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lundi 1 octobre 2018

CHANTS D'OMBRE - NEIGE SUR PARIS


NEIGE SUR PARIS

  1. « Seigneur, vous avez visité Paris par ce jour de votre naissance Parce qu’il devenait mesquin et mauvais vous l’avez purifié par le froid incorruptible par la mort blanche »

    Si d’aucuns pensent que Césaire est plus virulent que Senghor, ils ont certes raison, mais plus dans le style de l’expression que la vision des choses. Il faut se méfier du style de Senghor, qui prend toujours un complice avec qui parler, faisant de l’Autre, l’Accusé quelqu’un qui, s’il réagit, serait une bourrique, un traître « qui lirait par-dessus une épaule une lettre qui ne lui est pas destinée ».

    Mais ce n’est pas d’une manière lâche : les doigts sont subtilement pointés, et l’accusé peut facilement se reconnaître mais sans un droit quelconque de pouvoir intervenir – surtout en se basant sur la notion de « légitime défense ». Impuissant, l’Autre voit et entend le chapelet d’accusations se dévider, ne pouvant broncher qu’intérieurement. Pensez un peu à « Prière de paix », dédié à Georges et Claude Pompidou !

    C’est d’ailleurs justement ce caractère qui est très intéressant : l’accusateur parle comme un fidèle se confesserait devant son Seigneur, ce qui enlève le péché, sa conscience devient presque inconscience quant à l’entourage, comme l’accusé, agrippé sur sa vision du monde a exécuté les actions qui sont reprochées sans broncher, puisque les voyant toutes naturelles, aussi naturelles et normales qu’un lever de soleil par-delà un rideau de nuage à l’aube déclive.

    Un matin de Noël, le voilà parlant à son Seigneur qui a daigné visiter Paris, comme l’avènement du Messie au dernier jour du Monde. Puisque Paris devenait mesquin et mauvais, le Seigneur intervient avec une purification : le froid incorruptible, la mort blanche, ainsi que le feu sur Sodome et Gomorrhe.

    La couleur blanche a toujours une connotation négative pour Senghor : la neige, qui brûle tout, qui stérilise, force les arbres à se déshabiller définitivement aux derniers jours de l’automne est symbole de mort. Mais cette mort blanche, ce n’est pas uniquement la neige, c’est aussi les Blancs qui viennent de couvrir le monde entier de charniers.

  2. « Ce matin, jusqu’aux cheminées d’usine qui chantent à l’unisson arborant des draps blancs – Paix aux hommes de bonne volonté, Seigneur vous avez proposé la neige de votre Paix au monde divisé à l’Europe divisée, à l’Espagne déchirée. Et le Rebelle juif et catholique a tiré ses milles quatre cents canons contre les montagnes de votre Paix »

    Les cheminées des usines arborent une fumée semblable de fins draps blancs flottant lentement dans la tendresse du matin et souhaitent la paix aux hommes de bonne volonté. Il faut garder à l’esprit que c’est juste au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la révolution d’Espagne. Au lendemain de cette guerre, le monde a traversé des horreurs qui peuvent certainement être classées parmi les plus grandes de son histoire. Et justement ces races qui se bercent, d’une façon ou d’une autre à l’idylle d’un privilège – les Juifs, race élue de Dieu, les Catholiques avec son Pape chef de l’Eglise et les Blancs qui fulminent au sommeil de l’Esprit et qui produisent des techniques plus qu’aptes à donner la mort : des multitudes de canons contre la Paix du Seigneur, contre la paix du monde.

  3. « Seigneur, j’ai accepté votre froid blanc qui brûle plus que le sel. Voici que mon cœur fond comme neige sous le soleil. »

    Résignation du poète : Son cœur est brisé, triste. Il fond comme la neige sous le soleil. Il ne peut rien contre ce froid qui brûle, et ce n’est pas la seule chose qu’il aura acceptée avec résignation. Il n’y a d’ailleurs pas d’autre possibilité quand la chose qui fait mal est dans le passé. Mais devant le Seigneur de toute chose, puisque le monde entier célèbre sa naissance, lui qui s’était incarné pour apporter la « Paix aux hommes de bonne volonté », mieux vaut lui déballer ce que l’on a dans le cœur. C’est qu’en confession il ne s’agit pas de s’agenouiller seulement et de recevoir l’absolution : il faut relater les mauvaises choses et, la parole étant acte, les refaire en quelque sorte pour aboutir au pardon ou, si les psychologues, psychiatres, sociologues et psychanalystes le préfèrent, refaire le chemin, le psycho-drama, revivre l’évènement pour pouvoir en guérir.

    Il faut bien se confesser, c’est-à-dire parler de la haine, des reproches qui habitent le cœur vis-à-vis de ces privilégiés. Et Senghor, en passant l’éponge sur les torts causés comme Edith Piaf qui ne regrette rien, jouera avec beaucoup de moqueries sur le mot « oublier » : « J’oublie

  4. « Les mains blanches qui tirèrent les coups de fusils qui croulèrent les empires Les mains qui flagellèrent les esclaves, qui vous flagellèrent Les mains blanches poudreuses qui vous giflèrent les mains peintes poudrées qui m’ont giflé Les mains sûres qui m’ont livré à la solitude à la haine »

    La succession des propositions relatives et du passé simple accentuent le drame mais comme à travers une bonne vieille farce : Cette blancheur de la neige, nous voyons d’emblée pourquoi Senghor la voit comme la mort. Elle existe au pays des blancs, elle est blanche, impitoyable et sème la mort de tout : tous les arbres sont dénudés, sauf les conifères qui sont rigides comme le système européen, lugubres, sinistres, dénués de cette tendresse des feuillues si sensibles. Cela le ramène au saccage que ces mains causèrent en implantant leurs empires sur le continent africains, parmi des royautés, des empires qui existaient : elles les firent crouler en un clin d’œil, comme par une baguette magique.
    Ces mains ont flagellé les esclaves dans les négriers, sur le continent, comme à l’arrivée, et ce sont ces mêmes mains qui flagellèrent le Christ : « Alors Pilate leur relâcha Barabbas ; et après avoir fait battre de verges Jésus, il le livra pour être crucifié ».

    Ce premier point retrace le drame social, humain, les races décimées, affaiblies, la force d’un continent soutirée des terres pour aller construire d’autres continents.

  5. « Les mains blanches qui abattirent la forêt de rôniers qui dominait l’Afrique, au centre de l’Afrique »

    Tel un saltiki, Senghor va, encore une fois, se faire visionnaire : nous sommes tous conscients du souci actuel qui prévaut en matière d’environnement et de biodiversité. Voilà que le poète pointe le doigt, déjà dans les années quarante, contre la destruction de l’environnement :

    Alors que l’africain habitait parmi ses troupeaux, s’occupait de ses greniers, et de la survie raisonnable de ses enfants dans une harmonie parfaite avec son environnement, voilà qu’un système gourmand, sans calcul, sans scrupule, qui s’adonne à des chasses quadrillées : « Plus beaux que des rôniers sont les Morts d’Elissa ; minces étaient les désirs de leur ventre… Ils n’amassaient pas des chiffons, pas même de guinées à parer leurs poupées... ».

    Cette race contraste terriblement avec celle dont on dit : « Vos filles, m’a-t-on dit, se peignent le visage comme des courtisanes. Elles se casquent pour l’union libre et éclaircir la race ! Etes-vous plus heureux ? Quelque trompette à wa-wa-wâ et vous pleurez aux soirs là-bas de grands feux et de sang ». Il fallait bien orner des salons avec des têtes de lions et des peaux de panthères, exploitant systématiquement les ressources d’un continent qui lui a été légué de plein droit par un Seigneur qu’ils ont assassiné.

  6. « Droits et durs les Saras beaux comme les premiers hommes qui sortirent de vos mains brunes. Elles abattirent la forêt noire pour en faire des traverses de chemin de fer. Elles abattirent les forêts d’Afrique pour sauver la Civilisation, parce qu’on manquait de matière première humaine. »

    Les Saras habitaient dans la république actuelle du Tchad. Fiers, vrais guerriers dignes, ils furent massacrés comme les indiens d’Amérique. Senghor les compare à la majesté des rôniers, arbres élancés et durs qui ont une utilité multidimensionnelle à toutes les phases de leur existence. Pour soi-disant sauver leur civilisation dont la gourmandise mettait à l’étroit et forçait à trouver d’autres surfaces, ils ont abattu les Saras, entre autres, et les forêts d’Afrique pour faire des traverses de chemin de fer et ainsi pénétrer dans le cœur des terroirs éloignés. Comment cela est-il possible ? Bien sûr qu’il y a eu des résistances. Mais l’Afrique manquait de matière première humaine. Elle n’avait réellement pas la hauteur pour faire face à ce déluge de colonisation. Campés dans les choses terre à terre, ses hommes n’avaient pas développés ce sentiment aigu de la bataille de survie né du darwinisme. Ils n’étaient pas encore poussés par la gourmandise et ne s’appuyaient pas sur une technique destructrice pour aller conquérir d’autres terroirs et ainsi assouvir leur vanité.

  7. « Seigneur je ne sortirai pas ma réserve de haine, je le sais, pour les diplomates qui montrent leurs canines longues et qui demain troqueront la chair noire. »

    Bien sûr il y avait un assoupissement, une certaine humanité originaire de la renaissance – Gide avait fait sa saison au Congo, d’autres anthropologues commençaient à défendre les Nègres, mais le poète n’est pas dupe. Il garde sa réserve de haine malgré les diplomates qui sourient, parlent bien mais qui, demain, comme un ami venant avec un couteau dans le dos, continueront à vendre des esclaves, de la chair noire.

  8. « Mon cœur, Seigneur s’est fondu comme neige sur les toits de Paris au soleil de votre douceur. Il est doux à mes ennemis, à mes frères aux mains blanches sans neige à cause des mains de rosée, le soir, le long de mes joues brûlantes »

    Le poète a le cœur lourd de chagrin. Ce chagrin consume son cœur comme la neige sur les toits mais ce soleil du Seigneur lui souffle une autre dimension : la nécessité de pardonner, à la manière de Dieu, qui distribue sa douce chaleur pour tout le monde.

3 commentaires:

  1. Commentaire composé

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    1. Les thèmes principaux évoqué dans le poème

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  2. Ce poème est inspiré par les jeunes lecteurs que nous en sommes

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Njamala Njogoy