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dimanche 2 septembre 2018


LE PROBLEME DE LA NEGRITUDE - PREMIERE PARTIE




Ici, nous pensons que le sujet est un peu mal posé, et c'est à dessein car, dans la réalité, ce n’est pas la Négritude qui a un problème, mais plutôt le Nègre, dont le problème engendrera la Négritude, raison pour laquelle, à notre avis, il est indispensable d’aller plus loin afin de reposer ce problème en d'autres termes, scinder son fondement en cinq éléments majeurs dans l'espoir d'une prise de conscience sincère et dénudée de toute approche complexée et purement émotionnelle et appréhender le nécessaire redispositionnement du nègre dans ce monde pour jeter le fondement d’un salut définitif. Le problème fondamental de l'Afrique est qu'elle n'a pas encore fait le deuil de sa colonisation. Pour aider à cela, nous présentons cinq élements auxquels il nous semble nécessaire d'apporter une attention particulière pour que ce deuil se fasse. Nous avons toujours ce cadavre étalé devant nous et nous nous lamentons en pointant toujours le doigt vers L'assassin qui, en d'autres circonstances, lui sert des prétextes infinis pour s'embourber dans sa médiocrité. Voilà les points qui résument le problème qui perdure :
  1. La domination et l’occupation
  2. Le choc culturel
  3. Le reniement
  4. Le refus
  5. L’apport



  1. LA DOMINATION ET L'OCCUPATION

    La domination et l’occupation - les deux étant difficilement séparables - mais surtout la dernière forçant l’apposition de la vision d'un autre monde où les choses propres au Nègre sont systématiquement remplacées ou annihilées, va pousser à un certain recul au niveau des deux sociétés : c'est le choc culturel. Celui-ci est d’autant plus ressenti car les deux cultures ne sont pas là pour se côtoyer : l’une, nommément celle du Dominé, doit s’agenouiller devant celle du Conquérent dont les manières de faire sont étranges et étrangères, et se laisser engloutir sur son propre territoire, d'où le double drame.

    Cela aurait pu être autrement, mais dès lors que le Nègre trouvé sur place est traité comme un animal cela devient impossible. A partir de là, nos coutumes, notre culture et notre religion, voire notre philosophie, ne pouvaient qu’être barbares aux yeux de l’occupant, voire inexistantes. Cela va ultérieurement pousser à un refus ou résistance, ce point étant d'une importance capitale, puisque devant, si bien organisé, bien pensé, pourvoir l’issue pour corriger tous les torts en se repositionnant et en embrassant un monde métissé qui seul peut permettre l'exercice de l'art du donner et du recevoir. Pour le moment l'Afrique est vue comme et semble se résigner devant l'art du recevoir. Mais cette vision ne pouvait aussi être que celle du dominé. S'appuyant sur son monde de la technique et des applications, n'utilisant que des yeux inquisiteurs, le contenu de l’apport qui aurait du accompagner le refus du Nègre ne peut que paraître très maigre, voire inexistant. C'est ainsi que cette lutte dont le but, issu d’une révolte, était de recadrer, remettre le Nègre dans une place noble de l’histoire moderne; cette grande lutte poussant l’homme noir à se dresser pour proclamer son humanité, demande beaucoup de tact qui semble parfois bafoué puisqu'en se battant, il semble ne pas avoir su dissocier racisme et choc culturel. Il est vrai que ce n’est pas chose facile : dominé, sa culture foulée aux pieds puis balayée et jetée aux poubelles et une autre mise sur place avec des déformations si tristes et une vitesse qui ne lui ont jamais permis une digestion saine, il lui parut difficile de s’asseoir et de tranquillement délier les diverses facettes nées de la situation qui prévaut, raison pour laquelle nous tentons de séparer les choses en ces cinq points pour mieux cerner le problème.

    La domination et l'occupation sont issues de la colonisation, celle-ci se définissant comme : « un processus d'expansion territoriale et/ou démographique qui se caractérise par des flux migratoires se déroulant sous la forme d'une migration, d'une occupation plus ou moins rapide voire d'une invasion brutale d'un territoire. Dans ses formes les plus extrêmes, la colonisation peut s'accompagner d'une marginalisation, d'une réduction – et dans les cas les plus féroces – de massacres ou de génocide des populations autochtones. La colonisation peut avoir pour but l'exploitation d'avantages réels ou supposés (matière première, main-d'œuvre, position stratégique, espace vital, etc.) d'un territoire au profit de sa métropole à travers l'État qui taxe soit ses colons, soit les sociétés exploitant les ressources minières ou autres. Les arguments avancés par les colonisateurs pour motiver la colonisation sont souvent le « développement de la civilisation » ou la « mission civilisatrice ». Ceci conduit à la création d'infrastructures, qui restent en place après la fin de la colonisation, l'exploitation d'un espace géographique, la mise sous tutelle et, suivant le cas, la domination économique, politique, culturelle, voire religieuse. La colonisation sert alors indirectement des intérêts, étatiques ou privés, mercantiles et peu portés sur les valeurs » .

    Dès que l'on parle de colonisation, les esprits se rivent sur l'Afrique et pourtant le monde en a connu beaucoup d'autres et à diverses périodes de l'histoire . Sa colonisation, bien que n'était pas l'unique de l'histoire avec beaucoup de misères, d'injustices et de crimes, est pourtant la plus traumatisante car on a tenté de ne voir dans ses habitants - dominés aurait été le mot qui nous semble le plus juste par rapport à l'attitude des colonisateurs - ne semblaient même pas dignes de respect puis non-humains a part entière, comme gorilles et chimpanzés le sont pour nous actuellement.


    • ANTIQUITE MEDITERRANEENNE

      En histoire européenne, l'Antiquité désigne la période des civilisations de l'écriture autour de la mer Méditerranée, après la Préhistoire, et avant le Moyen Âge. La majorité des historiens estiment que l'Antiquité y commence au IVe millénaire av. J.-C. (3500 - 3000 av. J.-C.) avec l'invention de l'écriture en Mésopotamie et en Égypte, et voit sa fin durant les grandes invasions eurasiennes autour du ve siècle (300 à 600). La date symbolique est relative à une civilisation ou à une nation. La déposition du dernier empereur romain d'Occident en 476 est un repère conventionnel pour l'Europe occidentale, mais d'autres bornes peuvent être significatives de la fin du monde antique. Dans une approche eurocentriste, l'Antiquité est souvent réduite à l'Antiquité gréco-romaine dite Antiquité classique.

      • LA COLONISATION GRECQUE

        Des peuples de navigateurs comme les Grecs, pratiquèrent une forme de colonisation souvent motivée par des dissensions internes ou le risque de famine (stenochoria : étroitesse des terres) autant que par le désir de créer un relais commercial ou un empire. Certains groupes, qui ont pu s'intégrer à des cités préexistantes, n'ont pas laissé de traces ; en revanche, de nouvelles cités importantes ont furent fondées comme celles de Tarente de Marseille ou de Syracuse. Ces colonies prospères ont pu à leur tour fonder de nouvelles colonies. Quand il ne s'agit pas non plus de situation fortuite où après avoir échoué dans leur navigation parfois hésitante, les navigateurs se trouvent contraints, en ayant perdu leur véhicule, à s'installer comme nous le rappelle la trame narrative des Nauprestides dans les divers mythes gréco-romains.

      • LA COLONISATION PHENICIENNE

        Les Phéniciens fondèrent Carthage et d'autres comptoirs sur les côtes méditerranéennes. D'après l'abbé Brasseur de Bourbourg , Carthage enverra à son tour des colons de l'autre côté de l'océan Atlantique où une colonie aurait été fondée et qui se serait bientôt métissée avec les populations indiennes locales. Toutefois, aucune découverte archéologique n'est venue étayer cette théorie principalement fondée sur des légendes et témoignages historiques des populations indiennes de la côte du Mexique ainsi que par l'étude comparée de mythes phéniciens et quichés par Brasseur de Bourbourg.

      • LA COLINISATION ROMAINE

        La Rome antique a pratiqué également la colonisation, mais avec une méthode significativement différente : de nombreuses villes européennes comme Cologne ont pris leur essor à partir d'un camp militaire érigé en « colonie romaine », après l'établissement définitif des légionnaires dans la ville. Ces derniers conservaient toutefois leur statut de « Romains ». Ces villes n'ont jamais acquis le même type d'indépendance politique à l'égard de Rome que les colonies grecques ou phéniciennes : la façon dont Rome gérait les statuts des personnes et en particulier la citoyenneté romaine qui présentait tant d'avantages, la présence militaire romaine, et les flux économiques, n'incitaient pas à l'indépendance. L'Empire romain étendit progressivement la citoyenneté romaine à certaines de ses provinces, jusqu'à ce que l'édit de Caracalla ait attribué, en 212, cette citoyenneté à tous les hommes et femmes libres de l'Empire. Ce processus d'assimilation a permis à un Carthaginois de Syrta Magna, Septime Sévère, de devenir empereur à Rome.


    • L'EPOQUE MEDIEVALE

      Le Moyen Âge est une période de l'histoire de l'Europe s'étendant du ve siècle au xve siècle qui débuta avec le déclin de l'Empire romain d'Occident et se termina par la Renaissance et les Grandes découvertes. Située entre l'Antiquité et l'époque moderne, la période est subdivisée entre le Haut Moyen Âge (vie – xe siècle), le Moyen Âge central (xie – xiiie siècle) et le Moyen Âge tardif (xive – xve siècle).

      • LES COLONIES VIKING

        Vers le Nord, les Vikings établirent des colonies en Islande, au Groenland, avec des poussées jusqu'en Amérique, par exemple le Vinland . Vers le Sud et l'Est, la colonisation des Vikings venus de Scandinavie se développe à des échelles et niveaux variables partout en Europe : Angleterre, Normandie, et jusqu'en Sicile, puis en Terre sainte pendant les Croisades. Pourtant ils n'établissent pas à proprement parler de système colonial, puisque les nouvelles colonies ne rendent pas de comptes à une cité, un royaume ou une nation-mère. Autour de l'an 800, ils se mettent à commercer et à piller, leurs principales cibles étant les églises, que ce soit en Gaule ou dans la future Russie. Ils s'enfoncent avec leurs Drakkars profondément à l'intérieur des terres par les grands fleuves et sèment la terreur dans les pays chrétiens, au point que l'Église institue une prière spéciale. Ils font plusieurs fois le siège de Paris, dont les populations s'étaient repliées dans l'Île de la Cité. Leurs expéditions sont périodiques. Entre celles-ci ils s'adonnent en famille à l'agriculture dans leurs pays de départ. Puis ils commencent à établir différents comptoirs commerciaux sur les lieux de leurs « commerces », tel Novgorod au nord du lac Ilmendans la future Russie, ou sur l'île de Man entre l'Angleterre et l'Irlande.

        • COLONIE VIKING DE NORMANDIE

          Enfin l'un de leurs chefs, Rollon, obtient la cession en duché d'un territoire en bordure de la Manche incluant l'embouchure de la Seine, en s'engageant d'une part à reconnaître le roi de France pour suzerain, et d'autre part à bloquer, de là, d’éventuelles incursions d'autres Vikings vers le cœur de la Gaule. Il y installe ses hommes et ses alliés, et ce territoire qui prend dès lors le nom de Normandie, ou pays des hommes du Nord, devient rapidement l'un des mieux organisés du royaume carolingien. Les immigrants normands y adoptent le parler des Francs, la police y est particulièrement stricte, et la coupure entre cultivateurs et chevaliers, y fut beaucoup moins stricte, car les guerriers scandinaves ne trouvent pas malséant à la différence de leurs homologues gaulois, de s'adonner eux-mêmes à la culture, entre deux expéditions. L'adoption rapide du christianisme par les Vikings fut un des facteurs facilitant l'intégration.

        • COLONIE VIKING DE L'ISLANDE

          L'Islande est l'un des rares cas de colonisation qui, dans la période historique, s'est effectuée sur une terre sans peuplement initial, comme en témoignent les nombreuses sagas islandaises, véritable récit de la conquête et du partage de cette nouvelle terre islandaise.

        • COLONIE VIKING AU GROENLAND ET VINLAND

          Si la situation fut semblable lors de leur installation au Groenland, alors quasiment inhabité, il en fut tout autrement en Amérique du Nord (Vinland) où les conquérants vikings furent confrontés à la présence des indiens. Néanmoins, l'échec de la colonisation fut principalement dû aux difficiles conditions d'établissement dans ces régions aux conditions climatiques extrêmes. D'après Jared Diamond , l'erreur principale des colons a été de déboiser. L'Islande, jadis couverte à son quart de forêts, mais déboisées presque entièrement pour des besoins divers est un exemple frappant de l'exploitation forestière des colons scandinaves.

        • LA COLONIE VIKING DE RUSSIE

          La future Russie à l'époque des invasions nordiques est un pays de paysans slaves parfois dominés par des peuples semi-nomades tels les Khazars , venus des steppes de Sibérie avec les Huns , et installés au nord du Caucase et de la mer Noire, entre l'Europe centrale et l'Oural. Conformément au processus classique de domination, ils protègent les peuples qui leur étaient soumis, exigeant en contrepartie le versement périodique d'un tribut.

          Leur protection s'exerce contre les Varègues, nom donné aux Vikings exerçant dans cette région, qui portaient aussi le nom de « Russ », et au sud contre les Arabes qui tentaient de contourner la Mer Caspienne, pour prendre Byzance à revers. Les « Russ » étaient déjà bien présents dans la région quand l'un d'eux, Rurik, s'empara de Novgorod puis de Kiev, jusqu'alors tributaire des Khazars, et y établit la Principauté de Kiev, puissance dominante en Russie d'Europe jusqu'aux invasions mongoles au xiie siècle.


      • COLONIES DES ROYAUMES EUROPEENS

        Les empires coloniaux sont des territoires que des états disposant d'importantes forces militaires et navales se sont appropriés au cours des temps sur la quasi-totalité du globe. Si certains ont d'abord pratiqué une politique d'isolement volontaire, tel le Japon de la Période Edo, ils ont pu plus tardivement s'y lancer à leur tour, comme le Japon en Asie dans les décennies 1930 et 1940, dont l'expansionnisme marque le début effectif de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945).

        Pour les pays ouest-européens, la constitution de leurs empires découle de la période des Grandes découvertes européennes, grâce aux progrès de la navigation (gouvernail d'étambot, boussole, cartographie, sextant) et à la généralisation des armes à feu.


    • LES CROISADES

      Elles peuvent aujourd'hui être réinterprétées en termes de colonisation. Cependant, la Terre sainte des juifs et des Chrétiens avait d'abord été envahie par les musulmans. De plus, la croisade avait été prêchée en Occident à la suite de la prise de Nicée par les Turcs. Les croisades apparaissaient donc aux chrétiens d'Occident comme des guerres défensives et de libération, même si les Croisés de Pierre l'Ermite et de Richard Cœur de Lion ont pu souvent disqualifier leurs entreprises en se comportant avec cruauté, non seulement à l'égard des Turcs, mais également des Arabes musulmans, ainsi que de Juifs désarmés qui furent massacrés, en Allemagne comme à Jérusalem.

      • LES CANARIES

        En 1402, la colonisation des Canaries pour le compte des Castillans commence avec Jean de Béthencourt. Ensuite, les Castillans et les Portugais se disputent les Canaries qui seront finalement attribuées à l'Espagne en 1479.

      • LES AÇORES

        Les Açores commencent à être colonisées pour le compte des Portugais par des familles flamandes dès le milieu du xve siècle.

      • LA POUSSEE ALLEMANDE VERS L'EST

        Le Drang nach Osten était un mouvement colonial germanique qui se traduisait par un mouvement de colons allemands chrétiens vers des terres slaves et souvent païennes. Les chevaliers de l'Ordre Teutonique créé lors des Croisades, était un état teutonique dans les Pays baltes, évangélisant ces régions païennes avec une extrême brutalité. Ces moines-soldats avaient permis l'installation de colons allemands dans ce qui deviendra plus tard la Prusse. Un peuplement germanique s'était répandu plus pacifiquement dans plusieurs régions de l'Europe centrale, avec l'installation sporadique de paysans, de marchands et d'artisans jusqu'au xviiie siècle, notamment dans le cadre de l'Empire autrichien.


    • LA COLONISATION CHINOISE

      Pour l'Empire chinois, le débat divise les historiens entre ceux, minoritaires, qui le considèrent comme un empire colonial, notamment en raison de la colonisation des « territoires soumis » par des Chinois han, et la majorité des historiens chinois qui considèrent qu'il s'agit simplement de l'expansion territoriale et démographique de la Chine en constante connexion avec le noyau initial ; quant à l'implantation des chinois outre-mer (majoritaires à Formose et Singapour), elle est considérée comme issue d'une diaspora ayant prospéré .

      • LA CONQUETE DU YUNNAN

        Après la conquête du royaume de Dian par les mongols, les dynasties chinoises de culture Han se lancent à leur tour la conquête de cette région constituées essentiellement de populations Bai et Yi.

      • LA FLOTTE DE ZHENG HE

        Au xve siècle, l'Empereur Yongle , le troisième de la dynastie Ming désire étendre les limites de l'empire. L'amiral eunuque Zheng He est chargé de conduire une flotte de 70 vaisseaux et d'environ 30 000 hommes vers les mers du sud, afin d'entreprendre de nouvelles relations commerciales avec des royaumes lointains. La puissance de la flotte avait sans aucun doute pour but d'impressionner ces lointains royaumes en vue d'un expansionnisme commercial. Mais le nouvel empereur Hongxi ne soutint pas ces expéditions et l'expérience tourna court.


    • COLONISATION ET PARTAGE DE L'AFRIQUE

      Le partage de l'Afrique désigne le processus de compétition territoriale entre les puissances européennes en Afrique, partie du mouvement général de colonisation de la fin du xixe siècle (principalement entre 1880 et la Première Guerre mondiale). Les principaux pays européens concernés étaient la France et le Royaume-Uni. L'Allemagne, l'Italie, le Portugal, la Belgique et l'Espagne y ont aussi participé, mais de façon moins importante et souvent plus tardive.

      Ce processus est appelé en anglais Scramble for Africa, c'est-à-dire « ruée vers l'Afrique ». Ce terme insiste sur la concurrence entre les puissances coloniales alors que l'expression française met plus en avant les conséquences africaines. Ces dénominations montrent la variabilité des points de vue historiographiques sur la question.

      C'est durant ces quelques années qu'ont été formalisés dans leurs grandes lignes de nombreux territoires africains actuels. Cette division a été souvent symbolisée par la Conférence de Berlin (1884-1885), même si cette conférence n'a fait que fixer des règles et n'a pas procédé au partage. Cette division a le plus souvent repris des tracés établis antérieurement en les modifiant parfois. La seconde moitié du xixe siècle, à partir de 1877, a vu la transition d'un impérialisme informel, caractérisé par une influence militaire et une dominance économique, vers une gouvernance centralisée, une domination directe. Les relations entre les puissances européennes à propos de l'Afrique au tournant des xixe et xxe siècles peuvent être considérées comme emblématiques des événements qui ont amené à la Première Guerre mondiale.

      La colonisation de l'Afrique, basée sur un esprit enlevant l'humanité à ses habitants certainement à cause de la différence raciale et un taux de développement trop en retard par rapport à l'idée que s'est faite le colonisateur, ne pouvait ne pas laisser sur place le traumatisme le plus dramatique et le plus profond de toutes les colonisations de l'histoire. Ceci, Jean-Paul Sartre l'a bien compris dans Orphée noir : « ... Car le blanc a joui trois mille ans du privilège de voir sans qu'on le voie ; il était regard pur, la lumière de ses yeux tirait toute chose de l'ombre natale, la blancheur de sa peau c'était un regard encore, de la lumière condensée. L'homme blanc, blanc parce qu'il était homme, blanc comme le jour, blanc comme la vérité, blanc comme la vertu, éclairait la création comme une torche, dévoilait l'essence secrète et blanche des êtres ».

      Ce traumatisme, nous le gardons encore et il nous promène jusqu'à des degrés qui frisent la démence car il nous pousse à rejeter des enfants d'Afrique qu'une realpolitik guide ou qui simplement pense qu'il faut emboîter le pas au monde dans lequel nous vivons, que le devoir de mémoire n'est pas une excuse pour ne pas prendre ses responsabilités pour bâtir le monde de demain. Celui-ci est ce qui pousse les Nègres a facilement vous dégainer des « nous sommes en Afrique » quand cela les arrange, et qui en même temps veulent frimer le long des rues avec les derniers gadgets de la civilisation occidentale de consommation et dont les femmes engouffrent leur tête dans des perruques baptisées « cheveux naturels », comme si le Créateur leur avait chaussé de cheveux artificiels, et qui s'éclaircissent la peau. Parfois lorsque nous sommes agacés, nous les prions de regarder à l'entour, dans leur chambre ou dans leur salon, et de nous dire ce qui est africain; où est cette Afrique qui est en lambeaux jusque dans leur âme. Ce traumatisme nous fait brandir nos indépendances mais n'empêche que l'on fasse appelle à l'armée de la métropole dès qu'il y a un problème interne ou aux frontière, que l'on y organise des marches; que l'on y fasse des déclarations capitales concernant la nation indépendante ou bien que, lorsque l'on dépose une candidature à la présidence, que l'on n'ait dans sa besace que l'espoir que les autres nations viennent en aide au développement et pour soutenir nos budgets.

      La difficulté de la dissociation des points problématiques de la Négritude vient parfois du fait qu’on les trouve souvent réunis dans un même poème. Encore pire, les tendances peuvent être réunies dans le même vers. Ainsi, dans « Prière de paix » le fait de brûler les images pieuses présente la force dominatrice et en même temps le reniement des valeurs religieuses de ces images. Dans « Le message » de Senghor, que nous avons déjà cité au point 3.1, page 92, et qui présente une facette du choc culturel, quelques expressions vont nous aider à déceler cette vérité : « J’ai revu les cendres des anciens bivacs et les hôtes héréditaires… Au Gardien du Sang j’ai récité le long message : les épizooties le commerce ruiné, les chasses quadrillées la décence bourgeoise et les mépris sans graisse dont se gonflent les ventres captifs… ». Dans « Désespoir d’un volontaire libre » Sédar nous dit : « Il se penche sur de hauts tumulus de solitude. Et au-delà, la plaine soudanaise que dessèchent le Vent d’Est et les maîtres nordiques du Temps et les belles routes noires luisantes que bordent les sables, rien que les sables, les impôts les corvées les chicottes et la seule rosée des crachats pour leurs soifs inextinguibles au souvenir des verts pâturages atlantides… ». Dans « Retour de l’enfant prodigue » : « Soyez bénis, mes Pères, soyez bénis ! Vous qui avez permis mépris et moqueries, les offenses polies, les allusions discrètes et les interdictions et les ségrégations… »

      De son côté, Chaka dira : « Mon calvaire. Je voyais dans un songe tous les pays aux quatre coins de l’horizon soumis à la règle, à l’équerre et au compas. Les forêts fauchées, les collines anéanties, vallons et fleuves dans les fers. Je voyais les pays aux quatre coins de l’horizon sous la grille tracée par les doubles routes de fer. Je voyais les peuples du Sud comme une fourmilière de silence au travail. Le travail est sain, mais le travail n’est plus le geste le tam-tam ni la voix ne rythment plus les gestes des saisons. Peuples du Sud dans les chantiers, les ports les mines les manufacturiers et le soir ségrégés dans les kraals de la misère. Et les peuples entassent des montagnes d’or noir et d’or rouge – et ils crèvent de faim. Je vis un matin, sortant de la brume de l’aube, la forêt des têtes laineuses les bras fanés le ventre cave, des yeux et des lèvres immenses appelant un dieu impassible. Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances bafouées ? »



  2. LE CHOC CULTUREL

    « Le terme choc culturel fut introduit pour la première fois par l’anthropologue Kalervo Oberg en 1954, et se réfère au sentiment d’anxiété provoqué par le fait de se retrouver plongé dans un contexte à la fois étranger et étrange. Aujourd’hui, le choc culturel est plutôt considéré comme une chance pour le développement personnel et comme une occasion de maturation. Bien sûr, le choc culturel se présente comme une confrontation très stressante mais qui aboutit à une plus grande conscience de soi et de sa propre culture. Une conscience plus aigue de sa propre culture signifie que l’on a une meilleure vue sur sa propre identité, la structuration de ses valeurs et son propre modèle de communication. Une meilleure conscience culturelle favorise la prise de conscience du fait que chaque culture possède sa propre cohérence et sa propre logique internes » .

    En côtoyant les écrits des Nègres, le choc culturel se fait sentir d’une manière très significative, laissant entrevoir une certaine négation condamnatoire envers la culture étrangère qui lui est imposée. Le danger est d’interpréter aveuglément les choses en termes de couleur, ce qui est généralement la tendance. Le cas de choc culturel du Nègre est fatal car celui-ci est désorienté à la fois par la différence de culture, la domination et l’occupation de son propre espace par une puissance qui va instituer et imposer des manières de faire étrangères et étranges. Cet était de faits ne donne aucune possibilité de recul à cause de ladite domination. C’est ce qui va arriver au jeune Senghor à Ngasobil, le forçant à s’évader avec son complice Verdun aux risques de graves punitions : «Mais après les pistaches grillées et salées, après l’ivresse des Vêpres et de midi, je me réfugiais vers toi, Fontaine-des-Eléphants à la bonne eau balbutiante, vers vous mes Anciens, aux yeux graves qui approfondissent toute choses » . Dans « Lettre à un prisonnier » il dit : «Vous ignorez le pain blanc et le lait et le sel et les mets substantiels qui ne nourrissent pas, qui divisent les civils et la foule des boulevards, les somnambules qui on renié leur identité d’homme, caméléons sourds de la métamorphose, et leur honte vous fixe dans votre cage de solitude. Vous ignorez les restaurants et les piscines et la noblesse au sang noir interdite et la Science et l’Humanité, dressant leurs cordons de police aux frontières de la négritude ».

    C’est ce choc culturel qui va révolter aussi le petit enfant nègre de Guy Tyrolien et le pousser à adresser une prière singulière à son Seigneur :

    «Seigneur je ne veux plus aller à leur école
    Faites je vous en prie que je n'y aille plus
    Ils racontent qu'il faut qu'un petit nègre y aille
    Pour qu'il devienne pareil
    Aux messieurs de la ville
    Aux messieurs comme il faut;
    Mais moi je ne veux pas
    Devenir comme ils disent
    Un monsieur de la ville
    Un monsieur comme il faut »

    C’est ce qui fait ricaner le Prince héritier dans « Message » : «Etes-vous plus heureux ? Quelque trompette à wa-wa-wâ et vous pleurez aux soirs là-bas de grands feux et de sang … Vos filles, m’a-t-on dit, se peignent le visage comme des courtisanes. Elles se casquent pour l’union libre et éclaircir la race… ».

    Le grand Césaire dans sa solitude citadine dira: « Et là, bercé par les effluves d’une pensée jamais lasse je nourrissais le vent, je délaçais les monstres et j’entendais monter de l’autre côté du désastre, un fleuve de tourterelles et de trèfles de la savane que je porte toujours dans mes profondeurs à la hauteur inverse du vingtième étage des maisons les plus insolentes et par précaution contre la force putréfiante des ambiances crépusculaires, arpentée nuit et jour d’un sacré soleil vénérien ».

    Ici nous lui trouvons une inspiration terriblement similaire à celle de Senghor qui dit à Ngom, le champion de Thiané : « Je t’écris dans la solitude de ma résidence surveillée – et chère – de ma peau noire. Heureux amis, qui ignorez les murs de glace et les appartements trop clairs qui stérilisent toute graine sur les masques d’ancêtres et les souvenirs mêmes de l’amour » puis dans « Désespoir d'un volontaire libre » : « Car les barrages des ingénieurs n’ont pas apaisé la soif des âmes dans les villages polytechniques ».

    Sans exhaustivité d’exemples, écoutons Chief Seattle s’indigner : « Le président à Washington envoie nous dire qu’il veut acheter notre terre. Mais comment peut-on acheter ou vendre le ciel, la Terre ? L’idée nous est très étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et l’éclat de l’eau, comment pouvez-vous nous les acheter ? Pour mon peuple, chaque élément de la terre est sacré. Chaque épine luisante du pin, toute plage sableuse, tout lambeau de brume dans les bois sombres, toute clairière et chaque bourdonnement d’insecte. Tout est sacré dans la mémoire et l’expérience de mon peuple ».

    Et Léon Gontran Damas nous narrer les bonnes règles que lui veut faire appliquer sa mère :

    « Et j’ai beau avaler sept gorgées d’eau
    trois à quatre fois par vingt-quatre heures
    me revient mon enfance
    dans un hoquet secouant
    mon instinct
    tel le flic le voyou
    Désastre
    parlez-moi du désastre
    parlez-m’en
    Ma mère voulant d’un fils très bonnes manières
    à table
    Les mains sur la table
    le pain ne se coupe pas
    le pain se rompt
    le pain ne se gaspille pas
    le pain de Dieu
    le pain de la sueur du front de votre père
    le pain du pain
    Un os se mange avec mesure et discrétion
    un estomac doit être sociable
    et tout estomac sociable
    se passe de rots
    une fourchette n’est pas un cure-dents
    défense de se moucher
    au su
    au vu de tout le monde
    et puis tenez-vous droit
    un nez bien élevé
    ne balaye pas l’assiette
    Et puis et puis…»

    … Un estomac doit être sociable et tout estomac sociable se passe de rots… Mais, justement, le rot, après avoir mangé, n’était-il pas une façon de montrer, de prouver sa reconnaissance envers la cuisinière, preuve que l’on a bien apprécié son repas ? A travers cette raspoutitsa culturelle, c’est en réalité un monde, celui du poète, qui petit à petit se met au galop pour s’effondre et se diluer dans une mondialisation lente, nonchalante mais sûre, mondialisation qui est justement le contraire de la Civilisation de l’universel. Dans la mondialisation une culture assassine toutes les autres, dans la Civilisation de l’universel chaque culture est souveraine, comme les nations composant les Nations Unies où elles devraient se retrouver, égales en souveraineté.

    New York, symbole du « nouvel empire » à bâtir, le rêve à accomplir pour tout chef d’Etat moderne, est, aux yeux du « Nouveau Kaya Magan » d’une couleur livide, un cauchemar : « Pas un rire en fleur, sa main dans ma main fraîche, pas un sein de maternel, des jambes de nylon. Des jambes et des seins sans sueur ni odeur. Pas un mot tendre en l’absence de lèvres, rien que des cœurs artificiels payés en monnaie forte et pas un livre où lire la sagesse. La palette du peintre fleurit des cristaux de corail. Nuits d’insomnie ô nuits de Manhattan ! Si agitées de feu follets, tandis que les klaxons hurlent des heures vides et que les eaux obscures charrient des amours hygiéniques, tels des fleuves en crue des cadavres d’enfants. »

    Encore une fois, c’est ce qui fait reculer le poète dans « l’Absente ». Le Nouveau Kaya Magan conseille à New York de se repentir, de se souvenir de son oubli du devoir de savoir écouter son cœur, de remonter vers l’Eden d’Adam et Eve, vers le cadre édénique du Congo au sein des cascades, au royaume du Kaya Magan : « Voici venir les temps très anciens, l’unité retrouvée la réconciliation du Lion du Taureau et de l’Arbre, l’idée liée à l’acte, l’oreille au cœur le signe au sens. Voilà tes fleuves bruissant de caïmans musqués et de lamantins aux yeux de mirages. Et nul besoin d’inventer les Sirènes ».

    Voilà le drame auquel nous sommes confrontés, nous citoyens de pays qui doivent se développer en emboîtant le pas de systèmes déjà à genoux. Et cela va de soi, à prime abord car au lendemain des indépendances une administration est déjà sur place ; nous avions déjà goûté à la pomme présentée par Eve, c’est-à-dire l’Europe ; un système gérait le monde, contre lequel il n’y avait pas grande chose à faire, le choix étant de rester sous la jupe de l’ancienne métropole ou de changer de camp et ainsi se créer deux fronts tout aussi dévastateurs : l’ancienne métropole vous regarde en traître, et la nouvelle ne maîtrise pas vos eus et coutumes, tout cela poussant dans une arène où le changement n'interviendra jamais que sous pure forme. C’est un fardeau très lourd à porter, comme le soldat Senghor devant les sauvages fleuves slaves, qui doit continuer et accomplir son impossible mission : « Dans l’espoir de ce jour – voici que la Somme et la Seine et le Rhin et les sauvages fleuves slaves sont rouges sous l’épée de l’Archange et mon cœur va défaillant à l’odeur vineuse du sang, mais j’ai des consignes et le devoir de tenir.… ».



  3. LE RENIEMENT

    Nos auteurs ne sont pas partis chercher ces coups de pieds dans le foin et encore moins très loin dans un vide de paranoïa : « On connaît le système raciologique de Gobineau, qui distingue trois grandes « races », placées sur une échelle graduée (Poliakov 1987 : 265 et suiv. ; Todorov 1989 : 153 et suiv. ; Taguieff 1998 : 21 et suiv.). En haut de ce classement figurent les Blancs, porteurs d’énergie et d’intelligence : ce sont les seuls qui, dès le départ, sont susceptibles d’apporter la civilisation, malgré le pessimisme historique à l’œuvre dans l’Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855). Suit la race jaune, qui a des dispositions à l’apathie, mais qui conserve une certaine forme de rationalité. Vient ensuite la variété mélanienne, qui ne sortira jamais du cercle intellectuel le plus restreint, et qui est caractérisée par l’avidité [...] de ses sensations (Gobineau 1983 : I, 339 et suiv.) : Ce qu’il [le Noir] souhaite, c’est manger, manger avec excès, avec fureur (ibid., 340). Le Noir semble donc réduit un corps quasiment privé de cerveau, corps lui-même limité à une pure fonction digestive, par ailleurs hypertrophiée. Le Noir est du côté de l’instinct et de la matière.

    Son hybris paraît tournée entièrement vers lui-même : il consomme, il absorbe gloutonnement, au lieu de produire et de créer. Etre du pure sensation, il oscille entre des pulsions contradictoires. La négrophobie gobinienne, pour choquante qu’elle soit, n’est pas isolée à son époque. Elle pouvait prendre appui sur un discours scientifique, par exemple celui du médecin Virey qui, dans son Histoire naturelle du genre humain (1824), explique que le Noir constitue une sorte d’intermédiaire entre l’orang-outang et le Blanc. Dessins à l’appui, l’auteur entend prouver que ces trois espèces différentes prouvent la supériorité à la fois esthétique, morale et intellectuelle de l’homme blanc, dont l’angle facial est presque droit, tandis que celui du Noir, nettement plus fermé (ce qui a pour conséquence de lui comprimer le cerveau et de rendre sa mâchoire proéminente), le rapproche à l’évidence de celui du singe, son compatriote (Virey 1824 : II, 43). Virey assure par ailleurs que les nègres sont de grands enfants (ibid., 43 ; je souligne). Entendons le terme dans son sens étymologique : in- fans, qui ne parle pas. Ou plus exactement : qui n’a pas les mêmes capacités linguistiques que les Blancs. Leurs langages, écrit Virey à propos des Noirs, très bornés, monosyllabiques, manquent de termes pour les abstractions (ibid., 56) – ce qui est bien normal, puisque ce sont des êtres portés sur l’usage des sens, et même tout proches de l’animalité.

    Parmi nos cinq points, c’est le reniement qui aura le plus marqué les Nègres, chargé de l’effet le plus dévastateur. C'est aussi lui qui sera la différence d'avec les autres colonisations de l'histoire. Enchaînés et vendus, ils auraient pu encore, avec un moindre mal, se redresser en face de l’antagoniste, comme deux athlètes qui s’affrontent et dont l’un tôt ou tard doit fléchir sans perdre de son humanité devant l’autre. Mais le voilà, terrassé, son humanité ôtée; le voilà considéré comme un sous-homme, son histoire inexistante. En 1830, dans son « Cours sur la philosophie de l’histoire », Hegel déclarait : « L’Afrique n’est pas une partie historique du monde. Elle n’a pas de mouvements, de développements à montrer. De mouvements historiques en elle. C’est-à-dire que sa partie septentrionale appartient au monde européen ou asiatique ; ce que nous entendons précisément par l’Afrique est l’esprit ahistorique, l’esprit non développé, encore enveloppé dans des conditions de naturel et qui doit être présenté ici seulement comme au seuil de l’Histoire du monde » et en 1928, Coupland, dans son « Manuel sur l’Histoire de l’Afrique Orientale » écrivait : « Jusqu’à D. Livingstone, on peut dire que l’Afrique proprement dite n’avait pas eu d’histoire. La majorité de ses habitants étaient restés, durant des temps immémoriaux, plongés dans la barbarie.

    Tel avait été, semble-t-il, le décret de la nature. Ils demeuraient stagnants, sans avancer ni reculer ». Une autre citation caractéristique : « Les races africaines proprement dites - celle de l’Egypte et d’une partie de l’Afrique Mineure mise à part - n’ont guère participé à l’Histoire, telle que l’entendent les historiens. Je ne me refuse pas à accepter que nous ayons dans les veines quelques gouttes d’un sang africain (d’Africain à peau vraisemblablement jaune) mais nous devons avouer que ce qu’il en peut subsister est bien difficile à retrouver. Donc, deux races humaines habitant l’Afrique ont seules joué un rôle efficient dans l’histoire universelle : en premier lieu et d’une façon considérable, les Egyptiens, puis les peuples du Nord de l’Afrique ». En 1957, c’est à son tour P. Gaxotte qui écrit sans broncher dans la « Revue de Paris » : Ces peuples, vous voyez de qui il s’agit, n’ont rien donné à l’humanité ; et il faut bien que quelque chose en eux les en ait empêchés. Ils n’ont rien produit, ni Euclide, ni Aristote, ni Galilée, ni Lavoisier, ni Pasteur. Leurs épopées n’ont été chantées par aucun Homère » . Parmi ceux-là il faut citer celui que l'on dénomma le « le père du racisme », Joseph Arthur dit Comte de Gobineau, un théoricien du racisme. Il fut parmi les chercheurs qui, au 19e siècle, s'activèrent autour des préjugés contre les différentes races, en particulier contre les Noirs. Dans son « Essai sur l’inégalité des races humaines », il décrit différentes caractéristiques telles que couleur de la peau, couleur et texture des cheveux, forme et taille du crâne, qu’il met en concordance avec les caractères psychiques, intellectuels, moraux, etc.; ces théories conduisent à une hiérarchisation de valeur des races ou groupements humains.

    Voilà où nous en étions; voilà ce qui poussa Césaire à trépigner dans « Cahier d’un retour au pays natal » : « Partir. Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serais un homme-juif, un homme-cafre, un homme-hindou-de-Calcula, un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas. L’homme famine, l’homme-insulte, l’homme-torture. On pouvait à n’importe quel moment le saisir le rouer de coups, le tuer - parfaitement le tuer sans avoir des comptes à rendre à personne sans avoir des excuses à présenter à personne. Un homme-juif, un homme-pogrom, un chiot, un mendigot » puis pointer un doigt : « …Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on vendait sur les places et l’aune de draps anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans les actes ». Senghor complète: « et la noblesse au sang noir interdite, et la Science et l’Humanité, dressant leurs cordons de police aux frontières de la négritude ».



  4. LE REFUS

    Dominé, ses terres occupées, son humanité mise en question, voire reniée, sa vision du monde et sa cosmogonie transformées, le Nègre résiste, demande et obtient son indépendance, aidé par les évènements de la Deuxième guerre mondiale : la France qui occupait ses terres avait subi l'occupation allemande de ses terres, les nègres avaient été enrôlés volontairement comme de force pour participer à l libération de la France et ne pouvaient plus d'emblée accepter que les leurs soient sous la domination. Mais le refus aura pris diverses facettes et dans la reconquête de l'identité, il fut bien les séparer pour bien comprendre.

    • LES RESISTANCES

      Les résistances ont été la réponse des Africains face à l’invasion, l’occupation, l’exploitation et l’aliénation par les puissances européennes. L’ampleur et les formes de ces résistances ont été variables d’une zone à l’autre, en fonction des structures politiques en place et des caractéristiques des populations, formes dont deux ont été déterminantes : les résistances armées et les résistances passives avec, dans chacune, des natures variées.

      • LES RESISTANCES ARMEES

        Elles sont liées au caractère hautement guerrier de la plus part des sociétés africaines. Dans chaque royaume africain, il existait une classe guerrière au service du souverain islamisé ou animiste. Les moyens de défense utilisés étaient la guérilla, le guet-apens, les armes blanches et même des armes à feu. Les résistances ont été partout violentes en Afrique, mais c’est surtout en Afrique Occidentale qu’elles ont eu le plus d’impact dans le temps et l’espace.

        • RESISTANCES ARMEES MARABOUTIQUES

          El Hadji Omar Tall, 1797 – 1864, était originaire du Fouta. Il se rendit en pèlerinage à la Mecque où il fut nommé Khalif de la Tijanya en Afrique Occidentale et vint s'installer à Dinguiraye. Il commence la conquête d’un vaste empire qui s’étant du Bambouck à Tombouctou. En 1855, il se heurte aux troupes française en route vers Tombouctou cet rencontre se solde par la bataille de Guidimakha. En Avril 1857, il assiège le fort de Médine, capitale du Khasso. Vaincu en juillet, il se concentre sur Macina et le pays Bambara. Indignés de l’occupation de leur royaume par un frère musulman les Peuls Khadrya du Macina se révoltent et finissent, en 1863, par assiéger El Hadji Omar dans Hamdallahi la capitale. Il réussit à s’échapper et se réfugie dans les falaises de Bandiagara où il disparaît mystérieusement dans la grotte de Diagambéré.

          Son fils Ahmadou Cheikhou Tall, installé a Ségou, tente de continuer l’œuvre de son père, mais son autorité est contestée par les Bambara animistes et les Peuls de la confrérie Khadrya. De plus sont refus de s’allier à Samory réduit considérablement ses possibilités de résistance face aux troupes d’Archinard. Contraint d’abandonner aux Français une grande partie de son empire (Ségou, Dinguiraye, Kaarta, Nioro…). Il meurt insoumis, en 1898, à Sokoto.

          Samory Touré, roi du Wassoulou, se convertit à l’islam et prit le titre d’Almamy, pour mettre son pouvoir religieux aux services de la résistance contre l’impérialisme français. Son empire est comprit entre le fleuve Niger, le Fouta Djallon, la Sierra Léone et la Côte d’Ivoire, avec comme capital, Bissandougou.

          Homme intelligent disposant d’une armée solide et bien organisé Samory a été l’un des plus grands résistants africains. Grâce à la technique de la « terre bruléé », il s’oppose farouchement au français et porte de sérieux coup à leurs entreprises coloniales. Attaqué par le colonel Archinard en 1891, il résiste jusqu’en 1894, date à laquelle il déplace sont royaume aux nord de la Côte d’ivoire. En détruisant la ville de Kong en 1895, il souleva contre lui l’hostilité des peuples de la côte des fleuves Bandama et Comoé. Le 28 septembre 1898, il est surpris et capturé dans sont camp de Guélémou par le colonel Gouraud. Déporté aux Gabon, il y meurt en 1900.

        • LES RÉSISTANCES ARMÉES TRADITIONNELLES

          Lat Dior Ngone Latyr Diop, 1842 – 1886, est né à Keur Amadou Yalla. Il devient Damel du Cayor en 1862, après sa victoire sur le Damel Madiodio imposé par les Français. En effet, pour réaliser la liaison Dakar – Saint-Louis, Faidherbe signe des traités avec les Damel Birima Ngoné, Macodou et Madiodio. Lat- Dior qui s’oppose à tous ses traités signés par ces prédécesseurs, devient dès lors une menace sérieuse pour les Français. Le premier Affrontement a lieu à Ngolgol le 30 novembre 1863 contre les troupes de Pinet-Laprade. Il leur inflige leur première grande défaite au Sénégal. Le 17 janvier 1864, Lat-Dior, battu à Loro par les Français, est contraint à l’exil dans le Rip auprès de Maba Diakhou Ba qui lui impose la conversion à l’islam. Les deux hommes battent les troupes françaises à Pathé Badiane, prés du ravin de Paoskoto, le 28 décembre 1865.

          A la mort de Maba pendant la bataille de Somb contre le Bour Sine en juillet 1967, Lat-Dior retourne au Cayor. En 1871, après quelques moment de turbulence, Pinet-Laprade finit par le reconnaître comme Damel (moyennant la signature d’un traité de protectorat). Mais la décision Française en 1879, de construire le chemin de fer Dakar – Saint-Louis, va entraîner une nouvelle rébellion de Lat Dior. Il est alors destitué 1882, et remplacé par Samba Yaya Fall, puis par son neveu, Samba Laobé Fall. Lat Dior s’exile de nouveau au Djolof, auprès d’Alboury Ndiaye. Les Français obligent Alboury à l’expulser du Djolof.

          Trop fier de lui, Lat Dior revient au Cayor et décide de libérer sa patrie au prix de sa vie. Il tombe le 26 octobre 1886, à la bataille de Dékhélé, au cours de laquelle le capitaine Valois a été aidé par l’un de ces anciens fidèle, Demba War Sall. Behanzin accède au trône du Dahomey, actuel Bénin, en 1869, succédant à son père, Glélé. Cette période coïncide avec l’invasion coloniale française à laquelle il s’oppose farouchement. En effet, son royaume entravait l’expansion Française au Niger. Son armée valeureuse très disciplinée, et comprenant un corps de femmes-soldat (les amazones), a vaillamment résisté de 1890 à 1894, à l’expédition français.

          En 1892, sous des prétextes futiles le colonel Dodds, à la tête de 3000 hommes, envahit le Dahomey. Béhanzin fut vaincu par la trahison de ses compatriotes, mais résista pendant deux ans. Il est capturé en 1894 et déporté à la Martinique puis en Algérie ou il meurt en 1906.

          Le roi du Sine Coumba Ndoffène Famak Diouf, littéralement Coumba Ndoffène Diouf Senior, dans le cadre de la résistance opposée par le peuple sérère du Royaume du Sine, dirigea la bataille de Logandème livrée le 18 mai 1859 contre les troupes coloniales françaises ayant à leur tête Louis Faidherbe, nommé gouverneur du Sénégal par le gouvernement français à Paris. L'affrontement a eu lieu à Logandème, un quartier de Fatick, qui faisait partie du royaume précolonial sérère du Sine, une région du Sénégal indépendant.

          Après la défaite de la reine Ndaté Yalla Mbodj du Waalo en 1855, Faidherbe avait décidé de lancer des guerres contre les royaumes sérères du Sine et du Saloum. Il avait déclaré tous les traités déjà signés entre les rois Sérères et les Français, ceux en faveur des Sérères, nuls et non avenus et avait demandé la mise en place de nouveaux traités selon les termes de Faidherbe. D'après des chercheurs, comme Klein, c'était une énorme erreur de la part des Français, car ouvrant la voie aux rois Sérères futurs pour utiliser le même tactique contre les Français, en particulier Maad a Sinig San-Moon Faye, le successeur de Maad Kumba Coumba Ndoffène en 1871.

          La révocation des droits excessifs des coutumes traditionnelles versés par les marchands français à la Couronne, le refus des rois Sérères d'avoir à acheter français et de posséder des terres dans les pays sérères ou de construire dans la maçonnerie (voir Maad a Sinig Hama Diouf Gnilane Faye Diouf) étaient tous des facteurs contribuant à cette guerre. En mai 1859, Faidherbe arrive à Gorée avec 200 tirailleurs et 160 troupes de marine. Il rassemble la garnison de Gorée, des gens de Gorée, de Rufisque et des Lébous de Dakar pour lutter contre les Sérères du Sine. Dans une lettre envoyée à Paris en ce qui concerne la façon dont il a prétendument réussi à obtenir le soutien des Wolofs et des Lébous, il rapporte : «Je leur ai dit qu'ils étaient Français, et que pour cette raison ils ont dû prendre les armes pour se joindre à nous et ont eu à participer à l'expédition que nous allons faire contre leurs voisins pour obtenir des réparations pour les torts de ces personnes avaient fait pour nous ».

          De Rufisque, les troupes françaises entrent à Joal, l'une des principautés du Royaume du Sine. Dans Joal, ils se heurtèrent au Buumi - prince héritier - Sanmoon Faye, qui était en patrouille avec certaines des forces du Sine. Pris par surprise et totalement ignorant de ce que les forces françaises faisaient en pays sérère, les deux parties ouvrent le feu. La force de patrouille du Sine fut forcée de se retirer, mais deux de ses membres furent capturés par les Français, et on confia à l'un d'eux la tâche d'aller dire à Maad Coumba Ndoffène Famak Diouf que l'armée française serait à Fatick dans trois jours. Il faut expliquer en passant que Fatick était l'une des plus importantes principautés du royaume du Sine.

          Dans la matinée du 18 mai 1859, l'armée française arrive à Fatick et prend ses positions. Le roi du Sine et son armée qui a été mobilisée par le son des junjung (les tambours de guerre sacrés du Sine), montaient la garde à Logandème. Vers 9 heures, l'armée Sérères ouvre le feu contre les forces françaises. Les Français ripostent et la bataille commence. A 9 h 30, bouleversés par la puissance militaire française, Maad a Sinig Coumba Ndoffène Famak Diouf et ses forces ont été contraints de faire une retraite précipitée. Quelques minutes plus tard, le roi du Sine et sa cavalerie réapparaissent sur le champ de bataille. Cependant, étant incapables de rompre les rangs français, ils sont finalement vaincus. Après la victoire française, le gouverneur Louis Faidherbe donne l'ordre de brûler Fatick et les villages environnants. Faidherbe a affirmé que 150 Sérères étaient « tués ou blessés, mais que la force française avait seulement cinq blessés ».

          Le gouvernement français à Paris a critiqué Faidherbe pour avoir effectué une expédition militaire sans l'en aviser. En réponse à cette critique, Faidherbe a affirmé qu'il ne faisait qu'occuper une superficie qui appartenait à la France depuis 1679. Selon les historiens, comme Klein, Faidherbe a joué avec les mots et a élaboré la politique de base au Sénégal, aboutissant à une occupation d'une zone qui n'avait jamais appartenu à la France. Ni le Royaume du Sine, ni aucune de ses provinces n'avait jamais appartenu aux français.

      • LES RÉSISTANCES PASSIVES

        Elles ont été spontanées, populaires, culturelles, villageoises ou sous la direction de chefs religieux et de chefs traditionnels. Le refus de soumission à l’autorité coloniale s'exprime à travers des désertions, des actions de sabotage, la désobéissance civile et le refus à l’assimilation culturelle.

        Aline Sitoé Diatta est née vers 1920 à Kabrousse, un village du département d’Oussouye, en Casamance. En 1940, elle résiste au colonisateur Français, en exhortant ces concitoyens à la désobéissance civile : refus de payer l’impôt et de reconnaitre le pouvoir de l’homme blanc. Elle élabore une doctrine basée sur les principes suivant :

        • Sur le plan religieux, elle œuvre pour le retour aux croyances traditionnelles. • Sur le plan politique, elle brandit l’étendard de la révolution contre l’occupant Français en réaffirmant le droit ancestral des Noirs sur la terre d’Afrique. • Sur le plan économique elle recommande aux populations de boycotter la culture de l’arachide, source de dépendance économique, et de développé les cultures vivrières.

        Cette forme de résistance gêna l’administration coloniale qui finit par déporter Aline Sitoé Diatta au Mali. Elle mourut à Tomboutou le 28 mai 1944.

        Si Senghor a prôné le métissage et, partant, la civilisation de l'universel, c'est que chaque côté a son côté positif et son côté obscur. Là où le Nègre, comme l'Aztèeque, le Zapotec ou l'Inca gardait une relation naturelle avec son environnement et l'universel de par sa cosmogonie et sa culture, l'Occidental se déshumanisait sous les faisceaux intégrateurs d'un système basé sur la technique sur laquelle elle s'appuyait pour se proclamer maître d'un monde dont elle ravageait une à une ses richesses.

        Le Nègre, comme les Indiens d'Amérique à travers Chief Seattle, aspirait à des choses plus simples, à un humanisme naturel et naturaliste qui semble forcé de disparaître, effacé par la règle et l’équerre : « Mon calvaire. Je voyais dans un songe tous les pays aux quatre coins de l’horizon soumis à la règle et au compas. Les forêts fauchées les collines anéanties, vallées et fleuves dans les fers. Je voyais les pays aux quatre coins de l’horizon sous la grille tracée par les doubles routes de fer, je voyais les pays du Sud comme une fourmilière de silence au travail. Le travail est saint, mais le travail n’est plus le geste, le tam-tam ni la voix ne rythment plus les gestes des saisons… ».

        Le remous incessant des paragraphes formant la présentation des royaumes francs contraste terriblement avec le caractère humain qu’appose le Kaya Magan à travers son empire. L’organisation semble concertée, le chef semble être père de famille, protecteur mais en même temps gardant la capacité d’écouter « dans le bois la complainte murmuré », tel Coumba Ndoffène Diouf, le pèlerin royal parcourant ses provinces, précédés par le bruit de ses aïeux et ses dioung-dioungs.

        Ce qui est très important et qu’il ne faut jamais perdre de vue c’est que, chez Senghor, l’essence même de l’homme n’est pas dans la technique, peut-être dans la technicité. Il a en opprobre le fruit ultime de l’esprit déployé par l’Occident à travers les âges, fruit ultime qui n’est pas celui de souder les cœurs mais de distiller les chairs humaines. D’ailleurs dans le paradis, ce n’est jamais la technique qui est mise en avant, mais le panorama décrit dans son poème, le « Kaya Magan » :

        « Le ravissement de vous émaillant les plaines du silence !
        Vous voici quotidiennes mes fleurs mes étoiles, vous voici à la joie de mon festin.
        Donc paissez mes mamelles d’abondance, et je ne mange pas qui suis source de joie.
        Paissez mes seins forts d’homme, l’herbe de lait qui luit sur ma poitrine »

        et encore :

        « Je suis le buffle qui se rit du Lion, de ses fusils chargés jusqu’à la gueule.
        Et il faudra bien qu’il se prémunisse dans l’enceinte de ses murailles.
        Mon empire est celui des proscrits de César, des grands bannis de la raison ou de l’instinct ».

        Cela ne rappelle-t-il pas un passage de la Bible ? Voyons : « Le loup et l'agneau paîtront ensemble, et le lion mangera de la paille comme le bœuf; et la poussière sera la nourriture du serpent. On ne fera pas de tort, et on ne détruira pas sur toute ma montagne sainte, dit l'Éternel ».

        Voilà l’agneau qui paît avec le loup, le buffle qui se rit du Lion, le paradis, l’Eden, la Paix. Quelle place pour les fusils chargés jusqu’à la gueule, les fusils de Ceux-qui-nous-définirent-comme-sous-homme ? Qu’ils prennent garde, qu’ils se prémunissent dans l’enceinte de ses murailles, car l’empire du poète, nouveau Kaya Magan, est l’empire des proscrits de César, dont voici, en partie, les termes de la proscription :

        « Marcus Lepidus, Marcus Antonius et Octavius Caesar, choisis par le peuple pour gouverner et mettre la république sur le droit chemin, déclarent que, si de perfides traîtres n'avaient pas demandé pitié et quand ils l'ont obtenue n'étaient pas devenus les ennemis de leurs bienfaiteurs et n'avaient pas conspiré contre eux, Gaius Caesar n'aurait pas été massacré par ceux qu'il a sauvé par sa clémence après les avoir capturé lors de la guerre, ceux qu'il a considérés comme des amis et à qui il a donné des charges, des honneurs et des cadeaux ; et nous ne devrions pas être obligés d'employer cette sévérité contre ceux qui nous ont insultés et nous ont déclarés ennemis publics » Il a opté pour l’empire des grands bannis de la raison ou de l’instinct, ceux que l’on ne voit qu’en sous-hommes. Mais si l’empire du Nouveau Kaya Magan est celui des proscrits de César, c’est certainement à cause de la teneur du premier paragraphe :

        « Marcus Lepidus, Marcus Antonius et Octavius Caesar, choisis par le peuple pour gouverner et mettre la république sur le droit chemin, déclarent que, si de perfides traîtres n'avaient pas demandé pitié et quand ils l'ont obtenue n'étaient pas devenus les ennemis de leurs bienfaiteurs et n'avaient pas conspiré contre eux, Gaius Caesar n'aurait pas été massacré par ceux qu'il a sauvé par sa clémence après les avoir capturé lors de la guerre, ceux qu'il a considéré comme des amis et à qui il a donné des charges, des honneurs et des cadeaux ; et nous ne devrions pas être obligés d'employer cette sévérité contre ceux qui nous ont insultés et nous ont déclarés ennemis publics ».

        Ici, les bienfaiteurs c’est le colon qui va reprocher aux colonisés de s’être révoltés après tant de bienfaits civilisateurs, après l’ouverture à tant de richesses ou bien d’avoir demandé l’indépendance. C’est la bombe lâchée dans le jardin gagné des épines, le discours de non assimilation de la Chambre de Commerce de Dakar. Mais pouvait-il en être autrement ?

        Dans Orphée noir, Jean-Paul Sartre abordera le même thème en d’autres termes :

        « Qu'est-ce donc que vous espériez, quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches noires ? Qu'elles allaient entonner vos louanges ? Ces têtes que nos pères avaient courbées jusqu'à terre par la force, pensiez-vous, quand elles se relèveraient, lire l'adoration dans leurs yeux ? Voici des hommes noirs debout qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d'être vus. Car le blanc a joui trois mille ans du privilège de voir sans qu'on le voie ; il était regard pur, la lumière de ses yeux tirait toute chose de l'ombre natale, la blancheur de sa peau c'était un regard encore, de la lumière condensée. L'homme blanc, blanc parce qu'il était homme, blanc comme le jour, blanc comme la vérité, blanc comme la vertu, éclairait la création comme une torche, dévoilait l'essence secrète et blanche des êtres. Aujourd'hui ces hommes noirs nous regardent et notre regard rentre dans nos yeux ; des torches noires, à leur tour, éclairent le monde et nos têtes blanches ne sont plus que de petits lampions balancés par le vent » . Césaire dira : « Ecoutez le monde blanc horriblement las de son effort immense ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures, ses raideurs d'acier bleu transperçant la chair mystique écoute ses victoires proditoires trompeter ses défaites écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs ».

        Pour s’associer au poète et donner le coup de grâce, Sartre continue :

        «Nous voilà finis, nos victoires, le ventre en l'air, laissent voir leurs entrailles, notre défaite secrète. Si nous voulons faire craquer cette infinitude qui nous emprisonne, nous ne pouvons plus compter sur les privilèges de notre race, de notre couleur, de nos techniques : nous ne pourrons nous rejoindre à cette totalité d'où ces yeux noirs nous exilent qu'en arrachant nos maillots blancs pour tenter simplement d'être des hommes ».

        Le coup est lâché. Pour la Négritude, le problème, encore une fois, ne se pose pas en termes de techniques, d’inventions, bien qu’elle ne s’oppose à la technicité. Ces choses ne sont pas exclues, mais sont reléguées au deuxième plan puisque devant être au service de l’homme et non un moyen de sa destruction. Pour réellement appréhender la répugnance que Senghor éprouve devant la technique du blanc, il faut visualiser la superbe série « Les Grandes Batailles » du documentariste et auteur de télévision Daniel Costelle .

        Dans « Chant de printemps », Senghor, comme un reporter de guerre, caméra sur l’épaule, braque l'objectif sur une de ces scènes horribles de la Deuxième Guerre mondiale et nous montre la jungle moderne et destructrice qui s’est apposée sur l’originale de l’Afrique :

        « Ecoute mon ami, lointain et sourd, le grondement précoce de la tornade
        comme un feu roulant de brousse.
        Et mon sang crie d’angoisse dans l’abandon de ma tête trop lourde livrée aux courants électriques.
        Ah ! Là-bas l’orage soudain, c’est l’incendie des côtes blanches de la blanche paix de l’Afrique mienne.
        Et dans la nuit où tonnent de grandes déchirures de métal,
        entends plus près de nous, sur trois cents kilomètres,
        tous les hurlements des chacals sans lune
        et les miaulements félins des balles, entends les rugissements brefs des canons
        et les barrissements des pachydermes de cent tonnes.
        Est-ce l’Afrique encore cette île mouvante, cet ordre de bataille,
        cette longue ligne rectiligne, cette ligne d’acier et de feu ?...
        Mais entends l’ouragan des aigles-forteresses,
        les escadres aériennes tirant à pleins sabords
        et foudroyant les capitales dans la seconde de l’éclair.
        Et les lourdes locomotives bondissent au-dessus des cathédrales
        et les cités superbes flambent, mais bien plus jaunes,
        mais bien plus sèches qu’herbes de brousse en saison sèche.
        Et voici que les hautes tours, orgueil des hommes, tombent
        comme les géants des forêts avec un bruit de plâtras… »

        Voyant que le Blanc s’est positionné dans sa technique qui a la terrifiante capacité de destruction, pourquoi l’humaniste revendiquerait-il une place auprès de lui, pourquoi lui lancerait-il un défi dans ce Colysée du carnage, de la déshumanisation ? Et en plus, science et technologie ne sont pas des synonymes, la dernière étant, d’un point de vue, fille de l’autre, son application.

        Il serait malhonnête pour les pères de la Négritude de nier les avancées de l’autre, mais ce sont des avancées qui, en dépit de notre monde qui semble ne pas pouvoir ou plutôt oser s’arrêter et prendre une autre direction, leur sont répugnantes. Et ils ne sont pas les seuls. Depuis l’avènement de la bombe atomique, la course à l’armement et maintenant tous les projets visant au clonage, à la production des OGM, beaucoup d’Occidentaux ont commencé à sérieusement se poser des questions et à s’engager corps et âmes contre les garanties précaires, les expérimentations hasardeuses. En réalité, l’autre camp n’a de couleur que dans la mesure où l’on s’est servi de la couleur du Nègre pour faire accepter l’assujettissement. Même sans colonisation, le Nègre se serait senti solitaire dans le système déporté chez lui, solitaire dans la globalisation devenue petit à petit mondialision, le contraire même de la Civilisation de l'Universel. C’est le choc des cultures que toute personne ressent lorsqu'elle sent que la sienne est submergée par une autre. Ici le degré est toutefois fatal, puisque découlant d’une imposition après assujettissement et reniement. Déjà en 1992, un collègue finlandais regardait froidement les avancées de la mise en place de l'Union Europénne : premièrement il y aura un mouvement des nations vers cette union mais, avec le temps, à cause de géants qui sembleront dicter les voies à suivre, en particulier l'Allemagne, la France et l'Angleterre, on risque de voir un nationalisme se redresser dans les petites nations pour contrer cette langue qui les happe pour faire disparaître leur identité intrinsèque. L'etat actuel des choses semble confirmer cette vision avec les menaces de la Grèce à un certain moement donné et une grande suprise qui laisse tout le monde pantoi, à savoir le Brexit entamé par une des premières puissances de l'Union.

        Le réveil brutal à cet état de fait de la nature de la science appliquée a poussé au développement ou la remise en surface de l’étique de la science et poser la question : Une Science au service de l’humanité ou une menace ? Nous savons que « Pour beaucoup de scientifiques, techniciens et bien d’autres personnes, la science et la technologie sont intrinsèquement bénéfiques à l’humanité. Depuis trois siècles, l’essor des sciences et leur impact social ont été énormes. Pourtant, la recherche scientifique depuis 1945 est caractérisée par la prééminence du secteur militaire. La science et la technique ont créé la plus grande menace ayant jamais existé pour l’homme et toute la vie terrestre : la bombe atomique. Plus récemment, les recherches dans le domaine de la génétique et les avancées en matière de clonage humain ont projeté sur nos écrans des images de chercheurs “ docteurs folamours diaboliques”. Face à cela, il s’avère urgent de se demander, comment, et sur quelles bases saines, engager l’esprit imaginatif, l’énergie intellectuelle et matérielle consacrés à la recherche et ses applications ».

        Tout récemment, le célèbre cosmologiste et physicien britannique Stephen Hawking, né le 8 janvier 1942 à Oxford, a expliqué, en marge d’une conférence pour la BBC, que le genre humain était en passe de devoir affronter ses moments les plus difficiles; que le progrès génère des dangers existentiels. D’après Monsieur Hawking, il est presque certain qu’une catastrophe frappera la planète Terre d’ici un à dix milliers d’années. En revanche, « nous n’établirons pas de colonie autarcique dans l’espace avant au moins les cent prochaines années, donc nous devons être très prudents durant cette période », a-t-il expliqué à la chaîne britannique Radio Times.

        Cette inquiétude est partagée par Carl Sagan qui, en plus d’être un astrophysicien connu pour son scepticisme, était également un homme lucide et visiblement visionnaire. Il a fait « une prédiction » sinistre sur l’avenir du monde il y a de cela plus de 20 ans : « En 1995, l’astrophysicien Carl Sagan, publiait un livre intitulé « The Demon-Haunted World », un manifeste du rationalisme et du développement des connaissances qui met en garde contre les dangers des pseudosciences et de l’analphabétisme scientifique et qui encourage ses lecteurs à apprendre la pensée critique et sceptique. Il semblerait qu’en plus d’être doué dans son domaine, l’astrophysicien était également visionnaire... Carl Sagan nous parle alors de baisse des emplois manufacturiers, d’une certaine défiance de la population envers la politique et des politiciens qui ne peuvent ou ne veulent représenter l’intérêt de tous et de technologies révolutionnaires et brillantes qui ne semblent pas servir le bien public. Sagan prédit alors un penchant de plus en plus prononcé pour les superstitions et les pseudosciences et, encore plus inquiétant, il prédit que le public sera intellectuellement incapable de distinguer ce qui servira ses intérêts ou non » .

        C'est le même état de fait qui a donné naissance au mouvement éthique dans les sciences, mouvement dont nous donnerons ci-dessous, les textes majeurs qu'il a engendrés. Ce mouvement est né « d’une prise de conscience interne. La réflexion éthique sur les sciences a des origines très anciennes. En fait elle a toujours été présente sous la forme d’une question qui hante toute démarche de recherche et application scientifique : “ que faire ?”, ou encore à travers les écrits et discours de grands noms de la science comme Rabelais “science et conscience, Pascal et bien d’autres. Plus récemment, le siècle qui vient de s’achever a été jalonné de remises en question sérieuses du bien fondé de la recherche et de ses applications aux vues de certaines conséquences catastrophiques pour l’humanité.

        « Au XXème siècle, des évènements dramatiques obligent les sciences à se doter de textes véritables gardes fous éthiques. La Première Guerre Mondiale a semé un vent de panique : des millions de jeunes fauchés par des techniques de mort perfectionnées, une génération martyrisée qui provoqua un ressentiment anti science profond dans les années vingt. 1945, un double choc terrible pour les consciences : la bombe d’Hiroshima et la découverte d’Auschwitz. Le monde scientifique se mobilise. En lien direct avec Auschwitz, et à l’initiative des biologistes et des médecins est né en 1947 le code de Nuremberg pour encadrer strictement l’expérimentation sur les êtres humains. Après Hiroshima et principalement à l’initiative des physiciens en 1955 le Manifeste Russell - Einstein voit le jour. Il est publié à Londres le 9 Juillet 1955 » .

        Deux ans plus tard, les Conférences de Pugwash pour la science et les affaires mondiales sont instaurées. Elles recevront le prix Nobel de la Paix en 1995, puis suit le Traité de Non Prolifération Nucléaire, TPN , signé le 1er juillet 1968 puis promulgué en 1969 pour 25 ans puis renouvelé, et enfin le manifeste de Séville, diffusé par décision de la Conférence générale de l'UNESCO à sa vingt-cinquième session à Paris, France le 16 novembre 1989.

        Ce fut en 1986 que des scientifiques des quatre coins de la planète rédigèrent ce manifeste, y dénonçant des a priori pseudo scientifiques sur la violence. Là ils déclarent qu’il est de leur responsabilité d’attirer l’attention de tous sur les activités les plus dangereuses et les plus destructrices de notre espèce à savoir la violence et la guerre.

        Rédigé sous formes de cinq propositions, ils y dénoncent les a priori qui font que plus de 50% des jeunes du monde entier croient au mythe selon lequel la violence et la guerre seraient inhérentes à la nature humaine, opinion probablement partagée par une large partie du public quelque que soit l’âge, le niveau d’instruction et l’origine sociale.

        Contre les secousses de la science qui ne cessent de se répercuter, la lutte continue toujours, comme un écho venu du fond du cœur des hommes de la Négritude, cet humanisme profond qui se veut début et fin de l’homme, sa raison d’être. L’un d’entre eux n’a-t-il pas dit : « Et au-delà, la plaine soudanaise que dessèchent le Vent d’Est et les maîtres nordiques du Temps et les belles routes noires luisantes que bordent les sables, rien que les sables les impôts les corvées les chicottes et la seule rosée des crachats pour leurs soifs inextinguibles au souvenir des verts pâturages atlantidiens, car les barrages des ingénieurs n’ont pas apaisé la soif des âmes dans les villages polytechniques » ?

        La négritude chante la différence, réfute et refuse la déshumanisation de l’homme, « l’appel des caméléons sourds de la métamorphose ». Voilà l’un de ses pères qui convoite la simplicité humaine de la vie en ironisant les gadgets étalés comme une fourrure renouvelée de la Bête, ou une fourrure de la Bête renouvelée : « Vous ignorez le bon pain blanc et le lait et le sel, et les mets substantiels qui ne nourrissent pas, qui divisent les civils et la foule des boulevards, les somnambules qui ont renié leur identité d’homme, caméléons sourds de la métamorphose, et leur honte vous fixe dans votre cage de solitude. Vous ignorez les restaurants et les piscines, et la noblesse au sang noir interdite, et la Science et l’Humanité, dressant leurs cordons de police aux frontières de la négritude ». Un autre père dira : « Au bout du petit matin ...Va-t-en, lui disais-je, gueule de flic, gueule de vache, va-t-en je déteste les larbins de l'ordre et les hannetons de l'espérance. Va-t-en mauvais gris-gris, punaise de moinillon. Puis je me tournai vers des paradis pour lui et les siens perdus, plus calme que la face d'une femme qui ment, et là, bercé par les effluves d'une pensée jamais lasse je nourrissais le vent, je délaçais les monstres et j'entendais monter de l'autre côté du désastre, un fleuve de tourterelles et de trèfles de la savane que je porte toujours dans mes profondeurs à hauteur inverse du vingtième étage des maisons les plus insolentes et par précaution contre la force putréfiante des ambiances crépusculaires, arpentée nuit et jour d'un sacré soleil vénérien ».

        Ne serait-il pas prétentieux de notre part de vouloir recadrer la dimension de la Négritude ? Ne serait-ce pas trop ? Nous disons non, si l’on prend en compte la valse lancinante des écrits de ses pères. Bien sûr, puisque dès le départ le Nègre est attaqué dans sa couleur, à travers sa couleur, puis réduit en quasi animal dont la langue n’est pas aussi développée que cela et dont les coutumes sont barbares, et qu’il fallait par conséquence le classer comme un énergumène particulier d’un niveau un peu plus évolué que les autres primates – après tout, le chimpanzé a des choses plus proches de l’homme que le lion, donc pourquoi pas le Nègre juste un peu plus que le Chimpanzé mais n’arrivant même pas à la cheville de l’Occidental, du Caucasien ? – sa première réaction est de se redispositionner par rapport aux accusations. Ou aurions-nous du dire par rapport aux condamnations ?

        Il est vrai que l’homme blanc, classificateur des genres, a beaucoup créé et apposé sa raison de fer sur la nature. Il a redonné visage à mille choses ; il sait vider la terre de ses entrailles comme les moustiques vident le sang des enfants ; il a défié la pesanteur, s’est arraché de la terre, puis déplié des ailes plus larges que palmes de rôniers au-dessus de la cime des arbres ; il a créé des étoiles filantes que l’on peut voir la nuit, lentes comme des tortues à l’échelle des météores de Dieu ; il sait transformer en four toute une ville et le chauffer si terriblement que la farine surréelle, chair humaine, acier, colonnes de bétons devienne plus fine que cendre ; il a commencé la vente de terrains sur la lune ; devant l’arbre fruitier il voit les lignes rabotées d’un fauteuil Louis XIV dans un salon ; la mer est parcourue de lignes imaginaires, grand gâteau réparti entre les nations qui déploieront leurs filets contre les enfants de ma vie marine tandis qu’au loin un sexe d’acier fouille l’oreiller profond des baleines et des dauphins ; c’est vrai qu’au soir, repu du bruit citadin, l’on déploie le cocktail de sirènes et de klaxons et de mégaphones des enfants initiés au nid secret de Mammon.

        Mais ce n’est pas cela qui émeut le Nègre. Ce n’est pas cela son aspiration, car tout au long des barricades longeant ces éléments, le compagnon-jamais-absent semble être la déshumanisation. L’homme s’érige d’emblée en instrument, une enveloppe pour cette Bête terrassée qui semble somnoler tout en grognant sournoisement en guise de ronflement. Le Nègre veut se tourner « vers le paradis pour lui et les siens - entendez l’homme blanc - perdu, plus calme que la face d'une femme qui ment, et là, bercé par les effluves d'une pensée jamais lasse, nourrir le vent, délacer les monstres ». Il entend « monter de l'autre côté du désastre, un fleuve de tourterelles et de trèfles de la savane [qu’il] porte toujours dans [ses] profondeurs à hauteur inverse du vingtième étage des maisons les plus insolentes et par précaution contre la force putréfiante des ambiances crépusculaires, arpentée nuit et jour d'un sacré soleil vénérien ».

        Jean Paul Sartre dira : « Il est un autre motif qui court comme une grosse artère à travers ce recueil : « Ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole ... » Ils savent en ses moindres recoins le pays de souffrance ... A l'absurde agitation utilitaire du blanc, le noir oppose l'authenticité recueillie de sa souffrance ; parce qu'elle a eu l'horrible privilège de toucher le fond du malheur, la race noire est une race élue. Et bien que ces poèmes soient de bout en bout antichrétiens, on pourrait, de ce point de vue, nommer la négritude une Passion : le noir conscient de soi se représente ses propres yeux comme l'homme qui a pris sur soi toute la douleur humaine et qui souffre pour tous, même pour le blanc : La trompette d'Armstrong sera au jour du jugement l'interprète des douleurs de l'homme. »

        Devant la technique vers laquelle veut se réfugier le Blanc comme preuve irréfutable de sa suprématie, le Nègre va se dresser, bien avant les mouvements ayant accouché de manifestes et de traités, contre cette ivraie, ces lambeaux de la Bête que l’Humain a tendance à oublier. Il a vécu et veut continuer à vivre dans la simplicité du Paradis, entouré des fleurs de la brousse, des papillons dépliant contre le ciel des tableaux surréels aux couleurs variées, marchant sur la souplesse de sa chair contre le sable fin, prêtant sa chevelure aux caresses des peignes souples des cascades du Zambèze et gardant la mémoire ardente des Ancêtres par delà : « la plaine soudanaise que dessèchent le Vent d’Est et les maîtres nordiques du Temps et les belles routes noires luisantes que bordent les sables, rien que les sables les impôts les corvées les chicottes et la seule rosée des crachats pour leurs soifs inextinguibles au souvenir des verts pâturages atlantidiens, car les barrages des ingénieurs n’ont pas apaisé la soif des âmes dans les villages polytechniques ».

        Il veut se dresser contre cette hache qu’on lui a tendue contre les arbres pour des traverses de voies ferrées. Il a dans la mémoire le viol, déchirement des jupes frêles de nos arbres millénaires qui gardaient un alignement des constellations perdu de la mémoire : « Les mains blanches qui abattirent la forêt de rôniers qui dominait l’Afrique, au centre de l’Afrique. Droits et durs les Saras beaux comme les premiers hommes qui sortirent de vos mains brunes. Elles abattirent la forêt noire pour en faire des traverses de chemin de fer ; elles abattirent les forêts d’Afrique pour sauver la Civilisation, parce qu’on manquait de matière première humaine». Ecoutons Césaire nous dire : « Ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole ceux qui n'ont jamais su dompter ni la vapeur ni l'électricité ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel ... »

        « Mais cette revendication hautaine de la non-technicité renverse la situation : ce qui pouvait passer pour un manque devient source positive de richesse. Le rapport technique avec la Nature la dévoile comme quantité pure, inertie, extériorité : elle meurt. Par Son refus hautain d'être homo faber, le nègre lui rend la vie. Comme si, dans le couple homme-nature, la passivité d'un des termes entraînait nécessairement l'activité de l'autre. A vrai dire, la négritude n'est pas une passivité, puisqu'elle troue la chair du ciel et de la terre : c'est une patience, et la patience apparait comme une imitation active de la passivité. L'action du nègre est d'abord action sur soi. Le noir se dresse et s'immobilise comme un charmeur d'oiseaux et les choses viennent se percher sur les branches de cet arbre faux.

        « Il s'agit bien d'une captation du monde, mais magique, par le silence et le repos : en agissant d'abord sur la Nature, le blanc se perd en la perdant ; en agissant d'abord sur soi, le nègre préfère gagner la Nature en se gagnant. Ils s'abandonnent, saisis, à l'exercice de toute chose ignorants des surfaces mais saisis par le mouvement de toute chose insoucieux de compter, mais jouant le jeu du monde véritablement les fils aînés du monde poreux à tous les souffles du monde ...chair de la chair du monde palpitant du mouvement même du monde. On ne pourra se défendre, à cette lecture, de songer à la fameuse distinction qu'a établie Bergson entre l'intelligence et l'intuition.

        « Et justement Césaire nous appelle Vainqueurs omniscients et naïfs. De l'outil, le blanc sait tout. Mais tout griffe la surface des choses, il ignore la durée, la vie. La négritude, au contraire, est une compréhension par sympathie. Le secret du noir c'est que les sources de son existence et les racines de l'Être sont identiques. Si l'on voulait donner une interprétation sociale de cette métaphysique, nous dirions qu'une poésie d'agriculteurs s'oppose ici à une prose d'ingénieurs. Il n'est pas vrai, en effet, que le noir ne dispose d'aucune technique : le rapport d'un groupe humain, quel qu'il soit, avec le monde extérieur est toujours technique, d'une manière ou d'une autre. Et, inversement, je dirai que Césaire est injuste : l'avion de Saint-Exupéry qui plisse la terre comme un tapis au-dessous de lui est un organe de dévoilement. Seulement le noir est d'abord un paysan ; la technique agricole est droite patience; elle fait confiance à la vie; elle attend. Planter, c'est enceinter la terre ; ensuite il faut rester immobile, épier : chaque atome de silence est la chance d'un fruit mûr, chaque instant apporte cent fois plus que l'homme n'avait donné, au lieu que l'ouvrier ne retrouve dans le produit manufacturé que ce qu'il y avait mis ; l'homme croît en même temps que ses blés ; de minute en minute il se dépasse et se dore ; aux aguets devant ».

        Ici, il y a lieu d’appliquer un petit redressement des choses et présenter des excuses surtout celles qui nous sont propres. Mais avant cela, permettez-nous de dire à Sartre que les poèmes ne sont pas antichrétiens. S’il y a un semblant, cela n’émane que du fait qu’en réalité, dans ce combat Nègre, après la restitution culturelle et la mise au point visant à faire voir que le noir n’est que couleur et, partant, émail sur le même élément apposé à l’épiderme du frère-aux-yeux-bleus, rien n’est vraiment propre au Nègre. Tout, d’emblée, part de l’Humain pour retourner à lui comme un boumerang dans sa trajectoire fatale. Donc, en parlant de « Blanc » pour décrire l’autre camp, il se pose un problème de champ sémantique. Il y a des Blancs conscients qui ont l’anima Nègre et qui participent au combat contre les mêmes causes que la Négritude dans son côté extensionnel. En ne cernant pas cette réalité, les Nègres vont tomber sur des pièges terribles qui jonchent notre ère : au lieu d’accepter que certaines transformations sont intrinsèquement liées au développement de l’homme, ils ont tendance à les mettre sur le compte des blancs. Toute société se transforme…

        Prenant part dans le combat à côté des Nègres, nous pouvons compter ceux qui permirent que voie le jour le moratoire d’Asilomar sur les manipulations génétiques en 1975, puis lors des nouvelles secousses qui les réveillèrent avec la catastrophe de Tchernobyl en Russie, et l’affaire du sang contaminé en France. Ces évènements avaient provoqué de vives émotions dans les opinions publiques et marqué un tournant, notamment en France, dans les relations entre science et société. Ainsi se pose un nouveau problème relationnel : la science, l’éthique et la responsabilité intergénérationnelle : « La science et la technologie posent des questions nouvelles qui élargissent le champ de réflexion en matière d’éthique. Il en est ainsi des problèmes posés par les déchets radioactifs par exemple, qui crée une responsabilité intergénérationnelle, puisque la question de leur traitement se projette très loin dans le temps. Ces préoccupations se sont traduites par la déclaration universelle sur les devoirs des générations présentes envers les générations futures, adoptée par l’Unesco en 1997, contribuant ainsi au développement d’une éthique commune ».

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UN RAPIDE EXEMPLE POUR LE DICtiONNAIRE

Njamala Njogoy