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lundi 1 octobre 2018

CHANTS D'OMBRE - MASQUE NEGRE


MASQUE NEGRE

  1. « Elle dort et repose sur la candeur du sable. Koumba Tam dort. Une palme verte voile la fièvre des cheveux, cuivre le front courbe »

    L’introduction du poème commence comme un chant de berceuse, avec une simplicité innocente, infantile qui pour faire endormir, nous montre Koumba Tam en sommeil.

    Senghor médite devant un masque nègre qu’il va personnaliser en lui donnant un nom – pour mieux le faire vivre ? Pour nous faire partager son émoi, il prend un pinceau et propose de nous faire un croquis de ce masque, pièce d’art portait d’une pièce d’art comme un amateur qui copierait avec fidélité ule tableau du Grand Maître Picasso. Et ce croquis, comme une photo, fait remonter les traits d’une Aimée le long des âges, nous l’élève, nous le rend concret, palpable, pour, plongeon circulaire, nous faire sombrer dans une dimension plus profonde encore.

  2. « Une palme verte voile la fièvre des cheveux, cuivre le front courbe. Les paupières closes, coupe double et sources scellées. Ce fin croissant, cette lèvre plus noire et lourde à peine où le sourire de la femme complice ? »

    Les phrases sont brèves. On entend à peine comme les pas d’une mère qui glisse doucement avec un pagne pour couvrir la jeune fille endormie : « Une palme verte voile la fièvre des cheveux, cuivre le front courbe ».

    Le poète se recueille devant ce masque. Une femme dort sur la candeur de sable, avec une palme verte ombrageant les cheveux et rendant le front bombé un peu plus sombre, plus mystique ? Et la suggestion des paroles du Grand Kothie Barma : « Jigeen sopal wante bul woolu » mais en gardant une distance en nous tendant l'idée sous forme de question : « ... cette lèvre plus noire et lourde à peine où le sourire de la femme complice ? ». Où est donc, dans les treints de ce masque ceux qui trahissent la femme indigne de confiance, comme le dit Kothie ?

    Le poète a une admiration profonde pour ces paupières closes, cette coupe double, la sensualité des lèvres qui ont les lignes d’un croissant lunaire, les patènes des joues qui s’élancent vers la passe étale du menton comme un ruisseau langoureux dans les derniers mètres avant de se jeter dans la mer et former un accord définitif. Mais ce qu'il envie à ce visage, c’est sa fermeture à toute chose éphémère, ce caractère éternel du masque, qui ne va pas souffrir à cause de l’amour et ne connaîtra aucune vieillesse, aucune marque de temps. Il est resté comme Dieu l’a conçu depuis le début des âges :

  3. Visage fermé à l’éphémère, sans yeux sans matière, tête de bronze parfaite et sa patine de temps que ne souillent fards ni rougeur ni rides, ni traces de larmes ni de baisers. O visage tel que Dieu t’a créé avant la mémoire même des âges… »

    Ce rapport entre le poète me rappelle toujours, je ne sais pas trop pourquoi, le « Portrait de Dorian Gray » de l'écrivain anglais Oscar Wilde. Dans le livre, Dorian se laisse séduire par les théories sur la jeunesse et le plaisir d'un nouvel ami qui le révèle à lui-même en le flattant : « Un nouvel hédonisme […] Vous pourriez en être le symbole visible. Avec votre personnalité, il n'y a rien que vous ne puissiez faire. » C'est ainsi que va naître dès lors en Dorian une profonde jalousie à l'égard de son propre portrait peint par Basil Hallward. Il formule le souhait que le tableau vieillisse à sa place pour pouvoir garder lui-même sa beauté d'adolescent: « Si je demeurais toujours jeune et que le portrait vieillisse à ma place ! Je donnerais tout, tout pour qu'il en soit ainsi. Il n'est rien au monde que je ne donnerais. Je donnerais mon âme ! ». Puis arrive un moment charnière du roman, le moment où le retour en arrière n'est plus possible pour Dorian, bien qu'il ne le sache pas encore. Le portrait a commencé à changer : l'âme de Dorian n'est plus celle du jeune homme innocent qui pouvait éprouver de la compassion pour ses semblables. Pour éviter la découverte de son terrible secret, il enferme le tableau dans une ancienne salle d'étude et se plonge dans la lecture d'un mystérieux roman.

    Il fait aussi penser à Pygmalion et Galathée, mais surtout Pygmalion, avec cette différence que Senghor connaît la fin de ce couple, d’où la prière finale, un cri de douleur qui ne veut pas que cette statue s’incarne. Il veut rester dans cette distance. Il est conscient de la nécessité pour le mortel de ne pas franchir, de ne pas regarder au-delà du voile qui sépare le mortel du saint des saints. Une fois réveillée, cette déesse d’une autre dimension connaîtrait certainement « l’éphémère, aurait des yeux, serait matière, donc périssable, Une fois réveillée, elle connaîtrait la souillure des fards, les rides, les larmes, les baisers ».

  4. « Visage de l’aube du monde, ne t’ouvre pas comme un col tendre pour émouvoir ma chair. Je t’adore, ô Beauté, de mon œil monocorde ! »

    Contrairement à Dorian Gray et Pygmalion, Senghor prend la sage décision, malgré la volupté sensuelle certaine qu’aurait apportée une incantation prolongée : « Ne t’ouvre pas comme un col tendre pour émouvoir ma chair ! » Le prêtre vaudou montre sa force en faisant descendre les dieux au bout de ses incantations ; le portrait de Dorian Gray se charge de la mortalité de l’orignal ; Pygmalion voit sa Galathée se couvrir d’un souffle et notre poète aurait connu, dans ce col tendre, l’émotion ultime de la chair.

    Contrairement aux deux cas, notre poète penche pour l’esprit, l’impérissable et se prosterne, comme offrande sa pupille qui frémit avec les nuances brisées d’un riiti. Là où Dorian vend son âme pour atteindre le degré de l'immortalité, Sédar maintient la distance de l'adoration.

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