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dimanche 30 septembre 2018

CHANTS D'OMBRE - L'OURAGAN


L’OURAGAN

L'Ouragan, un poème interne, intransitif : une tempête partie du poète se déchaîne, souffle ses bourrasques et retourne au poète avec ses chaudes poussières érosives sur la savane du cœur. C’est un ouragan qui siffle dans l’univers senghorien, une tempête de passions soulevant mille feux de pensées et poussant presque à la démence.

  1. « L’ouragan arrache tout autour de moi, et l’ouragan arrache en moi feuilles et paroles futiles. Des tourbillons de passion sifflent en silence mais paix sur la tornade sèche, sur la fuite de l’hivernage ! »

    Cet ouragan qui siffle et ses tourbillons de passion sont-ils justement venus du rêve, presque regretté à la fin du poème « Porte Dorée » et secoué comme un château en Espagne au sortir du délire ?

    Ce vent interne arrache à Senghor des paroles et des feuilles, c’est-à-dire des pensées, futiles. Il invoque alors la paix sur la tornade sèche, le calme sur l’hivernage qui s’étire et vieillit. A la manière des prophètes de l’Ancien Testament, Senghor est souvent dans un désert battu de vent sec, qui symbolise la pureté. C’est vrai qu’une certaine chaleur débarrasse les impuretés, tamise tout ce qui est vain.

    Il veut que le vent, de sa chaleur, consume toute pensée vaine. Ici il y a une image sublime : le vent soulève une poussière chaude qui tôt ou tard va retomber. Et Senghor voit un paysage, voit son cœur en panorama où s’étalera cette poussière chaude ainsi qu’un doigt d’érosion : Qu’il consume donc toute pensée vaine !

    Il dicte ordonne le calme de la servante, dicte le silence des enfants. A cette autre personne, certainement compagne, fruit, sillage et monde pétri par les pensées vaines comme les autres, il veut éteindre la voix et le parfum : Il faut détruire tout ce qui est vain, tout ce qui barre la route par des produits de mirage, saisir la pureté du chant, l’essence du poème : ainsi il se rabat sur une notion sérère, le « commerce entre l’artiste et l’esprit » qui seule peut porter les notes futures au degré ultime. Sacrifice de sang, pour que le chant s’élève, aussi pur que l’or de Galam.

    Dans les premiers poèmes nous voyons cette relation de Senghor avec les Pangools, les Esprits, relation qui laisse rêveur. Ceci revient très souvent et cette notion du sacrifice est reprise dans « Chaka » : « … Le pouvoir ne s’obtient sans sacrifice, le pouvoir absolu exige le sang de l’être le plus cher ». Chez les Sérères le processus peut se faire de deux manières :

    • Un commerce indirect : l’Esprit étale ses trésors sous une certaine forme. Le passant, par hasard, le ramasse et se trouve enrôlé dans un commerce involontaire. L’esprit viendra coûte que coûte reprendre ce qui lui appartient, sans tenir compte de la volonté du preneur.
    • Un commerce direct : L’intéressé a besoin de quelque chose. Il explique, reçoit la réponse et la condition. L’accord peut être conclu ou non. Il appartient au demandeur de se fixer.

    Là nous avons abordé la structure morphologique du poème. Reste quand même une autre dimension, celle-là qui semble avoir fait passer le poète par un des pires moments de son existence, un instant qui est comparable à un ouragan, à un cyclone qui se déchaîne contre le conglomérat des pensées.

    Pourquoi ? La situation dans laquelle se trouve le poète, cet ouragan, lui arrache des paroles et des feuilles futiles, feuilles qui ne sont d’autres que des pensées, avons-nous déjà expliqué. C’est dire qu’il est devant une décision importante à prendre, décision qui est au sommet d’une certaine passion.

    A cause de la gravité de la décision, le poète veut avoir l’esprit clair, pur. Ainsi, à la manière des prophètes, il va descendre dans le désert, implorant le vent pur de brûler toute fleur, toute pensée vaine :

  2. « Toi, Vent ardent Vent pur, Vent-de-la-belle-saison, brûle toute fleur, toute pensée vaine quand retombe le sable sur les dunes du cœur. »

    Ses pensées ainsi que le sable tourmenté, ballotté dans la spirale du vent vont tôt ou tard retomber en son cœur, modelant la décision à prendre. Le poète, conscient que la retombée de cette poussière peut étouffer quelque chose, la contaminer, prie pour la purification, comme l’or que l’on passe au feu. C’est seulement alors qu’il aura le produit pur, la décision convenable.

    Mais il n’y a pas que son cœur qui le trouble : il y a la servante, avec ses gestes de statue qui empêche la concentration, le tirant vers une autre rive, comme les enfants par leurs jeux et leur rire d’ivoire. Est-ce les rires et les jeux en tant que tels qui dérangent le poète, ou bien les sujets eux-mêmes, c’est-à-dire les enfants qui, de par leur existence, faisant appel aux fibres de son cœur, à son amour, à sa passion l’appellent vers autre chose comme pour le détourner de son choix ? Lorsqu’un père quitte son enfant qui pleure, ce ne sont pas forcément les pleurs qui dérangent, mais la souffrance de l’enfant, les larmes n’en étant que l’expression visible. C’est une subtilité que nous pensons nécessaire, et le passage qui suit nous conforte dans notre vision.

  3. « Toi, qu’elle consume ta voix avec ton corps, qu’elle sèche le parfum de ta chair, la flamme qui illumine ma nuit, comme une colonne et comme une palme. »

    Ici, c’est donc la voix de la femme, sa mélodie envoûtante qui déconcerte le poète, comme son parfum et sa chair douce qui illumine sa nuit comme une colonne et comme une palme, à la manière de ce flambeau dans la brousse, signe que, selon la légende, reçut Djidiack Selbé pour fonder Djilor ? En lisant ce passage pour la première fois, l’on se demande comment Senghor peut écrire ainsi en parlant de cette femme, complice lointaine. En réalité, c’est que cette personne de par sa prestance a une influence considérable sur lui, l’empêchant ainsi de bien démêler les pensées qui s’enchevêtrent en son esprit et demandant une décision.

    Le vent purificateur ne doit donc pas la laisser de côté, mais s’abattre sur elle sans pitié et réduire ses attirances au néant. Il doit, pur comme un nouveau né, sans aucun parasite venant de l’extérieur, faire face à la raison d’être de l ouragan. Cette description de la femme, n’est-elle pas un peu similaire à celle de Chaka parlant de Nolivé :

           « Cette grande faiblesse est morte sous tes mains d’huile qui suit la peine.
           C’est la chaleur des palmes dans la poitrine maintenant,
           les aromates qui nourrissent les muscles l’encens dans la chambre nuptiale,
           qui fait les cœurs voyants.
           O ma Nuit ! ô ma Blonde ! ma lumineuse sur les collines mon humide au lit de rubis,
           ma Noire au secret de diamant, chair noire de lumière,
           corps transparent comme au matin du jour premier » ?

    C’est cette volupté que le poète veut repousser, de même que l’innocence des jeux et du cri des enfants, afin de se retrouver seul, comme dans cette « nuit transparente, à l’heure où mon cœur veille sans parasite ».

  4. « Embrase mes lèvres de sang, Esprit, souffle sur les cordes de ma kôras, que s’élève mon chant, aussi pur que l’or de Galam »

    A la manière du Christ sur la croix, nous avons envie de dire que tout est accompli : « Jésus, voyant sa mère, et auprès d`elle le disciple qu`il aimait, dit à sa mère : Femme, voilà ton fils. Puis il dit au disciple : Voilà ta mère. Et, dès ce moment, le disciple la prit chez lui. Après cela, Jésus, qui savait que tout était déjà consommé, dit, afin que l`Écriture fût accomplie: J`ai soif. Il y avait là un vase plein de vinaigre. Les soldats en remplirent une éponge, et, l`ayant fixée à une branche d`hysope, ils l`approchèrent de sa bouche. Quand Jésus eut pris le vinaigre, il dit : Tout est accompli. Et, baissant la tête, il rendit l`esprit. »

    Ici nous avons d’un côté le Messie qui, après avoir traversé toutes les tortures est maintenant sur la croix, sacrifice de sang humain offert par Dieu à l’humanité et, de l’autre côté, Senghor faisant un sacrifice de sang pour un but personnel, très restreint : afin que son chant s’élève, aussi pur que l’or de Galam.

Quel que soit le motif, les deux engagements ont été pénibles dans les deux cas. Jésus n’a-t-il pas dit : « …Mon Père, s`il est possible, que cette coupe s`éloigne de moi ! Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ». Senghor tentera lui aussi de faire taire les voix de passion, les voluptés qui voulaient l’éloigner de son choix, un choix terrible, puisqu’il s’agit d’un sacrifice de sang aux pieds de l’Esprit, afin qu’il élève les notes de sa kôra, son talent artistique au degré ultime.  

Ici il y a un fil secret, un mince pont qui relie « L’ouragan » à « Chaka » et nous fait deviner que ce qui pousse Senghor à parler de Chaka et à s’identifier à lui en quelque sorte, ce n’est pas un écartèlement commun, mais le sang caché d’un être cher. Plusieurs choses nous poussent à cette terrible conclusion : Paradoxalement, lorsque le devin dira à Chaka : « Le pouvoir ne s’obtient sans sacrifice, le pouvoir absolu exige le sang de l’être le plus cher. », celui-ci offre le sien. En plus du fait que c’est ahurissant comme réponse, l’offre ne tient pas debout devant un Esprit et il faudrait que Chaka soit réellement l’home le plus détestable du monde pour s’offrir comme étant l’être le plus cher pour lui-même. Sauf s’il l’a pris par analogie, c’est-à-dire qu’il aime tellement Nolivé qu’elle est lui, considération, encore une fois que ne ferait pas son génie commerçant. La chose la plus plausible est le sang de Nolivé, puisque le héro dira : « Je ne l’aurais pas tuée si moins aimée » , rejoignant ainsi la règle presque universelle de ce commerce. Nolivé était la personne, l’être le plus cher pour Chaka. Donc son sang est plus approprié que celui du héro, dont la réaction illogique le pousse dans un égocentrisme impardonnable.

Nous pensons que « L’ouragan » laisse courir un fil secret pour se lier à « Chaka ». Tout le reste montre le combat de cette vie qui a été acquise grâce au sacrifice : les campagnes guerrières pour Chaka et les terribles décisions à prendre, pour Senghor l’engagement total dans la politique, portant hautement l’oriflamme du Sénégal, de l’Afrique, de la Négritude, s’imposant sur la scène internationale à travers les notes pures de la kora, des notes pures comme l’or de Galam.

L’engagement sera pénible pour les deux hommes. Tous les deux, consacrés à l’œuvre de la grande Idée, pensaient, en mesurant l’accompli, que ce sacrifice pourrait être pardonné, effacé sans jamais leur être redemandé. Ils ont été déçus : Chaka meurt en face d’une Voix Blanche qui n’a qu’accusation et critique et s’écriera : « …un homme d’action seul, un homme seul et déjà mort avant les autres, comme ceux que tu plains. Qui saura ma passion ? ». Senghor sera un homme d'action seul, qui s'est appliqué l'autocritique toute sa vie,. il s'est critiqué bien avant votre réveil. Au bou du compte, comme Chaka il dira : « … Qui nous a dit : la route est fatiguée, le marigot est fatigué, le ciel est fatigué. Nous avions tout donné à ce pays, à ce continent nôtre : les jours et les nuits et les veilles, la fatigue, la peine et le combat parmi les nations assemblées… » .

Les deux exemples cités ci-dessus, à savoir Chaka et Senghor, nous montrent une réalité terrible de la vie des grands responsables. Après avoir déployé des ailes immenses au-dessus de cette plaine qui n’est autre que l’existence, un vide immense semble s’étendre devant le regard tourné vers le passé pour mesurer ce qui a été accompli et le comparer à l’état actuel dans lequel ils se trouvent, au bout de la vie. Dormez en paix, Excellence, car tel était votre souhait : « …Et je me reposerai longtemps sous une paix bleu-noir, longtemps je dormirai dans la paix joalienne jusqu’à ce que l’Ange de l’Aube me rende à la lumière, à la réalité brutale et si cruelle, ô Civilisation ! », dormez jusqu'à ce que vous rejoigne votre bergère pour le ballet de feux follets des xon-faaf le long des tanns de Joal et de Djilôr :

       Seigneur de la lumière et des ténèbres
       Toi seigneur du Cosmos, fais que repose sous Joal-l'Ombrageuse
       Que je renaisse au Royaume d'enfance bruissant de rêves
       Que je sois le berger de ma bergère par les tanns de Dyilôr où fleurissent les Morts
       Que j'éclate en applaudissements quand entrent dans le cercle Téning-Ndyaré et Tyagoum-Ndiaré
       Que je danse comme l'Athlète au tamtam des Morts de l'année.

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Njamala Njogoy