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mercredi 3 octobre 2018

HOSTIES NOIRES - LUXEMBOURG


LUXEMBOURG

  1. « Ce matin du Luxembourg, cet automne du Luxembourg, comme je passais comme je repassais ma jeunesse sans flâneurs sans eaux, sans bateaux sur les eaux, sans enfants sans fleurs. »

    Luxembourg, jardin dressé comme la maquette d’un Eden perdu, un Luxembourg en automne, un Luxembourg dans l’automne de sa vie, solitaire. C’est d’emblée un jardin où courent les lourds pas de l’absence. L’absence des amants et amoureux, l’absence des jets d’eau comme des miroirs arc-en-ciel, absence de bateaux dont les turbines tout bas accompagnent à contre temps le battement ralenti des voiles dépliées dans l’air langoureux, enfin absence de flâneurs d’enfants et de fleurs. Dans cette absence se lit l’unique « lourdeur barbare des monstres des prétemps du monde » .

  2. « Ah ! les fleurs de Septembre et les cris hâlés des enfants qui défiaient l’hiver prochain. Seuls deux vieux gosses qui s’essayent à jouer au tennis. Ce matin du Luxembourg où je ne retrouve plus ma jeunesse, les années fraîches comme pelouses. »

    Devant ce vide, le poète pense aux fleurs de septembre, les cris des enfants qui s’adonnaient, libres, à l’innocence irresponsable de la vie. Pour mieux marquer ce jardin dans le déclin de sa splendeur, le poète nous serre le décor de deux vieillards, eux aussi au seuil de l’existence. Comme le Luxembourg dans son décor faussé, les vieillards jouent au tennis avec des mouvements faussés d’enfants : Devant la situation de la France sous l’occupation, c’est ce sentiment d’impuissance qui envahit le poète, comme il dira plus tard, dans cette même collection : « Nous sommes des petits oiseaux tombés du nid, des corps privés d’espoir et qui se fanent, des fauves aux griffes rognées, des soldats désarmés, des hommes nus. Et nous voilà tout gourds et gauches comme des aveugles sans mains » .

    Le poète passe, remâchant dans son esprit les bribes de sa jeunesse dans l’espoir de surprendre une petite étincelle qui éclairerait quelque miette de cette splendeur partie, du temps où il pouvait encore se bercer à une certaine idylle. Mais il n’y a nulle trace de sa jeunesse, aucune trace des années qui étaient fraîches des pelouses battues de rosée sous le soupir de l’aube tardive.

  3. « Vaincus mes rêves désespérément mes camarades, se peut-il ? Les voici qui tombent comme les feuilles avec les feuilles, vieillis blessés à mort piétinés, tout sanglants de sang que l’on ramasse pour quelle fosse commune ? »

    Un soupir : est-il possible que ses rêves soient vaincus, comme ses camarades le sont par les allemands ? Dure réalité. Voilà que les rêves s’effeuillent, que tombent sous les boulets les camarades. Le poète a une double blessure :

    Cette blessure laissée par les rêves perdus qui découlent de la déception de l’Europe, la perte de cette innocence qu’il entrevoyait et qu’il va toujours rechercher du fond de sa jeunesse, plus pour se préserver en tant qu’humain que par pure candeur d’âme : « Paradis mon enfance africaine, qui gardait l’innocence de l’Europe » ou encore : « Et me guidait par épines et signes Verdun oui Verdun, le chien qui gardait l’innocence de l’Europe » .

    C’est qu’après tout, il ne faut pas oublier le symbole de la France en tant que la métropole, il est vrai, mais c’est aussi comme un sanctuaire, le saint des saints du colonisateur tout puissant, le père qui protège. Et la France tomba à genoux ainsi qu’un père abattu d’un coup de poing, gisant sans force devant son enfant dont toute l’existence bascule à cause du bris de son idole : « Nous avons cherché un appui, qui croulait comme le sable des dunes, des chefs, et ils étaient absents, des compagnons, ils ne nous reconnaissaient plus et nous ne reconnaissions plus la France. Dans la nuit nous avons crié notre détresse. Pas une voix n’a répondu. Les princes e l’Eglise se sont tus, les hommes d’Etat ont clamé la magnanimité des hyènes » .

    Les rêves se sont effeuillés, car les camarades, le levain des nations, les jeunes qui sont envoyés au front et dont la plus grande partie a été décimée, européens comme tirailleurs sénégalais, ces derniers étant l’espoir d’une Afrique nouvelle : « A leurs pieds dorment mes morts, tous mes rêves faits poussière, tous mes rêves, le sang gratuit répandu le long des rues, mêlé au sang des boucheries » .

  4. « Je ne reconnais pas ce Luxembourg, ces soldats qui montent la garde. On installe des canons pour protéger la retraite ruminante des Sénateurs, on creuse des tranchées sous le banc où j’ai appris la douceur éclose des lèvres. Cet écriteau ah ! oui, dangereuse jeunesse !... »

    Ce n’est certes pas le même Luxembourg. D’emblée, voilà qu’au lieu d’amoureux et d’enfants jouant sans souci, des soldats montent la garde. On installe des canons pour protéger le dernier maillon de l’autorité, on creuse des tranchées sous le banc où le poète a appris la douceur d’un baiser.

    Le regard du poète se pose sur des mots gravés quelque part, certainement l’écriture d’un jeune couple voulant ainsi laisser dans l’éternité le délice d’un moment évanescent.

  5. « Je vois tomber les feuilles dans les faux abris, dans les fosses dans les tranchées où ruisselle le sang d’une génération, l’Europe qui enterre le levain des nations et l’espoir des races nouvelles. »

    Ici, il y a une ironie presque imperceptible : les faibles feuilles tombent dans les abris, que normalement rien ne devrait atteindre, même pas un éclat de boulet, d’où les faux abris, ces fosses et ces tranchées où ruisselle le sang d’une génération entière.

    L’Europe qui enterre le levain des nations, enterre cette jeunesse qui est la force qui soulève les nations. L’Europe enterre l’espoir des races nouvelles, celui de l’Afrique qui avait tant besoin de sa jeunesse pour lentement tenter de se redresser pour la millième fois.

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Njamala Njogoy