Adds

mercredi 3 octobre 2018

HOSTIES NOIRES - POEME PRELIMINAIRE


  1. INTRODUCTION

    Cette collection de poèmes de Léopold Sédar Senghor est heureusement la plus facile à déchiffrer. Les « Hosties noires », qui ne sont autre que les Tirailleurs Sénégalais ayant participé aux deux guerres mondiales, mais surtout à deuxième, après avoir été bras droits, encore mieux, dogues noirs de l’administration coloniale sur le continent, ont reçu ici lea plus haute médaille militaire, la plus grande marque de connaissance qui soit. Et la source de l’éloge n’est pas des moindres, car frère d’armes, frère de sang : «Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort, qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ? ». Dès le poème préliminaire, le poète se réserve ce droit de discours funéraire, louange enveloppée de défense et cela pour d’innombrables raisons :

    • Les chefs militaires, encore moins les ministres ne sont pas assez aptes, ni assez honnêtes pour le faire : « Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux. Je ne laisserai pas –non ! – les louanges de mépris vous enterrer furtivement ».

    • Les poètes : « Car les poètes chantaient les fleurs artificielles des nuits de Montparnasse, ils chantaient la nonchalance des chalands sur les canaux de moire et de simarre, ils chantaient le désespoir distingué des poètes tuberculeux. Car les poètes chantaient les héros, et votre rire n’était pas sérieux, votre peau noire pas classique ».

    • Et une fois morts, leur femme non plus : « Nous n’avons pas loué de pleureuses, pas même les larmes de vos femmes anciennes – Elles ne se rappellent que vos grands coups de colère, préférant l’ardeur des vivants ».


  2. POEME PRELIMINAIRE

    1. « Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort, qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ? »

      Ce poème introductif est un coup cinglant, un long cri de râle, une mélopée qui retrace, dans une majesté splendide, l’horreur des charniers d’Europe, le sort des noirs tombés sur ses champs de bataille neigeux, ces frères noirs aux mains chaudes, amicales qui sont couchés sur un lit de mort double : la mort, et le froid qui naturellement les faisait souffrir, aussi poignant que la trompette préparant à l’assaut.

      Nous nous sommes trompés en parlant de lit double. En réalité le lit est triple, à la manière du lit conventionnel des jeunes couples africains, où papa et maman dorment avec leur bébé : ce bébé, ce dernier venant sur le chapelet de la mort, ce sont le devoir et les éloges, puisqu’ils sont morts en… héros ? Le frère d’armes est conscient du fait que seuls leurs frères de sang et d’armes sauront leur reconnaître ce mérite.

    2. « Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux. Je ne laisserai pas –non ! – les louanges de mépris vous enterrer furtivement. »

      Il ne va pas laisser la parole aux ministres et aux généraux, ces marionnettes qui liront solennellement en somnambules des lignes qu’ils n’auront pas écrites, en lorgnant leur montre pour dépasser une certaine longueur protocolaire. Et dans cet état des choses, ces louanges seraient égales au mépris.

    3. « Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur. Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France. »

      On ne nous enterrera pas avec « des pagnes empruntés », vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides, sans honneur. Ils ont donné le meilleur de leur vie, ils ont donné leur jeunesse, leur vie.

      Les rires banania sur les murs de Paris, ces affiches publicitaires qui ornaient les murs de la cité de lumière et où le nègre aux lèvres rouges, ne sont qu’un maillon sur toutes la chaîne publicitaire qui allait de l’Europe aux Etats-Unis et sur laquelle, dans les années 90 on fera une exposition d’analyse à Amsterdam, aux Pays Bas.

      Le poète, précurseur dans plusieurs choses et domaines, à travers ce poème, fait son exposition, qui a pour but de faire réfléchir, et de faire disparaître ce racisme indirect, encore pire, subconscient.  

    4. « Car les poètes chantaient les fleurs artificielles des nuits de Montparnasse, ils chantaient la nonchalance des chalands sur les canaux de moire et de simarre, ils chantaient le désespoir distingué des poètes tuberculeux. Car les poètes chantaient les héros, et votre rire n’était pas sérieux, votre peau noire pas classique. »

      Les poètes occidentaux ont fermé les yeux sur la beauté nègre, sur le devoir, le sang nègre, leur héroïsme pour la République. Les poètes occidentaux ont préféré chanter les fleurs artificielles, la beauté de la nonchalance des chalands sur les canaux, toute la superficialité de ce monde. Ils ont préféré chanter le désespoir de poètes tuberculeux, héros d’une autre époque, d’un autre monde, héros d’une autre race. Quant à eux, nègres, à peine si le héroïsme était possible : vote rire n’était pas sérieux, et votre peau noire pas classique, pas du tout artistique et par conséquence indigne de louange, de la plume des poètes.

    5. « Ah ! ne dites pas que je n’aime pas la France – je ne suis pas la France, je sais – Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu’il a libéré ses mains, a écrit la fraternité sur la première page de ses monuments, qu’il a distribué la faim de l’esprit comme de la liberté à tous les peuples de la terre conviés solennellement au festin catholique. »

      Des doigts se pointent ? Des accusations ? Vous comprenez mal le poète. S’il affirme ce qu’il dit, ce n’est nullement pas parce qu’il n’aime pas la France. Ici, nous voulons contredire la vision qui veut que l’amour soit aveugle. L’amour n’est pas aveugle. Il voit les défauts de l’autre et sait pardonner accepter, au pire se conformer.

      Ici, pour Senghor aimer n’est synonyme d’accepter, encore moins de cécité. Il ne se conforme pas non plus. Il pardonne. Mais on ne peut pardonner une chose que l’on ne reconnaît point comme faute.

      Il ne se conforme pas. Il n‘est pas la France. Bien sûr, la France a quelque mérite : ce peuple de feu, chaque fois qu’il n’a pas été contraint d’agir d’une certaine façon, a suivi à la lettre la fraternité dont il a fait son emblème, comme l’égalité et a distribué la connaissance à tous les peuples conviés au festin catholique, au festin universel.

      C’est vrai que, contrairement aux anglo-saxons, la France avait une politique assimilationniste : faire des peuples conquis des français, quitte à les reléguer comme français de second, de troisième ou de quatrième rang.

    6. « Ah ! je ne suis-je pas assez divisé ? Et pourquoi cette bombe dans le jardin si patiemment gagné sur les épines de la brousse ? Pourquoi cette bombe sur la maison édifiée pierre à pierre ? »

      Mêlée de critiques et de louanges ! Le poète délire encore à cette intersection qui se présentera toujours à lui, comme lors de l’invitation de sa mère pour « embrasser » la plus belle.

      Les Africains qui critiquent Senghor devraient réfléchir deux fois avant même d’ouvrir la bouche, je ne dis pas avant de le condamner. L’être humain est ce qu’il est, un arbre ouvert aux plantes parasites, aux courants qui le transforment et font sa nature, taillent son devenir.

      Si l’on considère les générations qui se succèdent, surtout dans ce monde qui se fait de plus en plus uniforme de par la fulgurance de l’information, nous verrons que chaque génération a été condamnée par la précédente sur un point. Quand nous étions jeunes, le premier bal organisé dans mon village était traité de « danse des chiens » où homme et femme dansent collés l’un à autre comme des chiens qui s’envoient en l’air sans pudeur.

      Ajoutez à cela la disparition de Sérigne Fallou et celle de Mahécor Diouf : les hommes dignes devaient partir pour ne pas voir l’aube de cette époque sans vergogne. Puis la première sérieuse sécheresse, durant la même année, main de Dieu sur cette génération dégénérée comme elle fut sur Sodome et Gomorrhe — nos parents ne savaient rien de Sodome et Gomorrhe, mais la liste des raisons est égale à celle énumérée comme cause de la destruction de ces deux villes —, ajoutez à cela, dis-je le bouleversement de mai 1968 et c’est à peine si nous ne leur avions pas donné raison.

      Tout cela juste pour dire que Senghor avait pris la pomme des deux jardins, que ces deux pommes, en quelque sorte, avaient développé des fibres nutritionnelles dans son système inhérent.

      Le problème qui maintient les nègres dans un certain complexe vient justement du fait qu’ils arrivent trop difficilement à faire la part des choses, ce que Senghor avait réussi en sachant « rendre à César ce qui appartenait à César ».

      Consommateur passif de tout ce qui vient de l’Occident, le nègre, intrinsèquement dépendant d’un système importé comme ses habits, ses boutons, ses aiguilles, il veut se confirmer et accuse parfois trop rapidement et, au courant de son accusation, se trouve lui-même acculé sans merci.

      Ce caractère est si fondé que des personnes qui en sont conscientes, pour avoir séjourné en Europe, ont peur de s’exprimer, car on les taxe automatiquement de toubab

      Donnons un exemple concret : Nous étions un jour avec une amie américaine. En passant juste devant le grand rond point qui face au quartier général de Radiodiffusion et Télévision du Sénégal, RTS, nous vîmes un chauffeur faire sortir un pneu de secours, prêt à changer de pneu au milieu de la troisième voie en partant de la droite, c’est-à-dire tout contre les contours du rond point. Nous essayâmes de passer notre chemin sans rien dire, mais l’aberration en face de la situation fut plus forte que notre réserve. Alors nous nous sommes arrêté à sa hauteur et lui avons dit aussi poliment que possible s’il ne trouvait réellement pas mieux d’avancer sa voiture et de changer le pneu à un lieu plus approprié.

      Le chauffeur regarda plutôt la copine américaine toute blanche, et c’est d’elle qu’il tira sa réponse qui est littéralement : « Pourquoi veux-tu être toubab ? » C’est-à-dire « pourquoi te prends-tu pour un toubab, pour un blanc ? » En d’autres termes, le fait d’être contre ce qu’il était en train de faire n’était pas du tout nègre. C’est seulement un toubab qui aurait du voir une anomalie dans ses actes.

      En réalité, le nègre, pour toute cette clique et claque de personnes, est exactement la définition qu’avaient et qu’ont les racistes blancs : quand ça merde, c’est nègre. Quand c’est correct, c’est blanc.

      En regardant cet homme, nous avons préféré de garder le silence pour ne pas embarquer dans une querelle. Notre réponse plutôt conseil, n’aurait été que de lui dire de retourner à ses chèvres et chameaux puisque c’est le blanc qui a fait la voiture et le code de la route.

      Mais non, l’Afrique continue de dresser des formes plutôt que des sens. L’Afrique semble se contenter de ce qui l’arrange le plus facilement possible oublie le reste. Seulement que l’un ne va pas sans l’autre sans dégât. » Nous pensons, sans fierté aucune, que c’est justement cette attitude qui fait que, dans la situation actuelle des choses, pour voir un « accident » il faut aller ailleurs qu’au Sénégal. Sur la même latitude, nous pensons que quiconque pense déposer une plainte contre la France et l’Angleterre à cause d’un bateau naufragé devrait également déposer une plainte contre l’occident et l’orient pour tout accident de la route, puisque routes goudronnées et voitures nous viennent de là-bas.

      Mais pourquoi cet exemple ? Pourquoi nous être aventuré si loin, presque hors sujet ? C’est que cette division de Senghor est présente chez tous les nègres. Un président peut afficher son désir, son arrogance pour mener son peuple, dire ne pas avoir besoin de cadeaux, de dons, mais tôt où tard il sombrera dans les voyages de talibés à travers l’Occident sous une forme ou une autre. C’est que l’indépendance d’une nation est dans sa capacité à gérer l’interdépendance à tous les niveaux qui régissent la société.

      La force de Senghor a été l’humilité et la modestie qui lui ont fait voir le danger, ses faiblesses, ses petitesses, ses divisions ou écartèlements, et permis de ne pas être en contradiction avec lui-même. Le chanteur Bob Marley le rejoint, quand il dit : « Emancipate yourselves from mental slavery. None but by ourselves can free our minds ». Dans «Camp 1940» n’a-t-il pas écrit : « … Et ne sont-ils pas libres de la liberté du destin »

    7. « Pardonne-moi, Sira-Badral, pardonne étoile du Sud de mon sang, pardonne à ton petit-neveu s’il a lancé sa lance pour les seize sons de sorong. »

      Sédar se tourne vers l’aïeule fondatrice de royaume dont il se serre comme repère, et voit qu’il a manqué de patience, qu’il s’est laissé aller trop vite, qu’il a lancé sa lance pour les seize coups de sorong.

      En lisant ce passage, je ne peux m’empêcher de revenir avec la mémoire de la cérémonie finale lors d’un baptême sérère : Un enfant, d’habitude riche en petits frères et petites sœurs dont aucun n’est décédé est généralement choisi pour porter le bébé sur le dos la première fois, vers le soir du huitième jour. Il a le plus gros gâteau, et les autres enfants reçoivent aussi leurs parts. Alors portant le bébé sur le dos et suivi de la marraine qui s’est occupé des festivités et des autres enfants qui chantent « Moumi ! Moumi ! Que bébé vive, que bébé vive », il va faire sept fois l’aller-retour entre la case de la mère du bébé et le portail de la maison. A chaque voyage, les enfants ramassent des brindilles qu’ils vont venir jeter dans un trou creusé contre la porte de la mère et où toute chose ayant un rapport avec le bébé de même que l’eau avec laquelle on l’a lavé a été versée.

      Au retour du septième voyage, les enfants jettent les dernières brindilles ramassées au portail et crient tous en semble : « Jetez les gâteaux aussi ! Jetez les gâteaux aussi. » Et c’est justement ce qui suit qui me fait penser aux lignes de Senghor : les enfants distraits jettent leurs gâteaux avec les brindilles dans la fosse ! Et bien sûr, vous pouvez facilement imaginer les pleurs de ces enfants qui n’ont plus gâteaux, qui voudraient les repêcher de cette fosse toute salle et la raillerie des autres. C’est un drame pour les perdants, une moquerie pour les autres. Dans ce sursaut, je vois toujours Sédar jeter son gâteau dans la fosse.

    8. « Notre noblesse nouvelle est non de dominer notre peuple, mais d’être son rythme et son cœur, non de paître les terres, mais comme le grain de millet de mourir dans la terre ; non d’être la tête du peuple, mais bien sa bouche et sa trompette. »

      La noblesse nouvelle, la nouvelle royauté, la nouvelle gouvernance n’est pas de dominer le peuple, mais d’être son rythme et son cœur. C’est d’être à la disposition de son cœur, de ses désirs. Ce n’est pas paître les terres, d’intervenir lorsqu’il ne reste que les vendanges mais d’être le grain qui doit mourir pour nourrir plus. La vision de Senghor n’était pas la tête qui dicte au peuple ce qu’il faut faire, d’être le tyran, mais son interprète, sa bouche, sa trompette.

    9. « Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang, vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude, couchés sous la glace et la mort ? »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

UN RAPIDE EXEMPLE POUR LE DICtiONNAIRE

Njamala Njogoy