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mercredi 3 octobre 2018

HOSTIES NOIRES - FEMMES DE FRANCE


FEMMES DE FRANCE

A Mademoiselle Jacqueline Cahour

    « Femmes de France, et vous filles de France, laissez-moi vous chanter ! Que pour vous soient les notes claires du sorong. Acceptez-les bien que le rythme en soit barbare, les accords dissonants, comme le lait et le pain du paysan, purs dans ses mains si gauches et calleuses ! »

    Pendant la guerre, certains peuples avaient demandé aux femmes d’adresser des lettres aux soldats pour les soutenir de mots le long des combats, les Etats-Unis allant jusqu’à engager carrément des femmes pour divertir les soldats par des danses et des chansons pendant les nuits sans attaques.

    Senghor chante les femmes de France, qui furent un soutien inégalable pour les tirailleurs sénégalais, ces héros venus combattre et que certains regardaient comme des demi-hommes.

    Dans sa chanson, il va aborder encore sa modestie : « Acceptez-les bien que le rythme en soit barbare, les accords dissonants, comme le lait et le pain du paysan, purs dans ses mains si gauches et calleuses ! », et cela rejoint cet autre vers : « Moi qui dit toujours aussi mal qu’un lointain écolier de brousse : Bonjour Mademoiselle… Comment allez-vous ?» Ou encore : « Depuis longtemps civilisé, je n’ai pas encore apaisé le Dieu blanc du Sommeil. Je parle bien sa langue, mais si barbare mon accent »

    Il compare cette « barbarie » et la « dissonance » de son sorong au lait et au pain pur sortant des mains calleuses d’un paysan.

    On peut bien, à travers les peuples et cela depuis l’urbanisation, se moquer des paysans dans leur maladresse et la callosité de leurs mains, mais on acceptera universellement la pureté de leur produit. C’est cette vérité juste et bien fondée que Sédar va prendre pour faire accepter, sur la base d’une réflexion, les notes de son sorong qui peuvent paraître barbares et dissonantes.

    Le sorong, instrument africain dans cette Europe déchirée par la tentative aryenne, est présenté avec une prise de conscience terriblement soucieuse, mais avec une défense qui continuera dans « Lettre à un prisonnier » : « Ngom ! réponds-moi par le courrier de la lune nouvelle. Au détour du chemin, j’irai au devant de tes mots nus qui hésitent. C’est l’oiselet au sortir de sa cage, tes mots si naïvement assemblés ; et les doctes en rient, et ils me restituent le surréel et le lait m’en rejaillit au visage » avant la grande défense qui s’étalera à travers « Postface ».



  1. « O vous, beaux arbres droits debout sous la canonnade et les bombes, seuls bras aux jours d’accablement, aux jours de désespoir panique, vous fières tours et fiers clochers sous l’arrogance du soleil de Juin, vous clair écho au cri du Coq Gaulois ! »

    Senghor compare la bravoure de ces dames à l’entêtement d’arbres debout impassiblement sous les canons et les bombes qui éclatent. Elles n’ont certainement pas obéi à certains ordres ou bien n’ont pas eu égards à certaines rumeurs, suivant leur cœur maternel et de sœur, leur cœur humain. Dans ce chaud soleil de juin, comme des clochers, les voilà qui gardent leur dignité humaine, leur sensibilité, leur émotion, par-delà la « raison » qui dressent ses canons et ses jalons à coups de règles rapides, fidèle à l’emblème de la France qui veut l’égalité et la fraternité.

  2. « Vos lettres ont bercé leurs nuits de prisonnier de mots diaphanes et soyeux comme des ailes, de mots doux comme un sein de femme, chantants comme un ruisseau d’avril. »

    Et voilà la vraie raison de l’éloge : les courriers des femmes de France destinés au prisonniers pour leur soutenir le moral, leur donner encore des rêves sans lesquels il est difficile à l’humain de se redresser pour faire face à l’avenir.

  3. « Petites bourgeoises et paysannes, pour eux seuls vous ne fûtes pas avares, pour eux vous osâtes braver l’affront de l’Hyène, l’affront plus mortel que des balles. »

    Là où les camarades, les hommes d’état et les hommes d’église se rebiffent, voilà ces femmes, toutes classes confondues, qui maintiennent le combat, gardant la noblesse première de l’être humain. Le poète ne dira-t-il pas au général de Gaulle : « Nous avons cherché un appui, qui croulait comme le sable des dunes, des chefs, et ils étaient absents, des compagnons, ils ne nous reconnaissaient plus, et nous ne reconnaissions plus la France. Dans la nuit nous avons crié notre détresse. Pas une voix n’a répondu. Les princes de l’Eglise se sont tus, les hommes d’Etat ont clamé la magnanimité des hyènes : il s’agit bien du nègre ! Il s’agit bien de l’homme ! Non ! Quand il s’agit de l’Europe. »

    Pendant la débandade de l’armée française, la situation des tirailleurs était certainement parmi les plus dramatiques, dans une France occupée par les nazis avec des nègres venus combattre et qui n’avaient plus de chef. Mais le rôle des femmes durant cette période a certainement été des plus nobles.

    Elles ont osé braver l’Hyène, qui n’est autre qu’Hitler avec son régime et sa vision aryenne du monde. Ce n’était plus le nègre. Le nègre n’était pas un homme, du moins tant qu’il s’agissait de la mesure de l’Europe. Et cet affront, c’est certainement au risque de leur vie qu’elles osèrent s’y aventurer.

  4. « Et leurs fronts durs pour vous seules s’ouvraient, et leurs mots simples pour vous seules étaient clairs comme leurs yeux noirs et la transparence de l’eau. Seules vous entendiez ce battement de cœur semblable à un tam-tam lointain, et il faut coller son oreille à terre et descendre de son cheval. Pour eux vous fûtes mères, pour eux vous fûtes sœurs. Femmes de France et fleurs de France, soyez bénies ! »

    Emma Payelleville est certes une de ces femmes de France. Les mêmes images sont reprises en d’autres termes, mais avec toujours la même nuance, la même intensité de cette communion où les races se croisent pour se fondre en une humanité profonde.  

    Comparons les versets issus des deux poèmes. Dans ceux du poème en cours nous lisons : « Et leurs fronts durs pour vous seules s’ouvraient, et leurs mots simples pour vous seules étaient clairs comme leurs yeux noirs et la transparence de l’eau ». Dans le poème dédié à Emma Payelleville l’infirmière, Sédar nous murmure : « …sous ton visage au carrefour des cœurs noirs gardé jalousement par les ténèbres fidèles de leur mémoire noire », qui marquent la reconnaissance éternelle de ces cœurs noirs envers les œuvres humainement héroïques de ces femmes qui « seules entendiez ce battement de cœur semblable à un tam-tam lointain », comme Emma, la si faible et frêle fille rompit les remparts décrétés entre elle et les prisonniers noirs. Cette fille ignorante de la technique des bureaux, sans livre sans dictionnaire sans interprète aigu sut de ses yeux d’humanité percer l’épaisseur des remparts et le mystère lourd des corps noirs.

   

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