui concerne la place de l'Afrique dans l'histoire. Sa vision peut en effet être interprétée comme une anticipation des découvertes archéologiques majeures des années 2000 sur le continent africain que ce soit Kerma ou, beaucoup plus ancien, Blombos » .

    L’historien anglais Basil Davidson a apporté une part qui n’est pas du tout négligeable, surtout dans son œuvre « L'Afrique avant les Blancs : découverte du passé oublié de l'Afrique », traduite de l’anglais et parue en France en 1962.


  3. L’APPORT CULTUREL

    La vision culturelle de Senghor va extrêmement plus loin que notre mbalax, qui est en réalité, dans sa forme actuelle, la paresseuse part de la tâche. Ce que lui projetait, c’était de rassembler des hommes et femmes qui apprendraient « le rythme au monde défunt des machines et des canons », une race qui « pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l’aurore » et qui « rendrait la mémoire de vie à l’homme aux espoirs éventrés ».

    L’affirmation de la culture africaine ne pourrait s’arrêter aux tam-tams qui maintenant rythment des mesures et pèsent sur la balance gourmande et décadente du showbiz. La création du magazine « Présence Africaine » par Alioune Diop en 1947 qui rimera à la création de la maison d’éditions du même nom en 1949 et plus tard la construction du Théâtre Daniel Sorano et la mise en place d’un Ballet national regroupant toutes les ethnies du Sénégal en passant par les tapisseries de Thiès seront autant de pièces pour ériger l’édifice de la culture. A cela il adjoindra l'amour de la connaissance, du rafinement de l'idée comme toilette primordiale menant à la table de la fête de la culture de l'universel.

    Un texte que nous allons citer longuement s'est penché sur les diverses phases du mouvement de la Négritude en exposant ce qui l'occasionna avant de présenter l'échelonnement du réveil et de la résistance à travers les oeuvres littéraires qui virent le jour par la suite. Ne voulant pas réinventer la roue et convaincu que nous ne pourrions pas trouvr meilleure approche, permettez-nous de l'emprunter intégralement .

    • LE DOMAINE LITTERAIRE

      • INTRODUCTION

        L'image de l'Afrique noire émerge dans la conscience à partir du 1750 grâce aux témoignages de nombreux écrivains philosophes et voyageurs .Néanmoins, la connaissance du monde noir reste rudimentaire, superficielle, fictive voire fragmentaire et cela pour deux raisons. D'une part peu d'explorateurs ont pénétré l'intérieur du continent, d'autre part l'africain lui-même reste absent parce que le privilège de prendre la parole lui était refusé. Ainsi la littérature coloniale dégage à la fois une image ambiguë et stéréotypée. Pour les uns, c'est un continent maudit, un repère de démons, de sorciers et d'animaux féroces. C'est l'exemple de l'écrivain Pierre Loti dans l'ouvrage « Le roman d'un Spahi » qui est le cliché de la représentation médiévale tandis pour d'autres, l'Afrique est un lieu parasidiaque.

        Par la suite, de nombreux intellectuels africains vont contribuer à modifier cette perception fallacieuse et négative que l'Occident avait du continent africain. Ainsi s'impose petit à petit l'idée selon laquelle chaque peuple, chaque civilisation, chaque culture, possède son originalité, sa spécialité, ses richesses propres.

      • NAISSANCE LITTÉRATURE NÉGRO-AFRICAINE

        La prise de conscience de la spécificité, la lutte contre l'injustice qui pèse sur le nègre, la réhabilitation de la personnalité nègre, l'appel à l'unité, à la solidarité des peuples opprimés, vont se faire sentir par la publication et le couronnement de « Batouala », du guyannais René Maran, véritable roman négre qui eut le Prix Goncours en 1921. Dans ce roman, l'auteur dénonce sans crainte les abus de l'exploitation coloniale et le traitement inhumain des Noirs en Oubangui Chari. Le livre fit scandale dans le milieu colonial et donna le signal du début de la littérature négro-africaine d'expression française qui fut engagée politiquement ou contre la colonisation.

      • LA NÉGRO-RENAISSANCE

        Force est de reconnaître que, bien avant la publication de « Batouala », le mouvement de la négro-renaissance luttait aux USA pour l'émancipation et la dignité de l'homme noire. En somme il luttait contre l'aliénation du Noir en Amérique et dans la monde. L'illustre père de ce mouvement était le noir américain W. E. B Dubois, 1869-1963, qui fut l'auteur du livre : « Ame noire ». Il faut également noter parmi les vaillants précurseurs de cette renaissance Claude McKay, 1860-1945, fondateur du roman psycho-réaliste negro-africian. Dans ses écrits, comme « Home to Harlem », il attaque violemment le Christianisme, la raison, la technique et leur influence sur les Négres. Ainsi sa célèbre boutade : “ Vous les Noirs instruits, vous êtes une bande perdue ”. Il y avait aussi Countee Cullen, 1903-1946., qui est le plus nostalgique et le plus religieux des poètes de ce mouvement. Il chante une Afrique mystique et idéalisée et enfin Langstone Hughes, 1902-1967, auteur de l'ouvrage « Le ménage », « Avoir peur » et « Moi je suis l'Amérique ». Il dit : “ Comme créateurs de la nouvelle génération nègre, nous voulons exprimer notre personnalité noire sans honte ni crainte, si cela plaît aux Blancs, nous en sommes forts heureux; si cela ne leur plaît peut importe, nous savons que nous sommes beaux et laids aussi ”.

      • LA NÉGRITUDE

        La Négritude est née en 1934 à Paris avec la publication de « L''etudiant noire ». C'est un néologisme qui a paru pour la première sous la plume du martiniquais Aimé Césaire .Le mot est vulgarisé par la suite avec la publication de « Cahier d'un retour natal » en 1939. Les principaux acteurs de la négrititude que sont Aimé Césaire, 1913-2008 et Léon Gontran Damas, 1912-1978, disaient : ”la négritude a été un projet, un projet spontané; elle a été la réaction d'une catégorie donnée d'individus dans un milieu donné à un moment de l'histoire ”. Pour Léopold Sédar Senghor, 1906-2001, et Lamine Diakhaté ”plus qu'un concept, la négritude est un ensemble de valeurs de définitions ”. Pour Alioune Diop : ”la négritude est née du sentiment d'avoir été frustrés au cours de l'histoire de la joie de créer et d'être considérés. En effet, la négritude est la simple reconnaissance du fait d'être noir et l'acceptation de de ce fait, de notre destin de noire, de notre histoire et de notre culture. Elle ne compte ni racisme, ni reniement de l'Europe, ni exclusivité mais au contraire une fraternité entre les Hommes ”.

      • EVOLUTION LITTÉTARUTE NÉGRO-AFRICAINE

        • NEGRITUDE ET POESIE : ANNEES 1940

          L'intelligentsia noire de Paris va tenter de relever le défit colonial. Les exactions de tout genre, comme la politique de la “table rase”, visaient à l'assimilation pure et simple du noir. Les étudiants antillais lancent « Légitime défense 3 », un journal paru en 1932 et qui sera le dernier, parce que les initiateurs furent victimes de la répression coloniale. Le mouvement de la négritude voit le jour à Paris, place de la Sorbonne, dans les années 1933-1935. Les pionniers de ce mouvement lancent en 1934 un périodique intitulé « L'Etudiant noir ». L'esclavage et la colonisation constituent les étapes essentielles de la dépersonnalisation de l'africain contre laquelle tout intellectuel noire doit se lever. Pour ce faire, la négritude utilise de la poésie comme moyen d'expression pour la réhabilitation et la restauration de l'homme noire.

          Le roman de la négritude lui, se fixe comme objectif de redonner aux Noirs le goût de la vie, la fierté d'être noir, de réaffirmer sa dignité dans le monde, de défendre les valeurs culturelles du monde noir au point de prendre parfois pour source de malheur l'Occident. Nous avons, à titre d'illustration, « Pigments » 1937 de Léon Gontran Damas, « Les armes miraculeuses », 1946 de Aimé Césaire, « Hosties noires », 1948 de L. S. Senghor. Ainsi le passé africain est idéalisé, un retour à la source vive delà la tradition africaine est prôné tout en incitant le feu de la nostalgie. En 1945, Alioum Doip fonde la revue présence africaine qui permet la diffusion de la poésie négro-africaine contemporaine.

        • LE COURANT ROMANESQUE : ANNEES 1950

          C'est une période qui va de 1950à 1960.Elle connaître une production importante d'ouvres romanesques qui met sous l'éteignoir (étouffé,caché), le mouvement de la negritude que la production poétique a fait connaître dans les années 30 et 40.Cette période connaît de grands auteurs tels que Ferdinand Oyono qui écrit « Une vie de boy »; Mongo Beti : « Le pauvre Christ de Bomba », Eza Bota : « Ville cruelle », Semben Ousmane : « Les bouts de bois de Dieu » , Bernard Belin Dadier : « Cimbier », 1966.

          Dans leurs romans, ils prennent position politiquement et se considèrent comme des militants de la libération de l'Afrique noire colonisés, un devoir qui s'impose à tout homme de lettres. L'ennemi commun à abattre est le colonisateur. Ainsi, administrateurs coloniaux, commerçants blancs et leurs alliés africains de même que les missionnaires constituent leurs cibles favorites. Ils font le procès de la colonisation. En général si le courant reste anti-colonial, il en demeure pas moins que certaines oeuvres vont ramer à contre courant de cette position. Parmi celles-ci, on peut citer « L'enfant noir » de Camara Laye. En effet dans ses oeuvres, il peint un tableau idyllique et joyeux de l'Afrique de l'Ouest avec une mère qui est toute tendresse, un père travailleur, un enfant choyé... Nulle part ailleurs on ne voit Camara Laye fustiger la colonisation. Alors sera-t-il rejeté, haï par ses pairs et connaîtra-t-il l'exil au Sénégal suite aux exactions du régime de Sékou Touré.

        • LES ANNEES 1960

          Au lendemain des indépendances, les écrivains changent leurs fusil d'épaule : ce n'est plus le colonisateur qui la cible mais les nouveaux maîtres de l'Afrique qui ont pris la place du colonisateur et qui perpétuent les abus, pires que ceux de la période coloniale : parti unique, dictature, le favoritisme, le tribalisme, le népotisme, le détournement deniers publics, la gabegie, la démagogie, le favoritisme... En général cette période connaît trois niveaux de courants littéraires qui sont :

          • Le courant du désenchantement
          • Le courant passette
          • Le courant du malaise

          Le courant le plus important est toutefois le premier cité. En effet le courant du désenchantement, appelé aussi la désillusion ou la déception, montre la déception et la révolte des africains qui attendaient beaucoup de l'indépendance : la liberté, le retour au passé colonial hanté. Ils seront déçus par le comportement des nouveaux dirigeants africains, bourreaux de leurs peuples qui s'attribuent les titres les plus vagues et les plus fanfarons : Guide providentiel, Eclairé, Grand timonier, Oeil droit du peuple, Père fondateur, etc, et qui sont obsédés par des complots irréels ou supposés de tout genre afin de terroriser et écraser le peuple.

      • CONCLUSION

        Après avoir joué un rôle déterminant dans l'éveil de la conscience africaine face à la colonisation et à la domination coloniale et entraîné par les Européens à avoir une vision des Noirs autre que celle d'une race sauvage et sans culture, le mouvement de la négritude représente aujourd'hui un obstacle non négligeable à la libération définitive de la démarche intellectuelle des africains à l'égard des préoccupations de renaissance.

        En effet ce qui n'était au début qu'un slogan et un mot d'ordre de lutte pour l'affirmation d'une personnalité nègre, se transforma en une doctrine pseudo philosophique. Par ailleurs, dans un examen intérieur, on est tenté de croire que la culture africaine manque de conviction. En effet, la culture traditionnelle du monde noir est comme rejetée par la jeune génération à telle enseigne qu'on est conduit à se demander si l'Afrique est toujours aussi riche de ses valeurs ancestrales. On avance que l'africain vit en suspension, car il est entre une modernité qui n'attend pas et une africanité qui n'arrive pas. Il est donc dans une salle d'attente où il n'attend rien.

        Enracinés dans nos cultures, nous avons le devoir de savoir presque tout des autres cultures car c'est par rapport à elles et pas en elles que la nôtre trouve son identité. C'est justement ce point qui semble nous échapper encore : nous parlons comme si la nôtre trouvait son identité dans les autres, ce qui, pour ce festin à la table de l'universel, est terriblement faussé de nos jours à cause de la tendance à la globalisation. Ceci est le contraire de la visision de Léopold Sédar Senghor.

        En philosopie, le mot culture « désigne ce qui est différent de la nature, c'est-à-dire ce qui est de l'ordre de l'acquis et non de l'inné. La culture a longtemps été considérée comme un trait caractéristique de l'humanité, qui la distinguait des animaux. Mais des travaux récents en éthologie et en primatologie ont montré l'existence de cultures animales.

        « En sociologie, la culture est définie comme ce qui est commun à un groupe d'individus et comme ce qui le soude. Ainsi, pour une institution internationale comme l'UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances . Ce réservoir commun évolue dans le temps par et dans les formes des échanges. Il se constitue en manières distinctes d'être, de penser, d'agir et de communiquer.

        « Par abus de langage, on utilise souvent le mot culture pour désigner presque exclusivement l'offre de pratiques et de services culturels dans les sociétés modernes, et en particulier dans le domaine des arts et des lettres » .

        La musique, au moins, n’a pas été dans le lot des reniements. Ils nous l’ont concédée. Senghor a terriblement soutenu la culture, l’a tellement soutenue que certains l’accusent parce que n'en ayant pas saisi toute la portée. Pourtant jusques dans les clips actuels, si l’on prêtait l’oreille attentive de l’esprit, on verrait que Senghor nous accompagne, qu’il est présent. Mais le côté le plus subtile nous échappe, ce côté de la finition qui aurait permis de participer à la précision de la technique, nous disons à la technicité. C’est la culture profonde qui peut empêcher de sombrer vers un monde où « il n'est rien que le temps ne déshonore ».

        Mais hélas, c’est tout le contraire. Le progrès, voire l’évolution qui est dans la nature de toute chose, l’ordre et la méthode de prônait Senghor, font justement défaut jusques dans nos chansons, encore pire, dans nos clips vidéo. Nés avec le rythme dans le sang - c’est que l’on dit - notre musique locale modernisée s’appauvrit de jour en jour par manque de recherche et d’application. C’est que nous ne sommes pas, au départ, partis avec toute la force des amarres de notre culture. Pensant avoir levé l’ancre, nous sommes partis avec les lambeaux de filets éparpillés sur le wharf, une faible partie de notre culture, les prenant comme lesdites amarres. Nos clips sont blafards et empreints de mauvais goût, clips dans lesquels les danseurs font les mêmes gestes vulgaires en suivant un mimétisme exécrable dans un salon, autour d’une piscine, au fond du couloir obscur d’un studio, sur la plage, décors qui, dans leur majorité, n’ont aucun sens par rapport au thème de la chanson si ce n'est dans de grosses bagnoles ou quelques pièces où le cameraman s'attarde sur des chaussures, bracelets et montres exhibitionnistes. Et la chanson elle-même ? A part deux ou trois, aucun de nos artistes ne semble maîtriser l’approche rédactionnelle de la lyrique, encore moins sa langue, ignorant totalement ques ses voyelles longues et courtes sont distinctives. Mais il y a pire : le thème existe rarement pour ne dire jamais, puisque pas soutenu du début à la fin – des hors-sujets impardonnables dans lesquels les phrases commencent par l’amour de la maman pour braquer une torche blafarde vers minarets et marabouts.

        La musique sénégalaise est actuellement sans âme. Elle s’effrite, s’arc-boute comme un corps déformé. Les voix laissent entendre le son aigu de cordes vocales bloquées et, par conséquence, ne donnant naissance à aucune vibration aux nuances colorées. Comme déjà dit, nos langues, qui connaissent des voyelles longues et courtes, sont bâclées dans une ignorance qui fait pâlir et nos organes d’alphabétisation, sources de budgets, restent pourtant muets, se présentant comme un simple coloris dans l’amas des institutions. Ailleurs, nous savons que la finition a poussé Paul Simon a chanté dans un zoulou phonétiquement impeccable dans sa performance au « South African Concert » tenu au Zimbabwe et à Shakira un « Waka waka » de pureté embaumée d’une danse de flamme légère comme les jumelles de Ndiaré le long des tanns de Djirol. Chez nous, il n’y a aucune recherche. Quand un wolof chante sérère, c’est une catastrophe, s’il ne prend la tangente de l’anglo-saxon et, pour nous servir encore pire, un président qui, pour frimer, se fait le ridicule de ne pas utiliser des interprètes et nous crucifie sur un calvaire linguistique, ignorant que le but primordial du discours est d’être compris. L’on se moque de l’amour du français de Senghor, - sa profession -, l’on se moque du fait qu’il adorait la poésie - son don divin -. Mais les vertus suprêmes de Senghor auraient du nous faire maîtriser nos propres langues et nous empêcher de débiter des « mooy kë ne » et des « jaajefal » des « yërëmal » et des « ñu ngi lay bege » qui font pâlir.

        Le Mali nous dessert, à ce niveau, une pureté à travers des voix profondes comme l’histoire mandingue de Salif Keïta et la recherche poursuivie par Ali Farka Touré et Toumani Diabaté est sans ambigüité, comme l’Afrique du Sud à travers la force de tigresse de Brenda Fassie qui font tous une unanimité internationale. Alors où est l’apport du Nègre ? S’il n’est pas encore palpable sur les hautes sphères, ce n’est pourtant pas de la place et la nécessité qui manquent. Le poète a lancé son appel pour sauver l’humanité. Il a posé et pesé le poids, lancé le défi. Pourquoi nous sommes-nous lancés pour nous agripper à son côté le plus léger, fracassantes baguettes sur la peau morte des tam-tams vifs dans une musicalité endiablée qui, de jour en jour, se dénature. Mais et l’autre bout ? Le fardeau ne se soulèvera jamais sans ce côté, qui est de « rendre la mémoire de vie à l’homme aux espoirs éventrés ». Qui, nous interpelle le poète, «apprendrait le rythme au monde défunt des machines et des canons ? Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l’aurore ?»

        Il ne faut pas s’y m’éprendre : le rythme n’est pas uniquement celui de nos danses, maintenant vulgaires ambassadrices – il y en a d’autres dans le répertoire et beaucoup plus dignes. Ce n’est pas uniquement celui des « Youza » et des « Thiakhagoune ». Il s’agit du rythme du monde, la pulsation de son âme, sa marche humaine qui doit résister à l’érosion, au réveil de la Bête, parce que nous sommes d’emblée affublés de l’œil cardinal du Serpent qui permet de ne pas sombrer « …dans la nuit de [notre] sang, car guette le silence des forêts ». C’est que, comme le poète, « [notre] force s’érige dans l’abandon,[notre] honneur dans la soumission et [notre] science dans l’instinct de ton rythme ».

        Une fois les bases intrinsèques de la Négritude posées, l’apport serait vain si, après avoir exhibé des valeurs recadrant l’identité et éclairci le contrepoids par rapport à l’Autre, aux Autres, l’on s’en arrêtait là. Il reste la face invisible de l’iceberg. Cet apport ne peut s’analyser qu’en s’appuyant sur les choses qui rendent le Nègre si solitaire, si perdu dans le système : pas du conquérant, du colonisateur, mais de celui qui vend, exhibe et force ses modèles.

        La vision de Senghor n’est ni simple, ni simpliste : « Il est temps d’arrêter le processus de désagrégation du monde moderne, et d’abord de la poésie. Il faut restituer celle-ci à ses origines, au temps qu’elle était chantée – et dansée. Comme en Grèce, en Israël, surtout dans l’Egypte des Pharaons. Comme aujourd’hui en Afrique noire. Toute maison divisée contre elle-même, tout art ne peut que périr. La poésie ne doit pas périr. Car alors, où serait l’espoir du monde ? »


  4. L’APPORT POLITIQUE

    En matière politique, des idées majeures mais surtout des relectures des grandes idées ont été formulées par des dirigeants africains. Par exemple, Ujamaa, mot swahili voulant dire ‘famille élargie’ ou ‘fraternité’, est un concept de Sir Julius Nyerere qui « qui forma la base de la politique de développement social et économique en Tanzanie peu après son indépendance du Royaume-Uni en 1961. En 1967, le Président Nyerere a publié son plan de développement intitulé la Déclaration d'Arusha, dans lequel il a souligné la nécessité d'un modèle africain de développement et qui a constitué la base du socialisme africain tanzanien. Ce modèle est caractérisé par quelques éléments clés, le fait par exemple qu'un individu ne se construise qu'à travers la société ou la communauté à laquelle il appartient ».

    Senghor, à travers les cinq tomes qui composent la série Liberté, fera de même, surtout dans «Liberté 2 : Nation et voie africaine du socialisme, discours, conférences, Le Seuil, 1971 » et « Liberté 4 : Socialisme et planification, discours, conférences, Le Seuil, 1983 ».

    Ici, le thème est très important, car cela concerne notre ère actuelle. Arrêtons-nous donc un moment et répondons, en âme et conscience aux questions suivantes : Tous, si nous prenions notre courage à deux mains et osions froidement regarder les choses, la réalité en face, nous saurions que notre monde est malade, gravement malade et cela depuis longtemps : « Voici que meurt l’Afrique des empires – c’est l’agonie d’une princesse pitoyable et aussi l’Europe à qui nous sommes liés par le nombril ».

    Mais pour parler de ce problème, il faudrait un dépassement surhumain. Il faut que l’Homme redescende dans l’arène pour affronter la Bête qui a repris des forces incommensurables depuis le coup de pieu et la danse de la glossalie du chant rutilant dansé. L’approche serait de refuser la dictature, prêcher l’ouverture. Mais l’ouverture ne doit pas être uniquement celle des autres. C’est une ouverture de tout le monde, surtout de ceux-là qui ont tellement chanté, tellement répété la chanson qu’ils se sentent infaillibles, et incapables, même enrhumés, de faire une fausse note. C’est là que réside le danger.

    L’on a parlé du printemps arabe, l’on est en train de démanteler un à un, parfois à juste titre, parfois peut-être à tort, toute structure qui semble ne pas suivre la vague déferlante, tsunami à l’encontre du monde. Mais nous nous demandons comment nous oserions défendre une distribution aveugle de droits, alors que justement l’expérience que nous sommes en train de vivre est la chaîne d’enfants, de citoyens pouvant descendre dans une salle de cinéma, de classe et, en face des camarades de jeux, faire sortir une mitrailleuse et les arroser de balles ? Comment oserions-nous nous dresser en symbole, lorsque la dénaturation compasse notre nation ? La démocratie est dégainée à tout bout de phrase, et cela à travers le monde, comme une hallucination de masse.

    Depuis la chute du mur de Berlin, tant de choses ont changé. C’est vrai, c’était bien le mur de la honte, mais il semble aussi avoir été le garde fou qui maintenait le monde dans une folie moindre. Il faut se ressaisir, peut-être prendre les grosses têtes et tous les patriarches du monde, les mettre en conclave pendant un mois pour qu’ils se penchent sur le monde et ressortent avec une piste nouvelle. La démocratie prônée comporte des facettes dont nulle ne fait mention, sauf le Livre d’Urantia qui ose nous dire : « Bien que la démocratie soit un idéal, elle est un produit de la civilisation et non de l’évolution. Allez lentement ! Choisissez soigneusement ! Car voici les dangers de la démocratie :

    1. La glorification de la médiocrité.
    2. Le choix des chefs ignorants et vils.
    3. L’incapacité de reconnaître les faits fondamentaux de l’évolution sociale.
    4. Le danger du suffrage universel aux mains de majorités frustes et indolentes.
    5. L’obéissance servile à l’opinion publique; la majorité n’a pas toujours raison.

    « L’opinion publique, l’opinion commune, a toujours retardé la société. Elle est néanmoins précieuse, car, tout en freinant l’évolution sociale, elle préserve la civilisation. L’éducation de l’opinion publique est la seule méthode saine et sûre pour accélérer la civilisation. La force n’est qu’un expédient temporaire, et la croissance culturelle sera d’autant plus accélérée que les balles de fusil céderont la place aux bulletins de vote. L’opinion publique (les mœurs) est l’énergie fondamentale et originelle dans l’évolution sociale et le développement de l’État ; mais, pour avoir une valeur pour l’État, il faut que son expression soit dépourvue de violence. La mesure du progrès d’une société est directement déterminée par le degré auquel l’opinion publique parvient à contrôler la conduite personnelle et les règlements d’État sans recourir à la violence. L’apparition du premier gouvernement réellement civilisé coïncida avec le moment où l’opinion publique fut investie des pouvoirs du droit de vote personnel. Les élections populaires ne décident pas toujours de la chose correcte à faire, mais elles représentent la manière juste de commettre même une erreur. L’évolution ne produit pas instantanément une perfection superlative, mais plutôt un ajustement comparatif avec des progrès pratiques. L’évolution d’une forme pratique et efficace de gouvernement représentatif comporte les dix étapes ou stades suivants :

    1. La liberté des personnes. L’esclavage, le servage et toutes les formes de servitude humaine doivent disparaître.
    2. La liberté mentale. À moins qu’une population libre ne soit éduquée — qu’on lui ait appris à penser intelligemment et à faire des projets sagement — la liberté fait généralement plus de mal que de bien.
    3. Le règne de la loi. On ne peut jouir de la liberté que si la volonté et les caprices des chefs humains sont remplacés par des actes législatifs conformes à la loi fondamentale acceptée.
    4. La liberté de parole. Un gouvernement représentatif est impensable sans la possibilité pour les aspirations et opinions humaines de s’exprimer librement sous toutes les formes.
    5. La sécurité de la propriété. Nul gouvernement ne peut durer longtemps s’il ne réussit pas à assurer le droit de jouir de la propriété privée sous une forme quelconque. Les hommes ont le désir ardent d’utiliser leurs biens personnels, d’en avoir le contrôle, de les donner, de les vendre, de les louer et de les léguer.
    6. Le droit de pétition. Un gouvernement représentatif implique le droit pour les citoyens d’être entendus. Le privilège de la pétition est inhérent à la libre citoyenneté.
    7. Le droit de gouverner. Il ne suffit pas d’être entendu. Il faut que le pouvoir de pétition progresse jusqu’à la direction effective du gouvernement.
    8. Le suffrage universel. Le gouvernement représentatif présuppose un électorat intelligent, efficace et universel. Le caractère de ce gouvernement sera toujours déterminé par le caractère et l’envergure de ceux qui le composent. À mesure que la civilisation progressera, le suffrage, tout en restant universel pour les deux sexes, sera efficacement modifié, regroupé et différencié encore autrement.
    9. Le contrôle des fonctionnaires. Nul gouvernement civil ne jouera de rôle utile et efficace à moins que ses citoyens ne possèdent et n’emploient de sages techniques pour guider et contrôler les détenteurs de charges publiques et les fonctionnaires.
    10. Des représentants intelligents et formés. La survie de la démocratie dépend de la réussite des gouvernements représentatifs, et cette réussite est conditionnée par la pratique de ne nommer aux charges publiques que les individus techniquement formés, intellectuellement compétents, socialement loyaux et moralement dignes. Ces dispositions sont indispensables pour préserver le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

    Selon Platon, il y a une logique interne qui gouverne la marche des régimes. On passe de l’un à l’autre selon cette logique, c’est-à-dire que c’est inévitable. Bien entendu, cette loi n’est pas un progrès mais une dégénérescence, c'est donc une loi de corruption et de décadence : « tout ce qui naît est soumis à corruption ». Ici, l’idée essentielle est que, soumise au temps, qui est la loi du devenir, du monde sensible, l’idée de constitution parfaite ne peut que se dégrader, puis finalement s’anéantir. Ce qui est le plus intéressant pour notre propos est que la démocratie se situe à la fin du parcours. Elle est donc ce qui marque le passage à la désintégration de la constitution idéale, et de la politique elle-même, puisqu'elle donne naissance à la tyrannie.

    Mais comment est-ce possible et qu’est-ce que c’est que cette démocratie dont on nous rabâche les oreilles ? La démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple et vient du grec démos qui signifie peuple et kratos qui est le pouvoir. Il ne faut pas confondre république et démocratie : ces deux concepts ne sont pas à mettre sur le même plan. La République désigne avant tout l’objet même du pouvoir politique : le bien commun, la chose publique, res publica. Par suite, bien sûr, c’est l’Etat de droit, un gouvernement légitime c’est-à-dire que le pouvoir ne s’exerce que sur des hommes libres, les lois ne sont pas répressives mais, plus précisément, limitent les libertés afin qu’elles s’accordent entre elles et au bout du compte soient mieux assurées :

    La démocratie est d’abord incapable de faire régner la justice dans la Cité : Le juste, pour Platon, résulte de l’harmonie qui s’établit en chaque homme entre les trois parties de l’âme ou qui s’instaure en chaque Cité entre les diverses classes de citoyens. Or, dans la démocratie, cette harmonie, par principe et par définition, fait défaut puisque seule la classe populaire entend gouverner, c’est-à-dire prendre un total ascendant sur les deux autres. Il est par conséquent essentiel à la démocratie qu’elle s’installe dans le déséquilibre.

    Ensuite, le peuple est par définition indigne de la politique : Elle doit ainsi, inévitablement, se transformer en anarchie : si tous en effet légifèrent et commandent, alors, personne ne détient l’autorité et nul n’obéit. Les vertus d’ordre et de discipline se perdent alors, et sont remplacées par le désordre et l’indiscipline.

    • Démocratie et anarchie Rappel : le peuple souverain chez les grecs n’est pas tout le monde, mais l’ensemble des citoyens (en sont exclus les femmes, les enfants, les esclaves, les métèques). Pourtant la dénonciation platonicienne de la démocratie est dénonciation du peuple, qui est capable du pire, et tyran en puissance. C’est qu’il ne prend pas le terme de ‘peuple’ en son sens positif. Quand on parle de ‘peuple’, il faut savoir distinguer entre la foule et le grand nombre (plèthos) et le peuple proprement dit (dèmos). Depuis Homère, le terme ‘plèthos’ désignait la masse des gens qui, n’étant pas beaux ni bons, forment une foule aveugle et insensée qu’entoure généralement le mépris. Par contre, dans l’Athènes du Ve siècle, le terme de ‘dèmos’ fut crédité par Périclès d’un sens plus positif : il reconnut que le peuple est capable de choix raisonnable, même si souvent il tombe dans l’irresponsabilité en cédant soit à la colère et à l’emportement, soit à l’apathie et à l’indifférence. Platon, lui, ne reconnaît pas la différence. Disons que quand il parle de peuple, il parle principalement de la plèbe. Pour lui, étant donné que la démocratie repose sur le principe de la souveraineté du peuple, l’anarchie en est la conséquence inéluctable, et c'est pour cette raison qu'elle donne naissance à la tyrannie : Au bout du compte, les discordes et les dissensions grondent. La vie de la communauté n’est plus possible. Au lieu de libérer, la liberté se retourne contre ceux qui l’invoquent et les asservit au déferlement de leurs désirs. Plus personne n’accepte de règles ou d’obligations, plus personne ne veut obéir. Bref, la Cité démocratique est en guerre avec elle-même.

    • Démocratie et ignorance : Autre critique du peuple : à référer à la thématique centrale de la République : celle du ‘philosophe-roi’. De même que l’art de la médecine et que l’art de la navigation ne peuvent s’exercer que si le pilote et le médecin possèdent le savoir requis, l’art directif de l’homme politique est inconcevable sans la connaissance théorique des vérités humaines. Or, cette connaissance, pour être authentique, ne se laisse pas diviser entre plusieurs individus ; a fortiori ne se disperse-t-elle pas dans le ‘grand nombre’, qui est ‘prisonnier de la caverne’, donc, des apparences, des préjugés. Bref : la foule est incapable d’accéder à la science du philosophe. Elle est par conséquent incapable de gouverner (ou de se gouverner elle-même). Le bon gouvernement est celui du roi-philosophe, qui seul a accès à la vérité, au ciel des Idées.

    Nous précisons que Platon critique donc l’idée même de démocratie, les principes qui nous paraissent à nous avoir une valeur absolue : la liberté et l’égalité de tous. La Cité parfaite, le meilleur des régimes, est donc la totale antithèse de la démocratie. Faites donc attention : Platon ne dit nullement que, en théorie, la démocratie est le meilleur des régimes, mais que, dans les faits, elle est « le ‘plus’ mauvais ».

    Le livre d’Urantia, de son côté nous dit : « Les nations d’Urantia se sont déjà engagées dans la lutte gigantesque entre le militarisme nationaliste et l’industrialisme. Sous bien des rapports, ce conflit est analogue à la lutte séculaire entre les pâtres-chasseurs et les cultivateurs. Mais, si l’industrialisme doit triompher du militarisme, il doit éviter les dangers qui l’assaillent. Les périls de l’industrie naissante sur Urantia sont :

    1. La forte tendance au matérialisme, l’aveuglement spirituel.
    2. L’adoration de la puissance de la richesse, la dénaturation des valeurs.
    3. Les vices attenants au luxe, le manque de maturité culturelle.
    4. Les dangers croissants de l’indolence, l’insensibilité à l’esprit de service.
    5. L’accroissement d’une mollesse raciale indésirable, la dégénérescence biologique.
    6. La menace d’esclavage industriel standardisé, la stagnation de la personnalité.

    Le travail ennoblit, mais les corvées fastidieuses abêtissent. Le militarisme est autocrate et cruel — voire sauvage. Il favorise l’organisation sociale parmi les conquérants, mais il désintègre les vaincus. L’industrialisme est plus civilisé et devrait être mené de manière à encourager les initiatives et l’individualisme. La société devrait favoriser l’originalité par tous les moyens. Ne commettez pas l’erreur de glorifier la guerre ; discernez plutôt ce qu’elle a fait pour la société afin de pouvoir imaginer plus exactement le rôle de ses substituts pour continuer à faire progresser la civilisation. A défaut de substituts adéquats, vous pouvez être certains que la guerre continuera encore longtemps. Les hommes n’accepteront jamais la paix, en tant que mode normal de vie, avant d’avoir été convaincus, entièrement et à maintes reprises, que la paix est ce qu’il y a de mieux pour leur bien-être matériel, et aussi avant que la société ait sagement fourni des substituts pacifiques pour satisfaire à l’une de leurs tendances inhérentes, celle de laisser périodiquement libre cours à une poussée collective destinée à libérer les sentiments et les énergies perpétuellement accumulés provenant des réactions de l’instinct humain de conservation. Mais, même en passant, la guerre devrait être honorée en tant qu’école d’expérience qui a contraint une race d’individualistes arrogants à se soumettre à une autorité hautement concentrée —un chef exécutif. La guerre à l’ancienne mode conduisait à choisir pour chefs les hommes naturellement éminents, mais la guerre moderne ne le fait plus.

    Science et éthique force un droit de regard et d’ingérence de la société, du citoyen. La Science et la technologie ont aussi besoin du regard extérieur porté sur eux par la société à travers ses institutions juridiques et politiques, ses associations humanistes et religieuses, ses fondations, afin que soit instauré un dialogue fructueux sur les attentes de tous en matière de recherche et d’applications passées au crible d’une éthique centrée sur la dignité humaine, le respect de l’environnement, la sauvegarde de notre terre patrie ».

    Aristote de son côté nous dit : « C'est pourquoi toute cité est naturelle, puisque le sont les premières communautés qui la constituent. Car elle est leur fin, et la nature est fin : car ce que chaque chose est une fois que sa genèse est complètement achevée, nous disons que c'est la nature de cette chose, ainsi pour un homme, un cheval, une famille. De plus le « ce en vue de quoi » c'est-à-dire la fin, c'est le meilleur ; et l'autarcie est à la fois la fin et le meilleur.

    « Nous en déduisons qu'à l'évidence la cité fait partie des choses naturelles, et que l'homme est par nature un animal politique ; si bien que celui qui vit hors cité, naturellement bien sûr et non par le hasard des circonstances, est soit un être dégradé, soit un être surhumain : il est comme celui qu'Homère injurie en ces termes : sans lignage, sans loi, sans foyer. Car un tel homme est du même coup naturellement passionné de guerre. Il est comme une pièce isolée au jeu de trictrac.

    « C'est pourquoi il est évident que l'homme est un animal politique, bien plus que n'importe quelle abeille ou n'importe quel animal grégaire. Car, nous le disons souvent, la nature ne fait rien en vain. Et seul parmi les animaux l'homme est doué de parole.

    « Certes la voix sert à signifier la douleur et le plaisir, et c'est pourquoi on la rencontre chez les autres animaux (car leur nature s'est hissée jusqu'à la faculté de percevoir douleur et plaisir et de se les signifier mutuellement). Mais la parole existe en vue de manifester l'utile et le nuisible, puis aussi, par voie de conséquence, le juste et l'injuste. C'est ce qui fait qu'il n'y a qu'une chose qui soit propre aux hommes et les sépare des autres animaux : la perception du bien et du mal, du juste et de l'injuste et d’autres notions de ce genre ; et avoir de telles notions en commun, voilà ce qui fait une famille et une cité. »


  5. APPORT DU SENS MORAL - HUMANISME CENTRAL

    Prêtons attentivement l’oreille à lhumanisme dans le poème Kaya Magan :

    « Kaya-Magan je suis ! La personne première, Roi de la nuit noire de la nuit d’argent,
    Roi de la nuit de verre.
    Paissez mes antilopes à l’abri des lions, distants au charme de ma voix.
    « Le ravissement de vous émaillant les plaines du silence !
    Vous voici quotidiennes mes fleurs mes étoiles, vous voici à la joie de mon festin.
    Donc paissez mes mamelles d’abondance, et je ne mange pas qui suis source de joie.
    Paissez mes seins forts d’homme, l’herbe de lait qui luit sur ma poitrine. »

    « Que l’on allume chaque soir douze mille étoiles sur la Grand-Place,
    que l’on chauffe douze mille écuelles cerclées du serpent de la mer pour mes sujets très pieux,
    pour les faons de mon flanc, les résidents de ma maison et leurs clients,
    les Guélowârs des neufs tatas et les villages des brousses barbares,
    pour tous ceux-là qui sont entrés par les quatre portes sculptées
    – la marche solennelle de mes peuples patients !
    Leurs pas se perdent dans les sables de l’Histoire.»

    Pour les blancs du Septentrion, les nègres du Midi d’un bleu si doux.
    Et je ne dénombre pas les rouges du Ponant, et pas les transhumants du Fleuve !
    Mangez et dormez enfants de ma sève, et vivez votre vie des grandes profondeurs
    et paix sur vous qui déclinez. Vous respirez par mes narines.

    Je dis Kaya-Magan je suis ! Roi de la lune, j’unis la nuit et le jour.
    Je suis Prince du Nord du Sud, du Soleil-levant Prince et du Soleil-couchant
    la plaine ouverte à mille ruts, la matrice où se fondent les métaux précieux. Il en sort l’or rouge et l’Homme rouge – rouge ma dilection à moi le Roi de l’or
    – qui a la splendeur du soleil, la douceur féminine de la nuit.

    Donc picorez mon front bombé, oiseaux de mes cheveux serpents.
    Vous ne vous nourrissez seulement du lait bis, mais picorez la cervelle du Sage,
    Maître de l’hiéroglyphe dans sa tour de verre.
    Paissez faons de mon flanc sous ma récade et mon croissant de lune.

    Je suis le buffle qui se rit du Lion, de ses fusils chargés jusqu’à la gueule.
    Et il faudra bien qu’il se prémunisse dans l’enceinte de ses murailles.
    Mon empire est celui des proscrits de César,
    des grands bannis de la raison ou de l’instinct.

    Mon empire est celui de l’Amour, et je suis faiblesse pour toi femme,
    l’Etrangère aux yeux de clairière, aux lèvres de pomme cannelle au sexe de buisson ardent,
    car je suis les deux battants de la porte, rythme binaire de l’espace,
    et le troisième temps. Car je suis le mouvement du tam-tam, force de l’Afrique future.
    Dormez faons de mon flanc sous mon croissant de lune. »

    La relation d’un homme à ce qui l’entoure est à la base des thèses contractualistes, des éthiques, des théories sur la justice, sur l’Etat et de bien d’autres théories. Par exemple, chez Hobbes, dans Le Léviathan, dans l’état de nature, l’homme est un « loup pour l’homme », ce qui va justifier la création de l’Etat. Chez Hegel, l’homme se construit dans le combat contre l’autre.

    Les relations entre les hommes vont évoluer. Ainsi les sociétés traditionnelles sont holistes tandis que les sociétés modernes tendent à être des sociétés individualistes. Dans une société de type holiste, le tout est plus important que la partie. Dans cette société, l’individu se définit uniquement par sa place dans la société. Il est d’abord son rôle social avant d’être un individu. Dans une société aristocratique, chacun est défini par son rang et il n’est pas pensable d’en sortir. Pour Tocqueville, ce type de société offre l’avantage que le roi ne peut pas non plus aller au-delà de ses pouvoirs, ce qui est une sécurité. Dans le monde moderne, l’homme est libre de ses actions sans limite. C’est une menace contre la liberté de chacun. Chaque action de l’individu a des conséquences sur les autres d’où l’importance de cette conscience d’autrui en philosophie et en sociologie.

    Simmel explique que nous sommes passés d’une société avec des liens forts à une société de liens faibles. Dans les sociétés de liens forts, tous les individus se connaissent entre eux. Avec les liens faibles, chacun connaît certains individus mais ces individus ne se connaissent pas entre eux. Simmel décrit le passage de l’un à l’autre. Les sociétés étaient au départ communautaires mais à force d’accumuler des richesses elles vont vouloir commercer, d’où l’arrivée du commerçant. Le commerçant n’appartient pas à la communauté et va commencer à créer des liens faibles. Finalement le commerçant va rester de façon permanente et les liens faibles vont se diffuser dans la société et perdurer jusqu’à nos jours. Cette notion de liens faibles minimise l’impact des autres sur la construction de soi.

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UN RAPIDE EXEMPLE POUR LE DICtiONNAIRE

Njamala Njogoy