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mardi 9 octobre 2018

ETHIOPIQUES - NEGRITUDE : PROBLEME DE RENIEMENT


  • LE RENIEMENT

    Nos auteurs ne sont pas partis chercher ces coups de pieds dans le foin et encore moins très loin dans un vide de paranoïa : « On connaît le système raciologique de Gobineau, qui distingue trois grandes « races », placées sur une échelle graduée (Poliakov 1987 : 265 et suiv. ; Todorov 1989 : 153 et suiv. ; Taguieff 1998 : 21 et suiv.). En haut de ce classement figurent les Blancs, porteurs d’énergie et d’intelligence : ce sont les seuls qui, dès le départ, sont susceptibles d’apporter la civilisation, malgré le pessimisme historique à l’œuvre dans l’Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855). Suit la race jaune, qui a des dispositions à l’apathie, mais qui conserve une certaine forme de rationalité. Vient ensuite la variété mélanienne, qui ne sortira jamais du cercle intellectuel le plus restreint, et qui est caractérisée par l’avidité [...] de ses sensations (Gobineau 1983 : I, 339 et suiv.) : Ce qu’il [le Noir] souhaite, c’est manger, manger avec excès, avec fureur (ibid., 340).

    Le Noir semble donc réduit un corps quasiment privé de cerveau, corps lui-même limité à une pure fonction digestive, par ailleurs hypertrophiée. Le Noir est du côté de l’instinct et de la matière. Son hybris paraît tournée entièrement vers lui-même : il consomme, il absorbe gloutonnement, au lieu de produire et de créer. Etre du pure sensation, il oscille entre des pulsions contradictoires. La négrophobie gobinienne, pour choquante qu’elle soit, n’est pas isolée à son époque. Elle pouvait prendre appui sur un discours scientifique, par exemple celui du médecin Virey qui, dans son Histoire naturelle du genre humain (1824), explique que le Noir constitue une sorte d’intermédiaire entre l’orang-outang et le Blanc. Dessins à l’appui, l’auteur entend prouver que ces trois espèces différentes prouvent la supériorité à la fois esthétique, morale et intellectuelle de l’homme blanc, dont l’angle facial est presque droit, tandis que celui du Noir, nettement plus fermé (ce qui a pour conséquence de lui comprimer le cerveau et de rendre sa mâchoire proéminente), le rapproche à l’évidence de celui du singe, son compatriote (Virey 1824 : II, 43). Virey assure par ailleurs que les nègres sont de grands enfants (ibid., 43 ; je souligne). Entendons le terme dans son sens étymologique : in- fans, qui ne parle pas. Ou plus exactement : qui n’a pas les mêmes capacités linguistiques que les Blancs. Leurs langages, écrit Virey à propos des Noirs, très bornés, monosyllabiques, manquent de termes pour les abstractions (ibid., 56) – ce qui est bien normal, puisque ce sont des êtres portés sur l’usage des sens, et même tout proches de l’animalité.

    Parmi nos cinq points, c’est le reniement qui aura le plus marqué les Nègres, chargé de l’effet le plus dévastateur. C'est aussi lui qui sera la différence d'avec les autres colonisations de l'histoire. Enchaînés et vendus, ils auraient pu encore, avec un moindre mal, se redresser en face de l’antagoniste, comme deux athlètes qui s’affrontent et dont l’un tôt ou tard doit fléchir sans perdre de son humanité devant l’autre. Mais le voilà, terrassé, son humanité ôtée; le voilà considéré comme un sous-homme, son histoire inexistante. En 1830, dans son « Cours sur la philosophie de l’histoire », Hegel déclarait : « L’Afrique n’est pas une partie historique du monde. Elle n’a pas de mouvements, de développements à montrer. De mouvements historiques en elle. C’est-à-dire que sa partie septentrionale appartient au monde européen ou asiatique ; ce que nous entendons précisément par l’Afrique est l’esprit ahistorique, l’esprit non développé, encore enveloppé dans des conditions de naturel et qui doit être présenté ici seulement comme au seuil de l’Histoire du monde » et en 1928, Coupland, dans son « Manuel sur l’Histoire de l’Afrique Orientale » écrivait : « Jusqu’à D. Livingstone, on peut dire que l’Afrique proprement dite n’avait pas eu d’histoire. La majorité de ses habitants étaient restés, durant des temps immémoriaux, plongés dans la barbarie. Tel avait été, semble-t-il, le décret de la nature. Ils demeuraient stagnants, sans avancer ni reculer ». Une autre citation caractéristique : « Les races africaines proprement dites - celle de l’Egypte et d’une partie de l’Afrique Mineure mise à part - n’ont guère participé à l’Histoire, telle que l’entendent les historiens. Je ne me refuse pas à accepter que nous ayons dans les veines quelques gouttes d’un sang africain (d’Africain à peau vraisemblablement jaune) mais nous devons avouer que ce qu’il en peut subsister est bien difficile à retrouver. Donc, deux races humaines habitant l’Afrique ont seules joué un rôle efficient dans l’histoire universelle : en premier lieu et d’une façon considérable, les Egyptiens, puis les peuples du Nord de l’Afrique ».

    En 1957, c’est à son tour P. Gaxotte qui écrit sans broncher dans la « Revue de Paris » : « Ces peuples, vous voyez de qui il s’agit, n’ont rien donné à l’humanité ; et il faut bien que quelque chose en eux les en ait empêchés. Ils n’ont rien produit, ni Euclide, ni Aristote, ni Galilée, ni Lavoisier, ni Pasteur. Leurs épopées n’ont été chantées par aucun Homère ». Parmi ceux-là il faut citer celui que l'on dénomma le « le père du racisme », Joseph Arthur dit Comte de Gobineau, un théoricien du racisme. Il fut parmi les chercheurs qui, au 19e siècle, s'activèrent autour des préjugés contre les différentes races, en particulier contre les Noirs. Dans son « Essai sur l’inégalité des races humaines », il décrit différentes caractéristiques telles que couleur de la peau, couleur et texture des cheveux, forme et taille du crâne, qu’il met en concordance avec les caractères psychiques, intellectuels, moraux, etc.; ces théories conduisent à une hiérarchisation de valeur des races ou groupements humains.

    Voilà où nous en étions; voilà ce qui poussa Césaire à trépigner dans « Cahier d’un retour au pays natal » : « Partir. Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serais un homme-juif, un homme-cafre, un homme-hindou-de-Calcula, un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas. L’homme famine, l’homme-insulte, l’homme-torture. On pouvait à n’importe quel moment le saisir le rouer de coups, le tuer - parfaitement le tuer sans avoir des comptes à rendre à personne sans avoir des excuses à présenter à personne. Un homme-juif, un homme-pogrom, un chiot, un mendigot » puis pointer un doigt : « …Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on vendait sur les places et l’aune de draps anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans les actes ». Senghor complète: « et la noblesse au sang noir interdite, et la Science et l’Humanité, dressant leurs cordons de police aux frontières de la négritude ».

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    Njamala Njogoy