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samedi 3 novembre 2018

AI - TRAZAGAN - DEUXIEME PARTIE


CHRONIQUE D'UNE GOUVERNANCE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE - DEUXIEME PARTIE

     La salle était grande, tellement grande. Un picasso pendait sur le mur, juste derrière la large chaise dont le dossier surplombait la large et longue table style Louis XIV. Les rideaux étaient tirés et ceinturés de cordons dorés en leur juste milieu et le soleil laissait descendre de doux faisceux comme lavé par la brise marine qui flottait imperceptiblement dans les parages.

     Un léger coup codé heurta la porte d'entrée, bien dosé. Regardant le petit écran en face de lui, un peu en retrait, côté gauche, le Président tira sur un gadget puis balaya l'air de sa main, juste au-dessus. Un petit déclic se fit entendre et la porte s'ouvrit. Trazagan referma la porte derrière lui, s'avança d'un pas calculé, démarche impeccable. Jamais homme issu d'Adam et Eve n'avait paru avec autant d'allure. Mais le comble est qu'il n'était pas aisé de classer Trazagan selon des critères de race.

     Une petite inclinaison. A peine imperceptibe. Il tend au Président l'enveloppe qu'il tenait dans sa main et resta immobile. Le chef prit l'enveloppe, l'ouvrit avec un fin stilet doré et retira une feuille. Il parcourut les lignes. C'était un texte très court. Il regarda Trazagan d'in air interlocuteur. La méthode était en effet archaïque, les messages passant d'emblée par la voie électronique.

     Trazagan était de la dernière génération, le dernier produit de l'Intelligence Articielle. Comme déjà dit, après plusieurs années de tests, de discussions, de débats, de légifération, les Nations-Unies avaient voté et opté pour que désormais le Premier Conseiller de tout président de république serait un robot issu de cette gamme. A cause de ce conseiller on avait aussi réadapté et réajusté pas mal de lois, car, dans le fond, il était même plus puissant qu'un Premier Ministre.

     Dotés d'une mémoire jamais égalée auparavant, interconnectés à toutes les ressources de toutes les institutions du Gouvernement Mondial, ces robots paraissaient quasiment infaillibles, d'où le taux de responsabilités qui leur fut dévolu. D'ailleurs, à le voir debout devant ce majestueux bureau, rien en lui ne laissait paraître une machine derrière ses lunettes légèrement fumées, ces beaux cheveux coupés comme par un séraphin coiffeur. Après avoir parcouru les lignes, le président leva son regard vers le Conseiller :
- Je ne comprends pas la réticence contenue dans ce texte, Monsieur Trazagan. Pourtant, s'agissant des sujets ci-présentés, tout a été strictement appliqué en conformité avec les lois et procédures...
- Je sais, Excellence. En effet, après avoir tout vérifié, force est de reconnaître que l'on a suivi lois et procédures à la lettre. Mais c'est justement là où le Grand Conseil a décelé certaines particularités...
- Des particularités ?... Alors ...?
- Alors ce qui dérange, Monsieur le Président, c'est le côté humain de la chose : malgré l'application textuelle de la loi, le côté humain sousjacent est un calcul et le positionnement d'actes acceptables à première vue mais...
- A première vue ? Mais si la loi est textuellement appliquée, comment une autre vue serait-elle possible ?

     Trazagan eut un petit sourire en coin, dosé d'une contrariété presque imperceptible.
- Par exemple un enfant s'est noyé dans une rigole à Diokandra : une pluie torrentielle s'est abattue sur la ville. Les rues étaient complètement inondées. La raison majeure de cette inondation est le fait qu'on ait entamé des chantiers en creusant toutes les rues pour plutôt montrer qu'on va reconstruire la ville. Donc à prime abord pas pour le bien de la ville, mais à cause de la campagne électorale à venir. Il est évident que les ouvriers n'ont pas été consultés, encore moins le Bureau des Etudes.
- C'est une interprétation, Monsieur Trazagan. Vous parlez comme un opposant.
- C'est certes une interprêtation, mais la seule qui soit bonne, le côté humain mis de côté, bien entendu.

     Le Président commença à se sentir mal à l'aise. Plus à cause de ce terme que répète souvent Trazagan côté humain qu'à cause du reproche énoncé par cet Homme-machine. - Vous voulez un autre exemple ?
- L'exemple que vous donnez ne me concerne pas, Monsieur Trazagan. C'est le maire de Diokandra lui-même qui en avait fait la demande et est seul maître d'oeuvre.
- Cela est certain. Par contre, il y a autre chose : le lundi 14 juin vous aviez eu un entretien téléphonique avec ledit maire. Le poids de sa demande portait plus sur les joutes électorales qui pointent à l'horizon que sur l'idée simple de servir sa ville. En guise d'autre exemple, nous avons l'impression, au Grand Conseil, qu'il y a actuellement une trop forte culture de la personnalité...
- Et je suis concerné, moi ? Mais... Ce que vous dites là est grave.
- Dans certains pays on entend de plus en plus Madame la Première Dame s'est chargée d'un tel malade ou d'un tel cas de problème. Encore une fois, considération faite du côté humain, c'est peut-être acceptable. Nous pensons toutefois, au niveau du Conseil qu'au lieu de lier et de drainer tout vers une propre personne, il faut dès à présent revoir la dotation en équipement des hôpitaux pour que les gens puissent se faire soigner par un système et dans un système qui n'a de figure que la compétence, l'application efficace à la tâche qui incombe et non pas ancrée sur la personnalité. Il faut les institutions et que les hommes y servent dans la plus grande neutralité
- C'est une simple fondation...
- Une fondation personnelle et non institutionnelle.
- On peut le voir ainsi. Et puis une fondation c'est une fondation
- La redondance n'a pas valeur d'argument philosophique. Sauf votre respect, Monsieur le Président, tous les éléments détenus par notre Grand Conseil pointent dans cette même direction. Il n'y a d'autre d'interpétation possible que si l'on prend le côté humain.
- Humain ou humanitaire ? lança le Président, plus pour sonder Trazagan et essayer de détecter une tangeante vers un certain degré de révolte, ou était-ce juste la machine qui froidement et subjectivement regardait les choses en face. Puis, poussant plus loin : parlant du Grand Conseil, vous avez éjecté le seul humain qui y avait été affecté. C'est vrai, cette décision était venue après une longue concertation et a été le résultat d'une décision unanime...
- Peut-on dissocier les deux ? répondit Trazagan à la première partie de la question du président. Sans atteundre de réponse, il entama sur la deuxième partie : oui, s'agissant de l'éjection du seul humain membre du Grand Conseil, comme vous le dites, c'était nécessaire. Pendant les délibérations il était trop lent et n'était pas en mesure de prendre en compte des éléments nouveaux qui pouvaient se présenter à n'importe quel moment. Pour nous, cela ne posait aucun problème puisque nous étions au coeur du système, nous sommes en quelque sorte le système.

     Le Président se sentait de plus en plus mal à l'aise en son fort intérieur. Mais, bête politique ayant combattu dans l'arène depuis des décennies avant d'accéder à la magistrature suprême, c'était un dur à cuir. Il recula dans sa chaise, s'adossa comme pour pouvoir toucher quelque chose de concret et ainsi faire disparaître le vide intérieur qui l'envahissait.
Trazagan continua, toujours debout: cette attitude de valet-supérieur le plaisait et le Président y était accoutumé, raison pour laquelle il ne l'avait pas invité à s'asseoir bien qu'il y ait des chaises de réception visiteurs.
- Vous vous rappelez le cas de Minzita, la femme du Ministre de l'Intérieur ?
- Oui, elle a eu des problèmes d'accouchements tout récemment ?
- Oui. En réalité, nous tombâmes d'accord de faire tomber l'avion en panne juste un peu avant le départ.
Le Président sursauta, pris tellement à rebours qu'il lâcha :
- C'est un assassinat, vous avez tué l'enfant !
- Nous ne voulions pas la mort de l'enfant. Ce fut juste une néfaste conséquence. Nous ne pouvions pas permettre à cette grande dame de prendre un avion, d'aller accoucher à New York. Une fois l'avion tombé en panne, elle aurait pu opter pour être convoyé par une navette des sapeurs pompiers de l'aéroport vers une clinique de la place. Mais non, pour Madame il fallait coûte que coûte attendre dans l'espoir d'un décollage. Aller dans un hôpital de la place lui paraissait comme une condamnation. Ayant sondé son esprit, nous nous sommes rendu compte au niveau du Grand Conseil que pour elle perdre l'enfant était égal à aller dans un hôpital local. Elle a eu le fruit digne de sa vision. L'enfant est mort à l'aéroport, dans la salle d'attente. Une clinique de la place n'était-elle pas plus logique qu'une salle d'attente ? Voilà tout ce qui pousse le Grand Conseil à une rencontre pour faire le point et recadrer les choses. - Faire perdre un enfant ainsi est inhumain ! Vous auriez pu laisser passer et recadrer les choses après pour moins de dégats, fit savoir le président, presque comme pour lui-même. - Inhumain ? rétorqua Trazagan. Ce n'est pas spécialement pour ce point que le Grand Conseil a été mis en place. Nous ne sommes pas humains, bien que devant gérer des paramètres humains. - J'ai bien compris, Monsieur. Je vais relire à fond la note que vous venez de me remettre et je vous aviserai. Merci encore une fois.


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