Adds

mercredi 3 octobre 2018

HOSTIES NOIRES - MEDITERRANEE


MEDITERRANEE

  1. « Et je redis ton nom : Diallo ! Ta main et ma main qui s’attarde ; et nos pensées se cherchèrent dans la nuit de nos deux langues sœurs. »

    Deux cousins de sang aux portes de la nuit, un Al Pular et un Sérère, Diallo et Senghor respectivement, sur un navire et pour quel voyage. Le tableau dressé en quelques coups de pinceaux furtifs est poignant : c’est une rencontre qui a lieu au moment de la séparation, une rencontre brève le temps d’une traversée de la Méditerranée, mais semble durer une éternité, un gouffre sans couleur où le temps s’anéantit, permettant au poète de nous livrer les forts moments de la vie sur ces cargos de guerre.

  2. « C’était en Méditerranée, nombril des races claires, bleue comme jamais océan n’ont vu mes yeux, qui souriait de ses millions de lèvres de lumière tandis que dix vaisseaux de ligne inflexible, telles des bouches minces, bombardaient Almeria et qu’éclataient éclaboussant de sang de cervelle les murs noirs, comme des grenades, des têtes ardentes d’enfants. »

    La Méditerranée, terre du milieu, baigne les rives de l’Afrique du Nord et de l’Europe, d’où la notion de nombril des races claires. Le poète est frappé par ce bleu de la mer, couverture d’eau splendide étincelante sous un clair de lune ou par le simple reflet des astres faisant penser à des dents blanches que découvrent des lèvres qui lentement s’écartent dans un sourire divin, ces vagues ondulées à la douceur limpide. Ces vagues roulées, le poète veut les voir comme des lèvres sensuelles, grosses, des lèvres nègres comme celle de sa mère : « …Et tremblaient ton menton sous tes lèvres gonflées et tordues » ou encore : « Ce fin croissant, cette lèvre plus noire et lourde à peine… »

    A cette beauté de la nature, va se superposer un autre paysage, justement ce trait venu d’Europe qui rebute notre poète, un autre monde, celui des blancs qui est ici dressé en « dix vaisseaux de ligne inflexibles, telles des bouches minces » qui bombardent Almeria, faisant éclater des cervelles et éclaboussant de sang les murs noirs. Voilà l’Europe sur l’innocence de l’Afrique, cette raison hellène que le poète, est loin d’embrasser. Au contraire ! Senghor éprouve tellement de dégoût personnel en face de monde ! Ici l’horreur tombe sur les murs noirs, et cette horreur vient des bouches minces, les tuyaux des canons qui projettent leur salive de feu sur Almeria. Pour bien comprendre ce parallélisme, voyons ce que Chaka dit à la Voix Blanche : « Des courriers m’avaient dit : Ils débarquent avec des règles, des équerres, des compas, des sextants, l’épiderme blanc, les yeux clairs, la parole nue et la bouche mince ». Ici la créature, les canons, est bien à l’image de son créateur.

    Et les têtes ardentes d’enfants que fauchent des grenades, est-ce une prémonition du monde qui allait s’établir dès mai 1968 ? A partir de cette date, il faut le dire, le monde a beaucoup changé. C’est peut-être le premier soulèvement notoire du temps moderne, évènement qui sera père de tous les autres et encore » aujourd’hui se poursuit d’une façon ou d’une autre, faisant culbuter des autorités, avec, parfois, des grenades et du sang d’enfants à la tête ardente sous les revendications.

  3. « Nous parlions d’Afrique. Un vent tiède nous apportait son parfum plus chaud de femme noire ou celui que le vent souffle d’un champ de mil quand se heurtent les épis lourds et que vole au-dessus une poussière or et brun. »

    Le Hal Pular et le Sérère parlent d’Afrique. Comme pour faire ressentir sa présence, un vent va apporter son parfum chaud comme celui d’une femme noire ou bien le parfum musqué qui s’échappe d’un champ de mil lorsque le mil est mûr et que le vent fait voler cette fine poussière or et brun que vient toujours laver une dernière pluie avant la récolte.

  4. « Nous parlions du Fouta. Noble était ton visage et d’ombre tes yeux et douces tes paroles d’homme. Noble devait être ta race et bien née la femme de Timbo qui te berçait le soir au rythme nocturne de la terre. »

    Le Hal Pular et le Sérère parlent du Fouta, le royaume d’enfance de Diallo. Sous la noblesse d’un visage qui s’efforce de garder sa dignité d’homme pour lutter contre la faiblesse bénie de l’âme qui se souvient, les yeux s’assombrissent, trahissant cette faiblesse qui fait douces ses paroles d’homme. Pense-t-il à cette femme de Timbo laissée derrière pour cette « ligne inflexible de dix vaisseaux » qui, comme des bouches minces » réduisent Almeria en cendres ? C’est elle, cette femme de Timbo, qui était sa berceuse le soir, au rythme nocturne de la terre.

  5. « Et nous parlions du pays noir. Dans les cordages le soir, si près l’un de l’autre que nos épaules s’épousaient, fraternelles l’une à l’autre. »

    Le Hal Pular et le Sérère parlent du pays noir. Il faut certes revenir à un sujet qui apporte moins d’aiguille dans le cœur. Les deux frères sont proches, comme deux compagnons qui cherchent à se protéger mutuellement contre les rafales d’un froid glacial, si proches que les épaules fraternelles se touchaient : Ici, tout en nous donnant la communion, la vraie fraternité qui les lie, le poète nous donne aussi un indice sur la taille de son interlocuteur.

  6. « L’Afrique vivait là, au-delà de l’œil profane du jour, sous son visage noir étoilé, dans les cales houleuses, saturées de la rumeur inquiète que menace la tornade.»

    Dans cette fraternité à plaisanterie, dans ce cousinage qui soude les hommes et rend impossibles les guerres tribales, Senghor voit l’image de l’Afrique : c’est là que vit l’Afrique, cachée à l’œil profane du jour, pour ne pas être découverte. Ce ciel noir étoilé, c’est bien celui de l’Afrique, enfouie, mystérieuse, comme perdu sur un îlot d’existence. Elle est présente, mais n’est pas de la partie de ces cales houleuses qui sont remplies de la peur en face de la tornade qui se prépare.

  7. « Et s’échappaient, battements de tam-tam, avec des éclats de rires ailés et des rires de cuivre dans deux cents langues, des bouffées de vie dense que le vent dispersait dans l’air latin jusqu’au pont des premières où la jeune femme, libérée des sous-préfectures et de leurs rues étroites, libérée des dernières mesures du tango et des bras de son danseur rêvait, au bord du mystère, de forêts aux senteurs viriles et d’espaces qui ignorent les fleurs… »

    Dans ces cales, il y a la foule des tirailleurs, riant et parlant dans deux cents langues, et ces rires, comme des battements de tam-tams, vont parvenir jusqu’au pont des premières où le poète retrouve une jeune femme qui, libérée des sous-préfectures et faisant le voyage pour rejoindre d’autres fonction, va, durant la traversée se livrer à une soirée de danse organisé en première classe. Fatiguée, essoufflée, elle va se libérer aux dernières mesures de tango pour remonter sur le pont prendre de l’air et rêver de forêts aux senteurs viriles et d’espaces qui ignorent les fleurs, c’est-à-dire à l’Afrique.

  8. « Une grosse étoile montait, la dernière, éclairant ton front lisse quand nous nous quittâmes. Et je redis ton nom : Diallo ! Et tu redis mon nom : Senghor ! »

    Voilà maintenant que monte Vénus, la dernière étoile. Elle éclaire le front lisse de Diallo au moment de la séparation. Cette dernière étoile, c’est aussi bien celle du ciel à la fin de l’aube, mais certes celle de leur rencontre sur terre, et peut-être la dernière pour la vie de Diallo.

    Le poète a connu beaucoup de séparations dans des moments pareils : « Est-ce donc la dernière nuit pour toujours oh ! le départ sans au revoir ? Je pleurerai dans les ténèbres, au creux maternel de la Terre, je dormirai dans le silence de mes larmes jusqu’à ce qu’effleure mon front l’aube laiteuse de ta bouche » . Ici, certes il s’agit d’une personne différente. Senghor parle de sa bien-aimée qu’il vient de raccompagner mais il est soudain écartelé entre le désir de rester là à la regarder partir et la crainte des esprits, ces peurs ancestrales plus traîtresses que panthères et que l’esprit ne peut écarter au-delà des horizons diurnes. Néanmoins le sentiment d’adieu définitif semble équivaloir celui que ressent le poète à l’image de la clarté de cette dernière étoile sur le visage de frère : « Tu as gardé longtemps, longtemps entre tes mains le visage noir du guerrier comme si l’éclairait déjà quelque crépuscule fatal » . Comme tout au revoir, les deux prononcent leur nom respectif, deux mots, deux ellipses qui pourraient remplir toute une bibliothèque.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

UN RAPIDE EXEMPLE POUR LE DICtiONNAIRE

Njamala Njogoy