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lundi 1 octobre 2018

CHANT D'OMBRE - A LA MORT


A LA MORT

En interprétant un poème, on se retrouve très souvent dans une impasse à travers laquelle on cherche désespérément à retrouver l’écrivain pour le situer physiquement afin de pouvoir mieux le comprendre, entrer dans ses états d’âme. Au moment où il écrivait ce poème, le poète était-il malade, se trouvait-il confronté à un évènement qui l’aurait mené au bout de la vie, ou est-ce dans un rêve ou par une pure méditation qu’il s’est promené sur ce mince pont de douceur qui relie la vie et la mort ? Un journaliste se sentirait encore plus contraint que nous. Peu importe le motif, nous pouvons facilement entrer dans le poème et épouser l’état d’âme de Senghor. Faites de même, je vous prie.

  1. « Tu m’as assailli encore cette nuit, cette nuit sans clair de lune au bord de la mare perfide, panthère décochée de l’arc d’une branche. Ah ! Le feu de tes griffes dans mes reins et l’angoisse qui fait crier à minuit jusqu’aux doigts de mes pieds tremblants prisonniers »

    Dans une nuit sans clair de lune, le poète est confronté à la réalité de la mort. Au bord de la mare perfide, il va sentir « La force de l’homme, lourd les pieds dans le potopoto »

    La confrontation avec la mort ramène toujours Senghor vers la mare, le potopoto, dans des eaux fétides qui rappellent la putréfaction. C’est que dans le royaume d’enfance, la mort se faisait plus fréquente à travers toutes les épidémies intervenant pendant la saison des pluies.

    Nul n’est impassible devant la mort, cette panthère qui, décrochée de la branche, maintenant enfonce ses griffes dans les reins du poète, le fait crier de douleur, et il tremble jusqu’aux doigts des pieds tremblants, ces pieds subitement prisonniers, ces pieds qui devaient pourtant le porter vers la course, vers la fuite pour échapper.

  2. « O Mort jamais familière, trois fois visiteuse, je me rappelle ma course après la vie comme après un lourd fruit qui roule sous un rônier l’enfant – un second régime soudain sur le dos l’aplatit au sol »

    La mort n’est jamais familière. Personne ne s’y habitue, et pour cause ! Elle ne vient qu’une fois, une seule fois pour chaque individu. La prise de conscience de Senghor est biblique : il s’était élancé à la poursuite de la vie — à la poursuite des choses terrestres ? Dans la force de l’âge, avec la vie transpirant une santé de fer, la mort frappe rarement à la porte de la conscience.

    Senghor redescend dans son Sine natal pour revenir avec une image très forte : A côté des maisons il y a des rôniers. Lorsque les enfants entendent un fruit « rof », tomber, ils se ruent vers l’arbre et le premier venu est bien sûr le bienheureux propriétaire.

    Mais l’enfant n’a pas pensé à la possibilité d’un autre fruit pouvant venir juste au moment où il jubilait, célébrait sa victoire. Le poète, à la poursuite de ce fruit, éberlué par sa victoire, sa force, n’a pas calculé cette éventualité.

  3. « Mort redoutable, qui fait fuir plus vite que le guerrier sept fois autour de la Ville aux sept portes, vois-moi dans la force de l’âge et du désir et du vouloir quand voici déjà l’hiver, les pluies rhumatismes et tes griffes profondes. N’as-tu pas senti la force de mes reins, de mon vouloir musculeux ? Je sais que l’Hiver s’illuminera d’un long jour printanier que l’odeur de la terre montera m’enivrer plus fort que le parfum des fleurs, que la Terre tendra ses seins durs pour frémir sous les caresses du Vainqueur »

    Le poète a encore une fois une prémonition : avant ce jour, avant cette rencontre, il a beaucoup de choses à faire et si il se soucie de la Mort, c’est uniquement dans la peur de la rencontrer sans avoir accompli certaines tâches qu’il s’est fixées, parmi lesquelles celle d’ambassadeur de son Peuple qui doit rebondir comme l’Annonciateur, manifester l’Afrique Mère.

    Le poète discute, marchande avec la mort et pose certaines valeurs dignes de considération avant le verdict. Il lui faut un sursis, nous avons failli dire un sursaut : La force de l’âge, du désir et du vouloir musclés. Il sait très bien que ce n’est qu’un sursaut, que le Soleil de la mort brillera bien un jour, que l’Hiver s’illuminera d’un long jour printanier, qu’il sera dans la tombe, la terre l’enivrant plus fort que le parfum des fleurs…

    Mais cette rencontre n’est pas douloureuse en elle-même. Senghor la prévoit comme une première nuit de noce, la rencontre avec l’épouse dont les seins durs frémissent sous ses caresses. Ici il faut se méfier de la chronologie.

    • La rencontre avec la mort : « L’hiver s’illuminera d’un long jour printanier, que l’odeur de la terre montera m’enivrer plus fort que le parfum des fleurs, que la terre tendra ses seins durs pour frémir sous les caresses du Vainqueur. »

    • La période intermédiaire avant cette rencontre : « Je bondirai comme l’Annonciateur, que je manifesterai l’Afrique comme le sculpteur de masques au regard intense. »

    • Au bout de cette période, retour à la rencontre avec la mort : « Le retour de la femme au visage noir et tête fauve qui partit sans un mot ébauché ni d’elle ni de moi un jour d’hiver lumineux en Ile-de-France »

  4. « Que je bondirai comme l’Annonciateur, que je manifesterai l’Afrique comme le sculpteur de masques au regard intense. Que reviendra sur l’herbe, mêlant sa voix grave au chœur de l’aube la femme visage noir et tête de fauve, qui partit sans un mot ébauché ni d’elle ni de moi un jour d’hiver lumineux en Île-de-France. »

    Cette femme partie sans un mot ébaucher est bidimensionnelle. Cela peut être la mort elle-même, mais je ne sais pourquoi je ne peux ne pas penser à Yandé Codou Sène. Elle-même raconte avoir rencontré Senghor à deux points culminants au cour de sa vie : pendant sa campagne électorale, petite fille à qui il demanda de l’eau d’une façon énigmatique et qui va devenir sa griotte, petite fille qui comprit et se versa sur la tête le reste de ce que Senghor avait bu comme une eau bénite, petite fille qui va accueillir sa dépouille « royale » sous les rampes d’un avion durant une soirée d’octobre. Trop de prémonition qui tombent juste ?

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