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lundi 1 octobre 2018

CHANTS D'OMBRE - FEMME NOIRE


INTRODUCTION

Pendant les conférences, la question a souvent été : « Pourquoi Senghor, marié à une femme blanche, chante-t-il la femme noire ? ».

Imaginez cette question dans la bouche d''univers-itaires ! Nous pensons sérieusement que toute personne posant cette question devrait, contrairement à ce qu’elle pense, se faire un « hara-kiri » intellectuel.

La mère de Senghor, Gnilane Bakhoum, n’était-elle pas Sérère et, partant, parmi les races les plus foncées du continent africain ? Senghor, même marié à dix mille blanches, devrait-il être aveugle ou hypocrite et dire catégoriquement que la femme africaine n’a aucune valeur, aucune beauté, aucun mérite esthétique ou de reconnaissance ? N’est-il pas lui-même Noir ? Bien avant Colette, n’y avait-il pas Ginette Eboué, mère de Francis Arfang et de Guy Waly Senghor ?

Mais nous ne prendrons pas cette voie vôtre, car ce poème n’est pas une chanson de bikinis, de soutien-gorges, ni de « Dial-diali ». Ce poème n’est pas fils de la plume d’un coureur de jupons : il est d’un amour platonique vrai, pur et innocent poussé si loin qu’on peut y entrevoir un trait de complexe œdipien, car Senghor expose simultanément maman et bien-aimée : il chante la femme, et cette chanson est destinée à la porteuse de vie de sa race, de l’humanité. Elle est mère avant d’être sœur, cousine et puis aimée. Senghor chante le symbole de la vie, cette vie qui toujours resurgira, éternelle, au bout de l’existence selon sa conception cyclique du monde : « Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie ». Conception cyclique, disons-nous car pour Sédar, la vie une fois à son apogée, replonge toujours vers un recommencement perpétuel comme dans Congo : « … Et la mort sur la crête de l’exultation, à l’appel irrécusable du gouffre… Mais la pirogue renaîtra par les nénuphars de l’écume, surnagera la douceur des bambous au matin transparent du monde ».

Que faites-vous donc de cette dimension maternelle du poème : « … J’ai grandi à ton ombre, la douceur de tes mains me bandait les yeux … » ? Ici, nous retrouvons aussi bien Gnilane que sa nourrice Ngâ, Ngâ la poétesse, sur les genoux de qui il « repose sa tête bourdonnant au galop guerrier des dyoung-dyoungs , au grand galop de son sang de pur sang… » ?

Youssou Ndour, Ndiaga Mbaye, Mbaye Ndiaye, Simon Sène,Thione Seck, sont-ils mieux placés que Senghor pour chanter la femme noire ? Sur quels critères ? Qu’avons-nous donc de plus nègre par rapport à Senghor ? Effaçons-nous Gnilane Bakhoum et Ngâ la poétesse de son existence, de sa reconnaissance ? Effacez-vous de ses yeux, de sa mémoire, toute beauté si la muse est nègre parce qu’il épousa Colette Hubert, enfant de la Famille Cahour ?

Nous ne voyons qu’une seule situation presque logiquement acceptable pour recevoir une critique, parce que la jalousie n’est pas toujours raisonnable : celle où l’élégante Colette ferait des reproches à Senghor et bouderait en lisant ce poème… Et si c’était une chanson de bikinis, peut-être devriez-vous, dans votre racisme cinglant, jubiler plutôt qu’un nègre ayant marié une blanche sache encore jubiler à la pensée de la femme noire, échec de votre propre fils prodigue revenant à la maison ! Mais que la critique soit possible laisse croire que la pensée serait revenue avec un maigre fagot de bois morts.

La poésie Sérère va de l'homme pour revenir vers lui comme un boumerang, nous l'avons déjà dit en d'autres circonstances dans les textes de ce blog. Critiquer Senghor à cause de ce poème prouve une ignorance qui fait pâlir : Reposant sur ce caractère de notre culture, surtout la Wolove, la plupart de nos chanteurws ne font qu'égrener des noms de personnes, à travers le woyaan ou le Samba mbayaan. Eloges innombrables d'hommes artistes mariés pour des femmes, éloges de femmes artistes mariées pour des hommes... Voilà le ridicule dans lequel nous ne cessons de baigner. Notre propre culture musicale est fortement élégiaque. Puisque j'en perds la raison, donnons un autre exemple : mariée, Mère Yandé Codou chante bien d'autes hommes; marié, Youssou Ndour chante d'autres femmes, Omar Pene pareil, pareil Ismaïla Lo. Et voilà Senghor quin écrit un poème foncièrement symbolique et, sans comprendre, peut-être même sans l'avoir lu, nous agitons les stridents du Diable et les flammes de l'enfer à son encontre comme lorsque Dieu se ceignit les reins pour faire face à Sodome et Gomorrhe...

Comme tout artiste, Senghor a droit à toutes les muses, d’autant plus que le poète n’est pas un journaliste : c’est un berger qui suit le troupeau de ses pensées, de ses rêves et qui, reprenant sa flûte au flanc des bêtes à la démarche lasse, nonchalante et harmonieuse, module des notes qui ricochent de colline à colline. Ces notes, dans leur passage, surplombent vallées et ravins, marigots et fleuves. Durant ce voyage au parcours sinueux, le vagabond qu’est son esprit glane tout ce que bon lui semble. Et plus la solitude sera poignante, plus le mur de la prison sera haut et étroit, disons-nous, plus grand sera le saut de l’âme pour s’en évader. C’est le royaume du Poète, univers de l’albatros à l’aile cassée :

       Le Poète est semblable au prince des nuées
       Qui hante la tempête et se rit de l'archer;
       Exilé sur le sol au milieu des huées,
       Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

Wolof, Sérère, Manjack, Diola ou Toucouleur et marié à une femme d’une autre ethnie veut donc dire qu’aucune fille de notre ethnie n’est digne de louange. Le sérère marié à une diola renie toute beauté féminine dans son ethnie, et la verrait-il, tout droit d’y faire allusion lui est défendu ! A bien vous comprendre, cela va jusqu’à dire que celle sous l’ombre de qui nous avons grandi, notre mère, n’a nul mérite ! La beauté, qui est dans les yeux de celui qui observe, aurait-elle donc conquis d’autres frontières basées sur le racisme ou l’éthnicisme ? Poussant votre raisonnement à l’extrême, la beauté s’effacerait de la face de la terre pour toute personne qui se marie !

Dommage si le chantre de la négritude devenait subitement aveugle à la beauté nègre, au mérite de la femme noire, même celui de sa propre mère ! Encore pis, si celui qui est nègre lui-même et qui a toujours vécu sur et par l’ordre et la méthode reniait toute logique, tout esprit à l’homme nègre et toute émotion aux Blancs. Que faites-vous donc de l’infirmière Emma Payelleville ?

Dès le début du poème, Senghor dit « …j’ai grandi à ton ombre ». Cette ligne vous a-t-elle échappé ? Dans ce cas lisez et relisez Senghor, suivez ligne après ligne chaque poème et essayez, surtout essayez de le comprendre avant de tenter de le critiquer, de le condamner. Si de petites phrases comme celle-ci vous ont échappé, mieux vaut laisser les notes de la flûte de Pan flotter vers d’autres degrés. Vous lui devez beaucoup de demandes d'excuse, à genoux ! Dommage que nos critiques montrent plus le degré de notre abrutissement plutôt qu'une certaine lueur d'esprit ! Comme le Professuer Kesteloot l'a dit, il nous faut réellement le Brevet de négritude. Quand est-on un Nègre bon teint . Peut-être qu'alors aurons nous atteint notre salut !


FEMME NOIRE

Femme Noire ! Voilà donc le poème qui, pour certains, est devenu un gîte pour tant de critiques. Nous avons apporté notre lumière dans l’introduction et n’allons pas nous étendre plus sur ce sujet. Il est surprenant, vu la dimension de la symbolique, comment on peut s’attaquer à Senghor.

  1. « Femme nue, femme noire, vêtue de la couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté ! J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux. »

    Dimension maternelle de la femme noire. Qui n’entrevoit Mame Gnilane Bakhoum à travers ces lignes, ou bien Ngâ la poétesse qui lui faisait entendre le sabot des chevaux et la voix évasée des tam-tams royaux du Sine ?

    Ici, pour la première fois, Senghor se livre à son racisme à rebours. En réalité, à travers ses poèmes, la couleur de la vie c’est le noir. Et blanche est la mort, l’ennui. En écrivant à son voisin de village, au Champion de Tyâné, dans « Hosties Noires », voilà ce qu’il dit : « Je t’écris parce que mes livres sont blancs comme l’ennui, comme la misère et comme la mort »

    Dans « Neige Sur Paris », qui est dans « Chants d’ombre » il dit : « … parce qu’il devenait mesquin et mauvais, vous l’avez purifié par le froid incorruptible, par la mort blanche ».

    Ici la mort blanche c’est bien sûr la neige. Senghor a choisi d’associer la mort à la couleur. Il va parler de neige dans le même poème, le ton se fait doux, positif : « le froid incorruptible », « votre froid qui brûle plus que sel », « la neige de votre paix ». Par contre la couleur des mains qui croulèrent les empires est blanche.

  2. « Et voilà qu’au cœur de l’Eté et de Midi, je te découvre, Terre promise, du haut d’un haut col calciné. Et ta beauté me foudroie en plein cœur comme l’éclair d’un aigle. »

    L’image est empruntée de l’Ancien Testament. Moïse, à la tête du peuple d’Israël sorti de l’esclavage d’Egypte grimpa le mont Nébo, au sommet du Pisga sur l’ordre de l’Eternel. De là il put apercevoir la Terre Promise :

    « …Galaad jusqu’à Dan, tout Nephtali, le pays d’Ephraïm et de Manassé, tout le pays de Juda jusqu’à la mer occidentale, le midi, les environs du Jourdain, la vallée de Jéricho, la ville des palmiers, jusqu’à Tour. L’Eternel lui dit : C’est là le pays que j’avais juré de donner à Abraham, à Isaac et à Jacob en disant : Je le donnerai à ta postérité… »

    La femme est donc aperçue comme cette terre promise dont les traits se brodent à celui du continent. C’est le multidimensionnel des images de Senghor, qui flottent pour atteindre une dimension de l’universel et celle de la femme embrasse celle d’un continent. Cela n’est possible que dans la mesure où la femme est symbole, symbole de vie, symbole des origines. Et elle est drapée dans sa couleur qui est vie, sa forme qui est beauté.

  3. « Femme nue, femme obscure, Fruit à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fait lyrique ma bouche, Savane aux horizons purs, savane qui frémit aux caresses ferventes du Vent d’Est, Tam-tam sculpté, tamtam tendu qui grondes sous les doigts du vainqueur, Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l’Aimée. »

    La cyclique des images est très belle et bien senghorienne : partant de l’être, celui-ci se transforme en objet, en paysage, qui, à son tour, reprendra la forme de l’être. Les images sont claires et ne nécessitent, à notre avis, aucun commentaire. Il faut toutefois faire attention, comme toujours, à la juxtaposition, à la contre position des comparaisons : le rythme s’élève pour le vainqueur, mais le tam-tam tendu gronde sous les doigts du batteur, du griot.

  4. « Femme nue, femme obscure, huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l’athlète, aux flancs des princes du Mali….A l’ombre de ta chevelure, s’éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux. … Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l’Eternel avant que le Destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.»

    Notion de vie cyclique, et nullement linéaire. Le poète dépose la beauté actuelle dans le coffre secret de l’Eternité avant la transformation qui doit fatalement suivre : la mort d’où ressortir une nouvelle vie.

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Njamala Njogoy