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dimanche 30 septembre 2018

CHANTS D'OMBRE - PORTE DOREE


PORTE DOREE

Les poèmes courts de Senghor sont souvent les plus difficiles. Ils forment un nœud mystique sur lequel le poète semble poussé à parler mais ne veut pas donner de détails, ne veut pas aller plus loin. Ou bien lui est-il défendu ? Palais de la Porte Dorée... Ou faut y rajouter un coup de gueule contre la porte Dorée qui correspond à la zone de l’est du 12ème arrondissement située près du boulevard Soult et du boulevard Poniatowski, dans le prolongement de l’avenue Daumesnil qui la traverse pour se prolonger à la limite de la commune de Saint-Mandé ? Celle-ci se trouve à 300 m au nord de la porte de Reuilly et 800 m au sud de la porte de Montempoivre. Le secteur fut aménagé pour l’exposition coloniale de 1931 qui donnait à voir une image de la France impériale qui ne se limitait pas aux frontières de la métropole1. On y construisit le palais de la Porte Dorée qui abrita le musée des colonies — aujourd’hui musée de l’histoire de l’immigration — doté jusqu’en 2003 d’une collection ethnographique unique, ainsi qu’un aquarium tropical toujours ouvert au public et destiné à faire connaître la faune aquatique des colonies.

  1. « J’ai choisi ma demeure près des remparts rebâtis de ma mémoire, à la hauteur des remparts me souvenant de Joal l’Ombreuse, du visage de la terre de mon sang. »

    Le choix d’une demeure est un processus très soigneux et bien secret, chez les sérères. Lorsqu’une personne pense fonder sa maison, il y une étude « mystique » à mener. Si le fondateur n’a pas toute la connaissance, il donne la mission à un ancien du village en qui il a confiance, et c’est cette personne qui, sur la base de critères connus uniquement de lui, va se livrer à l’étude. Celle-ci prendra le temps nécessaire : Des jours, des mois, des semaines, peut-être même un an :

    • Est-ce le moment favorable ?
    • Est-ce le bon endroit ?
    • L’endroit se trouve-t-il sur la route d’un génie ?
    • L’arbre qui va devenir l’arbre à palabres est-il déjà « habité », est-ce « le terrain de jeu » des enfants d’un génie ?
    • Où doit se situer la grande porte ?
    • Sur quelle direction doit-elle donner ?
    • Et le jour du déménagement ?
    • Y a-t-il des racines à enfouir ?
    • Faut-il que le futur chef de carré s’y baigne en pleine nuit – tout seul ou bien avec tous les membres de la famille ?

    Autant de questions, qui ne sont toutefois pas systématiquement identiques. L’idée rejoint ce que Roger de Lafforest écrit dans son livre « Ces maisons qui tuent » , livre qu’il est conseillé de consulter pour « Tout savoir sur les sanctuaires, sur les maisons hantées, sur les précautions à prendre avant d'acheter un terrain, une maison, un appartement... »

    Ici, nous ne disons pas que Senghor soit passé par toutes ces phases, mais la mise en scène rejoint cette notion du choix de la demeure. Ici, les points de repère ne sont pas ceux que nous avons mentionnés ci-dessus, bien que pouvant y être inclus : Il part du souvenir. Le poète cherche un fil qui le maintiendra aux souvenirs de Joal l’Ombreuse, un cordon ombilical à travers lequel il va se nourrir et qui le nouera au visage de la terre de son sang, au royaume d’enfance. L’endroit se dresse « … entre la Ville et la plaine, là où s’ouvre la ville à la fraîcheur première des bois et des rivières. »

  2. Mes seuls regrets, ce sont les toits qui saignent au bord des eaux, bercés par l’intimité des bosquets

    Le regard diaphane du poète voit les gouttes d’eau de pluie ou de rosée comme des gouttes de sang qui tombent pour se mêler aux eaux. C’est dire que les flots s’ébattent contre les murs de la demeure. La place est idyllique. Elle porte une certaine charge de mélancolie, de tristesse, et le poète à la sensibilité affûtée sait que son cœur sera toujours marqué par le saignement éternel des toits et valsera sur l’écume comme une embarcation fragile, d’où les regrets et cette profonde prise de conscience :

  3. Moi dont le plus modeste taxi roule et chavire le cœur sur les hautes vagues de l’Atlantique, qu’une seule cigarette fait tituber comme le marin à l’escale sur le chemin du port, qui dit toujours aussi mal que le lointain écolier de brousse « Bonjour Mademoiselle… Comment allez-vous ? »

    Cette partie, raison de ses regrets, mérite une attention particulière. C’est le point qui manque justement à la plupart d’entre nous. Le problème qui se pose ici est un problème africain, mais que l’Europe a très bien connu, la secousse étant plus dramatique selon les pays : le problème de la modernisation.

    Lorsque celle-ci s’étend sur une longue période, il y a une harmonie entre richesse et civisme. C’est-à-dire que le degré de la réussite matérielle va de paire avec le degré de « finesse », d’harmonie avec son entourage, de la personne. Heureux, ce poète, cette tête qui a su reconnaître et résister à ce danger. L’ignorance de cette réalité fait justement les bouffons modernes que l’on retrouve dans nos villes, personnes aux belles cravates et Mercedes dernier cri qui crachent à travers les vitres. Ajoutez-y une fille élancée belle, très bien habillée mais dont les pieds qu’elle traîne résonnent comme un vieux balai contre la chaussée, si elle n’a pas une démarche boiteuse; ces familles qui habitent dans un étage et la femme y déménage avec un pilon de cinq kilos pour piler le mil… La liste est longue et les exemples ne sont pas des plus méchants.

    Mais voilà la modestie du poète. Il se choisit une demeure de luxe dont l’emplacement fait penser à un palais …présidentiel ? Et puis il redescend vers le soi, retrouve le petit villageois cultivateur de Djilor au flanc de l’oncle Waly sous la nuit étoilée. Il remarque qu’il n’est même pas plus habitué à prendre ou à voir un taxi, qu’une cigarette, - bien sûr gadget de « civilisation ». Il n’a pas l’habitude, il n’est pas ancré dans la « civilisation », il ne se sent pas au niveau de ce « palais », d’autant plus que, jusqu’à présent, il « dit toujours aussi mal que le lointain écolier de brousse bonjour Mademoiselle, comment allez-vous ».

    Il a toute la qualité des grands esprits. Il est autocritique, voire même dur avec lui-même et ce n’est pas la première fois qu’il va se faire un tel jugement. Senghor ne parle-t-il pas de lui-même en ces termes : « Je ne fus pas toujours… bon fonctionnaire, déférent envers ses supérieurs, bon collègue poli élégant – et les gants ? – souriant rarement… » ?

Senghor, grâce à cette conscience du soi, a su bâtir justement le destin que tous connaissent. Reconnaître ses faiblesses est le seul moyen de les surpasser et il ne s’est jamais contenté de la forme, allant jusqu’au cœur, à l’essence des choses. C’est pourquoi il y a une grande différence entre son Sénégal et le Sénégal qui a suivi : ce pays, qui était d’emblée au cœur des pays qui savaient le mieux dire correctement « Bonjour Mademoiselle… Comment allez-vous ? ». Ce pays, disons-nous, est devenu le Sénégal où d’emblée journalistes et ministres, en passant par professeurs et enseignants, repassent avec une dignité qui fait honte leurs « essanger », « tegnique », « gence ou …gensse ? », « il a eu à », dont l’étendue sémantique est souvent faussée, leurs « doncou » et « il tenira »

Non, laissez-nous continuer. Nous ne sommes pas hors sujet. Lorsque Senghor écrivait ce poème, nul ne pouvait mettre en doute le niveau de son français. Mais il s’est fait justice, poussant le désir de perfection jusqu’à l’angoisse : « Mais ces routes de l’insomnie, ces routes méridiennes et ces longues routes nocturnes ! Depuis longtemps civilisé, je n’ai pas encore apaisé le Dieu blanc du Sommeil. Je parle bien sa langue, mais barbare mon accent ! » . Et puis : « … Acceptez-les - les notes claires du sorong – bien que le rythme en soit barbare, les accords dissonants… ».

Nous voulons nous attarder ici, parce que ce passage renferme, entre autre, les paramètres qui ont lancé beaucoup de personnes sur de fausses pistes, celles de l’incompréhension, les éloignant irrémédiablement de l’âme du poète. Nous avons déjà dit que le menuisier ne devient pas meuble en perfectionnant ses meubles, encore moins Senghor français en perfectionnant le français.

Son esprit d’ordre et de méthode, son amour pour la perfection, la symétrie, quitte à ce qu’elle soit asymétrique, faisait qu’il était toujours à sa recherche. Cela le poussait, professeur incorrigible, à corriger ministres et journalistes et au lieu de voir un homme qui veut que l’on s’applique dans tout ce que l’on fait, on voyait Senghor comme un adorateur de la France et du Français au détriment de … l’Africanité. Comme dans le cas de « Femme noire » et de « la raison hellène », nous avons la manie de nous concentrer sur le superflu !

Dans un monde de la technique de précision, c’est pourtant la vision de Senghor qui devrait primer. On ne peut pas bien faire les grandes choses si les petites choses sont bâclées. Celui qui doit travailler en français, qui doit faire son discours en français péchera terriblement dans son discours s’il ne veut pas se pencher sur la langue de Molière, s’il en est allergique. Mais cela ne s’arrête pas là, cela aurait été un paradis. Les choses bâclées, le manque de finition, est un caractère que nous autres africains voulons maintenir en nous pardonnant sur la base « des manques de moyen », de notre « statut de pays sous-développés ». C’est pourquoi nous attirerons difficilement des industries étrangères de pointe en leur vendant notre know how ou savoir faire, et notre précision, comme le firent Hong Kong, Taiwan, la Corée et maintenant la Chine.  

Ce que nous ignorons, c’est que nous sommes le premier moyen du développement de ce continent, vous et nous, en tant que personne toute nue, sans chaussure, sans bonnet, sans cravate, sans porte-monnaie. Cet état d’esprit couvant une allergie face à la finition est si répandu qu’il sème un laxisme total à travers toutes les couches de nos sociétés. Ceci est contraire justement au désir de perfectionnement poussé de Senghor. Ce manque d’application est vrai, du petit menuisier qui prend ses mesures et vous livre un meuble de deux centimètres de moins ou de plus, avec un bénéfice de pose de serrure inversée, en passant par l’électricien qui vous fait une installation et vous laisse avec la probabilité d’un Hiroshima à la mesure de votre matériel.

Mais cela s’étend aussi à nos hôpitaux : Les dispositifs de radiographie viennent toujours avec une couverture pour protéger le malade des rayons x. Combien de nos médecins l’utilisent ? En réalité, vous verrez sortir cette couverture selon l’idée qu’ils se font de votre personne. Si vous paraissez y comprendre quelque chose, vous aurez votre couverture. Pour les analphabètes comme nous, nous n’en avons aucune idée, alors le corps médical non plus.

La finesse, voire la finition et la maîtrise que voulait Senghor, c’était dans l’esprit d’une application inconditionnelle sur nos devoirs, sur tout ce que nous faisons, ce qui est la seule méthode, le seul chemin pour sortir de la notion et atteindre la connaissance, et, partant, la maîtrise. N’ayez pas un sourire en coin : ne vous sentez-vous pas désappointé lorsqu’un de vos députés supputent des phrases bourrées de fautes ? Psycho-linguistiquement parlant, l’auditeur commence tout de suite à douter de la capacité de cet homme à mener sa tâche si les termes pour en parler sont bâclés. Si ce n’est pas votre cas, vous conviendrez que ce que demande le monde actuel, ce monde de précision, ce monde de la technique rejette tout laxisme notionnel pouvant avoir de graves conséquences : une mauvaise installation électrique peut griller une ville entière avec ses habitants, un téléviseur qui explose faire sauter tous les habitants d’un immeuble.

D’aucuns vont rechigner, trépigner contre ces lignes que nous venons de tracer. Contrairement à Senghor. Dans son poème, nous avons toute la beauté de la faiblesse acceptée, avouée. Elle devient d’emblée force, et les moqueries qui se préparaient meurent sur les lèvres. Ce sont elles qui sont tournées en bourrique. La modestie est une des clés du civisme. Car même appuyée par un entourage favorable, une certaine certitude devient facilement insolence, et dans le pire des cas, arrogance et ignorance.

Là par contre, nous avons le doigt pointé de l’agrégé en grammaire, la voix du président, qui est toute élégance. Il se permet de douter, sachant que c’est la seule route pour s’élever vers les degrés supérieurs, vers la perfection qui, à la manière de « demain », n’est pas accessible au mortel. Il ne lui suffira que de s’engager dans une recherche perpétuelle se berçant à l’espoir de s’avancer vers le plus haut degré possible, avant que « le destin jaloux ne [le] réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie ». Le problème de l’Afrique n’est pas un problème de pénurie : c’est un problème de suivi, de finesse ou finition et de maintenance, un problème de vision. Et cela se voit à tous les niveaux : les gouvernements ne bâtissent pas sur ce que les autres ont laissé, mais, dès le départ du prédécesseur, entreprennent des changements superficiels qui fossoient non seulement des ressources existantes, mais aussi des bases qui ont été déjà posées. C’est le produit du culte de la personnalité, de la personne. Pas d'accord ? Nous vous invitons à un petit exercice en prenant comme exemple les partis politiques au Sénégal dans leur majorité. Vous êtes prêts ?
Alors fermez les yeux. Maintenant prenez les partis un à un et dégagez de votre esprit les fondateurs respectifs. Maintenant cherchez dans la foule qui se presse autour de ce fondateur : vous voyez quelqu'un d'autre pouvant servir de second ? N'avez-vous pas l'impression que si vous effacez le fondateur le parti disparaît de votre esprit ?

Voilà le drame. C'est un goufre... D'ailleurs il est de coutume de dire : Le parti de X ou le part de A. Un seul parti échappait à cette nature des choses, le Parti Socialiste, et voilà ce qu'il est devenu. Il est en train de rejoindre la masse des autres. Mais nous vous laissons le développement de la suite.

Revenant à nos moutons, nous disons donc que c’est pourquoi dans tous les pays africains où d’autres sont intervenus pour éjecter ceux qui étaient en place, disant que cela ne marchait pas, les nouveaux ont toujours réussi à faire reculer le développement de leur pays d’au minimum trente ans. Là où il n’y avait pas famille, celle-ci s’installe. La progression de la pauvreté minimise d’emblée la multiplication, préférant l’exponentiel. Ce qui manque, ce n’est certes pas des exemples de pays où des militaires intervinrent soi-disant que cela ne marchait pas, uniquement pour refouler le pays dans une nuit digne des prétemps du monde : Sierra Léone, Côte d’Ivoire, Ouganda, Libéria, Somalie, etc. Ce qui ne marchait pas, ce n’était certainement pas le bien être de la population, mais les poches des nouveaux venants…

Le civisme, le savoir faire et la finesse implantés par Senghor se sont concrétisés dans la diplomatie sénégalaise, qui est le seul pétrole du pays, au moins pour le moment. Ils ont laissé une trace nette à travers les places occupées par des sénégalais dans les hautes sphères de la diplomatie mondiale et il faut bien se méfier de les perdre. Etre au banc des nations est le résultat d’un long processus muet mais bien mérité. Toutefois ce n’est pas inné : Pour y rester, il faut un certain comportement et un comportement prétendu et prétentieux ne peut pas durer éternellement. C’est ce même processus qui a nourri la possibilité d’une démocratie sénégalaise. Tâchons donc de nous pencher sur nous-mêmes, en puisant profondément dans le puits de nos valeurs culturelles tout en assimilant celles du monde actuel pour mieux faire face à demain.

Maîtriser nos cultures, c’est savoir puiser dans nos valeurs, et puiser dans nos valeurs nous pousse forcément à mesurer notre responsabilité, dont celle affiliée au choix d’une demeure. Ce n’est pas un hasard si devant chaque demeure sérère il y a cette fameuse palissade, le « mbañ gaci », littéralement « Refuse Honte ». Dressée entre la porte principale et la case du chef de carré, cette palissade, à chaque réveil, rappelle à l’homme son devoir de conduite pour que jamais honte dans la maison ne vienne. Nous pensons donc que le slogan devrait être « plus la demeure est belle et élégante, plus cinglant doit être l’éclat de notre degré de civisme, de finesse et, partant, de finition ». Cela demande une recherche interminable de perfectionnement. Dans le cas contraire, le poète nous réserve un cri lancinant : Nous ne serons que des bouffons, une racaille à la manière de ces « marchands et banquiers, seigneurs de l’or et des banlieues » qui font « pousser la forêt des cheminées » alors qu’ils « ont acheté » ou plus exactement, de nos jours, « volé leur noblesse [puisque] les entrailles de leur mère étaient noires… »

La « Porte Dorée » reste une énigme. Endroit en France, Palais présidentiel entrevu, reconstruction de la maison de Djilor ? Faut-il, à la manière de tous les Sérères, voir Senghor comme un halo de secrets, de mystères ? S'agissant du Senghor mystique, plusieurs de ses poèmes ne laissent aucun doute, et il affirmera dans « Postface » : « J’ai vu de mes yeux, de mes oreilles entendu les êtres fabuleux par-delà les choses : Les Kouss dans les tamariniers, les Crocodiles, gardiens des fontaines, les Lamantins, qui chantaient dans la rivière, les Morts du village et les Ancêtres, qui me parlaient, m’initiant aux vérités alternées de la nuit et de midi. »

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UN RAPIDE EXEMPLE POUR LE DICtiONNAIRE

Njamala Njogoy