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mardi 9 octobre 2018

ETHIOPIQUES - NEGRITUDE : PROBLEME DE RENIEMENT


  • LE RENIEMENT

    Nos auteurs ne sont pas partis chercher ces coups de pieds dans le foin et encore moins très loin dans un vide de paranoïa : « On connaît le système raciologique de Gobineau, qui distingue trois grandes « races », placées sur une échelle graduée (Poliakov 1987 : 265 et suiv. ; Todorov 1989 : 153 et suiv. ; Taguieff 1998 : 21 et suiv.). En haut de ce classement figurent les Blancs, porteurs d’énergie et d’intelligence : ce sont les seuls qui, dès le départ, sont susceptibles d’apporter la civilisation, malgré le pessimisme historique à l’œuvre dans l’Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855). Suit la race jaune, qui a des dispositions à l’apathie, mais qui conserve une certaine forme de rationalité. Vient ensuite la variété mélanienne, qui ne sortira jamais du cercle intellectuel le plus restreint, et qui est caractérisée par l’avidité [...] de ses sensations (Gobineau 1983 : I, 339 et suiv.) : Ce qu’il [le Noir] souhaite, c’est manger, manger avec excès, avec fureur (ibid., 340).

    Le Noir semble donc réduit un corps quasiment privé de cerveau, corps lui-même limité à une pure fonction digestive, par ailleurs hypertrophiée. Le Noir est du côté de l’instinct et de la matière. Son hybris paraît tournée entièrement vers lui-même : il consomme, il absorbe gloutonnement, au lieu de produire et de créer. Etre du pure sensation, il oscille entre des pulsions contradictoires. La négrophobie gobinienne, pour choquante qu’elle soit, n’est pas isolée à son époque. Elle pouvait prendre appui sur un discours scientifique, par exemple celui du médecin Virey qui, dans son Histoire naturelle du genre humain (1824), explique que le Noir constitue une sorte d’intermédiaire entre l’orang-outang et le Blanc. Dessins à l’appui, l’auteur entend prouver que ces trois espèces différentes prouvent la supériorité à la fois esthétique, morale et intellectuelle de l’homme blanc, dont l’angle facial est presque droit, tandis que celui du Noir, nettement plus fermé (ce qui a pour conséquence de lui comprimer le cerveau et de rendre sa mâchoire proéminente), le rapproche à l’évidence de celui du singe, son compatriote (Virey 1824 : II, 43). Virey assure par ailleurs que les nègres sont de grands enfants (ibid., 43 ; je souligne). Entendons le terme dans son sens étymologique : in- fans, qui ne parle pas. Ou plus exactement : qui n’a pas les mêmes capacités linguistiques que les Blancs. Leurs langages, écrit Virey à propos des Noirs, très bornés, monosyllabiques, manquent de termes pour les abstractions (ibid., 56) – ce qui est bien normal, puisque ce sont des êtres portés sur l’usage des sens, et même tout proches de l’animalité.

    Parmi nos cinq points, c’est le reniement qui aura le plus marqué les Nègres, chargé de l’effet le plus dévastateur. C'est aussi lui qui sera la différence d'avec les autres colonisations de l'histoire. Enchaînés et vendus, ils auraient pu encore, avec un moindre mal, se redresser en face de l’antagoniste, comme deux athlètes qui s’affrontent et dont l’un tôt ou tard doit fléchir sans perdre de son humanité devant l’autre. Mais le voilà, terrassé, son humanité ôtée; le voilà considéré comme un sous-homme, son histoire inexistante. En 1830, dans son « Cours sur la philosophie de l’histoire », Hegel déclarait : « L’Afrique n’est pas une partie historique du monde. Elle n’a pas de mouvements, de développements à montrer. De mouvements historiques en elle. C’est-à-dire que sa partie septentrionale appartient au monde européen ou asiatique ; ce que nous entendons précisément par l’Afrique est l’esprit ahistorique, l’esprit non développé, encore enveloppé dans des conditions de naturel et qui doit être présenté ici seulement comme au seuil de l’Histoire du monde » et en 1928, Coupland, dans son « Manuel sur l’Histoire de l’Afrique Orientale » écrivait : « Jusqu’à D. Livingstone, on peut dire que l’Afrique proprement dite n’avait pas eu d’histoire. La majorité de ses habitants étaient restés, durant des temps immémoriaux, plongés dans la barbarie. Tel avait été, semble-t-il, le décret de la nature. Ils demeuraient stagnants, sans avancer ni reculer ». Une autre citation caractéristique : « Les races africaines proprement dites - celle de l’Egypte et d’une partie de l’Afrique Mineure mise à part - n’ont guère participé à l’Histoire, telle que l’entendent les historiens. Je ne me refuse pas à accepter que nous ayons dans les veines quelques gouttes d’un sang africain (d’Africain à peau vraisemblablement jaune) mais nous devons avouer que ce qu’il en peut subsister est bien difficile à retrouver. Donc, deux races humaines habitant l’Afrique ont seules joué un rôle efficient dans l’histoire universelle : en premier lieu et d’une façon considérable, les Egyptiens, puis les peuples du Nord de l’Afrique ».

    En 1957, c’est à son tour P. Gaxotte qui écrit sans broncher dans la « Revue de Paris » : « Ces peuples, vous voyez de qui il s’agit, n’ont rien donné à l’humanité ; et il faut bien que quelque chose en eux les en ait empêchés. Ils n’ont rien produit, ni Euclide, ni Aristote, ni Galilée, ni Lavoisier, ni Pasteur. Leurs épopées n’ont été chantées par aucun Homère ». Parmi ceux-là il faut citer celui que l'on dénomma le « le père du racisme », Joseph Arthur dit Comte de Gobineau, un théoricien du racisme. Il fut parmi les chercheurs qui, au 19e siècle, s'activèrent autour des préjugés contre les différentes races, en particulier contre les Noirs. Dans son « Essai sur l’inégalité des races humaines », il décrit différentes caractéristiques telles que couleur de la peau, couleur et texture des cheveux, forme et taille du crâne, qu’il met en concordance avec les caractères psychiques, intellectuels, moraux, etc.; ces théories conduisent à une hiérarchisation de valeur des races ou groupements humains.

    Voilà où nous en étions; voilà ce qui poussa Césaire à trépigner dans « Cahier d’un retour au pays natal » : « Partir. Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serais un homme-juif, un homme-cafre, un homme-hindou-de-Calcula, un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas. L’homme famine, l’homme-insulte, l’homme-torture. On pouvait à n’importe quel moment le saisir le rouer de coups, le tuer - parfaitement le tuer sans avoir des comptes à rendre à personne sans avoir des excuses à présenter à personne. Un homme-juif, un homme-pogrom, un chiot, un mendigot » puis pointer un doigt : « …Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on vendait sur les places et l’aune de draps anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans les actes ». Senghor complète: « et la noblesse au sang noir interdite, et la Science et l’Humanité, dressant leurs cordons de police aux frontières de la négritude ».

  • ETHIOPIQUES - NEGRITUDE : PROBLEME DE CHOC CULTUREL


    CHOC CULTUREL

    « Le terme choc culturel fut introduit pour la première fois par l’anthropologue Kalervo Oberg en 1954, et se réfère au sentiment d’anxiété provoqué par le fait de se retrouver plongé dans un contexte à la fois étranger et étrange. Aujourd’hui, le choc culturel est plutôt considéré comme une chance pour le développement personnel et comme une occasion de maturation. Bien sûr, le choc culturel se présente comme une confrontation très stressante mais qui aboutit à une plus grande conscience de soi et de sa propre culture. Une conscience plus aigue de sa propre culture signifie que l’on a une meilleure vue sur sa propre identité, la structuration de ses valeurs et son propre modèle de communication. Une meilleure conscience culturelle favorise la prise de conscience du fait que chaque culture possède sa propre cohérence et sa propre logique internes ».

    En côtoyant les écrits des Nègres, le choc culturel se fait sentir d’une manière très significative, laissant entrevoir une certaine négation condamnatoire envers la culture étrangère qui lui est imposée. Le danger est d’interpréter aveuglément les choses en termes de couleur, ce qui est généralement la tendance. Le cas de choc culturel du Nègre est fatal car celui-ci est désorienté à la fois par la différence de culture, la domination et l’occupation de son propre espace par une puissance qui va instituer et imposer des manières de faire étrangères et étranges. Cet état de faits ne donne aucune possibilité de recul à cause de ladite domination. C’est ce qui va arriver au jeune Senghor à Ngasobil, le forçant à s’évader avec son complice Verdun aux risques de graves punitions : « Mais après les pistaches grillées et salées, après l’ivresse des Vêpres et de midi, je me réfugiais vers toi, Fontaine-des-Eléphants à la bonne eau balbutiante, vers vous mes Anciens, aux yeux graves qui approfondissent toute choses ». Dans « Lettre à un prisonnier » il dit : « Vous ignorez le pain blanc et le lait et le sel et les mets substantiels qui ne nourrissent pas, qui divisent les civils et la foule des boulevards, les somnambules qui on renié leur identité d’homme, caméléons sourds de la métamorphose, et leur honte vous fixe dans votre cage de solitude. Vous ignorez les restaurants et les piscines et la noblesse au sang noir interdite et la Science et l’Humanité, dressant leurs cordons de police aux frontières de la négritude ».

    C’est ce choc culturel qui va révolter aussi le petit enfant nègre de Guy Tyrolien et le pousser à adresser une prière singulière à son Seigneur :

    «Seigneur je ne veux plus aller à leur école
    Faites je vous en prie que je n'y aille plus
    Ils racontent qu'il faut qu'un petit nègre y aille
    Pour qu'il devienne pareil
    Aux messieurs de la ville
    Aux messieurs comme il faut;
    Mais moi je ne veux pas
    Devenir comme ils disent
    Un monsieur de la ville
    Un monsieur comme il faut »

    C’est ce qui fait ricaner le Prince héritier dans « Message » : « Etes-vous plus heureux ? Quelque trompette à wa-wa-wâ et vous pleurez aux soirs là-bas de grands feux et de sang … Vos filles, m’a-t-on dit, se peignent le visage comme des courtisanes. Elles se casquent pour l’union libre et éclaircir la race… ».

    Le grand Césaire dans sa solitude citadine dira: « Et là, bercé par les effluves d’une pensée jamais lasse je nourrissais le vent, je délaçais les monstres et j’entendais monter de l’autre côté du désastre, un fleuve de tourterelles et de trèfles de la savane que je porte toujours dans mes profondeurs à la hauteur inverse du vingtième étage des maisons les plus insolentes et par précaution contre la force putréfiante des ambiances crépusculaires, arpentée nuit et jour d’un sacré soleil vénérien ».

    Ici nous lui trouvons une inspiration terriblement similaire à celle de Senghor qui dit à Ngom, le champion de Thiané : « Je t’écris dans la solitude de ma résidence surveillée – et chère – de ma peau noire. Heureux amis, qui ignorez les murs de glace et les appartements trop clairs qui stérilisent toute graine sur les masques d’ancêtres et les souvenirs mêmes de l’amour » puis dans « Désespoir d'un volontaire libre » : « Car les barrages des ingénieurs n’ont pas apaisé la soif des âmes dans les villages polytechniques ».

    Sans exhaustivité d’exemples, écoutons Chief Seattle s’indigner : « Le président à Washington envoie nous dire qu’il veut acheter notre terre. Mais comment peut-on acheter ou vendre le ciel, la Terre ? L’idée nous est très étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et l’éclat de l’eau, comment pouvez-vous nous les acheter ? Pour mon peuple, chaque élément de la terre est sacré. Chaque épine luisante du pin, toute plage sableuse, tout lambeau de brume dans les bois sombres, toute clairière et chaque bourdonnement d’insecte. Tout est sacré dans la mémoire et l’expérience de mon peuple ».

    Et Léon Gontran Damas nous narrer les bonnes règles que lui veut faire appliquer sa mère : « Et j’ai beau avaler sept gorgées d’eau
    trois à quatre fois par vingt-quatre heures
    me revient mon enfance
    dans un hoquet secouant
    mon instinct
    tel le flic le voyou
    Désastre
    parlez-moi du désastre
    parlez-m’en
    Ma mère voulant d’un fils très bonnes manières
    à table
    Les mains sur la table
    le pain ne se coupe pas
    le pain se rompt
    le pain ne se gaspille pas
    le pain de Dieu
    le pain de la sueur du front de votre père
    le pain du pain
    Un os se mange avec mesure et discrétion
    un estomac doit être sociable
    et tout estomac sociable
    se passe de rots
    une fourchette n’est pas un cure-dents
    défense de se moucher
    au su
    au vu de tout le monde
    et puis tenez-vous droit
    un nez bien élevé
    ne balaye pas l’assiette
    Et puis et puis…
    … Un estomac doit être sociable
    et tout estomac sociable se passe de rots… »

    Mais, justement, le rot, après avoir mangé, n’était-il pas une façon de montrer, de prouver sa reconnaissance envers la cuisinière, preuve que l’on a bien apprécié son repas ? A travers cette raspoutitsa culturelle, c’est en réalité un monde, celui du poète, qui petit à petit se met au galop pour s’effondre et se diluer dans une mondialisation lente, nonchalante mais sûre, mondialisation qui est justement le contraire de la Civilisation de l’universel. Dans la mondialisation une culture assassine toutes les autres, dans la Civilisation de l’universel chaque culture est souveraine, comme les nations composant les Nations Unies où elles devraient se retrouver, égales en souveraineté.

    New York, symbole du « nouvel empire » à bâtir, le rêve à accomplir pour tout chef d’Etat moderne, est, aux yeux du « Nouveau Kaya Magan » d’une couleur livide, un cauchemar : « Pas un rire en fleur, sa main dans ma main fraîche, pas un sein de maternel, des jambes de nylon. Des jambes et des seins sans sueur ni odeur. Pas un mot tendre en l’absence de lèvres, rien que des cœurs artificiels payés en monnaie forte et pas un livre où lire la sagesse. La palette du peintre fleurit des cristaux de corail. Nuits d’insomnie ô nuits de Manhattan ! Si agitées de feu follets, tandis que les klaxons hurlent des heures vides et que les eaux obscures charrient des amours hygiéniques, tels des fleuves en crue des cadavres d’enfants. »

    Encore une fois, c’est ce qui fait reculer le poète dans « l’Absente ». Le Nouveau Kaya Magan conseille à New York de se repentir, de se souvenir de son oubli du devoir de savoir écouter son cœur, de remonter vers l’Eden d’Adam et Eve, vers le cadre édénique du Congo au sein des cascades, au royaume du Kaya Magan : « Voici venir les temps très anciens, l’unité retrouvée la réconciliation du Lion du Taureau et de l’Arbre, l’idée liée à l’acte, l’oreille au cœur le signe au sens. Voilà tes fleuves bruissant de caïmans musqués et de lamantins aux yeux de mirages. Et nul besoin d’inventer les Sirènes ».

    Voilà le drame auquel nous sommes confrontés, nous citoyens de pays qui doivent se développer en emboîtant le pas de systèmes déjà à genoux. Et cela va de soi, à prime abord car au lendemain des indépendances une administration est déjà sur place ; nous avions déjà goûté à la pomme présentée par Eve, c’est-à-dire l’Europe ; un système gérait le monde, contre lequel il n’y avait pas grande chose à faire, le choix étant de rester sous la jupe de l’ancienne métropole ou de changer de camp et ainsi se créer deux fronts tout aussi dévastateurs : l’ancienne métropole vous regarde en traître, et la nouvelle ne maîtrise pas vos eus et coutumes, tout cela poussant dans une arène où le changement n'interviendra jamais que sous pure forme. C’est un fardeau très lourd à porter, comme le soldat Senghor devant les sauvages fleuves slaves, qui doit continuer et accomplir son impossible mission : « Dans l’espoir de ce jour – voici que la Somme et la Seine et le Rhin et les sauvages fleuves slaves sont rouges sous l’épée de l’Archange et mon cœur va défaillant à l’odeur vineuse du sang, mais j’ai des consignes et le devoir de tenir.… ».

    ETHIOPIQUES - NEGRITUDE : PROBLEME DE DOMINATION ET OCCUPATION


    1. INTRODUCTION

      Ici, nous pensons le sujet un peu mal choisi, et cela à dessein car, dans la réalité, ce n’est pas la Négritude qui a un problème, mais plutôt le Nègre, dont le problème engendrera la Négritude, raison pour laquelle, à notre avis, il est indispensable d’aller plus loin afin de reposer ce problème en d'autres termes, scinder son fondement en cinq éléments majeurs dans l'espoir d'une prise de conscience sincère et dénudée de toute approche complexée et purement émotionnelle et appréhender le nécessaire redispositionnement du nègre dans ce monde pour jeter le fondement d’un salut définitif.

      Nous pensons que même après avoir pris leur indépendance, les Nègres rechignent encore. Ce rechignement, si vous le permettez, est divisé en soi :

      1. ) Les cicatrices du passé : Nous avons présenté dans l'articcle précédent les diverses colonisations qu'on connues pratiquement tous les peuples au fil de l'histoire, du Médiéval à la la domoination de la grande Rome. Récemment, la situation du Japon au lendemain de la Deuxième guerre mondiale n'était pas très enviable, et l'Allemagne fut détruite et divisée. C'est seulement l'Afrique qui campe dans des recherches de racines comme n'osant pas faire face au Futur. Ceci qu'il plaise ou non, était l'essentiel du Discours de Dakar de Monsieur Sarkozy qui s'adressait à la jeunesse du continent, les invitant à tourner la page, puisque le passé ne s'efface pas. Et pour la raison évoquée ci-dessus, nous n'avons même pas écouté. Et l'on n'a pas écouté, l'on ne peut comprendre. C'est ainsi que l'on s'est automatiquement jeté sur une petite phrase contradictoire en soi par rapport à une première allégation du Visiteur pour le déchirer comme des pourceaux. Cette allergie, ce complexe qui pousse à une recherche d'identité qui nous fait aussi perdre du temps malgré sa noblesse, est la même chose qui fait que nous ne prenons rien venant de l'Occident : un conseil est paternaliste; une critique est raciste.
        La réalité est de constater que le Japon et l'Allemagne citées plutôt n'ont pas ce complexe : elles se sont redressées devant toutes les nations et, les pains à la pâte et à truelle pour reconstruire et se reconstruire. Bien sûr, il faut dire qu'ils ont gardé leur langues, qu'ils travaillent avec leur langues, ce qui est un atout primordial. Mais force est de reconnaître qu'en reprenant les choses entre nos mains, nous n'avons plus aucune excuse en quelque domaine que ce soit. Nous sommes responsables. Un point. Alors assumons nos échecs, assumons notre médiocrité si médicrité il y a, bref, assumons notre condition.

      2. ) Des excuses en s'accoudant sur la colonisation: Le problème est qu'en réalité nous ne faisons rien : si nous échouons, c'est à cause de la colonisation; si nous nous entretuons, c'est à cause de la colonisation ou du néocolonialisme. En effect c'est justement le « Ndoog a jega nqañoor xa pes » : on a excuse à tout : rien ne peut être de notre faute puisque nous avons été colonisés.

      3. ) Un certain dualisme qui nous couvre de ridicule : Ici les exemples ne manquent pas :
        • la situation au Mali durant laquelle l'Union Africaine saute de séminaire en conférences en rencontres en réunions et... la France descend avec 750 soldats et commence à râtisser le terreain.

        • Burkina Faso: des djihadistes; pendant quatre heures pas d'intervention parce qu'on n'avait pas les moyens; la force Barcane descend sur le terrain pour régler la situation

        • Au Sénégal: On déboulonne la statute de Faidherbe mais personne ne pipe mot sur le Pont Faidherbe (Ce n'est pas un appel à déboulonner le pont. C'est un cri d'alrme pour dire qu'il faut qu'on arrête notre ridicule

        • Titre fréquent des journaux : et des pays afriacains de tous bords : l'opposition va faire une démonstration à Paris pour dénoncer les déboires du pouvoir...

        • Etc, etc, etc, etc, etc, etc.... ON aime le lait mais on ne veut pas voir le veau.:
        Les éléments dont il faut être consceint et auxquels il faut faire face pour espérer se relever une fois pour toutes en prenant nos responsabilités par-delà une recherche d'identité négationniste concernent les grands noeuds qui nous font perdre de vue cette identité et comment la relever :

        1. La domination et l’occupation
        2. Le choc culturel
        3. Le reniement
        4. Le refus
        5. L’apport


    2. LA DOMINATION ET L'OCCUPATION

      La domination et l’occupation - les deux étant difficilement séparables - mais surtout la dernière forçant l’apposition de la vision d'un autre monde où les choses propres au Nègre sont systématiquement remplacées ou annihilées, va pousser à un certain recul au niveau des deux sociétés : c'est le choc culturel. Celui-ci est d’autant plus ressenti car les deux cultures ne sont pas là pour se côtoyer : l’une, nommément celle du Dominé, doit s’agenouiller devant celle du Conquérent dont les manières de faire sont étranges et étrangères, et se laisser engloutir sur son propre territoire, d'où le double drame.

      Cela aurait pu être autrement, mais dès lors que le Nègre trouvé sur place est traité comme un animal cela devient impossible. A partir de là, nos coutumes, notre culture et notre religion, voire notre philosophie, ne pouvaient qu’être barbares aux yeux de l’occupant, voire inexistantes. Cela va ultérieurement pousser à un refus ou résistance, ce point étant d'une importance capitale, puisque devant, si bien organisé, bien pensé, pourvoir l’issue pour corriger tous les torts en se repositionnant et en embrassant un monde métissé qui seul peut permettre l'exercice de l'art du donner et du recevoir. Pour le moment l'Afrique est vue comme et semble se résigner devant l'art du recevoir. Mais cette vision ne pouvait aussi être que celle du dominé. S'appuyant sur son monde de la technique et des applications, n'utilisant que des yeux inquisiteurs, le contenu de l’apport qui aurait du accompagner le refus du Nègre ne peut que paraître très maigre, voire inexistant. C'est ainsi que cette lutte dont le but, issu d’une révolte, était de recadrer, remettre le Nègre dans une place noble de l’histoire moderne; cette grande lutte poussant l’homme noir à se dresser pour proclamer son humanité, demande beaucoup de tact qui semble parfois bafoué puisqu'en se battant, il semble ne pas avoir su dissocier racisme et choc culturel.

      Il est vrai que ce n’est pas chose facile : dominé, sa culture foulée aux pieds puis balayée et jetée aux poubelles et une autre mise sur place avec des déformations si tristes et une vitesse qui ne lui ont jamais permis une digestion saine, il lui parut difficile de s’asseoir et de tranquillement délier les diverses facettes nées de la situation qui prévaut, raison pour laquelle nous tentons de séparer les choses en ces cinq points pour mieux cerner le problème.

      La domination et l'occupation sont issues de la colonisation, celle-ci se définissant comme : « un processus d'expansion territoriale et/ou démographique qui se caractérise par des flux migratoires se déroulant sous la forme d'une migration, d'une occupation plus ou moins rapide voire d'une invasion brutale d'un territoire. Dans ses formes les plus extrêmes, la colonisation peut s'accompagner d'une marginalisation, d'une réduction – et dans les cas les plus féroces – de massacres ou de génocide des populations autochtones. La colonisation peut avoir pour but l'exploitation d'avantages réels ou supposés (matière première, main-d'œuvre, position stratégique, espace vital, etc.) d'un territoire au profit de sa métropole à travers l'État qui taxe soit ses colons, soit les sociétés exploitant les ressources minières ou autres. Les arguments avancés par les colonisateurs pour motiver la colonisation sont souvent le « développement de la civilisation » ou la « mission civilisatrice ». Ceci conduit à la création d'infrastructures, qui restent en place après la fin de la colonisation, l'exploitation d'un espace géographique, la mise sous tutelle et, suivant le cas, la domination économique, politique, culturelle, voire religieuse. La colonisation sert alors indirectement des intérêts, étatiques ou privés, mercantiles et peu portés sur les valeurs ».

      Dès que l'on parle de colonisation, les esprits se rivent sur l'Afrique et pourtant le monde en a connu beaucoup d'autres et à diverses périodes de l'histoire. Sa colonisation, bien que n'était pas l'unique de l'histoire avec beaucoup de misères, d'injustices et de crimes, est pourtant la plus traumatisante car on a tenté de ne voir dans ses habitants - dominés aurait été le mot qui nous semble le plus juste par rapport à l'attitude des colonisateurs - ne semblaient même pas dignes de respect puis non-humains a part entière, comme gorilles et chimpanzés le sont pour nous actuellement.


    3. ANTIQUITE MEDITERRANEENNE

      En histoire européenne, l'Antiquité désigne la période des civilisations de l'écriture autour de la mer Méditerranée, après la Préhistoire, et avant le Moyen Âge. La majorité des historiens estiment que l'Antiquité y commence au IVe millénaire av. J.-C. (3500 - 3000 av. J.-C.) avec l'invention de l'écriture en Mésopotamie et en Égypte, et voit sa fin durant les grandes invasions eurasiennes autour du ve siècle (300 à 600). La date symbolique est relative à une civilisation ou à une nation. La déposition du dernier empereur romain d'Occident en 476 est un repère conventionnel pour l'Europe occidentale, mais d'autres bornes peuvent être significatives de la fin du monde antique. Dans une approche eurocentriste, l'Antiquité est souvent réduite à l'Antiquité gréco-romaine dite Antiquité classique.


      1. LA COLONISATION GRECQUE

        Des peuples de navigateurs comme les Grecs, pratiquèrent une forme de colonisation souvent motivée par des dissensions internes ou le risque de famine (stenochoria : étroitesse des terres) autant que par le désir de créer un relais commercial ou un empire. Certains groupes, qui ont pu s'intégrer à des cités préexistantes, n'ont pas laissé de traces ; en revanche, de nouvelles cités importantes ont furent fondées comme celles de Tarente de Marseille ou de Syracuse. Ces colonies prospères ont pu à leur tour fonder de nouvelles colonies. Quand il ne s'agit pas non plus de situation fortuite où après avoir échoué dans leur navigation parfois hésitante, les navigateurs se trouvent contraints, en ayant perdu leur véhicule, à s'installer comme nous le rappelle la trame narrative des Nauprestides dans les divers mythes gréco-romains.


      2. LA COLONISATION PHENICIENNE

        Les Phéniciens fondèrent Carthage et d'autres comptoirs sur les côtes méditerranéennes. D'après l'abbé Brasseur de Bourbourg , Carthage enverra à son tour des colons de l'autre côté de l'océan Atlantique où une colonie aurait été fondée et qui se serait bientôt métissée avec les populations indiennes locales. Toutefois, aucune découverte archéologique n'est venue étayer cette théorie principalement fondée sur des légendes et témoignages historiques des populations indiennes de la côte du Mexique ainsi que par l'étude comparée de mythes phéniciens et quichés par Brasseur de Bourbourg.


      3. LA COLINISATION ROMAINE

        La Rome antique a pratiqué également la colonisation, mais avec une méthode significativement différente : de nombreuses villes européennes comme Cologne ont pris leur essor à partir d'un camp militaire érigé en « colonie romaine », après l'établissement définitif des légionnaires dans la ville. Ces derniers conservaient toutefois leur statut de « Romains ». Ces villes n'ont jamais acquis le même type d'indépendance politique à l'égard de Rome que les colonies grecques ou phéniciennes : la façon dont Rome gérait les statuts des personnes et en particulier la citoyenneté romaine qui présentait tant d'avantages, la présence militaire romaine, et les flux économiques, n'incitaient pas à l'indépendance. L'Empire romain étendit progressivement la citoyenneté romaine à certaines de ses provinces, jusqu'à ce que l'édit de Caracalla ait attribué, en 212, cette citoyenneté à tous les hommes et femmes libres de l'Empire. Ce processus d'assimilation a permis à un Carthaginois de Syrta Magna, Septime Sévère, de devenir empereur à Rome.


    4. L'EPOQUE MEDIEVALE

      Le Moyen Âge est une période de l'histoire de l'Europe s'étendant du ve siècle au xve siècle qui débuta avec le déclin de l'Empire romain d'Occident et se termina par la Renaissance et les Grandes découvertes. Située entre l'Antiquité et l'époque moderne, la période est subdivisée entre le Haut Moyen Âge (vie – xe siècle), le Moyen Âge central (XIe – XIIe siècle) et le Moyen Âge tardif (XIVe – XVe siècle).


      1. LES COLONIES VIKING

        Vers le Nord, les Vikings établirent des colonies en Islande, au Groenland, avec des poussées jusqu'en Amérique, par exemple le Vinland . Vers le Sud et l'Est, la colonisation des Vikings venus de Scandinavie se développe à des échelles et niveaux variables partout en Europe : Angleterre, Normandie, et jusqu'en Sicile, puis en Terre sainte pendant les Croisades. Pourtant ils n'établissent pas à proprement parler de système colonial, puisque les nouvelles colonies ne rendent pas de comptes à une cité, un royaume ou une nation-mère. Autour de l'an 800, ils se mettent à commercer et à piller, leurs principales cibles étant les églises, que ce soit en Gaule ou dans la future Russie. Ils s'enfoncent avec leurs Drakkars profondément à l'intérieur des terres par les grands fleuves et sèment la terreur dans les pays chrétiens, au point que l'Église institue une prière spéciale. Ils font plusieurs fois le siège de Paris, dont les populations s'étaient repliées dans l'Île de la Cité. Leurs expéditions sont périodiques. Entre celles-ci ils s'adonnent en famille à l'agriculture dans leurs pays de départ. Puis ils commencent à établir différents comptoirs commerciaux sur les lieux de leurs « commerces », tel Novgorod au nord du lac Ilmendans la future Russie, ou sur l'île de Man entre l'Angleterre et l'Irlande.


        1. LES COLONIES VIKING NORMANDES

          Enfin l'un de leurs chefs, Rollon, obtient la cession en duché d'un territoire en bordure de la Manche incluant l'embouchure de la Seine, en s'engageant d'une part à reconnaître le roi de France pour suzerain, et d'autre part à bloquer, de là, d’éventuelles incursions d'autres Vikings vers le cœur de la Gaule. Il y installe ses hommes et ses alliés, et ce territoire qui prend dès lors le nom de Normandie, ou pays des hommes du Nord, devient rapidement l'un des mieux organisés du royaume carolingien. Les immigrants normands y adoptent le parler des Francs, la police y est particulièrement stricte, et la coupure entre cultivateurs et chevaliers, y fut beaucoup moins stricte, car les guerriers scandinaves ne trouvent pas malséant à la différence de leurs homologues gaulois, de s'adonner eux-mêmes à la culture, entre deux expéditions. L'adoption rapide du christianisme par les Vikings fut un des facteurs facilitant l'intégration.


        2. COLONIE VIKING DE L'ISLANDE

          L'Islande est l'un des rares cas de colonisation qui, dans la période historique, s'est effectuée sur une terre sans peuplement initial, comme en témoignent les nombreuses sagas islandaises, véritable récit de la conquête et du partage de cette nouvelle terre islandaise.


        3. COLONIE VIKING AU GROENLAND ET VINLAND

          Si la situation fut semblable lors de leur installation au Groenland, alors quasiment inhabité, il en fut tout autrement en Amérique du Nord (Vinland) où les conquérants vikings furent confrontés à la présence des indiens. Néanmoins, l'échec de la colonisation fut principalement dû aux difficiles conditions d'établissement dans ces régions aux conditions climatiques extrêmes. D'après Jared Diamond, l'erreur principale des colons a été de déboiser. L'Islande, jadis couverte à son quart de forêts, mais déboisées presque entièrement pour des besoins divers est un exemple frappant de l'exploitation forestière des colons scandinaves.


        4. LA COLONIE VIKING DE RUSSIE

          La future Russie à l'époque des invasions nordiques est un pays de paysans slaves parfois dominés par des peuples semi-nomades tels les Khazars, venus des steppes de Sibérie avec les Huns, et installés au nord du Caucase et de la Mer Noire, entre l'Europe Centrale et l'Oural. Conformément au processus classique de domination, ils protègent les peuples qui leur étaient soumis, exigeant en contrepartie le versement périodique d'un tribut.

          Leur protection s'exerce contre les Varègues, nom donné aux Vikings exerçant dans cette région, qui portaient aussi le nom de « Russ », et au sud contre les Arabes qui tentaient de contourner la Mer Caspienne, pour prendre Byzance à revers. Les « Russ » étaient déjà bien présents dans la région quand l'un d'eux, Rurik, s'empara de Novgorod puis de Kiev, jusqu'alors tributaire des Khazars, et y établit la Principauté de Kiev, puissance dominante en Russie d'Europe jusqu'aux invasions mongoles au xiie siècle.


    5. COLONIES DES ROYAUMES EUROPEENS

      Les empires coloniaux sont des territoires que des états disposant d'importantes forces militaires et navales se sont appropriés au cours des temps sur la quasi-totalité du globe. Si certains ont d'abord pratiqué une politique d'isolement volontaire, tel le Japon de la Période Edo, ils ont pu plus tardivement s'y lancer à leur tour, comme le Japon en Asie dans les décennies 1930 et 1940, dont l'expansionnisme marque le début effectif de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945).

      Pour les pays ouest-européens, la constitution de leurs empires découle de la période des Grandes découvertes européennes, grâce aux progrès de la navigation (gouvernail d'étambot, boussole, cartographie, sextant) et à la généralisation des armes à feu.


      1. LES CROISADES

        Elles peuvent aujourd'hui être réinterprétées en termes de colonisation. Cependant, la Terre sainte des juifs et des Chrétiens avait d'abord été envahie par les musulmans. De plus, la croisade avait été prêchée en Occident à la suite de la prise de Nicée par les Turcs. Les croisades apparaissaient donc aux chrétiens d'Occident comme des guerres défensives et de libération, même si les Croisés de Pierre l'Ermite et de Richard Cœur de Lion ont pu souvent disqualifier leurs entreprises en se comportant avec cruauté, non seulement à l'égard des Turcs, mais également des Arabes musulmans, ainsi que de Juifs désarmés qui furent massacrés, en Allemagne comme à Jérusalem.


      2. LES CANARIES

        En 1402, la colonisation des Canaries pour le compte des Castillans commence avec Jean de Béthencourt. Ensuite, les Castillans et les Portugais se disputent les Canaries qui seront finalement attribuées à l'Espagne en 1479.


      3. LES AÇORES

        Les Açores commencent à être colonisées pour le compte des Portugais par des familles flamandes dès le milieu du XVe siècle.


      4. LA POUSSEE ALLEMANDE VERS L'EST

        Le Drang nach Osten était un mouvement colonial germanique qui se traduisait par un mouvement de colons allemands chrétiens vers des terres slaves et souvent païennes. Les chevaliers de l'Ordre Teutonique créé lors des Croisades, était un état teutonique dans les Pays baltes, évangélisant ces régions païennes avec une extrême brutalité. Ces moines-soldats avaient permis l'installation de colons allemands dans ce qui deviendra plus tard la Prusse. Un peuplement germanique s'était répandu plus pacifiquement dans plusieurs régions de l'Europe centrale, avec l'installation sporadique de paysans, de marchands et d'artisans jusqu'au XVIIIe siècle, notamment dans le cadre de l'Empire autrichien.


    6. LA COLONISATION CHINOISE

      Pour l'Empire chinois, le débat divise les historiens entre ceux, minoritaires, qui le considèrent comme un empire colonial, notamment en raison de la colonisation des « territoires soumis » par des Chinois han, et la majorité des historiens chinois qui considèrent qu'il s'agit simplement de l'expansion territoriale et démographique de la Chine en constante connexion avec le noyau initial ; quant à l'implantation des chinois outre-mer (majoritaires à Formose et Singapour), elle est considérée comme issue d'une diaspora ayant prospéré .


      1. LA CONQUETE DU YUNNAN

        Après la conquête du royaume de Dian par les mongols, les dynasties chinoises de culture Han se lancent à leur tour la conquête de cette région constituées essentiellement de populations Bai et Yi.


      2. LA FLOTTE DE ZHENG HE

        Au xve siècle, l'Empereur Yongle, le troisième de la dynastie Ming désire étendre les limites de l'empire. L'amiral eunuque Zheng He est chargé de conduire une flotte de 70 vaisseaux et d'environ 30 000 hommes vers les mers du sud, afin d'entreprendre de nouvelles relations commerciales avec des royaumes lointains. La puissance de la flotte avait sans aucun doute pour but d'impressionner ces lointains royaumes en vue d'un expansionnisme commercial. Mais le nouvel empereur Hongxi ne soutint pas ces expéditions et l'expérience tourna court.


    7. COLINISATION ET PARTAGE DE L'AFRIQUE

      Le partage de l'Afrique désigne le processus de compétition territoriale entre les puissances européennes en Afrique, partie du mouvement général de colonisation de la fin du xixe siècle (principalement entre 1880 et la Première Guerre mondiale). Les principaux pays européens concernés étaient la France et le Royaume-Uni. L'Allemagne, l'Italie, le Portugal, la Belgique et l'Espagne y ont aussi participé, mais de façon moins importante et souvent plus tardive.

      Ce processus est appelé en anglais Scramble for Africa, c'est-à-dire « ruée vers l'Afrique ». Ce terme insiste sur la concurrence entre les puissances coloniales alors que l'expression française met plus en avant les conséquences africaines. Ces dénominations montrent la variabilité des points de vue historiographiques sur la question. C'est durant ces quelques années qu'ont été formalisés dans leurs grandes lignes de nombreux territoires africains actuels. Cette division a été souvent symbolisée par la Conférence de Berlin (1884-1885), même si cette conférence n'a fait que fixer des règles et n'a pas procédé au partage. Cette division a le plus souvent repris des tracés établis antérieurement en les modifiant parfois. La seconde moitié du xixe siècle, à partir de 1877, a vu la transition d'un impérialisme informel, caractérisé par une influence militaire et une dominance économique, vers une gouvernance centralisée, une domination directe. Les relations entre les puissances européennes à propos de l'Afrique au tournant des xixe et xxe siècles peuvent être considérées comme emblématiques des événements qui ont amené à la Première Guerre mondiale. La colonisation de l'Afrique, basée sur un esprit enlevant l'humanité à ses habitants certainement à cause de la différence raciale et un taux de développement trop en retard par rapport à l'idée que s'est faite le colonisateur, ne pouvait ne pas laisser sur place le traumatisme le plus dramatique et le plus profond de toutes les colonisations de l'histoire. Ceci, Jean-Paul Sartre l'a bien compris dans Orphée noir : « ... Car le blanc a joui trois mille ans du privilège de voir sans qu'on le voie ; il était regard pur, la lumière de ses yeux tirait toute chose de l'ombre natale, la blancheur de sa peau c'était un regard encore, de la lumière condensée. L'homme blanc, blanc parce qu'il était homme, blanc comme le jour, blanc comme la vérité, blanc comme la vertu, éclairait la création comme une torche, dévoilait l'essence secrète et blanche des êtres ».

      Ce traumatisme, nous le gardons encore et il nous promène jusqu'à des degrés qui frisent la démence car il nous pousse à rejeter des enfants d'Afrique qu'une realpolitik guide ou qui simplement pense qu'il faut emboîter le pas au monde dans lequel nous vivons, que le devoir de mémoire n'est pas une excuse pour ne pas prendre ses responsabilités pour bâtir le monde de demain. Celui-ci est ce qui pousse les Nègres a facilement vous dégainer des « nous sommes en Afrique » quand cela les arrange, et qui en même temps veulent frimer le long des rues avec les derniers gadgets de la civilisation occidentale de consommation et dont les femmes engouffrent leur tête dans des perruques baptisées « cheveux naturels », comme si le Créateur leur avait chaussé de cheveux artificiels, et qui s'éclaircissent la peau. Parfois lorsque nous sommes agacés, nous les prions de regarder à l'entour, dans leur chambre ou dans leur salon, et de nous dire ce qui est africain; où est cette Afrique qui est en lambeaux jusque dans leur âme. Ce traumatisme nous fait brandir nos indépendances mais n'empêche que l'on fasse appelle à l'armée de la métropole dès qu'il y a un problème interne ou aux frontière, que l'on y organise des marches; que l'on y fasse des déclarations capitales concernant la nation indépendante ou bien que, lorsque l'on dépose une candidature à la présidence, que l'on n'ait dans sa besace que l'espoir que les autres nations viennent en aide au développement et pour soutenir nos budgets.

      La difficulté de la dissociation des points problématiques de la Négritude vient parfois du fait qu’on les trouve souvent réunis dans un même poème. Encore pire, les tendances peuvent être réunies dans le même vers. Ainsi, dans « Prière de paix » le fait de brûler les images pieuses présente la force dominatrice et en même temps le reniement des valeurs religieuses de ces images. « Le message » de Senghor présente une facette du choc culturel et quelques expressions vont nous aider à déceler cette vérité : « J’ai revu les cendres des anciens bivacs et les hôtes héréditaires… Au Gardien du Sang j’ai récité le long message : les épizooties le commerce ruiné, les chasses quadrillées la décence bourgeoise et les mépris sans graisse dont se gonflent les ventres captifs… ». Dans « Désespoir d’un volontaire libre » Sédar nous dit : « Il se penche sur de hauts tumulus de solitude. Et au-delà, la plaine soudanaise que dessèchent le Vent d’Est et les maîtres nordiques du Temps et les belles routes noires luisantes que bordent les sables, rien que les sables, les impôts les corvées les chicottes et la seule rosée des crachats pour leurs soifs inextinguibles au souvenir des verts pâturages atlantides… ». Dans « Retour de l’enfant prodigue » : « Soyez bénis, mes Pères, soyez bénis ! Vous qui avez permis mépris et moqueries, les offenses polies, les allusions discrètes et les interdictions et les ségrégations… »

      De son côté, Chaka dira : « Mon calvaire. Je voyais dans un songe tous les pays aux quatre coins de l’horizon soumis à la règle, à l’équerre et au compas. Les forêts fauchées, les collines anéanties, vallons et fleuves dans les fers. Je voyais les pays aux quatre coins de l’horizon sous la grille tracée par les doubles routes de fer. Je voyais les peuples du Sud comme une fourmilière de silence au travail. Le travail est sain, mais le travail n’est plus le geste le tam-tam ni la voix ne rythment plus les gestes des saisons. Peuples du Sud dans les chantiers, les ports les mines les manufacturiers et le soir ségrégés dans les kraals de la misère. Et les peuples entassent des montagnes d’or noir et d’or rouge – et ils crèvent de faim. Je vis un matin, sortant de la brume de l’aube, la forêt des têtes laineuses les bras fanés le ventre cave, des yeux et des lèvres immenses appelant un dieu impassible. Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances bafouées ? ».

    lundi 8 octobre 2018

    PRIERE DU MECREANT


    PRIERE DU MECREANT

    Merci Signeur pour les rencontres
    Le long de la large Plaine Vie,

    Pour ceux qui guidèrent pas par flambeaux et feux-follets
    Signes et énigmes jusqu'aux coeurs
    Et pensées qui arrosent les roses
    De ma tombe moulue au four de l'espoir.

    Merci Seigneur pour ce coeur qui sait haïr mais qui hait la haine
    Pour ce coeur qui sait s'enrager mais hait la colère
    - L'ancêtre hyène jusqu'à Khodjil n'a-t-il deversé poudre de piment pilé
    Et le lion rugissant Diouly Diogoye Yandiaye brandi la griffe
    Des lances et éparpillé ruisseaux de sang par les clairières sinoises ?

    Et cela suffit ainsi, Seigneur.
    Cela suffit pour ce monde où la terre est gorgée de sang,
    Sur cette terre dont la garde robe est trop peine cendrée,
    Poudre mortelle et dynamite, graines de radiolyse
    Sur les perles diamantines de mes plages de soie et de velours.

    Cela suffit Signeur pour cette terre
    Que viole chaque jour le phallus dressé pervers
    Où les coeurs aimants lentement s'affadissent
    Sous des rayons burlesques et sournois.

    Me voilà à genoux, priant pour tous
    Que l'aile des Séraphins unie à celle des Archanges couve
    L'humanité sous un drap soyeux de paix.
    Je prie Seigneur que la paix du coeur soit
    Le médaillon de la foi confiée

    Je prie Seigneur que ceux qui ont le destin croisé
    En l'Humanité soient guidés vers les prairies semées des primevères
    De la foi et de la Vérité Sublime
    Que le médaillon de la République brille sur toute poitrine
    Et, pelles et truelles en mains, les coeurs unis entament
    Un Peuple, Un But, Une foi
    Que les enfants de nos enfants fleurissent
    Parmi les muguets du plus beau Monde jardin.

    Je n'ai que cela, Seigneur.
    A peine si j'ose poser mes genoux sales
    Sur cette terre que tu as tant bénie.
    Vois les moineaux, les passereaux,
    Les tisserains dans l'azur lavé de paix
    Voix le pélican, le goéland,
    Et le coumbassou dans leur robe royale,
    Dans les prés diaprés diamants de verdure
    Fruits sur la balançoire du zéphyr étanchant soif et faim.
    Contemple cette terre tant bénie,
    En ses entrailles diamantines, mazout,
    Rubis et cristaux splendeur rivale de solaires rayons !

    Mais que de peine, Seigneur, torsion sur coeurs !
    La main gauche annonce ce que fera la droite
    L'esprit n'est plus lié au coeur
    Le coeur n'est plus lié à la langue
    La langue n'est plus liée à l'esprit
    L'esprit n'a plus que faire de l'oreille
    L'oreille n'interprête plus la langue
    La langue est cigüe, poignard au profond coeur des espoirs !

    Mais ne fends pas le ciel ! Non, pas maintenant !
    N'envoie pas encore la Mort Etoile
    Car plus de dix coeurs à genoux ont encore entonné
    Ce soir les Alleluiah aspergeant la Race d'une large toge rouge de libation.
    Pardonne Seigneur, car le sentier tortueux prendra bientôt fin
    Et de l'éclat de ton trône étalera ta lumière sur le Destin Ténébres.

    dimanche 7 octobre 2018

    ETHIOPIQUES - CHOIX DU THEME


    LE THEME CHOISI : ETHIOPIQUES

    Le thème a été choisi et ce choix n'est ni simple ni simpliste. C'est que si la Négritude, bien que défendant les valeurs de l'homme de noir, ne le transcendait pas pour s'adresser à l'Homme, à l'humanité toute entière, elle n'aurait certes pas eu sa raison d'être, aurait failli à sa mission. Une telle restriction est généralement la faiblesse de tous les courants ayant tendance à défendre une catégorie donnée à titre égalitaire.

    C'est ce qui fait parfois la faiblesse du féminisme, par exemple comme de toute minorité qui s'élève pour ses droits : il y a toujours une dimension trop restreinte qui en fin de compte, loin de poser les fondamentaux en matière d'humanité, s'arrête plutôt à la classe et, partant, finit par énerver l'autre clan s'il ne fait que glaner quelques graines de pitié et de sympathie. Une vision trop restrictive de ces mouvements finissent justement par s'habiller des défauts de ce qui est combattu : des Nègres prêts à donner tous les coups aux Blancs, des féministes prêts à en découdre avec tous les hommes ou à leur emboîter le pas en allant dans l'armée pour prouver qu'elles aussi peuvent tuer ; des Nègres qui pensent que leur émancipation passe par le fait de quitter le christianisme pour embrasser une autre religion non moins colonisatriceet par conséquent assimilatrice et dont les capacités de dénaturalisation sont plus sournoises puisque non palpables, etc.

    Jean-Paul Sartre a très bien discerné le danger de cette restriction qui n'est toutefois pas fin en soi : « Le nègre, comme le travailleur blanc, est victime de la structure capitaliste de notre société ; cette situation lui dévoile son étroite solidarité, par-delà les nuances de peau, acec certaines classes d'Européens opprimés comme lui ; elle l'incite à projeter une société sans privilège où la pigmentation de la peau sera tenue pour un simple accident. Mais, si l'oppression est une, elle se circonstancie selon l'histoire et les conditions géographiques : le noir en est la victime, en tant que noir, à titre d'indigène colonisé ou d'Africain déporté.

    Et puisqu'on l'opprime dans sa race et à cause d'elle, c'est d'abord de sa race qu'il lui faut prendre conscience. Ceux qui, durant des siècles, ont vainement tenté, parce qu'il était nègre, de le réduire à l'état de bête, il faut qu'il les oblige à le reconnaître pour un homme. Or il n'est pas ici d'échappatoire, ni de tricherie, ni de « passage de ligne » qu'il puisse envisager : un Juif, blanc parmi les blancs, peut nier qu'il soit juif, se déclarer un homme parmi les hommes. Le nègre ne peut nier qu'il soit nègre ni réclamer pour lui cette abstraite humanité incolore : il est noir. Ainsi est-il acculé à l'authenticité : insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot de « nègre » qu'on lui a jeté comme une pierre, il se revendique comme noir, en face du Blanc, dans la ferté. L'unité finale qui rapprochera tous les opprimés dans le même combat doit être précédée aux colonies par ce que je nommerai le moment de la séparation ou de la négativité : ce racisme antiraciste est le seul chemin qui puisse mener à l'abolition des différences de race ».


    1. ETHIOPIQUES

      Qui dit « Ethiopiques » ramène à l'esprit l'Ethiopie, qui peut représenter les deux facettes de cette Négritude tant clamée par Césaire, Damas, Senghor, et al. Il faut aussi savoir que c’est la deuxième fois que Senghor prend le terme comme thème, la première étant « Ethiopie » dans « A l’appel de la Race de Saba » qui sera composé de sept strophes à travers lesquelles il s’adresse à sa mère, faisant ressortir l’adulte blessé, brisé par les « grands brigands du Nord » et leur civilisation dénaturée, et tentant de se réfugier dans les lambeaux mémoriels de son enfance sinoise pour retrouver l’innocence du terroir des hommes où « le palmier a mille noms, mais n’est pas nommé ».


      1. ETHIOPIE SYMBOLIQUE

        Ici, Senghor replonge en prenant comme thème éthiopiques et, partant, l’Ethiopie pour servir de cadre idéal quant à la restitution de la dignité de l’Homme Noir. Ce pays, en plus de ses profondes racines qui remontent jusqu’au roi Salomon à travers la reine de Saba, et donc berceau de métissage, était aussi le pur symbole de la dignité nègre préservée, l’innocence d’une Afrique vivant ses valeurs et pas contaminée par « la boue de la civilisation » et la proéminence internationale de sa majesté Haïlé Sélassié Ier. Partout ailleurs l’on ne voyait les nègres qu’en : « hommes du coton du café, de l’huile... hommes de la mort ».

        L’Ethiopie sert de cadre idéal à un autre degré : elle est symbole parce qu’elle avait su résister et garder son indépendance malgré diverses agressions : « La Seconde Guerre italo-éthiopienne ou campagne d'Abyssinie est un conflit opposant l'Italie fasciste de Benito Mussolini à l'Empire d'Éthiopie de Hailé Sélassié I du 3 octobre 1935 au 5 mai 1936. Elle s'inscrit dans le cadre de la seconde tentative de l'Italie de s'emparer du pays après la défaite d'Adoua en 1896, qui avait fait du pays l'un des derniers pays libre d'Afrique » et repousser les troupes italiennes : « Car le cri montagnard du Ras Desta a traversé l’Afrique de part en part, comme une épée longue et sûre dans l’avilissement de ses reins. Il a dominé la rage trépignante des mitrailleuses, défié les avions des marchands... ». Mais le reste de l’Afrique, comme celle du Sud, peinait toujours : « … et voici qu’un long gémissement, plus désolé qu’un long pleur de mère aux funérailles d’un jeune homme sourd des mines là-bas, dans l’extrême Sud. »

        « Ethiopie, pays de deux milles ans d’histoire. Terre africaine à la souveraineté immaculée ayant parlé aux autres nations du monde d’égal à égal. Seul pays d’Afrique où l’occupation étrangère n’a duré que six ans (1935-1941). L’Ethiopie a aussi écrit une des brillantes pages d’histoire du continent : les troupes éthiopiennes ont battu les troupes italiennes à la bataille d’Adoua en 1896. Et cette guerre avec l’Italie tire son origine sur l’interprétation d’un accord rédigé en italien et en amharique. Pour les éthiopiens, ils avaient signé un simple traité d’amitié qui n’autorisait pas la présence de troupes étrangères sur leur sol. Pour les Italiens, l’Ethiopie, était devenue leur protectorat, ce qui les autorisait à l’envahir militairement. Voilà le casus belli qui se solda par la victoire éthiopienne, la première défaite d’une puissance impériale européenne.

        « L’Ethiopie est une légende africaine, une stèle géante de la grandeur des royaumes noirs. Cette grandeur a des répercussions impressionnantes sur la diaspora noire aux USA et en Jamaïque. En 1921, le révérend James M Webb lance : « regardez vers l’Afrique, où un roi noir sera couronné, qui mènera le peuple noir à sa délivrance ». Il parlait d’Hailé Sélassié qui deviendra malgré lui une divinité, Jah, du mouvement Ras Tafari. Ras veut dire leader, et Tafari est le prénom de naissance de Hailé Sélassié. « Le pays choisi par les pères fondateurs de l’unité africaine, pour abriter le siège de l’Union africaine est sans conteste celui qui a le plus de raisons historiques de l’abriter. Il est notre fierté, notre liberté jamais vaincue, notre diversité et notre insertion, immersion dans le monde. C’est pourquoi il est utile de revenir sur son passé, ses particularismes calendaires, scripturaux (alphabet guèze) et les richesses architecturales et archéologiques».

        Pour nous, Nègres en vendange de dignité et d’honneur, c’était beaucoup. Jusqu’à présent, plus pour nous faire accepter et revendiquer notre place parmi les peuples que par simple exercice d’esprit, pur amour de la connaissance, nous aimons toujours, comme le pauvre s’agrippe à son dernier lambeau, remonter vers des origines égyptiennes, exhiber nos empereurs partis à la Mecque et les universités de Gao ou Tombouctou, premières parmi les premières universités du monde : « Au XVème siècle, la construction par une vieille femme de la mosquée de Sankoré, qui comprenait une medersa, est à l'origine d'une université islamique de renommée internationale. Jusqu'à 25 000 étudiants fréquentèrent la ville sous le régime de Sonni Ali Ber, Sonni Ali le Grand ».

        C’est justement ce point focal qui fera la différence de vision entre Cheikh Anta et le professeur Joseph Ki-Zerbo, nommément concernant l’Egypte. On nous dit quant à la vision de celui-ci : « L’Egypte, par sa richesse économique, agricole, commerciale et culturelle est un point attracteur énorme et un creuset pour de nombreux peuples (comme les Hébreux, les Hyksos, les Ethiopiens, les Nubiens, etc.) qui viennent se mélanger au fond originel. Plus globalement, l'Histoire de l'Afrique (1972) est ainsi un vaste panorama diachronique et circonstancié, rendu vivant par des extraits de chroniques, des grands évènements et des évolutions des peuples du continent.

        En cela, la forme, le fait de présenter les évolutions sociales économiques et politiques de la même manière que d'autres encyclopédies ont présenté l'Europe et l'Asie, replace de fait, dans la pratique, l'Histoire de l'Afrique au même rang que celles des autres continents. Et cela, sans avoir besoin de clamer une Afrique originelle, objectif de pureté à retrouver que proclame Cheikh Anta Diop. La présentation diachronique à l'échelle du continent souligne ainsi de fait l'évolution contiguë des différentes grandes civilisations, soulignant ainsi les points communs et l'échange des idées mais aussi le fait que les chocs qui les ont abattues ont une origine commune : l'expansion européenne et ses conséquences (expansion marocaine, turque et omanaise) ». C’est cette même approche qui fait ressortir la couleur de peau de Bilal, cette même tendance qui ne veut présenter Coumba Ndoffène Diouf et lui donner une place dans l’histoire du Sénégal qu’en prenant comme point proéminent le seul fait qu’il ait un jour donné un témoignage. Après tout, pourquoi n’y aurait-il pas eu des Obama parmi les pharaons, à Rome, en Arabie, des reines de Saba en Mésopotamie ou à Babylone dans quelque haute sphère des diverses cours ?

        Comprenons-nous : c’est bien noble de remonter à ses origines par des fouilles archéologiques et la linguistique historique, mais cela peut être pathétique si cette remontée est tendue comme une bouée de sauvetage, une corde pour se hisser et se faire accepter au banquet de l’Universel. C'est justement cette dimension du discours de Monsieur Sarkozy que les nègres ont râté dans leur interprétation. Celui-ci, s'adressant à la jeunesse, est une invitation à se tourner vers le futur. Peut-être a-t-il fait une petite faute car, après avoir parlé d'un continent ayant connu tant de civisations brillantes, il est contradictoire de parler d'une Afrique n'étant pas assez entrée dans l'histoire. Il aurait du dire qu'elle n'a pas encore assez retrouvé sa place dans le présent pour pouvoir faire face à l'avenir. La psychose qui pousse à toujours vouloir remonter à des origines lointaines et parfois mitigée est compréhensible. Elle aurait été moins pénible si l’Afrique n’avait connu que quelques unes de ses terres colonisées. Cela aurait été plus supportable, disons-nous, si, partout à travers le globe, le Nègre n’avait pas été soumis à la règle et à l’équerre de la domination, de l’avilissement, qui forceront la naissance de la Négritude.


      2. ETHIOPIE DU METISSAGE

        Les anciens Grecs, d'Homère à Démoclite en passant par Hérodote et Ptolémée ont fait référence aux Hommes brulés par le soleil, terme qui désignait les Ethiopiens, du grec aithô qui veut dire "brûler" et ops qui signifie "visage". Mais pour le contact établi entre l'Ethiopie et d'autres civilisation ou peuples dès les anciens temps, il faudrait tout scinder en périodes.


        1. Temps bibliques

          Si on la compare à celle de l'Égypte, l'histoire ancienne de l'Éthiopie est relativement mal connue. La Bible appelle ce pays la Terre de Chus ce qui la suppose peuplée par les descendants de Chus, fils de Cham et frère de Misraïm, et suggère que les tribus qui l'habitaient pourraient avoir été originaires d'Arabie. Mais le renseignement reste mince. Au moins peut-on penser que les Hébreux et les Phéniciens y vinrent de bonne heure pour y faire le commerce.

          En dehors de cela, l'histoire de la Reine de Saba avec le roi Salomon d'Israel est connue du monde entier. Plusieurs sources, de la Bible au Coran - nommément dans la soutate 27 et un haddith -, en passant par les écrits éthiopiens, en font mention. Selon Joséphus, (Ant. 8:165–73), la reine de Saba fut reine d’Égypte et d’Éthiopie et apporta en Israël les premiers spécimens de commiphora opobalsamum, qui grandirent sur la terre sainte.

          Différents noms lui sont attribués. La tradition éthiopienne l'appelle « Makéda » (ge'ez :), celle du Yémen « Balqama ». En hébreu la translittération peut varier; Louis Segond écrit « Séba » dans sa traduction de la Bible. Dans le Nouveau Testament, l'Évangile selon Luc l'appelle « Reine de Midi », E@acutevangile de Luc 11 : 31.


        2. Temps des dynasties égyptiennes

          Dans la partie de l'Ethiopie appelée aujourd'hui Nubie, on voit fleurir, dès les temps les plus anciens, l'empire de Méroé qui entretint des liens étroits avec l'Egypte. Vers le XVe siècle av. J.-C., les Éthiopiens furent soumis par Sésostris mais au commencement du VIIIe siècle, ils conquirent l'Égypte à leur tour et la gardèrent jusqu'en 713 avant Jésus Christ. la XVe dynastie des rois d'Égypte Sabacon, Sua et Tharaca, est une dynastie éthiopienne ou plutôt, nubienne. L'ancienne Nubie finit par perdre de son importance au profit d'Aksoum, qui sera désormais le vrai royaume d'Ethiopie, ancêtre de l'empire d'Abyssinie. Son roi Zoskales est nommé par l'auteur du Périple de la mer Erythrée (IIe siècle av. J.-C ?). Les monnaies de plusieurs de ces souverains nous sont parvenues. Ils étaient en rapports suivis avec les Grecs


        3. Temps des anciens grecs

          Vague au début quant à la situation géographique, le terme s'est localisé par la suite pour désigner spécialement les populations du Sud de l'Egypte, du bassin supérieur du Nil, habitant entre le Sahara, (Libye ) et la mer Rouge (Golfe arabique). « Tandis qu'Homère appelle les Ethiopiens les plus éloignés des habitants de la Terre, résidant depuis l'extrême Orient jusqu'aux régions du couchant, Hérodote applique ce nom aux gens du haut Nil. II discerne des Ethiopiens orientaux à cheveux lisses et des Ethiopiens occidentaux à cheveux crépus. Cette division est exacte : les premiers sont les Nubiens et autres peuples bruns que l'on réunit dans le groupe Chamites, les autres désignent, pour faire court, les Noirs subsahariens.

          A partir du moment où les Grecs entretiennent des relations régulières avec l'Egypte, leurs connaissances s'étendent. Pour Homère, les Éthiopiens étaient un peuple largement mythique. Hésiode lui, parle déjà de leur roi qu'il appelle Memnon. L'on dit que Démocrite était venu sur le Nil jusqu'à Méroé et Hérodote nous donne des détails sur les Ethiopiens, particulièrement sur ceux de l'Orient. Il est vrai que ces détails sont en partie fabuleux. Il cite parmi leurs tribus les Macrobiens (ceux qui vivent longtemps), les Ichtyophages et les Troglodytes, habitants des cavernes. Il connaît la capitale du royaume d'Ethiopie ou, en l'occurence, de Nubie, Méroé. Les écrivains grecs ultérieurs sont de mieux en mieux informés. Ptolémée énumère un grand nombre de tribus éthiopiennes. Il cite, comme capitale de l'Ethiopie, Auxumis, Aksoum et Pline affirme que le Nil forme la limite entre l'Ethiopie orientale et l'Ethiopie occidentale mais en somme, ses renseignements restent un peu vagues. Les modernes ont précisé le sens du mot Ethiopie et lui ont donné, au lieu de son acception ethnographique, une acception géographique et politique plus déterminée.

          Jusqu'au début du XXe siècle, on appelle Ethiopie la région du Nil moyen et du Nil bleu, correspondant à la Nubie et aussi à l'Abyssine, et le royaume qui se constitua dans cette région et fut en rapports réguliers avec l'Égypte. Le centre de ce royaume d'Ethiopie s'est d'ailleurs déplacé, au cours des siècles, de la Nubie, à laquelle on se réfère d'abord lorsque ce mot est utilisé à propos de l'Antiquité vers l'Abyssinie, mais toujours l'élément prépondérant y fut celui des populations dites chamitiques ».

          « Selon Josephus (Ant. 8:165–73), la reine de Saba fut reine d’Égypte et d’Éthiopie et apporta en Israël les premiers spécimens de commiphora opobalsamum, qui grandirent sur la terre sainte. Le Talmud, quant à lui, Bava Batra 15b, insiste sur le fait qu’il n’y avait pas de reine, mais un roi de Saba (basé sur des interprétations variées de l’hébreu “mlkt”) qui arriva à Jérusalem. Cette version est destinée à discréditer toute histoire relatant une relation entre Salomon et la reine. Toutefois, le compte-rendu le plus détaillé de la visite de la reine de Saba au roi Salomon nous est donné au VIIIe siècle dans le Livre d’Esther : une huppe informe Salomon que le royaume de Saba est le seul royaume dont le peuple ne lui est pas sujet et que sa reine idolâtre le soleil.

          Il la renvoie alors à Kitor dans le pays de Saba. Dans la lettre qu’il a attachée à son aile, le roi ordonne à la reine de venir à lui en tant que sujet. En réponse, elle lui envoie tous les bateaux de la mer chargés de cadeaux et de six mille jeunes de taille égale, tous nés à la même heure et habillés de vêtements pourpres. Ils portent avec eux une lettre déclarant que la reine arrivera à Jérusalem dans trois jours quand le voyage en prend normalement sept. Quand cette dernière arrive et se rend au palais de Salomon, elle confond le sol en miroir avec de l’eau. Elle soulève donc le bas de sa robe et découvre ses jambes. Salomon l’informe de son erreur et la réprimande sur ses jambes velues . Elle lui posa trois énigmes (Esther 1:3) selon le Midrash, beaucoup plus pour tester sa sagesse. L’alphabet de Ben Sira affirme que de leur union serait né Nabuchodonosor II ».


        4. Temps du christianisme

          « Le Christianisme fut introduit dans leur pays au IVe siècle, mais la puissance nubienne avait déjà pratiquement disparu dès cette époque. De petits royaumes chrétiens vont se former au cours des siècles, puis celui, islamisé, des Founj, ou royaume de Sennaar, qui, constitué entre les XVIe et XIXe siècle, aura une certaine importance... L'ancienne Nubie finit par perdre de son importance au profit d'Aksoum, qui sera désormais le vrai royaume d'Ethiopie, ancêtre de l'empire d'Abyssinie. Son roi Zoskales est nommé par l'auteur du Périple de la mer Erythrée (IIe siècle av. J.-C?). Les monnaies de plusieurs de ces souverains nous sont parvenues. Ils étaient en rapports suivis avec les Grecs. Ils se convertirent au christianisme au IVe siècle. Dans le courant du VIe siècle, les chrétiens du Yémen, maltraités par la dynastie juive, firent appel à leurs coreligionnaires éthiopiens; les rois d'Aksoum envahirent l'Arabie et dominèrent pendant trois quarts de siècle au Yémen. L'islam s'est principalement implanté dans la zone côtière...

          ... Devenue une monarchie puissante, l'Abyssinie fut gouvernée par des souverains qui prirent le titre de roi des rois ou négus. Ces monarques, restés très mystérieux en Europe, furent identifiés au Moyen âge au légendaire Prêtre Jean. Au fil du temps, le pays doit subir des invasions telles que celles de Galla venus de Sud et de l'Ouest et s'essouffle aussi en guerres intestines qui aboutiront à sa fragmentation et à la création d'Etats tel que celui du Tigré, de Gondar, de Choa et surtout d'Amhara, héritier direct de l'ancien royaume d'Aksoum ».

          Comme symbole de métissage, Léopold Sédar Senghor ne pouvait trouver mieux. Et si d'aucuns veulent opposer Senghor et Cheikh Anta ce ne sera certainement jamais quant à leur vision sur l'antiquité. S'ils le font, qu'ils sachent qu'ils se gourrent terriblement. Nous dirons même que, pour ce qui est concerne ce point, les deux forment un tandem. Senghor ne dira t'il pas : « Je marcherai par la terre nord orientale, par l’Egypte des temples et des pyramides. Mais je vous laisse Pharaon qui m’a assis à sa droite et mon arrière-grand-père aux oreilles rouges. Vos savants sauront prouver qu’ils étaient hyperboréens ainsi que toutes mes grandeurs ensevelies » ? S'il y a différence ou différent entre les deux, il faudra aller les chercher au niveau politique et non par rapport à une quelconque histoire d'origine égyptienne.

          Senghor est bien conscient de cette tranche de l'histoire de quelques peuples d'Afrique, spécialement celle de sa propre ethnie sérère dont Cheikh Anta, comme Paul Pierret, dira : « le mot serer vient de l'égyptien ancien qui signifie celui qui trace les contours des temples ». Pour d'autres scientifiques, l'ethnonyme viendrait plutôt du mot égyptien Sa-Re ou Sa-ra, qui signifie 'le fils du démiurge', le Dieu Ra ou Re dans l'Égypte et la Nubie antique. D'autres historiens tels que R. G. Schuh ont réfuté la thèse de Diop. Cependant, de nombreux historiens, linguistes et archéologues, tels que Issa Laye Thiaw, Cheikh Anta Diop, Henry Gravrand, Paul Pierret ou Charles Becker, s'accordent à penser que le mot 'sérère'qui s'applique aux personnes mais aussi à la langue, la culture, la tradition – est ancien et sacré.

      Personnellement, nous avons noté un fait qui est accablant : le toit des cases sérères traditionnelles sont pyramidaux et ils sont enlevés pour couvrir en entier la sépulture du propriétaire lors de son enterrement. Ajoutez à cela le fait que tout jeune, en allant au troupeau, notre père adressait toujours une prière au Soleil levant. Etait-ce une référence au Dieu soleil Ra ? N'en représente pas moins une part essentielle à prendre en considération, à savoir : la place du serpent dans la société sérère, notamment le python.


    2. CONCLUSION

      Pour clore cette présentation du métissage qu'a connu connu l'Ethiopie, disons que, lorsque le nouveau Kaya Magan va répondre à l'Appel de la Race de Saba, et va préparer le chemin de « Retour de l'enfant prodigue », il va affronter le pire cauchemar de sa vie et n'aura de refuge que l'excuse de faire remonter Colette comme une ancienne egptienne. Ce cauchemar c'est justement le fait que Sédar chercher désespérément une méthode pour se présenter à ses parents, à son Sénégal natal, avec cette ancêtre égyptienne :

          « Tu fus africaine dans ma mémoire ancienne, comme moi comme les neiges de l’Atlas
          Mânes ô Mânes de mes Pères ! Contemplez son front casqué
          et la candeur de sa bouche parée de colombes sans taches, comparez sa beauté et celle de vos filles.
          Ses paupières comme le crépuscule rapide et ses yeux vastes qui s’emplissent de nuit.
          Oui c’est bien l’aïeule noire, la Claire aux yeux violets sous ses paupières de nuit »....
          ....« Egyptienne ! Comment ne serait-elle pas mon guide, ton haleine longue,
          tes senteurs de soleil feu de brousse !
          ...« Je n’amène d’Europe que cette enfant amie,
          la clarté de ses yeux parmi les brumes bretonnes ».
          ... « Or c’était une nuit d’hiver lorsque dehors mûrit le gel,
          que les deux corps sont fraternels.
          Les sifflets des rapides traversaient mon cœur longuement,
          de longs déchirements de pointes de diamant. J’ai réveillé
          les concubines alentour. Ah ! ce sommeil sourd qui irrite
          quand chaque flanc et le dos sont les plaies du crucifié.
          La poitrine succombe à de graves énigmes, et je meurs de ne pas mourir
          et je meurs de vivre le cœur absent. Elles m’ont parlé de l’Absente doucement.
           Doucement elles m’ont chanté dans l’ombre le chant de l’Absente,
          comme on berce le beau bébé de sa chair brune,
          mais qu’elle reviendrait la Reine de Saba à l’annonce des flamboyants.
          De très loin la Bonne Nouvelle est annoncée par collines,
          sur les pistes ferventes par les chameliers au long cours.
          Dites ! qu’elle est longue à mon cœur l’absence de l’Absente. »

    .

    ETHIOPIQUES - LA THESE POETIQUE DE LA NEGRITUDE


    LA NÉGRITUDE - LA THESE POETIQUE

    1. INTRODUCTION

      La Négritude ! Mais qu’est-ce que la Négritude ? Est-ce juste une expression dont la définition est « l’ensemble des valeurs culturelles du monde noir ». Ne serait-il pas trop léger d’apporter une simple expression et sa définition pour essayer de freiner la dégradation forcée sur l’identité du Nègre qui, jusqu’à présent, profondément secoué, se pose encore des questions sur sa nature et sa place dans ce monde ? Et peut-on apporter une définition sans analyse descriptive ? Ne fallait-il pas s’attendre à autre chose ? Après tout, même si la négritude est réellement justifiée et justifiable, ce n’est pas un produit naturel : c’est comme un produit génétiquement modifié, un OGM, né d’une réaction, donc une conséquence et, partant, n'est pas ou ne devrait pas être une fin en soi.

      Peut-être qu’à cette remarque beaucoup de nègres, mus par l’émotion, se sentiront révoltés et nous en voudrons. Nous présentons dès maintenant nos sincères excuses, mais invitons au dépassement de la théorie sur notre identité et notre place dans ce monde, pour passer à l’application après une sincère introspection. Pour cela, ouvrons une toute petite parenthèse qui peut sembler hors sujet, à prime abord. Mais l’est-elle vraiment ?

      Il s’agit actuellement du cas du Mali qui ouvre une des brèches les plus pénibles de notre histoire moderne et, partant, suscite un malaise, un problème extrêmement profond, plus profond que ce qui est présenté et qui n’est autre que conséquences : destruction de mausolées, de sites classés, mutilations de personnes… Que d’opprobre ! Mais quel est le plus grand opprobre, si ce n’est celui qui a rendu cette situation possible? Si des travailleurs ou des étudiants s’étaient levés pour une démonstration, police et gendarmerie maliennes seraient debout, lacrymogènes et « balles réelles par inadvertance » seraient déployées pour briser le soulèvement. Pour faire déguerpir un président de son palais, chars et mitrailleuses sont déployés. Voilà que des rebelles prennent deux villes, et même pas le mouvement d’un char militaire ou, à défaut, un peloton de police, ou un contingent de gendarmes ou des Ndéroises.

      La CEDEAO et les Nations Unies peuvent intervenir, mais elles auraient du trouver sur place les douilles, voire des cuillères et des fourchettes, laissées par les forces de l’armée nationale malienne. Cette Afrique est-elle donc révolue, cette Afrique où « Les plus purs d’entre nous surent mourir pour n’avoir pas pu avaler le pain de honte » ; cette Afrique qui savait encore s’écrier : « On nous tue, Almamy ! On ne nous déshonore pas. Ni ses montagnes ne purent nous dominer, ni ses cavaliers nous encercler ni sa peau claire nous séduire ni nous abâtardir ses prophètes » ? Plus tard, bien plus tard, après un autre assaut de djihadistes à Bamako, le Burkina connut son tour, présentant une situation où l’Etat, dans la pratique africaine actuelle est pure notion : « Nos hommes avaient envie d’en découdre. Nous avons été formés pour cela, affirme une source au sein de la gendarmerie. On avait un problème de matériel : pas d’appareils de vision nocturne, pas de boucliers balistiques, pas de matériel d’effraction pour ouvrir les portes. Faute de matériel, les gendarmes d’élite burkinabè ont attendu l’arrivée des forces spéciales françaises basées en banlieue de Ouagadougou dans le cadre de l’opération Barkhane, selon une autre source. Une partie de ces forces spéciales étaient au Mali et il a fallu les attendre. Finalement, l’assaut sur l’hôtel Splendid a débuté vers 1 heure du matin. Mais les jihadistes avaient déjà quitté les lieux, piégeant derrière eux certaines portes avec des grenades, ce qui explique pourquoi la sécurisation de l’hôtel a pris plusieurs heures ».

      Voilà une situation qui nous prouve que nous vivons trop de notion à la place du sens réel des choses et des formes qui, la plupart du temps, nous échappent. Des généraux et colonels dormiront ce soir dans leurs maisons de fonction bien climatisées et iront percevoir leur salaire dans leurs supers véhicules de fonction sur les lèvres un cri d'anti-héro : « On ne nous tuera pas, Almamy, laisse nous encore goûter au pain de la honte. Laisse nous déshonorés, car ses armes nous ont dominés, ses cavaliers encerclés, pris Kidal et Tombouctou et leur peau claire éblouis, leurs prophètes abâtardis » !

      Le Nègre souffre encore de graves plaies dont la plus dangereuse est le formalisme qui semble ne jamais vouloir se marier avec le vrai sens à appliquer ! Cette situation, directement ou indirectement, a poussé le Président de la République de Finlande, Sauli Niinistö à côtoyer l’idée qui nous anime lorsque, en s’adressant aux auditeurs lors d’un cours sur la politique de défense de la Finlande concomitamment à la situation du Mali, il dit : « La Finlande a besoin de compagnons, mais est toute prête à s’occuper elle-même et toute seule de sa propre défense armée ».

      Justement ce pays devait servir d’exemple à l’Afrique colonisée. Elle a vécu la domination suédoise puis celle de la Russie, affrontant ainsi un pire ennemi que celui qui prit le Mali et s’en est sortie glorieusement durant la Guerre d’Hiver et la Guerre de continuation. Durant leur période, les suédois étaient allés dans l’asservissement de ce peuple jusqu’à mener une étude basée sur la largeur du front des finnois et étaient arrivés à la conclusion qu’ils étaient intellectuellement inaptes ; ce pays qui est à la pointe de la technologie actuelle, terre de Linux, des brises glace, de Nokia et de Wärtsilä, entre autres.

      Ici nous devons confesser une chose : quelques semaines après la naissance des lignes précédentes, nous revenons à ce paragraphe pour en rajouter. C’est que là où une armée nationale n’a pas osé lever le doigt, la France fait débarquer 750 soldats sur le terrain et commence à ratisser cette jadis superbe nation de Soundiata Keita pour affronter les agresseurs. Et, dans les médias, pour ne pas nous servir un discours digne de celui de Sarkozy, on mentionne intentionnellement, dans toutes les manœuvres qui suivront : « les forces françaises et l’armée malienne » tandis que nos dirigeants prennent le ridicule et des avions pour théoriser dans des colloques, réunions et conférences sur leurs préparatifs tardifs et retardés et discourir sur la bienséance, la légitimité, la légalité de l’intervention française !

      Pardon, nous semblons avoir quitté notre sentier à cause de cette urgence de vouloir apaiser ce soufflet supplémentaire sur la joue de notre digne identité. Revenons donc à notre étude, à notre Négritude : « Comme Aimé Césaire, Frantz Fanon et Léopold Sédar Senghor ont su le montrer, le peuple Noir a un vrai problème d'identité, victime des conséquences négatives d'un passé douloureux qui l'a relayé au dernier rang et c'est une situation toujours très mal vécue par les Noirs. Aimé Césaire a rejeté le mot ‘Noir’ car pour lui ‘Noir’ signifiait une couleur à laquelle les blancs ont donné une valeur péjorative, négative car quand on dit ‘Magie noire’ on parle du mal, ‘idée noire’ et on pourrait évoquer une longue liste de la même manière que le code Noir avait rendu l'homme noir à l'état d'objet, de chose lui enlevant son humanité , son existence ‘Je pense donc je suis’ au sens du Cogito ergo sum de Descartes. C'est pourquoi Aimé Césaire préfère employer le mot ‘Nègre’ pour désigner l'homme noir en rejetant les préjugés , les ambiguïtés et la négation et la conscience d'infériorité imposée par l'homme blanc à l'homme noir qui s'est concrétisé par un système économique ou le capital et le pouvoir et tous les droits étaient réservés aux blancs placés au dessus des Nègres ».

      Si donc la Négritude est si centrale que l’on ne peut présenter Senghor ou Césaire sans sa mention, ne fallait-il pas s’attendre à ce que l’un ou l’autre, à défaut de l’un et l’autre, apportât une thèse, une vision profonde, et l’étayer par un raisonnement logique avec toutes les prémisses requises ? Et y a t‘il un intellectuel Nègre qui, dans les pâleurs solitaires de sa chambre, ne se soit aventuré sur sa condition de Nègre jusque dans le monde moderne et cela de « Batouala » de René Maran , « Une vie de boy » de Ferdinand Oyono, en passant par les dernières bouffées d’encens nostalgiques de cette profonde Afrique que retracent David Diop dans « Afrique mon Afrique » et Guy Tyrolien dans sa « Prière d’un petit enfant nègre » ? « Ethiopiques», pour nous, est la base poétique argumentaire senghorienne de la Négritude, la synthèse de tout ce qu’il voulu jeter au devant de la scène pour éclairer des gens qui, apparemment et encore une fois, « ont fait un mur de ce qui n’était que rideau transparent »


    2. NÉCESSITÉ DE RECADRER L’HOMME

      Senghor nous offre « L’Homme et la bête », une façon de remonter vers les concepts des philosophes de l’Occident en la matière, et repose indirectement la question : « Qu’est-ce qui distingue l’homme de l’animal » puisqu’à « Ceux qui, durant des siècles, ont vainement tenté, parce qu'il était nègre, de le réduire à l'état de bête, il faut qu'il les oblige à le reconnaître pour un homme »

      Avec les conquêtes rimant à la colonisation qui va accoucher de la traite des Nègres et de l’esclavage, c’est réellement le point pertinent de l’humanité du Nègre qui est mis en question. Ici, il y a une certaine subtilité qu’il ne faut pas perdre de vue : les Européens entre eux, les Africains entre eux, bref toutes les races voisines se sont entrefaites prisonnières, parfois esclaves, jusqu’en leur propre sein. Pour ce qui est de la traite négrière, l’étendue n’a pu atteindre ses degrés que sur la base du concept de ce qu’est un être humain : « C'est à partir de constructions idéologiques attribuant un statut inférieur aux peuples colonisés que le colonisateur a pu légitimer son entreprise. En niant leur culture, leurs coutumes ou leur religion, en méprisant leur rapport au monde, le colonisateur s'est cru investi d'une mission civilisatrice fondée sur sa supériorité naturelle. La colonisation s'inscrit dans le droit fil de l'esclavage et de la traite des Noirs du XVIIIe siècle. L'homme blanc s'arroge tous les droits puisque l'autre est un sous-homme, un quasi-animal, de toute façon un être inférieur qu'il faut dresser, exploiter, civiliser, au mieux évangéliser. Dans la même lancée, en 1855, le Comte de Gobineau, dans « Essai sur l'inégalité des races humaines » écrivait : « Toute civilisation découle de la race blanche, aucune ne peut exister sans le concours de cette race ». Paradoxalement, c'est à partir d'une conception républicaine des droits de l'homme et des Lumières que les colonisateurs de la Troisième République partent à la conquête de l'Afrique. Et c'est dans un premier temps au nom de ces mêmes principes que les luttes nationales d'indépendance sont menées à la fin de la Seconde Guerre mondiale contre les puissances coloniales ».

      Pourquoi, après tant d’écrits de philosophes sur la différence entre l’homme et l’animal, Senghor ouvre-t-il le ballet, pas en s’accoudant sur la recherche des points pertinents de cette différence, mais en allant plus loin, nous replaçant à la naissance, pas de la différence, mais du processus même de la différenciation, le moment de la séparation Homme-Animal ? A la manière de Laga Ndong sous le crépuscule ambigu, Sédar s’est encore adonné à son caprice qui est d’étaler des trésors mystiques et mystérieux pour se jouer de l’avidité, voire inviter l’agilité de l’esprit à la gymnastique. Voilà un écrivain qui semble avoir beaucoup de respect pour son lecteur. Il ne le sous-estime jamais, éparpillant çà et là, dimensions surréelles, des trésors qu’ils jugent être à sa portée. Dans postface n’a-t-il pas dit : « Ceci n’est pas une préface. Je ne m’adresse pas aux lecteurs… » ?

      Rappelons que nous venons juste de sortir des « Hosties noires », hosties qui ne furent possibles que grâce à une histoire de colonisation qui aura remis en question les valeurs, la dignité voire même l’humanité du Nègre ; que nous venons de sortir de la Deuxième Guerre mondiale qui aura laissé le poète écœuré par la sauvagerie de l’Homme de la Raison. Il va s’agripper sur l’humanisme réducteur et s’en servir comme un tremplin pour ramener Hellène à la raison, le faire sortir de l’absurde mécanique d’une existence qui poussera à l’accouchement du bébé dAlbert Camus, « L’étranger ».


      1. HOMME VERSUS ANIMAL

        Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, les Terriens avaient sincèrement du pain sur planche quant à la définition de la vraie nature de l’Homme. Ceux qui nous avaient taxés « d’homme de la mort » venaient de se présenter comme jamais boucher n’a été sur terre. Malgré cela, il y aura aussi la période de blanchissement des troupes au cœur de la France qui fera plus tard dire à Senghor :

             Dans la nuit nous avons crié notre détresse.
             Pas une voix n’a répondu.
             Les princes de l’Eglise se sont tus,
             Les hommes d’Etat ont clamé la magnanimité des hyènes.
             Il s’agit bien du nègre ! il s’agit bien de l’homme !
             Non ! quand il s’agit de l’Europe

        Cette dénaturation de l’homme est mieux appréhendée dans le livre de Vercors « Les animaux dénaturés »: « Dans cet ouvrage, à travers des références plus ou moins explicites, Vercors trace une sorte de liste des différentes définitions de l’homme qui ont pu être soutenues par des philosophes au cours de l’histoire. Ecrivain français, son véritable nom est Jean Bruller. Son roman est publié en 1952, après la fin de la Seconde Guerre mondiale et la révélation de ses atrocités. A cette époque, le monde philosophique et littéraire est traversé par une grande remise en question. Alors que l’homme était principalement défini jusque là par ses qualités, les hommes se trouvent confrontés à des actes d’une grande barbarie, non pas nouvelle dans son fondement, mais d’une ampleur encore jamais réalisée. Ce phénomène entraîne de nouvelles interrogations sur ce qu’est l’homme. Il n’est pas étonnant de noter que la littérature de cette époque est imprégnée de toutes ces questions ».

        Voilà le soufre éparpillé par Sédar. Après « Hosties Noires » il nous offre « Ethiopiques » en l’ouvrant par une lutte infernale de « L’Homme et la Bête ». Les hosties noires furent cuites au four de ceux-là mêmes qui utilisèrent dans la lutte, la sauvagerie brute à la place de l’esprit, ceux-là mêmes qui, bien que désespérément cherchant encore une définition pertinente de l’Homme, néanmoins trouvèrent celle du Nègre qui n’était qu’un sous-homme. Mais ce n’était ni la première ni la dernière fois : « Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait les occupants et m’impose l’occupation si gravement… ». Dans son entretien, Luc Ferry nous dira : « La volonté parle encore quand la nature se tait. Cette affirmation de Rousseau résume à elle-seule la pensée du philosophe au sujet d’un thème dont le siècle des Lumières s’est saisi, celui de la différence entre l’homme et l’animal. Il s’agissait en effet de poser les fondements d’une philosophie nouvelle, l’humanisme, destinée à se substituer à la cosmologie grecque et au christianisme, tous deux en perte de vitesse face au doute alimenté par les découvertes de la science et l’évolution des mœurs.

        « Mais une doctrine du salut originale, qui se revendique comme exclusivement anthropocentrique, ne peut exister qu’à condition de définir la singularité chez l’homme et ainsi lui permettre d’être la pierre angulaire de cette pensée novatrice. La philosophie va donc s’atteler à déterminer la ou les spécificités de l’être humain par rapport à son environnement, en axant toute la réflexion sur ce qui nous différencie de l’animal car c’est celui qui au monde nous ressemble le plus.

        « La production philosophique sera donc très dense sur cette question. Descartes par exemple s’y intéresse et conclut que l’animal n’est pas un homme parce qu’il ne souffre pas. Il considère la bête comme une machine, certes particulièrement complexe, mais qui n’en est pas moins régie par des mécanismes dont la souffrance serait exclue. D’autres théoriciens prolongent la tradition aristotélicienne, à savoir que l’homme est un animal comme les autres mais avec la raison en plus. Quant à Rousseau, il ne partage pas ces deux conceptions. Il observe la nature et se rend compte que l’intelligible et l’émotion y sont bien présents. Les animaux développent des signes d’intelligence, il est vrai à des degrés moindres par rapport aux aptitudes humaines. L’animal souffre également, notamment celui de compagnie qui ressent de la tristesse lorsqu’il se trouve séparé de son maître. Rousseau réfute ainsi les idées qui l’ont précédé quant à la singularité de l’être humain et énonce une théorie qui parachève le débat.

        « Selon lui, l’homme se distingue du règne animal par la liberté qui le caractérise, c'est-à-dire par sa capacité à dépasser sa nature pour tendre vers la perfectibilité. Le progrès est une composante humaine, comme le démontre l’évolution des villes comparée à l’immobilisme des sociétés animalières. « L’animal quant à lui n’a pas cette faculté de se sortir du cadre naturel qui est le sien, de se soustraire à ses penchants instinctifs. L’homme au contraire peut s’arracher du réel, se poster en observateur du monde et ainsi procéder à des jugements ; il connaît l’alternative et choisit en conséquence. On ne peut décider pour agir, au-delà de tout enchaînement primitif, qu’à condition de ne pas être immergé dans son milieu sans avoir la capacité d’en sortir la tête. La liberté, c’est être disposé à commettre l’excès ».

        Continuons notre interrogatoire en puisant toujours dans le grenier occidental : « Quelle différence y a-t-il entre l’homme et l’animal ? Est-ce qu'en philosophie, on a une idée de ce qui fait la spécificité de l'humain par rapport à l'animal ? Parce qu'apparemment, la science peine à trancher la question...

        « Alors, on va commencer par le commencement : Adam a été créé par la réunion de deux éléments : de la terre - glaise sans doute - pour fabriquer le corps (qu’il a en commun avec les animaux); et le souffle de Dieu, insufflé dans ses narines pour l’animer. Le souffle de Dieu, c’est l’âme ; comme élément divin, elle est incorruptible et immortelle, et seul l’homme en bénéficie. Voilà donc une première distinction. Son problème est d’être très vague : qu’est-ce donc exactement que l’âme ?

        « Mais très vite on a voulu une définition plus scientifique : en procédant comme font les classifications zoologiques, on définit l’homme par le genre au quel il appartient, et on ajoute la différence spécifique qui permet de distinguer l'espèce du genre entier. Ici on arrive à la définition bien connue : l’homme est un animal (=genre) raisonnable - c’est à dire doué de raison - (=différence spécifique). Le problème c’est que si un homme perd la raison, qu’il devienne fou par exemple, alors en toute rigueur, il cesse d’être un homme et on peut lui faire subir le sort qu’on réserve aux animaux.

        « Aristote s’en est mêlé, et reprenant cette méthode de définition, il a proposé de dire que « l’homme est un animal politique », entendez qu’il est le produit de la cité où il a grandi, qui lui a inculqué les coutumes, les lois à respecter, les Dieux à honorer, etc. Ici encore, on peut cesser d’être un homme en cessant de partager la vie de ses semblables. L’homme qui vit seul est un monstre ou un dieu, dit-il en substance.

        « On a multiplié ces définitions, en prenant la différence spécifique tantôt comme un indicateur de l’origine de l’humanité comme ci-dessus, tantôt comme un simple élément discriminant : homo economicus, homo ludens, et... L’inconvénient de ces définitions est qu’elles permettent n’importe quoi, comme l’ont montré certains philosophes athéniens qui auraient défini l’homme comme un « bipède sans plume » - Diogène le Cynique arrive alors dans leur école et lance un poulet plumé au milieu de leur assemblée en criant : « voici l’homme ! » « Plus proche de nous, certains comme Descartes ont fait de la possession du langage le caractère spécifique de l’humanité : comprenons par langage non pas un système de signes permettant la communication, parce qu’il est évident que les animaux en disposent, mais des symboles évoquant en leur absence des choses ou des idées. Signe de la pensée, le langage est le critère le plus facilement observable de l’humanité. « Pour ma part, je préférerai le critère proposé par Rousseau : il s’agit de la perfectibilité, terme qu’il crée pour la circonstance, et qui caractérise la possibilité pour l’être humain d’évoluer de générations en générations, ce qui fait que le petit d’homme qui naît aujourd’hui, tout en étant biologiquement identique à l’homo sapiens d’il y a 100.000 ans, sera bien différent pour tout le reste. On voit que la culture et l’histoire sont ici des manifestations de cette perfectibilité, et que l’animal en étant dépourvu, reste identique à ce que veut son espèce. Mais pour finir, disons qu’il est aussi bien tentant de gommer les différences de l’homme à l’animal, et donc de comprendre l’homme à partir de l’animal : ce que font les éthologues et déjà très bien Charles Le Brun dans sa planche du château de Versailles.»

        Le « Livre d’Urantia » nous dit, quant à cette différenciation progressive : « … De nombreuses émotions nouvelles apparurent de bonne heure chez les deux jumeaux humains. Ils éprouvaient de l’admiration tant pour les objets que pour les autres êtres et faisaient montre d’une extrême vanité. Mais le progrès le plus remarquable dans leur développement émotionnel fut l’apparition soudaine d’un nouveau groupe de sentiments vraiment humains, les sentiments d’adoration comprenant la crainte, le respect, l’humilité et même une forme primitive de gratitude. La peur, jointe à l’ignorance des phénomènes naturels, était sur le point de donner naissance à la religion primitive. « Non seulement ces sentiments humains se manifestaient, mais beaucoup de sentiments plus hautement évolués étaient également présents sous une forme rudimentaire. Ces humains primitifs avaient modérément conscience de la pitié, de la honte et de l’opprobre, et une conscience très aigüe de l’amour, de la haine et de la vengeance; ils étaient également susceptibles d’éprouver des sentiments marqués de jalousie. « Les deux premiers humains — les jumeaux — furent une grande épreuve pour leurs parents primates. Ils étaient si curieux et si aventureux qu’ils faillirent perdre la vie en de nombreuses occasions avant d’avoir huit ans. Quoi qu’il en soit, ils étaient sérieusement couverts de cicatrices au moment où ils eurent douze ans. Ils apprirent très tôt à communiquer verbalement. À l’âge de dix ans, ils avaient élaboré un langage plus perfectionné de signes et de mots comportant une cinquantaine d’idées, et largement amélioré et élargi les techniques rudimentaires de communication de leurs ancêtres. En dépit de leurs efforts, ils ne purent enseigner à leurs parents que très peu de leurs signes et symboles nouveaux… ».

        Puis va nous offrir, lui aussi, la dissociation : « Nous n’avions pas cessé de suivre le développement mental des jumeaux en observant les opérations des sept esprits-mentaux adjuvats affectés à Urantia au moment de notre arrivée sur la planète. Durant le long développement évolutionnaire de la vie planétaire, ces infatigables ministres du mental avaient sans cesse noté leur propre aptitude croissante à entrer en contact avec les facultés cérébrales des animaux, facultés qui s’amplifiaient à mesure que les créatures animales progressaient.

        « Au début, seul l’esprit d’intuition pouvait agir sur le comportement instinctif et soumis aux réflexes de la vie animale élémentaire. Quand les types plus élevés se différencièrent, l’esprit de compréhension put attribuer à ces créatures la faculté d’associer spontanément des idées. Plus tard, nous vîmes opérer l’esprit de courage; les animaux en cours d’évolution acquirent réellement une forme rudimentaire de conscience protectrice. À la suite de l’apparition des groupes de mammifères, nous vîmes l’esprit de connaissance se manifester dans une mesure accrue. Puis l’évolution des mammifères supérieurs permit le fonctionnement de l’esprit de conseil, avec la croissance correspondante de l’instinct grégaire et les débuts d’un développement social primitif.

        « Nous avions observé, avec une attention croissante, le service accru des cinq premiers adjuvats pendant toute l’évolution des mammifères précurseurs, des mammifères intermédiaires et des primates. Toutefois, les deux derniers adjuvats, ministres supérieurs du mental, n’avaient jamais pu fonctionner sur le type urantien de mental évolutionnaire. Imaginez notre joie lorsqu’un jour — les jumeaux avaient à peu près dix ans — l’esprit d’adoration entra pour la première fois en contact avec le mental de la jumelle, et peu après avec celui du jumeau. Nous savions que quelque chose d’intimement lié au mental humain arrivait à son apogée. Environ un an plus tard, quand ils se résolurent finalement, sous l’effet d’une pensée recueillie et d’une décision murement réfléchie, à fuir le foyer familial et à partir vers le nord, alors l’esprit de sagesse commença à fonctionner sur Urantia et dans le mental de ces deux humains désormais reconnus comme tels ».

        Quels sont, chez Senghor, les points pertinents de la différentiation ? Voyons quelques passages du poème :

             Je te nomme Soir ô Soir ambigu, feuille mobile je te nomme.
             Et c’est l’heure des peurs primaires, surgies des entrailles d’ancêtres.
             Arrière inanes faces de ténèbres à souffle et mufle maléfique !
             Arrière par la palme et l’eau, par le Diseur-des-choses-très-cachées !
        .

        Les peurs primaires sorties des entrailles d’ancêtres, ces peurs qui poussaient nos ancêtres à se réfugier sur les arbres ou dans les caves à la tombée de la nuit, cette nuit dans laquelle, jusqu’à présent l’homme se sent très vulnérable, sont certainement partagées et ressenties par les animaux. La différence réside toutefois dans le fait que l’Homme se tourne vers une dimension spirituelle pour se renforcer à travers l’incantation et conjure d’autres êtres invisibles, des êtres d’une autre dimension qui est spirituelle. Il a la palme et l’eau pour conjurer les maléfices et un être spirituel, Diseur-des-choses-très-cachées. Ce sont des choses qui n’ont pas été données aux bêtes. Rappelons-nous que c’est justement lorsque l’esprit d’adoration et l’esprit de sagesse commencèrent à fonctionner sur Urantia et dans le mental des humains qu’ils furent désormais reconnus comme tels, c’est-à-dire des différenciés de la bête.

        Senghor aussi repose la différence sur le mental. Les éléments du décor, boues infectes, potopoto, sont les éléments naturels qui amenuisent les forces de l’homme et le menacent directement : « Mais informe la Bête dans la boue féconde qui nourrit tsétsés stegomyas crapauds et trigonocéphales, araignées à poison caïmans à poignards ». Par contre la bête, adversaire direct, est dans son décor naturel, cette bête informe dans la boue ; la boue où peut s’enliser l’homme lors du combat ; cette présence de tsétsés, stegomyas, crapauds et trigonocéphales, ces araignées à poison et les caïmans à poignards… C’est comme une équipe qui fait match à domicile. Le terrain choisi c’est le terroir, l’environnement que l’homme doit abandonner ou contre lequel il doit se protéger lorsque la différenciation sera consommée car il lui enlève toute possibilité, le rend « lourd » c'est-à-dire gourd, sans agilité, et embourbe sa force, ne lui laissant que la ruse, son mental, sa pensée : « Les pieds de l’Homme lourd patinent dans la ruse, où s’enfonce sa force jusques à mi-jambe. Les feuilles les lient des palmes mauvaises… Plane sa pensée dans la brume… Le front d’or dompte les nuages, où tournoient des aigles glacés, O pensée qui lui ceint le front ! La tête du serpent est son œil cardinal ».

        Ainsi, lorsque l'humanité sera secoué jusque dans les profondeurs de ses racines lors de la Deuxième guerre mondiale, la disparition de cette humanité se mesurait tout simplement à l'absence de sourire, de joie sur la face de ses frères d'armes blonds, joie de vivre qu'essayaient de faire clore les frères noirs par des contes de veillées noires :

             C'est un grand village de boue et de branchages, un village crucifié par deux deux fosses de pestilences.
             Haines et faims y fermentent dans la torpeur d'un été mortel.
             C'est un grand village qu'encercle l'immobile hargne des barbelés
             Un grand village sous la tyrannie de quatre mitrailleuses ombrageuses.
             Et les nobles guerriers mendient des bouts de cigarette
             Ils disputent les os aux chiens, ils se disputent chiens et chats de songe.
             Mais seuls ils ont gardé la candeur de leur rire, et seuls la liberté de leur âme de feu.
             Et le soir tombe, sanglot de sang qui libère la nuit.
             ls veillent les grands enfants blancs, les grands enfants blonds leurs grands enfants blancs
             Qui se tournent et se retournent dans leur sommeil, hanté des puces du souci et des poux de captivités.
             Les contes des veillées noires les bercent, et les voix graves qui épousent les sentiers du silence
             Et les berceuse doucement, berceuses sans tam-tam et sans battements de mains noires....
             ...Ils ne partiront pas. Ils ne déserteront pas les corvées ni leur devoir de joie.
             Qui fera les travaux de honte si ce n'est ceux qui sont nés nobles ?
             Qui donc dansera le dimanche aux sons du tam-tam des gamelles ?


      2. PROBLEME D’ETHIQUE

        La lutte, dans l’essentiel, est que l’homme doit affronter la bête et s’en sortir victorieux, devenir homme ou bien perdre, c’est-à-dire rester au stade de la bête. A partir de là, le problème découle sur un terrain philosophique et embrasse, à dessein, l’éthique ou science morale, qui vient du grec èthos, « lieu de vie; habitude, mœurs; caractère, état de l'âme, disposition psychique », en latin ethicus ou morale. C'est une discipline philosophique pratique, action, et normative, règles, dans un milieu naturel et humain. Elle se donne pour but d'indiquer comment les êtres humains doivent se comporter, agir et être, entre eux et envers ce qui les entoure ».

        Dans la pose des colonnes qui supporteront la Négritude, Senghor ne pouvait certainement pas laisser de côté ces piliers de l’étique, de la base de la morale que forment la téléologie et la déontologie. Par cette méthodologie, il embrasse toutefois la méta-éthique qui est « l’analyse des concepts éthiques de base, de leurs présupposés épistémologiques et de leur signification, sous l’angle de la philosophie. Elle est « au-dessus » de l’éthique, meta en grec, car elle a pour objet non pas de poser des normes éthiques mais de les analyser. Elle s’intéresse par exemple à la nature des normes éthiques en tant que normes, aux fondements de ces normes, à la structure des arguments éthiques, aux caractéristiques des propositions éthiques etc ».

        Voilà donc le moyen d’embraser les buissons de leçons appliquées de l’Occident en replaçant et retraçant l’homme Nègre dans son milieu naturel, pour le suivre jusqu’au sein de New York, le joyau de celui qui se veut seul Homme, les autres étant des sous-hommes. Dans cette approche, bien que l’on puisse retrouver les grandes branches de l’éthique, deux marqueront d’une présence indéniable les poèmes qui forment « Ethiopiques »:


        1. LA TELEOLOGIE

          « L’éthique téléologique met l’accent sur les buts et les finalités d’une décision. Elle s’oppose à l’éthique déontologique. Dans cette optique, toute réflexion éthique se fonde sur les effets d’une action ; en effet toute action ne peut être jugée bonne ou mauvaise qu’en raison de ses conséquences. Par exemple, Aristote développa une éthique téléologique du bonheur car pour lui « le bonheur est ce qui caractérise le bien être parfait et le fait qu’il doit toujours être possédé pour soi et non pour une autre raison ». Elle donna notamment naissance à l’utilitarisme chez les anglo-saxons » .

          Parce que, pour la téléologie, l’accent est mis sur les buts et les finalités, celle-ci ne peut être appliquée que dans la mesure où elle aide à comprendre la raison d’être de la lutte qui doit se dérouler entre l’Homme et la Bête. Dans l’approche de Léopold Sédar Senghor, la finalité est reléguée au second plan. Il ne s’agit pas de terrasser pour terrasser. Ici il est question de stratégie, des moyens à déployer qui serviront de critères distinctifs et règles d’une victoire acceptable avant d’être proclamée. Pensez un peu au contrôle fait sur les lutteurs des arènes sénégalaises par les arbitres avant le combat ; au contrôle de doping sur les athlètes : la victoire est le but visé, mais ce but n’aura de valeur que sur un strict respect des règles établies. Donc examinons plus profondément la sœur jumelle de la téléologie.


        2. LA DEONTOLOGIE

          « Les morales du devoir fondent le caractère moral de nos actions par le concept d’obligation. Ce type de morale se conçoit indépendamment de toute conséquence qui pourrait résulter de nos actions. Par exemple, selon Kant, on ne doit pas mentir pour éviter un meurtre, car l’obligation de dire la vérité est absolue et ne tolère aucune condition particulière. Cela veut dire que le colonisateur, l’Occidental, le Blanc, s’il avait appliqué la déontologie, nous aurait trouvé au moins un point au-dessus des animaux, surtout s’il prenait en compte le fait que la définition ou plutôt la distinction Homme-Animal ne lui était pas encore claire et surtout parce que l’approche déontologique est « Un ensemble de règles appliquées a priori et ayant le statut d’obligations morales. Par exemple, le décalogue et la règle d’or ou l’éthique de réciprocité. L'éthique des droits provient des droits de l'homme. Cette invention moderne est attribuée originalement à Rousseau et établit pour la première fois pour l’homme un ordre moral indépendant du cosmos, de la nature. Dorénavant, l’homme ne se distingue plus comme étant un animal doté de la raison comme chez Aristote, mais comme être ayant la liberté de s’arracher à la nature et d’instaurer une autre légalité que celle naturelle, c’est-à-dire celle de l’homme. Ce principe d’égalité est uniquement un droit juridique et non naturel ».

          Nous nous agrippons à la déontologie dans la mesure où, nous l’avons déjà dit, il ne s’agit pas ici d’un combat dont la victoire est prédominante, mais l’arsenal, c’est-à-dire les moyens pour y parvenir. L’Homme aurait put se munir uniquement de sa force ou bien tricher en prenant la bête par surprise pour arriver à la victoire, mais alors il ne serait resté qu’au stade de la bête. Le combat n’est pas un combat où l’on déploie et laisse libre cours à un instinct bestial, à l’odeur du sang et c’est là le vrai piège pour l’Homme : cette montée d’adrénaline qui peut assombrir toute pensée. Il a d’ailleurs failli succomber et remonter au degré sauvage lorsque l’odeur du sang de la bête, comme un vin chaud, pétilla dans son cœur : « Force de l’Homme lourd les pieds dans le potopoto fécond, force de l’Homme les roseaux qui embarrassent son effort. Sa chaleur la chaleur des entrailles primaires, force de l’Homme dans l’ivresse. Le vin chaud du sang de la Bête, et la mousse pétille dans son cœur. Hé ! Vive la bière de mil à l’Initié… ». Mais la persévérance sur l’exploit de l’humanisation va triompher : « Un long cri de comète traverse la nuit, une large clameur rythmée d’une voix juste. Et l’homme terrasse la Bête de la glossolalie du chant dansé. Il la terrasse dans un vaste éclat de rire, dans une danse rutilant dansée sous l’arc-en-ciel des sept voyelles ».

          Contrairement à ce que l’on pourrait s’attendre en entamant la lecture du poème, l’homme ne tue pas la bête, il la terrasse … « dans un vaste éclat de rire … dans une danse rutilant dansée … sous l’arc-en-ciel des sept voyelles ». Le rire, la danse, les chansons, le langage… Si la bête est terrassée, c’est bien celle que l’homme porte en lui-même, ces lambeaux avec lesquelles il est remonté de son évolution et qui enfreignent ses actes posés, ces décisions guidées parfois, le long de l’histoire, par des réflexes bestiaux. Dans cette jungle où l’Occidental a condamné pour le Nègre la piste qui mène à l’Humain, cette piste qui, pour lui-même, se transforme en cul de sac, où donc est l’humain ? Est-ce le peuple qui : « ne distinguent pas sa gauche de sa droite, qui a mille noms pour le palmier mais qui ne le nomme pas ? » ; ce peuple qui sait « faire les travaux de honte parce que né noble et encore danser le dimanche aux sons du tamtam des gamelles »? Est-il présent sur ce continent, cette Afrique dont « la voix plane au-dessus de la rage des canons longs » ? Est-ce le peuple dont le « sang a ablué la nation oublieuse de sa mission d'hier » ? Est-ce le peuple qui sait encore dire : « Tu m’as dit : Ecoute mon ami, lointain et sourd, le grondement précoce de la tornade comme un feu roulant de brousse, et mon sang crie d’angoisse dans l’abandon de ma tête trop lourde livrée aux courants électriques. Ah ! Là-bas l’orage soudain, c’est l’incendie des côtes blanches de la blanche paix de l’Afrique mienne. Et dans la nuit où tonnent de grandes déchirures de métal, entends plus près de nous, sur trois cents kilomètres, tous les miaulements félins des balles, entends les rugissements brefs des canons et les barrissements des pachydermes de cents tonnes. Est-ce l’Afrique encore cette côte mouvante, cet ordre de bataille, cette longue ligne rectiligne, cette ligne d’acier et de feu ? »

          Qui, disons-nous, est plus apte que ceux dont le poète dira : « Mais seuls ils ont gardé la candeur de leur rire et seuls la liberté de leur âme de feu. Et le soir tombe, sanglot de sang qui libère la nuit. Ils veillent les grands enfants roses, leurs grands enfants blonds leurs grands enfants blancs qui se tournent et se retournent dans leur sommeil, hanté des puces du souci et des poux de captivité. Les contes des veillées noires les bercent, et les voix graves qui épousent les sentiers du silence et les berceuses doucement, berceuses sans tam-tam et sans battements des mains noires – ce sera pour demain, à l’heure de la sieste, le mirage des épopées et la chevauchée du soleil sur les savanes blanches aux sables sans limites » ?

          Conviendrait-il d’aller chercher cet Homme-différencié-de-la-Bête parmi « la nation oublieuse de sa mission d’hier » ? Conviendrait-il, disons-nous, de le chercher dans la jungle moderne où il n’y a pas « un rire en fleur, sa main dans ma main fraîche, pas un sein maternel, des jambes de nylon. Des jambes et des seins sans sueur ni odeur. Pas un mot tendre en l’absence de lèvres, rien que des cœurs artificiels payés en monnaie forte et pas un livre où lire la sagesse… Si agitées de feu follets tandis que les klaxons hurlent des heures vides et que les eaux obscures charrient des amours hygiéniques, tels des fleuves en crue des cadavres d’enfants.». Certainement pas. Et encore moins dans ce Luxembourg où le poète voit « tomber les feuilles dans les faux abris, dans les fosses dans les tranchées où ruisselle le sang d’une génération, l’Europe qui enterre le levain des nations et l’espoir des races nouvelles », ou dans cette Europe où débarquèrent les frères noirs à qui il dira : « Je ne vous ai pas reconnus sous votre prison d’uniformes couleur de tristesse, je ne vous ai pas reconnus sous la calebasse du casque sans panache, je n’ai pas reconnu le hennissement chevrotant de vos chevaux de fer, qui boivent mais ne mangent pas. ».

          Senghor apporte un jugement sans équivoque, répond à toutes les questions posées ci-dessus, rejoignant l’arène du combat entre l’Homme et la Bête d’où il va chercher le vainqueur, son champion qu’il n’arrive pas à reconnaître, car le vainqueur de la Bête ne peut être celui qui porte l’accoutrement en face de lui, cela ne peut pas être Celui-qui-s’est-différencié-de-la-bête. Il a de la peine à reconnaître, il ne veut pas accepter cet état de fait : « Et ce n’est plus la noblesse des éléphants, c’est la lourdeur barbare des monstres des prétemps du monde. Sous votre visage fermé, je ne vous ai pas reconnus… ».


      3. LA DIFFÉRENCIATION CHEZ SENGHOR

        Entre l'homme et l'animal, d'aucuns disent que la seule différence est que l'homme est plus évolué et plus apte à comprendre et apprendre des choses plus complexes. Des scientifiques ont cherchés à comparer deux bébés, l'un est un homme, l'autre un chimpanzé. ... L'homme est finalement un animal qui s'est spécialisé dans l'analyse et la compréhension du cerveau.

        Conscient des grands courants philosophiques de son temps, Léopold se prémunit de leurs concepts. Ces concepts quant à la différence homme-animal peuvent être présentés sur la base de trois grands courants incarnés par Descartes, Kant et Bergson.

        • Pour Descartes, l'animal est un corps sans esprit, comparable à une machine. A la différence de l'homme, l'animal est absolument incapable de dire : « Je pense donc je suis ». La pensée, exprimée par le langage, manque à l'animal. En cela, l'animal est non seulement différent, mais inférieur à l’homme. Le propre de l’homme, c'est d’être un être pensant.

        • Kant, lui, distingue l’homme de l'animal par la morale. L'homme est un être moral par essence en tant qu'il est doué de conscience, de raison et d'une volonté autonome qui lui permet d’exercer une liberté. L'homme agit en déterminant lui-même la loi de son action. La moralité suppose la liberté. Or l'animal, lui, est déterminé dans son agir par des causes étrangères (l’instinct, la nécessité). De ce fait il n'est pas libre, donc pas moral, donc différent de l’homme et inférieur à lui. Le propre de l’homme, c’est d’être un être moral.

        • Un troisième philosophe, Bergson, intégre les apports du darwinisme. Ce qui provoque l'évolution, c'est "l'élan vital" : une poussée d'énergie qui conduit les différences espèces vivantes à se différencier. Chez l'homme, le critère de différenciation est la conscience de soi. Le propre de l’homme, c'est d’être un être conscient.
        Ici, puisqu'il faut redispositionner l'Homme noir à cause de jugements portés sur lui, Senghor va apporter la sienne.


        1. L’HOMME ET LA BETE

          Durant la Deuxième Guerre mondiale, nous l’avons déjà répété, l’Homme venait d’affronter encore la Bête, ou, encore mieux, la Bête s’était réveillée en l’Homme et avait pris le dessus, l’avait terrassé avec comme éclat de sa victoire, pas un rire divin, pas la danse parmi les tsétsés stegomyas, les crapauds, les crocodiles mais des jalons de tombes infinis ; mais, entre autres, la campagne de Guadalcanal qui aura coûté 24 000 hommes aux Japonais contre 1 600 marines au sol et 5 000 marins américains lors des batailles navales face à l'île , celle de Stalingrad, qui se sera étendue sur un peu plus de six mois et aura coûté la vie à environ 750 000 combattants et 250 000 vies civiles parmi six nations, ce qui fera d’elle une des batailles les plus meurtrières de l'histoire , les cheminées de Dachau et d’Auswitch, les cendres d’Hiroshima et de Nagasaki : « Et nous voilà pris dans les rets, livrés à la barbarie des civilisés, exterminés comme des phacochères. Gloire aux tanks et gloire aux avions ! »

          Et que dit Sédar du jardin où l’homme après sa victoire sur la bête devait développer, renforcer son humanité ? Le poète sanglote dans sa réponse : « Saccagé le jardin des fiançailles en un soir soudain de tornade, fauchés les lilas blancs, fané le parfum des muguets, parties les fiancées pour les Isles de brise et pour les Rivières du Sud. Un cri de désastre a traversé de part en part le pays des vins et des chansons comme un glaive de foudre dans son cœur, du Levant au Ponant ». C’est que ceux qui reniaient au Nègre la différenciation Homme-Animal ne sont rien d’autre eux-mêmes que des « somnambules qui ont renié leur identité d’homme, caméléons sourds de la métamorphose » et dont la « honte vous fixe dans votre cage de solitude ».

          Mais c’est une nouvelle aube qui se lève au-dessus de l’Humanité au sortir du nouveau combat entre l’homme et la Bête, lorsque les frères d’Amérique entreront dans Paris, apportant jazz et joie de vivre, comme les tirailleurs frappant sur leurs gamelles pour égayer les soirs au répit des combats. Un nouveau sourire divin allait poindre, fruit de la miséricorde, pour la énième fois : « … Vous êtes les messagers de sa merci, le souffle du Printemps après l’Hiver. A ceux qui avaient oublié le rire – ils ne se servaient plus que d’un sourire oblique, ils ne connaissaient plus que la saveur salée des larmes et l’irritante odeur du sang, vous apportez le printemps de la Paix et l’espoir au bout de l’attente. Et leur nuit se remplit d’une douceur de lait, les champs bleus du ciel se couvrent de fleurs, le silence chante suavement. Vous leur apportez le soleil. L’air palpite de murmures liquides et de pépiements cristallins et de battements soyeux d’ailes. Les cités aériennes sont tièdes de nids ». Alors vive l’Homme rédimé : « Donc salut Dompteur de la brousse, Toi Mbarodi ! Seigneur des forces imbéciles. Le lac fleurit de nénuphars, aurore du rire divin ».

          Nous appuyant sur le Livre d’Urantia, nous pouvons dire qu'une humanité intègre ne peut avoir déclenché sur terre cette pire guerre de tous les temps gardés de mémoire d’homme, car bien que la guerre soit « l’état naturel et l’héritage de l’homme en évolution », la paix est « l’étalon social mesurant le développement de la civilisation. Avant que les races en progrès n’aient été partiellement organisées au point de vue social, l’homme était très individualiste, extrêmement méfiant et querelleur à un point incroyable. La violence est la loi de la nature, l’hostilité est la réaction automatique des enfants de la nature, tandis que la guerre n’est que ces mêmes activités poursuivies collectivement. Dans toutes les circonstances où le tissu dont est faite la civilisation est soumis à des tensions à cause des complications découlant du progrès de la société, il se produit, partout et toujours, un retour immédiat et ruineux à ces méthodes initiales pour ajuster, par la violence, les frictions provenant des relations entre humains. La guerre est une réaction animale contre les malentendus et les irritations ; la paix accompagne la solution civilisée de tous ces problèmes et difficultés ».


        2. CONGO OU LE CADRE EDENIQUE DU DIFFERENCIE

          Au bout du compte, la Négritude va surgir. L’homme-différencié-de-la-Bête, c’est-à-dire l’Humain, apparaît, comme lorsque, issue du combat, il terrassa la Bête de la glossolalie du chant dansé, la terrassa dans un vaste éclat de rire, dans une danse rutilant dansée sous l’arc-en-ciel des sept voyelles : « J’ai touché seulement la chaleur de votre main brune, je me suis nommé : Africa !». D’emblée, Léopold replace l’Homme-différencié-de-la-Bête au cœur de l’innocence du Congo : « Et j’ai retrouvé le rire perdu, j’ai salué la voix ancienne et le grondement des cascades du Congo »

          La jonction dont nous avons parlé tantôt, pont que Senghor a l’habitude de jeter entre deux collections ou deux poèmes, fait son apparition encore une fois. Dans le poème « Aux soldats Négro-américains », Senghor dit : « Et j’ai retrouvé le rire perdu, j’ai salué la voix ancienne et le grondement des cascades du Congo ».

          L’Homme vient de se dissocier de la bête et donc, forcément, doit commencer à différencier son entourage. Où donc placer celui qui vient de se libérer sinon dans un cadre édénique refait, au cœur des forêts et des affluents ? Le poète choisit le Congo :

               « Oho ! Congo couchée dans ton lit de forêts, reine sur l’Afrique domptée
               Que les phallus des monts portent haut ton pavillon
               Car tu es femme par ma tête par ma langue, car tu es femme par mon ventre
               Mère de toutes choses qui ont narines, des crocodiles des hippopotames
               Lamantins iguanes poissons oiseaux, mère des crues nourrice des moissons.
               Femme grande ! Eau tant ouverte à la rame et à l’étrave des pirogues
               Ma Saô mon amante aux cuisses furieuses, aux longs bras de nénuphars calmes
               Femme précieuse d’Ouzougou, corps d’huile imputrescible à la peau de nuit diamantine »
          .

          Choisir le Congo, c’est choisir le meilleur décor, un décor ayant gardé sa virginité, comme le jardin d’Eden avant la chute, pour suivre l’Homme qui vient de se séparer de la Bête dans son évolution. Le Livre d’Urantia nous dira, parlant d’Eden : « Le site choisi pour le Jardin était probablement le plus bel endroit de cette sorte dans le monde entier, et le climat y était alors idéal. Nulle part ailleurs il n’y avait d’emplacement susceptible de se prêter aussi parfaitement à devenir un tel paradis d’expression botanique. L’élite de la civilisation d’Urantia se rassemblait en ce lieu de rencontre. À l’extérieur et au delà, le monde vivait dans les ténèbres, l’ignorance et la sauvagerie. Éden était l’unique point lumineux d’Urantia. Par nature, il était un rêve de beauté, et il devint bientôt un poème où la gloire des paysages était exquise et perfectionnée ».

          Dans cet environnement idyllique, notre sujet nouveau, gravant dangers, s’étonnant aux beautés béates de la nature, va apprendre à avoir peur, à se défendre, à s’organiser, à aimer et à adorer : « L’homme est un complexe ouvert… Il n’existe que dans ses rapports avec toutes les choses et tous les autres hommes. Il est déterminé par son entourage, détermine en retour cet entourage. Pour certains, l’homme est déterminé par son environnement, le lieu où il vit, les gens qui l’entourent. C’est parce que nous avons un certain rapport à l’extérieur que nous sommes des hommes. Les animaux n’ont pas le même genre de rapport ». Cet entourage est comme un nid d’initiation où va s’affirmer la différenciation Homme – Animal. Et que fait cet entourage de lui ? Que fait-il de cet entourage ? Un simple résumé de la vie avec son sel, son piment, son poivre. Il va lui servir d’arène pour développer les premiers instincts de base. Le « Livre d’Urantia » nous dit : « Les instincts fondamentaux des mammifères commencèrent à se manifester chez ces types primitifs. Les mammifères possèdent, sur toutes les autres formes de la vie animale, un immense avantage pour survivre du fait qu’ils peuvent :

          • Mettre au monde des petits relativement évolués et bien développés.

          • Nourrir, instruire et protéger leur descendance avec une attention affectueuse.

          • Employer la supériorité de leur pouvoir cérébral pour se perpétuer.

          • Utiliser leur agilité accrue pour échapper à leurs ennemis.

          • Appliquer leur intelligence supérieure pour s’ajuster et s’adapter au milieu ».

          Il nous met au parfum de l’évolution de l’homme dans son entourage primitif: « C’est dans ce nouveau foyer à la cime des arbres, après qu’ils eurent été réveillés une nuit par un violent orage et alors qu’ils se tenaient peureusement et tendrement embrassés, qu’ils prirent la décision ferme et définitive de fuir leur habitat tribal et leur foyer arboricole. Ils avaient déjà préparé une retraite sommaire au sommet d’un arbre à environ une demi-journée de marche vers le nord. Ce fut leur cachette secrète et sûre pour le premier jour qu’ils passèrent loin de leur forêt natale. Bien que les jumeaux partageassent la peur mortelle des primates de demeurer sur le sol pendant la nuit, ils se mirent en route vers le nord au crépuscule. Il leur fallut un courage exceptionnel pour entreprendre ce voyage nocturne, même avec la pleine lune, mais ils pensèrent à juste titre que leur absence ne serait probablement pas remarquée et qu’ils auraient moins de risques d’être poursuivis par leurs parents et les membres de leur tribu. Ils arrivèrent sains et saufs peu après minuit au rendez-vous préparé à l’avance ».

          Léopold Sédar Senghor, enjambant des millénaires de cette évolution, fait une synthèse de tout le processus : développement de la famille, de la société, de la culture, de la conscience de l’au-delà, de l’adoration jusqu’à la présence du Blanc en Afrique, cet être qui se veut supérieur mais qui ne sait pas s’humaniser, qui a dénaturé son humanité, état que le poète veut conjurer :

          « Toi calme Déesse au sourire étale sur l’élan vertigineux de ton sang
          O toi l’Impaludée de ton lignage, délivre-moi de la surrection de mon sang.
          Tamtam toi, toi tamtam des bonds de la panthère, de la stratégie des fourmis,
          des haines visqueuses au jour troisième surgies du potopoto des marais »
          .

          Le poète est conscient de la présence perpétuelle de la Bête. Souvenez-vous, elle ne fut pas tuée : elle fut juste terrassée et somnole toujours dans l’Homme, attendant sa revanche à tout instant. Cette présence peut surgir comme une panthère et envoûter comme un bond de tam-tam qui tire sur les fibres de tout cœur et enivre. La présence de la bête est patiente, puisque munie de la stratégie des fourmis et peut réveiller la surrection du sang, des carnages dans cette jungle vierge, cet Eden que Senghor voit comme une femme, à la manière de Eve qui succomba à la tentation du Serpent et, partant, à la connaissance : « … Le front d’or dompte les nuages, où tournoient des aigles glacés, O pensée qui lui ceint le front ! La tête du serpent est son œil cardinal ».

          Sédar veut maintenir les saveurs fertiles de cet Eden, ne pas s’affadir, ne pas être assimilé, comme il résista à l’eau des fontaines dénaturées de son enfance sur les bords du Puits-de-Pierres, Ngasobil : « De tes rires de tes jeux de tes chansons, de tes fables qu’effeuille ma mémoire, je ne garde que le curé noir dansant et sautant comme le Psalmiste devant l’Arche de Dieu comme l’Ancêtre à la tête bien jointe au rythme de nos mains : « Ndyaga Bâss ! Ndyaga-rîti ! »

          Le silence des forêts, royaume où la Bête guette, n’est jamais très éloigné. Mais l’Eden peut se maintenir sans les grandes découvertes, peut-être que l’Eden ne se maintiendra jamais sur la base de la piste prise par la civilisation dominatrice actuelle. Un autre Nègre va d’ailleurs résister devant cet affadissement de l’Humain, qui devient outil du système qui aurait du être son outil. Ecoutons Guy Tyrolien dans « Prière d’un petit enfant nègre »:

               Seigneur
               Je suis très fatigué
               Je suis né fatigué
               Et j'ai beaucoup marché depuis le chant du coq
               Et le morne est bien haut qui mène à leur école
               Seigneur je ne veux plus aller à leur école,
               Faites je vous en prie que je n'y aille plus
               Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches
               Quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois
               Où glissent les esprits que l'aube vient chasser
               Je veux aller pieds nus par les sentiers brûlés
               Qui longent vers midi les mares assoiffées
               Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers
               Je veux me réveiller lorsque là bas mugit la sirène des blancs
               Et que l'usine ancrée sur l'océan des cannes vomit
               Dans la campagne son équipage nègre
               Seigneur je ne veux plus aller à leur école
               Faites je vous en prie que je n'y aille plus
               Ils racontent qu'il faut qu'un petit nègre y aille
               Pour qu'il devienne pareil
               Aux messieurs de la ville
               Aux messieurs comme il faut;
               Mais moi je ne veux pas
               Devenir comme ils disent
               Un monsieur de la ville
               Un monsieur comme il faut
               Je préfère flâner le long des sucreries
               Où sont les sacs repus
               Que gonfle un sucre brun
               Autant que ma peau brune
               Je préfère
               Vers l'heure où la lune amoureuse
               Parle bas à l'oreille
               Des cocotiers penchés
               Écouter ce que dit
               Dans la nuit
               La voix cassée d'un vieux qui raconte en fumant
               Les histoires de Zamba
               Et de compère Lapin
               Et bien d'autres choses encore
               Qui ne sont pas dans leur livre.
               Les nègres vous le savez n'ont que trop travaillé
               Pourquoi faut-il de plus
               Apprendre dans des livres
               Qui nous parlent de choses
               Qui ne sont point d'ici.
               Et puis elle est vraiment trop triste leur école
               Triste comme
               Ces messieurs de la ville
               Ces messieurs comme il faut
               Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune
               Qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds
               Qui ne savent plus conter de contes aux veillées
               Seigneur je ne veux plus aller à leur école.

          L’Eden, disons-nous, peut se maintenir sans le fruit ultime de l’esprit qui est toujours, dans la sophistication, un joyau militaire de dernière génération, qui a rendu possible l’étendue du carnage et la monstruosité des charniers d’Europe : « Mais entends l’ouragan des aigles-forteresses, les escadres aériennes tirant à pleins sabords et foudroyant les capitales dans la seconde de l’éclair. Et les lourdes locomotives bondissent au-dessus des cathédrales et les cités superbes flambent, mais bien plus jaunes, mais bien plus sèches qu’herbe de brousse en saison sèche. Et voici que les hautes tours, orgueil des hommes, tombent comme les géants des forêts avec un bruit de plâtras et voici que les édifices de ciment et d’acier fondent comme cire molle aux pieds de Dieu. Et le sang de mes frères blancs bouillonne par les rues, et le sang de mes frères noirs, les tirailleurs dont chaque goutte répandue est une pointe de feu à mon flanc ».

          Il y a aussi cette autre sophistication qui rend le poète très solitaire : « … Je ne reconnais plus les hommes blancs, mes frères comme ce soir au cinéma, perdus qu’ils étaient au-delà du vide fait autour de ma peau … Je t’écris parce que mes livres sont blancs comme l’ennui, comme la misère et comme la mort ».

          Mais l’Homme différencié doit être aux aguets, car le guette la Bête à tout instant : « Hâ ! Sur toute chose, du sol spongieux et des chants savonneux de l’Honune-blanc. Mais délivre-moi de la nuit sans joie, et guette le silence des forêts. Donc que je sois le fût splendide et le bond de vingt-six coudées, surtout les doux propos à la néoménie, jusqu’à la minuit du sang. Délivre-moi de la nuit de mon sang, car guette le silence des forêts ».

          Cet Eden est pourtant partout possible, de Dyilôr à Ermenonville en passant par Joal, et peut reposer sur des choses minimes, comme la douceur d’un climat d’automne, lorsqu’il fait trop beau trop doux : « Tanns d’enfance tanns de Joal, et ceux de Dyilôr en Septembre, nuits d’Ermenonville en Automne – il avait fait trop beau trop doux » ou simplement sur les fleurs sereines des cheveux de la bien-aimée, la blancheur de ses dents : « Fleurs sereines de tes cheveux, pétales si blancs de ta bouche ». Il peut reposer sur une odeur de parfum de gongo : « coffines d’ambre et de gongo » ou sur l’élan d’une pirogue sur l’eau, l’élan de l’Amant sur la passe de passion large tendue du ventre de l’Aimée, lorsque sur la poitrine, clairière surréelle, se dressent les seins comme deux îlots. « Dans l’alizé, sois la fuite de la pirogue sur l’élan lisse de ton ventre. Clairières de ton sein îles d’amour ».

          A travers toutes les races et tous les territoires foulés aux pieds et ayant subi la domination et l’influence, la solitude poignante est justement la décadence de l’innocence sous la gueule hardie de la gourmandise, du matérialisme.

          C'est ce que ressentit Chief Seattle, que nous allons le citer intégralement, dira : « Le président à Washington envoie nous dire qu’il veut acheter notre terre. Mais comment peut-on acheter ou vendre le ciel, la Terre ? L’idée nous est très étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et l’éclat de l’eau, comment pouvez-vous nous les acheter ? Pour mon peuple, chaque élément de la terre est sacré. Chaque épine luisante du pin, toute plage sableuse, tout lambeau de brume dans les bois sombres, toute clairière et chaque bourdonnement d’insecte. Tout est sacré dans la mémoire et l’expérience de mon peuple.
          « La sève qui coule dans les arbres transporte les souvenirs de l'homme rouge. Les morts des hommes blancs oublient le pays de leur naissance lorsqu'ils vont se promener parmi les étoiles. Nos morts n'oublient jamais cette terre magnifique, car elle est la mère de l'homme rouge. Nous sommes une partie de la terre, et elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos sœurs; le cerf, le cheval, le grand aigle, ce sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du poney, et l'homme, tous appartiennent à la même famille.
          « Aussi lorsque le Grand chef à Washington envoie dire qu'il veut acheter notre terre, demande-t-il beaucoup de nous. Le Grand chef envoie dire qu'il nous réservera un endroit de façon que nous puissions vivre confortablement entre nous. Il sera notre père et nous serons ses enfants. Nous considérons donc, votre offre d'acheter notre terre. Mais ce ne sera pas facile. Car cette terre nous est sacrée. « Cette eau scintillante qui coule dans les ruisseaux et les rivières n'est pas seulement de l'eau mais le sang de nos ancêtres. Si nous vous vendons de la terre, vous devez vous rappeler qu'elle est sacrée et que chaque reflet spectral dans l'eau claire des lacs parle d'événements et de souvenirs de la vie de mon peuple. Le murmure de l'eau est la voix du père de mon père.
          « Les rivières sont nos frères, elles étanchent notre soif. Les rivières portent nos canoës, et nourrissent nos enfants. Si nous vous vendons notre terre, vous devez désormais vous rappeler, et l'enseigner à vos enfants, que les rivières sont nos frères et les vôtres, et vous devez désormais montrer pour les rivières la tendresse que vous montreriez pour un frère. Nous savons que l'homme blanc ne comprend pas nos mœurs. Une parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c'est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n'est pas son frère, mais son ennemi, et lorsqu'il l'a conquise, il va plus loin. Il abandonne la tombe de ses aïeux, et cela ne le tracasse pas. Il enlève la terre à ses enfants et cela ne le tracasse pas. La tombe de ses aïeux et le patrimoine de ses enfants tombent dans l'oubli. Il traite sa mère, la terre, et son frère, le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu'un désert.
          « Il n'y a pas d'endroit paisible dans les villes de l'homme blanc. Pas d'endroit pour entendre les feuilles se dérouler au printemps, ou le froissement des ailes d'un insecte. Mais peut-être est-ce parce que je suis un sauvage et ne comprends pas. Le vacarme semble seulement insulter les oreilles. Et quel intérêt y a-t-il à vivre si l’homme ne peut entendre le cri solitaire de l’engoulevent ou les palabres des grenouilles autour d'un étang la nuit ? Je suis un homme rouge et ne comprends pas. L'Indien préfère le son doux du vent s'élançant au-dessus de la face d'un étang, et l'odeur du vent lui-même, lavé par la pluie de midi, ou parfumé par le pin pignon.
          « L'air est précieux à l’homme rouge, car toutes choses partagent le même souffle. La bête, l'arbre, l'homme. Ils partagent tous le même souffle. L'homme blanc ne semble pas remarquer l'air qu'il respire. Comme un homme qui met plusieurs jours à expirer, il est insensible à la puanteur. Mais si nous vous vendons notre terre, vous devez vous rappeler que l'air nous est précieux, que l'air partage son esprit avec tout ce qu'il fait vivre. Le vent qui a donné à notre grand-père son premier souffle a aussi reçu son dernier soupir. Et si nous vous vendons notre terre, vous devez la garder à part et la tenir pour sacrée, comme un endroit où même l'homme blanc peut aller goûter le vent adouci par les fleurs des prés. Nous considérerons donc votre offre d'acheter notre terre. Mais si nous décidons de l'accepter, j'y mettrai une condition : l'homme blanc devra traiter les bêtes de cette terre comme ses frères. Je suis un sauvage et je ne connais pas d'autre façon de vivre. « J'ai vu un millier de bisons pourrissant sur la prairie, abandonnés par l'homme blanc qui les avait abattus d'un train qui passait. Je suis un sauvage et ne comprends pas comment le cheval de fer fumant peut être plus important que le bison que nous ne tuons que pour subsister. Qu'est-ce que l'homme sans les bêtes ? Si toutes les bêtes disparaissaient, l'homme mourrait d'une grande solitude de l'esprit. Car ce qui arrive aux bêtes, arrive bientôt à l'homme. Toutes choses se tiennent.
          « Vous devez apprendre à vos enfants que le sol qu'ils foulent est fait des cendres de nos aïeux. Pour qu'ils respectent la terre, dites à vos enfants qu'elle est enrichie par les vies de notre race. Enseignez à vos enfants ce que nous avons enseigné aux nôtres, que la terre est notre mère. Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. Si les hommes crachent sur le sol, ils crachent sur eux-mêmes. « Nous savons au moins ceci : la terre n'appartient pas à l'homme ; l'homme appartient à la terre. Cela, nous le savons. Toutes choses se tiennent comme le sang qui unit une même famille. Toutes choses se tiennent.
          « Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. Ce n'est pas l'homme qui a tissé la trame de la vie : il en est seulement un fil. Tout ce qu'il fait à la trame, il le fait à lui-même.
          « Même l'homme blanc, dont le dieu se promène et parle avec lui comme deux amis ensemble, ne peut être dispensé de la destinée commune. Après tout, nous sommes peut-être frères. Nous verrons bien. Il y a une chose que nous savons, et que l'homme blanc découvrira peut-être un jour, c'est que notre dieu est le même dieu. Il se peut que vous pensiez maintenant le posséder comme vous voulez posséder notre terre, mais vous ne pouvez pas. Il est le dieu de l'homme, et sa pitié est égale pour l'homme rouge et le blanc. Cette terre lui est précieuse, et nuire à la terre, c'est accabler de mépris son créateur. Les Blancs aussi disparaîtront ; peut-être plus tôt que toutes les autres tribus. Contaminez votre lit, et vous suffoquerez une nuit dans vos propres détritus.
          « Mais en mourant vous brillerez avec éclat, ardents de la force du dieu qui vous a amenés jusqu'à cette terre et qui pour quelque dessein particulier vous a fait dominer cette terre et l'homme rouge. Cette destinée est un mystère pour nous, car nous ne comprenons pas lorsque les bisons sont tous massacrés, les chevaux sauvages domptés, les coins secrets de la forêt chargés du fumet de beaucoup d'hommes, et la vue des collines en pleines fleurs ternie par des fils qui parlent.
          Où est le hallier ? Disparu. Où est l'aigle ? Disparu.
          La fin de la vie, le début de la survivance »
          .


        3. KAYA MAGAN OU UN APOGEE NEGRE

          Nous avons trouvé une belle mise en garde proférée par le texte suivant parlant des « Ethiopiques » : « L'unité du recueil n'est pas évidente, mais il est important que les élèves aient bien en tête la table des matières, ce qui leur permettra ensuite de circuler plus aisément dans l'œuvre… Le recueil « Ethiopiques » est une œuvre particulièrement difficile, et l'approche traditionnelle qui veut que les élèves lisent l'œuvre par eux-mêmes avant de venir en cours est difficilement envisageable. Il est donc fondamental dans l'étude de cette œuvre de considérer le texte comme un point de départ et non comme une illustration; beaucoup plus sans doute que les autres œuvres du programme, « Ethiopiques » exige des lectures collectives en classe... Les poèmes d'Ethiopiques sont souvent des textes obscurs, difficilement lisibles; il est important de :

          • Ne pas nier cette opacité, de ne pas greffer artificiellement une interprétation massive sur un texte dont le sens n'est pas évident; l'obscurité est un caractère du texte et doit être présenté aux élèves comme tel.

          • Comprendre ce qui la produit (vocabulaire recherché, néologismes, ambiguïtés délibérées, torsions de la syntaxe, en particulier de l'ordre des mots...)

          • Compenser cette obscurité par une grande rigueur de l'étude en s'appuyant sur les données objectives du texte: insister sur les récurrences thématiques et formelles (retour des mêmes procédés), mettre l'accent sur les problèmes de composition (au niveau des poèmes comme au niveau du recueil), analyser précisément les situations d'énonciation... » .

          Lilyan Kesteloot, de son côté, nous dit : « Voici peut-être le poème de Léopold Sédar Senghor, qui nous donne le plaisir esthétique le plus achevé et le plus durable. Et comme cela se passe avec toute œuvre d’art vraiment transcendante, ce plaisir est à la fois intense et mystérieux. De quoi exactement est-il fait ? C’est le secret du poète, et notre tâche va consister à l’approcher, l’apprivoiser et peut-être à en voler quelques uns des éléments constitutifs. Le poème est tout entier fondé sur une évocation du plus ancien empire africain connu : l’empire du Wagadou, improprement nommé Ghana par les voyageurs arabes » .

          Et pourtant ! Le poète suit un chronogramme mortellement exact, chronogramme facilement détectable si l’on ne perd de la mémoire la raison d’être des « Ethiopiques », raison d’être qui semble s’être faufilée à travers les doigts de tous ceux qui se sont penchés sur cette entité qui se dresse comme une thèse poétique fondamentale de la Négritude. Oui, après la dissociation Homme – Animal, Senghor place le héro victorieux dans un milieu naturel, jardin d’Eden où la joie de vivre était liée à l’entourage, parce que partant de celui-là pour lui revenir dans une réciprocité de respect fatalement mutuel.

          Comme toute société humaine, le progrès, entendez l’évolution, doit suivre son cours, et le poète, sur la base d’un des plus éminents empires nègres et, partant, son empereur, va montrer jusqu’à quel degré l’homme, plus précisément le Nègre, Homme-dissocié-de-la-bête, est arrivé en gardant une splendeur de l'émotion, une candeur d’humanité et d’humanisme, contrairement à l’Homme-non-dissocié-de-la-Bête lorsque la Bête se réveilla en l’Homme vers la fin des années 30 pour faire un pont de charniers et chambres à gaz à travers l’Europe jusqu’en 1945 et qui fera pleurnicher notre poète : « Ah ! Là-bas l’orage soudain, c’est l’incendie des côtes blanches de la blanche paix de l’Afrique mienne. Et dans la nuit où tonnent de grandes déchirures de métal, entends plus près de nous, sur trois cents kilomètres, tous les hurlements des chacals sans lune et les miaulements félins des balles, entends les rugissements brefs des canons et les barrissements des pachydermes de cent tonnes. Est-ce l’Afrique encore cette côte mouvante, cet ordre de bataille, cette longue ligne rectiligne, cette ligne d’acier et de feu ?... ».

          Certes, cet empire a connu lui aussi des guerres, mais pas des guerres basées sur une cause aryenne où un peuple se dresse au-dessus de l’autre en super race alors que la définition même de l’homme échappait encore à ses plus fortes têtes. Bâtir un empire est certes une des émanations capitales des capacités sociologiques de l’humain, mais écoutons ce que le « Livre d’Urantia » nous dit sur les institutions humaines primitives : « Sur le plan émotionnel, l’homme transcende ses ancêtres animaux par son aptitude à apprécier l’humour, l’art et la religion. Sur le plan social, l’homme montre sa supériorité en fabriquant des outils, en communiquant sa pensée et en établissant des institutions. Quand des êtres humains restent longtemps groupés en société, ces collectivités entrainent toujours la création de certaines tendances d’activités qui culminent en institutions. Presque toutes les institutions humaines ont fait apparaître une économie de travail tout en contribuant dans une certaine mesure à accroitre la sécurité collective. « L’homme civilisé tire une grande fierté du caractère, de la stabilité et de la permanence des institutions établies, mais toutes les institutions humaines ne représentent que l’accumulation des mœurs du passé telles qu’elles ont été conservées par les tabous et revêtues de dignité par la religion. Ces legs deviennent des traditions, et les traditions se métamorphosent finalement en conventions.


      4. LES INSTITUIONS HUMAINES FONDAMENTALES

        « Toutes les institutions humaines répondent à quelque besoin social, passé ou présent, bien que leur développement excessif amoindrisse infailliblement la valeur propre de l’individu en éclipsant la personnalité et en restreignant les initiatives. L’homme devrait contrôler ses institutions et non se laisser dominer par ces créations d’une civilisation qui progresse. Les institutions humaines appartiennent à trois classes générales :

        • Les institutions d’autoconservation : Ces institutions comprennent les pratiques nées de la faim et des instincts de conservation qui lui sont liés. Nous citerons l’industrie, la propriété, la guerre d’intérêt et toute la machinerie régulatrice de la société. Tôt ou tard, l’instinct de la peur conduit à établir ces institutions de survivance au moyen de tabous, de conventions et de sanctions religieuses. Mais la peur, l’ignorance et la superstition ont joué un rôle prédominant dans la création et le développement ultérieur de toutes les institutions humaines.

        • Les institutions d’autoperpétuation : Ce sont les créations de la société nées de l’appétit sexuel, de l’instinct maternel et des sentiments affectifs supérieurs des races. Elles embrassent les sauvegardes sociales du foyer et de l’école, de la vie familiale, de l’éducation, de l’éthique et de la religion. Elles comprennent les coutumes du mariage, la guerre défensive et l’édification des foyers.

        • Les pratiques de satisfaction égoïste : Ce sont les pratiques nées des tendances à la vanité et des sentiments d’orgueil ; elles comprennent les coutumes d’habillement et de parure personnelle, les usages sociaux, les guerres de prestige, la danse, les amusements, les jeux et d’autres formes de plaisirs sensuels. Mais la civilisation n’a jamais produit d’institutions spéciales pour les satisfactions égoïstes. Ces trois groupes de pratiques sociales sont intimement reliés et interdépendants. Ils représentent sur Urantia une organisation complexe qui fonctionne comme un seul mécanisme social ».

        Comment peut-on, en face d’une race ayant évolué jusqu’à former des empires comme celui du Ghana, se lever et définir ses citoyens comme des sous-hommes ? On peut bien dominer une race, mais cela lui enlève-t-il son humanité ? Pour y arriver, la méthode de l’éthique à appliquer ne peut-être que téléologique, une démarche basée sur une malhonnêteté intellectuelle où seule la finalité prime et peut importe les méthodes déployées pour y parvenir.

        Pour exhiber la somme de l’évolution de la société nègre, le poète ne pouvait que remonter à un moment et endroit de l’histoire où celle-ci peut être contemplée dans son apogée, dans toute sa splendeur. Le royaume du Ghana est donc apte à servir de jardin d’expérimentation. Voyons un condensé de son histoire .


        1. )  UN EXEMPLE : LE ROYAUME DU GHANA

          Deux thèses existent sur les origines du royaume du Ghana qui deviendra plus tard un empire. Selon la tradition orale, le créateur du royaume serait un homme venu de l’Est nommé Dinga Cissé. Une autre source parle de la création du royaume par des Berbères venus du Sahara vers le Vème siècle. Le royaume fût par la suite dominé par les Soninké peuple animiste vivant à la limite Sud du Sahara. Le royaume de Ghana s’agrandit pour devenir un empire en dominant les dirigeants des chefferies situées aux alentours.


          1. ) ORGANISATION DE L’EMPIRE

            Le maître du Ghana était dit Kaya Magha, maître de l’or. Le Kaya Maga était plus qu'un empereur ou un roi. C’était un chef suprême chargé du pouvoir religieux et judiciaire, considéré comme étant en rapport direct avec Bida, donc responsable de son culte et du pacte scellé avec lui. En effet, Diabé Cissé descendant de Dinga avait signé un contrat avec Bida le serpent qui habitait une grotte au environ de Koumbi, la capitale de Ghana. Le Kaya Magha rendait la justice : sa décision prise après tous les examens nécessaires, était définitive et irrévocable. Le Ghana fut un pays riche, en hommes et En biens. Dès la fondation de Koumbi, il y eut autour du Kaya Magha une nombreuse cour rappelée symboliquement par les gessere ou généalogistes.


          2. ) L'ORGANISATION POLITIQUE ET MILITAIRE

            L’organisation politique et militaire était très précise. Elle comportait notamment :

            • 12 patriarches conseillers, descendants directs des compagnons de Dinga. Ils avaient été choisis pour leurs connaissances et leur personnalité. Le Kaya Magha les réunissait pour étudier et discuter de toutes les situations, de tous les problèmes et de leurs solutions possibles, avant que ne soient convoqués les chefs des clans Wage (les nobles) pour l'action.

            • 18 généraux nana. Ces chefs de guerre étaient chargés de l’organisation de l'armée et de superviser les opérations sur le terrain. Obligatoirement 9 d’entre eux montaient des chevaux roux et les 9 autres des chevaux blancs.

            • 12 fado, gouverneurs militaires responsables des régions. Le texte mentionne toujours les 4 Fado, qui furent gouverneurs des quatre premières régions mises sous leur responsabilité militaire. Au fuir et à mesure de l'extension de l'empire, il y eut 12 provinces régies par 12 fado.

            • 12 Hida, officiers supérieurs, et 18 éclaireurs, montant aussi des chevaux blancs: le retour de ces derniers indiquait que l’ennemi était en vue. Le soin avec lequel sont précisées les couleurs des généraux et des éclaireurs témoigne à lui seul l'importance du cheval dans la société Soninké traditionnelle.

            • 7 notables chargés de surveiller les Wage afin que tous que les interdits soient respectés. Ils étaient secondés de 7 assistants.

            • 4 responsables de la police, dits samasa duara dyuwara. Quand les Soninké eurent pacifié les régions qu’ils avaient occupées et organisées l'empire, ils renoncèrent aux entreprises guerrières. Ils conservèrent toujours une armée à pied et des cavaliers.


          3. ) L'ORGANISATION SOCIALE

            L’organisation sociale n'était pas moins précise. C’est ce dont témoignent les références de la tradition de Yerere. Des fonctionnaires avaient la charge des tractations commerciales ou autres, des adjoints aux responsables des rites religieux et familiaux comme les mariages, les baptêmes, les circoncisions et les funérailles. Diabé se fit construire un palais fait de pierres, comme d’ailleurs toutes les habitations des nobles de Koumbi. Koumbi Saleh était le lieu du marché où se rendaient les caravaniers et où logeaient les commerçants et les étrangers de passage, où affluèrent pendant toute la durée de l'empire les divers échanges et les tractations. Quant au quartier impérial de Kaalata, il se trouvait à plusieurs kilomètres de distance, loin de l’endroit où vivaient les étrangers. Ces derniers ne devaient en aucun cas y pénétrer.


        2. FIN DE L’EMPIRE

          Les conversions à l'islamisme avaient eu lieu parmi les membres des divers clans de Ghana. Mais pendant longtemps il n’y eu ni conflit, ni agression d'un côté comme de l'autre et les responsables des cultes traditionnels avaient toujours respecté le contrat passé avec Bida. Or Moudou Touré se convertit à son tour, poussé par des marabouts étrangers qui l’assuraient que l'islamisme le protégerait contre les fétiches. Il se souleva contre l'autorité jusque-là incontestée des Cissé. Certains membres de son clan et des clans Diane et Koma suivirent son exemple alors que les autres descendants des fils de Dinga restaient fidèles à la tradition. Un vaste complot fut réalisé pour la prise du pouvoir par les Touré avec certains clans Kakolo. Il y eu des conversions. Selon la tradition orale, dans le titre d'honneur des Touré, il y est fait référence que: Moudou Touré aurait gravi une colline située à l'est dans le Wagadou pour combattre avec ses guerriers un ennemi qui n'est pas précisé. Ceci pour souligner la prédominance de l’islam sur les cultes antérieur. Moudou Touré a par son geste attaqué les croyances traditionnelles et Bida est mort. Bien qu’il soit devenu maître de l'empire, étant converti, Moudou ne pouvait plus porter le titre de Magha. Les gessere lui donnèrent celui de madyu en tant que descendant d’un fondateur littéralement ma = maître, dyu = fondement, base. Ainsi, Moudou Touré régna sous ce titre. On ne sait pas si sa descendance a exercé le pouvoir.


        3. ) EMIGRATIONS ET DISPERSIONS

          Les guerres, la sécheresse, les risques de famine et l'épuisement de l’or collecté ont contraint les Soninké de l'empire de Wagadou, qui peuplaient le Sahel, à émigrer par vagues successives et à des époques diverses vers le sud sur les rives du Sénégal et du Niger, et notamment dans la région du Mandé. La tradition compte cinq diasporas qui se sont échelonnées depuis plusieurs millénaires jusqu'au XIIe siècle de notre ère. Le pays a été progressivement ruiné par la sécheresse alternante : les habitants, qui l'avaient quitté pour se réfugier à l’est, à l'ouest ou près du Niger, revenaient parfois sur leurs anciens habitats lors d’une saison favorable, pour en repartir plus tard lorsque la sécheresse était de retour.

          Les Kakolo avaient cruellement souffert des guerres menées contre eux par les Soninké. Par vagues successives, ils émigrèrent très tôt vers des lieux plus cléments. Un grand nombre de Sénoufo serait des descendants de ces Kakolo émigrés ainsi que les Diallonké, les Koniagui, certains Malinké dits ’noirs’ et les Sèrères qui se seraient fixés au bord de la mer. La première grande sécheresse brisa le Ghana et fit évanouir sa prospérité. Cela contraignit les populations à immigrer plus au Sud. Un certain nombre se serait alors fixé sur les rives du Niger et du Sénégal.

        Le Ghana, Wagadou, se serait repeuplé et aurait connu un « nouvel âge d’or » après la première grande sécheresse. Il en aurait été de même après les sécheresses qui auraient suivi celle-ci, les moyens mis en œuvre pour assurer cette prospérité ayant été toujours les mêmes : extension de la pratique de l'esclavage, intensification de l'exploitation de l'or, ainsi que du trafic commercial, surtout à longue distance. D'après les traditions orales Soninké, l'islam aurait été introduit pour la première fois en Afrique occidentale vers 666 par des émissaires d’Ocka Ben Nafî. Après qu'il eut posé la brique de fondation de la mosquée de Kairouan en Tunisie, ce champion de l'expansion musulmane en Égypte aurait dépêché au Ghana Wagadou une délégation chargée de demander au Kaya Magha de se convertir à la religion d'Allah. Le souverain aurait bien sûr repoussé cette demande; il aurait cependant permis à ses sujets, et surtout à ceux d'entre eux qui entretenaient des relations commerciales suivies avec la Turquie le trafic de diamants, d'eunuques, et d'esclaves, d'embrasser la nouvelle religion. Quelques décades plus tard, en 735, les Omeyyades tentèrent en vain d'imposer l'islam par la force des armes. Vers le milieu du VIIIe siècle, les premiers pèlerins de Ghana Wagadou, avec Salim Cissé alias Souwaré, se seraient rendus à la Mecque. L'islam devint alors la religion des marchands Soninkés et s’implanta partout où allaient ces derniers. Ceci n'est pas sans poser de graves problèmes politiques. On croit savoir que « la guerre des Kaya Magha », qui aurait duré trente-six ans, était la conséquence directe des progrès de l'islam dans le Wagadou. Cette guerre se prolongea au XIe siècle par le mouvement almoravide dit dyihadi flanan, deuxième guerre sainte, qui se passa surtout dans le Nord du pays ».

        L’empire étant constitué de nombreux royaumes vassaux, il y avait de temps en temps des tentatives de sécessions. Au Xème siècle les berbères d’Aoudaghost s’étaient révoltés ; à la fin du siècle le Kaya Magha avait repris la grande cité et lui avait donné un gouverneur noir. En 1063, Aoudaghost tombe entre les mains des Almoravides d’Ibn Yassine. Tolérant le roi les autorise à construire un quartier prés de sa capitale. En 1076, les Almoravides prétendant ne plus pouvoir supporter l’autorité d’un infidèle passent à l’attaque. Ils entrent dans la capitale, pillent et brûlent. Retournant dans leur savane ils lancent des raids auxquels personne ne résiste.


    3. EMIGRATIONS ET DISPERSIONS

      La valeur de cette longue citation est de montrer que l'Afrique avait ses royaumes et que ces royaumes ont naturellement suivi la même trajectoire que connaissent tous les royaumes à travers le monde sans exception de race, de couleur ou d'ethnie. Cette manière de procéder est propre au caractère fondamental et intrinsect de la nature humaine : lutte de pouvoir, soumission d'autres peuples ou groupes ethniques dans une tentative d'étendre d'un territoir ou pour trouver plus de ressources.

    UN RAPIDE EXEMPLE POUR LE DICtiONNAIRE

    Njamala Njogoy