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vendredi 28 septembre 2018

PRESENTATION II - HOSTIES NOIRES

Il ya certainement deux choses que nous loupons lorsque l'on s'approche de Léopold Sédar Senghor et une de ces choses trouve ses racine dans cette collection-de-poèmes-entité qu'est Hosties noires. Ces deux choses peuvent nous aider à mieux comprendre une certaine dimension de l'Homme. Le fait d'avoir éré à la guerre à une dimension qui mettra beaucoup d'eau pour atténuer l'incendie qui durant des années avait alimenté la Négritude qu'il mit en polace en collaboration avec Léon Gontran Damas et Aimé Césaire. Dans une interview, Senghor confesse qu'ils étaient même racistes. Même si ce n'est pas pardonnable, c'est compréhensible : c'est qu'après tout, le mouvement de la négritude était né d'une révolte et cette révolte était le fruit du rejet de l'homme noir. Jean-Paul en fera une analyse perspicace et inégalée dans Orphée noir, sa préface à l'Antologie de la poésie nègre et malgache de Léopold Sédar Senghor.

Ceci ne veut pas dire que le feu fut complètement éteint, d'où une certaine surprisse quand à un certain moment donné il sentira cette haine ressurgir : « Seigneur, la glace de mes yeux s’embue, et voilà que le serpent de la haine lève la tête dans mon cœur, ce serpent que j’avais cru mort… Tue-le Seigneur, car il me faut poursuivre mon chemin et je veux prier singulièrement pour la France. Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à la droite du Père.»

Si la colère de Senghor s'est atténuée, c'est grâce au fait qu'il participa avant tout à la Deuxième guerre mondiale. La camaraderie des armes est une camaraderie de sang. En elle l'homme plonge dans un goufre jusqu'à palper la noirceur que peut prendre son l'âme humaine et en même temps a l'occasion de pouvoir vivre et entrevoir l'éclat de diamant dont elle peut s'habiller. Présentons les choses avec on ne peut plus de naïveté : Lors de combats, n'y a t'il pas eu un Blanc chargeant sur son dos un compagnon soldat Noir blessé ? N'y a t'il pas eu un Noir chargeant sur son dos un compagnon soldat Blanc blessé ? Si oui, poussons notre imagination un peu plus loin : Si le Soldat Noir se jette parmi les balles miaulant pour charger sur son dos son compagnon Blanc blessé, et reçoit une balle, tombe raide et que le compagnon blanc survive à cause de ce geste .... Si le Soldat Blanc se jette parmi les balles miaulant pour charger sur son dos son compagnon Noir blessé, et qu'il reçoit une balle, tombe raide et que le compagnon Noir survive à cause de ce geste .... Ces hommes auront certes d'emblée une approche toute différente quant à la question de race, de couleur ou d'offenses faites dans le passé.

L'on ne pourrait certes trouver chose plus prétentieuse que de tenter d'énumérer les grandes étapes ayant façonné la vie d'un comme Senghor. Mais force est de constater qu'il y a deux tournants de sa vie qui ont assoupli l'homme, qui ont refaçonné le petit frondeur devenu adulte. C'est que cet adulte a connu une guerre ayant rassemblé le monde entier dans une confrontation comme jamais auparavant et qui se terminera par l'explosion de la bombe atomique et fait environ soixante millions de morts, puis est devenu Président de la république. Deux évènements de cette envergure ne peuvent que faire perdre à l'être ce qu'il a de plus humain, ou bien déterrer ce qu'il y a de plus noble en soi.

L'EXPERIENCE DE LA GUERRE

Lilyan Kesteloot a bien compris ce passage de la vie de Senghor, raison pour laquelle elle fera éclater une exaspération malgré le ton poltiquement correct, comme on aime à le dire de nos jours : « ... Je vis au Sénégal depuis vingt-cinq ans, et j’éprouve le besoin d’élucider un malentendu que j’ai maintes fois perçu dans ma carrière de professeur à l’Université de Dakar... ou ailleurs. Souvent, à écouter les Africains, les jeunes, j’ai l’impression qu’ils comprennent mal le personnage Léopold Sédar Senghor. Qu’il leur reste étranger. On l’a dit trop occidental, trop francisé ; on lui préfère Césaire. On ne comprend ce dernier pas davantage et même moins, avouons-le. Mais comme il s’affirme violemment anti-blanc, on le croit plus proche, on lui fait confiance...

... « Ces réactions sommaires primaires, fondées sur quoi ? Césaire est un très grand poète. Cependant on l’aime non pour sa poésie mais pour sa révolte, pour son attitude fondamentale. Et on lui pardonne sa poésie trop difficile, surréaliste, abstraite, occulte, à cause de ses bonnes intentions nègres. Voilà la vérité. Tandis que Senghor, il est suspect. Sa femme est française, il affectionne le latin et il s’en vante. Son cuisinier était alsacien. Il fait du piano et de la grammaire. Il ne mange pas avec ses doigts. Césaire non plus, Abdou Diouf non plus, eux aussi connaissent et aiment le latin, voire le grec. Mais voilà. Ce n’est pas la même chose. Senghor est suspect...

... « Il faudra vraiment un jour définir les critères du brevet de Négritude. Quand est-on un bon nègre ? Quand est-on un vrai Africain ? Tous nos intellectuels (Pathé Diagne, Aly Dieng, Doud’Sine, Birago, Houtondji, Aguessy, Towa, Melone, Belinga, Mudimbe, Lopes, Obenga, Tati et même Cheikh Anta Diop ou Iba Der) n’ont-ils pas fait leurs études en Europe, souvent avec latin ? N’ont-il pas été marqués par le rationalisme cartésien, et parfois beaucoup plus profondément que Senghor ? N’écrivent-ils pas la langue française comme Senghor, n’ont-ils pas eu des amis français comme Senghor, des femmes françaises ou étrangères ? ...

... « Mais évidemment ils n’ont pas tous écrit « que Dieu pardonne à la France » ni prôné la réconciliation de Demba-Dupont...

... « Péché mortel, Président, ce fut là votre péché mortel ! Ce poème aux tirailleurs Sénégalais, écrit en avril 1940 ! Car, il fallait être soi-même en guerre et face à l’Allemagne hitlérienne, pour comprendre cette connivence soudaine entre Noirs et Français sur le champ de bataille, ou dans les Stalags. Ne pouvaient vous comprendre que les dits tirailleurs qui vivaient cette singulière aventure. Ou encore peut-être ces enfants de l’an 2000. Trop tôt ou pour trop peu. Comment voulez-vous que vous comprenent ceux qui n’ont jamais touché l’acier de la mitrailleuse ?...

... « Ce pardon parut lâcheté, cette union, démission, cette prière de paix, trahison. N’est-ce pas vrai ? Je pense qu’une grande partie du malentendu vient de là. Et dès lors voilà Senghor classé, jugé, condamné, par ces enfants de la négritude qu’il a cependant inaugurée, et qui refusent de le reconnaître. Définitivement suspect. Et durant vingt ans, ce jeu de la séduction, où il fera tout, mais tout, pour les convaincre de sa bonne volonté, de sa bonne foi, de sa bonne africanité, de son sincère désir d’édifier une nation aussi indépendante que possible...»

Emboîtant le pas au Professeur Kesteloot, donnons un autre exemple : il s'agit du poème dédié à George et Claude Pompidou, Prière de paix qu'il introduira par un petit texte latin qui vient du credo et donc la traduction est la partie grasse du texte ci-après : Pardonne nous nos offenses comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés Souvenez vous que le poème est dédié à Georges et Claude Pompidou et de par la teneur, nous savons que c’est plus un texte de confidence qu’une œuvre destinée à faire plaisir.

LA RESPONSABILITE ETATIQUE

« ... Et durant vingt ans, ce jeu de la séduction, où il fera tout, mais tout, pour les convaincre de sa bonne volonté, de sa bonne foi, de sa bonne africanité, de son sincère désir d’édifier une nation aussi indépendante que possible...» Voilà qui est bien dit, Professeur et l'on sent les décirures de votre coeur devant cette terrible incompréhension incompréhensible !

Mais nous n'avions pas compris, peut-être ne l'avons même pas lu pour contempler sa vision pour pourtant si claire. Il dit expressément : « Notre noblesse nouvelle est non de dominer notre peuple, mais d’être son rythme et son cœur, non de paître les terres, mais comme le grain de millet de mourir dans la terre ; non d’être la tête du peuple, mais bien sa bouche et sa trompette. » en sachant que tout ce que l'on dira est faux : « Elé-yâye ! De nouveau je chante un noble sujet : que m’accompagnent kôras et balafong ! Princesse, pour toi ce chant d’or, plus haut que les abois des pédants ! Tu n’es pas plante parasite sur l’abondance rameuse de ton peuple. Ils mentent, tu n’es pas tyran, tu ne te nourris pas de sa graisse. » Qu'est-il alors ? « Tu es l’organe riche de réserves, les greniers qui craquent pour les jours d’épreuves – Ils nourrissent fourmis et colombes oisives. Voilà, tu es, pour écarter au loin l’ennemi, debout, le tata, je ne dis pas le silo, mais le chef qui organise la force qui forge le bras ; mais la tête tata qui reçoit coups et boulets. Et ton peuple s’honore en toi. Louange à ton peuple en toi ! Princesse de quatre coudées au visage d’ombre autour de ta bouche de lumière comme le soleil sur la plage de galets noirs. Tu es ton peuple. La terre sombre de ta peau et féconde, généreusement il l’arrose de la tornade séminale. Tu es son épouse, tu as reçu le sang sérère et le tribut de sang peul.»

Cette affirmation n'est pas gratuite car nous la détenons de Senghor lui-même dans le poème L'Absente qui fait partie de la collection Ethiopiques. Là c'est l'homme d'Etat qui jette des yeux alentour pour savoir quelle trajectoire tracer pour son peuple qui a son modèle à lui, il est vrai, mais qui a aussi goûté au modèle du colon, colon dont il veut se débarrasser tout en ayant lié à jamais à son système. Il sait que le monde doit avancer, que son pays doit forcément tout faire pour être au banquet des Nations et emboîter le pas à l'art du donner et de recevoir et à celui de l'ouverture et de l'enracinement. Personnellement le nouveau modèle n’est pas entièrement à son goût; il ne lui convient pas. Sédar a l'impression qu'en amenant cses présents, « lois noires sur fond blanc », il trahit son royaume d’enfance d'où son mea culpa : « Mais je ne suis pas votre honneur, pas le lion téméraire, le lion vert qui rugit l’honneur du Sénégal ». Mais c'est fini le moi, Senghor. Il effectue donc un revirement inéluctable, une résignation puisée de la « Realpolitik » et plonge : « Donc je nommerai les choses futiles qui fleuriront de ma nomination ».

C’est d'emblée le sacrifice du Soi, le sacrifice de sa propre personne pour le bien de la Cité qui s'établit, raison pour laquelle « Senghor va passer l’éponge sur un certain aspect de l’histoire pour mieux faire face à l’avenir ». Chaka fera de même après avoir « longtemps parlé dans la solitude des palabres et beaucoup beaucoup combattu dans la solitude de la mort contre [sa] vocation » et fait face à « l’épreuve, et [au] purgatoire du Poète ... il « devint une tête un bras un tremblement ; ni guerrier ni boucher, un politique, tu l’as dit – je tuai le poète – un homme d’action seul, un homme seul déjà mort avant les autres, comme ceux que tu plains ».

C'est ce côté de réalisme, de Realpolitik, que beaucoup d'entre nous n'ont pas bien compris chez Senghor, volontairement ou par ignorance. En sortant de la colonisation, il fallait bien être conscient, pour un dirigeant africain, qu'on cordon ombilical nous liait définitivement au colonisateur. Ce cordon avait été touché, coupé, en prenant nos indépendances, mais restait sur place le nombril. Il fallait donc mettre de côté une certaine fierté négative et négationniste pour le seul bien être du peuple souverain. Contrairement à lui, ceux qui crânaient leur révolution et qui furent hissés en héros n'embrassèrent-ils pas une autre puissance qui à leurs yeux portait le flambeau révolutionnaire ? Au bout du compte, qui a mieux reéussi la graine qui roule comme un ballon contre la terre dure, ou bien celle qui, dans la terre fertile s'enferme sous terre pour pourrir afin de s'associer à la moisson et remplir les greniers de l'avenir ?

C'est ainsi que Senghor mit de côté sa propre personne et, partant, ses révoltes personnelles, devenant une graine qui doit pourrir sous terre pour

donner les pousses de la Cité de Demain. Le seul chemin qui s'offrait à lui était celui de la Realpolitik, « terme appliqué pour la première fois à l’attitude d’Otto von Bismarck qui suivait la trace de Metternich dans la recherche diplomatique d’un équilibre pacifique entre empires européens. Lors de la guerre de 1866, il négocia l’alliance italienne pour attaquer l’Autriche et les États du Sud de l’Allemagne. Après la bataille de Sadowa, il s’abstint de demander des réparations pour permettre l’éclosion d'un Empire allemand sous l’autorité du roi de Prusse. Il se justifia à Guillaume Ier : ’ Nous ne devons pas choisir un tribunal, nous devons bâtir une politique allemande ’. L’aide de l’Autriche fut ainsi plus facile à obtenir par la suite lors de la guerre de 1870 contre la France... Les origines de la realpolitik peuvent être recherchées chez Nicolas Machiavel qui, dans son ouvrage Le Prince (1513), établit que le seul but d’un prince devait être la recherche du pouvoir, indépendamment des questions religieuses et morales. Le cardinal de Richelieu appliqua ses théories lors de la guerre de Trente Ans et inventa l'expression ’raison d'État ’. Si l'on veut chercher plus loin, on s'intéressera à Thucydide, historien grec auteur de l’Histoire de la guerre du Péloponnèse qui peut en être considéré comme un précurseur. Le comte de Cavour s'inspira lui aussi de ces théories ».

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Njamala Njogoy