AU GOUVERNEUR EBOUE
- « L’Aigle blanc a glapi sur la mer sur les Isles, comme le blanc cri du soleil avant midi. Le lion a répondu, le prince de la brousse qui soulève la torpeur lâche de midi. Ebou-é ! Et tu es la pierre sur quoi se bâtit le temple, et l’espoir et ton nom signifie la pierre et tu n’es plus Félix ; je dis Pierre Eboué. »
- « Les jeunes dieux de proie se sont dressés, ils lancent leurs yeux sillonnés d’éclairs, ils ont lancé devant eux l’ouragan et les faucons planant sur les hordes de fer et toute la terre trembla au loin sous la charge massive de l’orgueil. »
- « Ebou-é ! Tu es le Lion au cri bref, le Lion qui est debout et qui dit non ! Le lion noir aux yeux de voyance, le Lion noir à la crinière d’honneur tel un Askia du Songhoï, Gouverneur au panache de sourire. Tu es la fierté simple de l’Afrique mienne, la fierté d’une terre vidée de ses fils, vendus à l’encan moins cher que harengs, et il ne lui reste que son honneur. Et trois siècles de sueur n’ont pu soumettre ton échine. Ebou-é ! Tu es pierre qui amasse mousse, parce que tu es stable et que tu es debout. »
- « Mille peuples et mille langues ont pris langue avec ta foi rouge. Voilà que le feu qui te consume embrase le désert et la brousse, voilà que l’Afrique se dresse, la Noire et la Brune sa sœur, l’Afrique s’est faite acier blanc, l’Afrique s’est faite hostie noire pour que vive l’espoir de l’homme. »
L’Aigle Blanc, c’est bien le général de Gaule, dont l’appel fait l’objet du poème précédent. Le lion qui répond, c’est bien le gouverneur Eboué, auquel, à la manière du Christ face à pierre, Senghor va rebaptiser : « Tu es heureux, Simon, fils de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux. Et moi je dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle. »
Le gouverneur, répondant à l’appel du général de Gaule, va rassembler ses soldats, les jeunes dieux de proie qui se sont dressés, lançant leurs yeux sillonnés d’éclair. C’est certainement les chars et autres véhicules militaires, au-dessus desquels planent les bombardiers, ces faucons par-dessus les hordes de fer. C’est une puissance de feu qui ébranle toute la terre.
La réponse du gouverneur n’est pas vue comme venant d’un homme. Eboué, noir et plus tard beau-père de Senghor, est un symbole de l’Afrique nouvelle, cette Afrique dont les enfants ont été vendus à l’encan, moins chers que hareng. Cette Afrique qui a longtemps courbé l’échine, doit se redresser, comme cette France actuellement se redresse pour dire non.
L’Afrique entière, toute la diaspora répond à l’appel et se met aux côtés du gouverneur, l’Afrique noire comme l’Afrique magrébine, l’Afrique se redresse pour se faire hostie noire afin que vive l’espoir de l’homme.
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