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mardi 9 octobre 2018

ETHIOPIQUES - NEGRITUDE : PROBLEME DE CHOC CULTUREL


CHOC CULTUREL

« Le terme choc culturel fut introduit pour la première fois par l’anthropologue Kalervo Oberg en 1954, et se réfère au sentiment d’anxiété provoqué par le fait de se retrouver plongé dans un contexte à la fois étranger et étrange. Aujourd’hui, le choc culturel est plutôt considéré comme une chance pour le développement personnel et comme une occasion de maturation. Bien sûr, le choc culturel se présente comme une confrontation très stressante mais qui aboutit à une plus grande conscience de soi et de sa propre culture. Une conscience plus aigue de sa propre culture signifie que l’on a une meilleure vue sur sa propre identité, la structuration de ses valeurs et son propre modèle de communication. Une meilleure conscience culturelle favorise la prise de conscience du fait que chaque culture possède sa propre cohérence et sa propre logique internes ».

En côtoyant les écrits des Nègres, le choc culturel se fait sentir d’une manière très significative, laissant entrevoir une certaine négation condamnatoire envers la culture étrangère qui lui est imposée. Le danger est d’interpréter aveuglément les choses en termes de couleur, ce qui est généralement la tendance. Le cas de choc culturel du Nègre est fatal car celui-ci est désorienté à la fois par la différence de culture, la domination et l’occupation de son propre espace par une puissance qui va instituer et imposer des manières de faire étrangères et étranges. Cet état de faits ne donne aucune possibilité de recul à cause de ladite domination. C’est ce qui va arriver au jeune Senghor à Ngasobil, le forçant à s’évader avec son complice Verdun aux risques de graves punitions : « Mais après les pistaches grillées et salées, après l’ivresse des Vêpres et de midi, je me réfugiais vers toi, Fontaine-des-Eléphants à la bonne eau balbutiante, vers vous mes Anciens, aux yeux graves qui approfondissent toute choses ». Dans « Lettre à un prisonnier » il dit : « Vous ignorez le pain blanc et le lait et le sel et les mets substantiels qui ne nourrissent pas, qui divisent les civils et la foule des boulevards, les somnambules qui on renié leur identité d’homme, caméléons sourds de la métamorphose, et leur honte vous fixe dans votre cage de solitude. Vous ignorez les restaurants et les piscines et la noblesse au sang noir interdite et la Science et l’Humanité, dressant leurs cordons de police aux frontières de la négritude ».

C’est ce choc culturel qui va révolter aussi le petit enfant nègre de Guy Tyrolien et le pousser à adresser une prière singulière à son Seigneur :

«Seigneur je ne veux plus aller à leur école
Faites je vous en prie que je n'y aille plus
Ils racontent qu'il faut qu'un petit nègre y aille
Pour qu'il devienne pareil
Aux messieurs de la ville
Aux messieurs comme il faut;
Mais moi je ne veux pas
Devenir comme ils disent
Un monsieur de la ville
Un monsieur comme il faut »

C’est ce qui fait ricaner le Prince héritier dans « Message » : « Etes-vous plus heureux ? Quelque trompette à wa-wa-wâ et vous pleurez aux soirs là-bas de grands feux et de sang … Vos filles, m’a-t-on dit, se peignent le visage comme des courtisanes. Elles se casquent pour l’union libre et éclaircir la race… ».

Le grand Césaire dans sa solitude citadine dira: « Et là, bercé par les effluves d’une pensée jamais lasse je nourrissais le vent, je délaçais les monstres et j’entendais monter de l’autre côté du désastre, un fleuve de tourterelles et de trèfles de la savane que je porte toujours dans mes profondeurs à la hauteur inverse du vingtième étage des maisons les plus insolentes et par précaution contre la force putréfiante des ambiances crépusculaires, arpentée nuit et jour d’un sacré soleil vénérien ».

Ici nous lui trouvons une inspiration terriblement similaire à celle de Senghor qui dit à Ngom, le champion de Thiané : « Je t’écris dans la solitude de ma résidence surveillée – et chère – de ma peau noire. Heureux amis, qui ignorez les murs de glace et les appartements trop clairs qui stérilisent toute graine sur les masques d’ancêtres et les souvenirs mêmes de l’amour » puis dans « Désespoir d'un volontaire libre » : « Car les barrages des ingénieurs n’ont pas apaisé la soif des âmes dans les villages polytechniques ».

Sans exhaustivité d’exemples, écoutons Chief Seattle s’indigner : « Le président à Washington envoie nous dire qu’il veut acheter notre terre. Mais comment peut-on acheter ou vendre le ciel, la Terre ? L’idée nous est très étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et l’éclat de l’eau, comment pouvez-vous nous les acheter ? Pour mon peuple, chaque élément de la terre est sacré. Chaque épine luisante du pin, toute plage sableuse, tout lambeau de brume dans les bois sombres, toute clairière et chaque bourdonnement d’insecte. Tout est sacré dans la mémoire et l’expérience de mon peuple ».

Et Léon Gontran Damas nous narrer les bonnes règles que lui veut faire appliquer sa mère : « Et j’ai beau avaler sept gorgées d’eau
trois à quatre fois par vingt-quatre heures
me revient mon enfance
dans un hoquet secouant
mon instinct
tel le flic le voyou
Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m’en
Ma mère voulant d’un fils très bonnes manières
à table
Les mains sur la table
le pain ne se coupe pas
le pain se rompt
le pain ne se gaspille pas
le pain de Dieu
le pain de la sueur du front de votre père
le pain du pain
Un os se mange avec mesure et discrétion
un estomac doit être sociable
et tout estomac sociable
se passe de rots
une fourchette n’est pas un cure-dents
défense de se moucher
au su
au vu de tout le monde
et puis tenez-vous droit
un nez bien élevé
ne balaye pas l’assiette
Et puis et puis…
… Un estomac doit être sociable
et tout estomac sociable se passe de rots… »

Mais, justement, le rot, après avoir mangé, n’était-il pas une façon de montrer, de prouver sa reconnaissance envers la cuisinière, preuve que l’on a bien apprécié son repas ? A travers cette raspoutitsa culturelle, c’est en réalité un monde, celui du poète, qui petit à petit se met au galop pour s’effondre et se diluer dans une mondialisation lente, nonchalante mais sûre, mondialisation qui est justement le contraire de la Civilisation de l’universel. Dans la mondialisation une culture assassine toutes les autres, dans la Civilisation de l’universel chaque culture est souveraine, comme les nations composant les Nations Unies où elles devraient se retrouver, égales en souveraineté.

New York, symbole du « nouvel empire » à bâtir, le rêve à accomplir pour tout chef d’Etat moderne, est, aux yeux du « Nouveau Kaya Magan » d’une couleur livide, un cauchemar : « Pas un rire en fleur, sa main dans ma main fraîche, pas un sein de maternel, des jambes de nylon. Des jambes et des seins sans sueur ni odeur. Pas un mot tendre en l’absence de lèvres, rien que des cœurs artificiels payés en monnaie forte et pas un livre où lire la sagesse. La palette du peintre fleurit des cristaux de corail. Nuits d’insomnie ô nuits de Manhattan ! Si agitées de feu follets, tandis que les klaxons hurlent des heures vides et que les eaux obscures charrient des amours hygiéniques, tels des fleuves en crue des cadavres d’enfants. »

Encore une fois, c’est ce qui fait reculer le poète dans « l’Absente ». Le Nouveau Kaya Magan conseille à New York de se repentir, de se souvenir de son oubli du devoir de savoir écouter son cœur, de remonter vers l’Eden d’Adam et Eve, vers le cadre édénique du Congo au sein des cascades, au royaume du Kaya Magan : « Voici venir les temps très anciens, l’unité retrouvée la réconciliation du Lion du Taureau et de l’Arbre, l’idée liée à l’acte, l’oreille au cœur le signe au sens. Voilà tes fleuves bruissant de caïmans musqués et de lamantins aux yeux de mirages. Et nul besoin d’inventer les Sirènes ».

Voilà le drame auquel nous sommes confrontés, nous citoyens de pays qui doivent se développer en emboîtant le pas de systèmes déjà à genoux. Et cela va de soi, à prime abord car au lendemain des indépendances une administration est déjà sur place ; nous avions déjà goûté à la pomme présentée par Eve, c’est-à-dire l’Europe ; un système gérait le monde, contre lequel il n’y avait pas grande chose à faire, le choix étant de rester sous la jupe de l’ancienne métropole ou de changer de camp et ainsi se créer deux fronts tout aussi dévastateurs : l’ancienne métropole vous regarde en traître, et la nouvelle ne maîtrise pas vos eus et coutumes, tout cela poussant dans une arène où le changement n'interviendra jamais que sous pure forme. C’est un fardeau très lourd à porter, comme le soldat Senghor devant les sauvages fleuves slaves, qui doit continuer et accomplir son impossible mission : « Dans l’espoir de ce jour – voici que la Somme et la Seine et le Rhin et les sauvages fleuves slaves sont rouges sous l’épée de l’Archange et mon cœur va défaillant à l’odeur vineuse du sang, mais j’ai des consignes et le devoir de tenir.… ».

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Njamala Njogoy