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mercredi 3 octobre 2018

HOSTIES NOIRES - THIAROYE


THIAROYE

  1. « Prisonniers noirs je dis bien prisonniers français, est-ce donc vrai que la France n’est plus la France ? Est-ce donc vrai que l’ennemi lui a dérobé son visage ? Est-ce vrai que la haine des banquiers a acheté ses bras d’acier ? »

    Dans son amour profond, convaincu que le nombril commun qui unit désormais son Afrique et l’Europe, nommément le Sénégal et la France ne pourra jamais être opéré sans mettre en danger tous les deux frères siam, le poète désespérément cherche à pardonner, à comprendre en cherchant un masque venu se poser sur le visage réel de la France. Les prisonniers noirs sont des prisonniers français, sauf si la France n’est plus la France, sauf si un ennemi a pris le visage de la France pour se cacher derrière afin de mieux assouvir ses plans, comme le loup se mit dans la peau de l’agneau ou que des banquiers sans cœur aient acheté ses bras d’acier.

  2. « Et votre sang n’a-t-il pas ablué la nation oublieuse de sa mission d’hier ? Dites, votre sang ne s’est-il pas mêlé au sang lustral de ses martyrs ? Vos funérailles seront-elles celles de la Vierge-Espérance ? »

    La France a-t-elle oublié la mission des tirailleurs sénégalais ? Leur sang a aspergé son sol le purifier de la grippe nazi : « …Et le sang de mes frères noirs les Tirailleurs sénégalais dont chaque goutte répandue est une pointe de feu à mon flanc » ou encore : « Ils sont là étendus par les routes captives, le long des routes du désastre, les sveltes peupliers, les statues des dieux sombres drapés dans leurs longs manteaux d’or, les prisonniers sénégalais ténébreusement allongés sur la terre de France ».

  3. « Sang, sang ô Sang noir de mes frères, vous tachez l’innocence de mes draps. Vous êtes la sueur où baigne mon angoisse, vous êtes la souffrance qui enroue ma voix. Wôï ! Entendez ma voix aveugle, génies sourds-muets de la nuit. Pluie de sang rouge sauterelles ! Et mon cœur crie à l’azur et à la merci. »

    Les draps du poète jadis innocent, nid d’un sommeil étale et paisible, sont maintenant tâchés, compromis. Il baigne dans l’angoisse, la gorge enrouée par la souffrance. Morts, ayant transcendé, le poète appelle ses morts au secours face à l’immensité du désastre qui laisse du sang comme une couverture de sauterelles sur terre, et son cœur crie à l’azur, à la merci.

  4. « Non, vous n’êtes pas morts gratuits ô Morts ! Ce sang n’est pas de l’eau tépide. Il arrose épais notre espoir, qui fleurira au crépuscule. Il est notre soif notre faim d’honneur, ces grandes reines absolues. Non, vous n’êtes pas morts gratuits. Vous êtes les témoins de l’Afrique immortelle, vous êtes les témoins du monde nouveau qui sera demain. Dormez ô Morts ! Et que ma voix vous berce, ma voix de courroux que berce l’espoir. »

    Que l’on ne se trompe pas : cette mort n’est pas gratuite, ce sang n’est pas un sang affadi comme l’arbre dégénéré qui ne peut plus donner de rejeton. Il est ruisseau de vie qui arrose l’espoir de l’Afrique qui tôt ou tard quittera l’état d’espoir pour devenir réalité, fleurissant au crépuscule.

    Si ce sang est versé, c’est que les tirailleurs et partant les africains ont faim et soif de l’honneur qui depuis des siècles est foulé aux pieds. Ces tirailleurs se sont révoltés pour s’affirmer hommes parmi les hommes, hommes à l’égal des hommes et devenir les témoins nous dirons mieux les prémices d’un monde nouveau, ce monde de l’Afrique des indépendances qui a toujours aspiré à la dignité enfouie.

    Le devoir accompli, qu’ils dorment en paix, nos morts, et que les bercent nos voix, notre voix en colère, notre voix que supporte, anime et maintient l’espoir de ce monde qui sera demain.

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