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mercredi 3 octobre 2018

HOSTIES NOIRES - CAMP 1940


CAMP 1940
    Au Guélowâr

  1. « Guélowâr ! Nous t’avons écouté, nous t’avons entendu avec les oreilles de notre cœur. Lumineuse, ta voix a éclaté dans la nuit de notre prison comme celle du Seigneur de la brousse, et quel frisson a parcouru l’onde de notre échine courbe ! »

    Voilà le général de Gaule affublé d’un titre des rois du Sine, le royaume d’enfance du poète. Des îles britanniques où il s’est réfugié, il fera appel à tous les soldats de la France libres de se lever et de faire front. C’est à cet appel radiophonique que va répondre Senghor, comme plusieurs autres.

    Et cette voix lui rappelle celle du Seigneur de la brousse dans les contes des veillées de son enfance, cette voix qui a éclaté dans la nuit de leur prison. Et comme Senghor enfant frissonnait durant les récits, Senghor enfant dans la France occupé va frémir de tout son corps.

  2. « Nous sommes des petits oiseaux tombés du nid, des corps privés d’espoir et qui se fanent, des fauves aux griffes rognées, des soldats désarmés, des hommes nus. Les plus purs d’entre nous sont morts : ils n’ont pu avaler le pain de honte. »

    La France est occupée. Ses enfants n’ont plus où donner la tête. Ils sont comme de petits oiseaux tombés de leur nid, sans défense comme des fauves aux griffes rognées, des soldats sans armes, des hommes nus. Plusieurs se sont suicidés, certainement en se lançant contre tout espoir vers un ennemi déjà sur le dessus. Combien de capitaines, de commandants n’avaient pas sabordé leurs bateaux pour ne pas les laisser aux mains de l’ennemi ? Ils ont refusé le pain de la honte, ils ont refusé la reddition.

  3. « Et nous voilà pris dans les rets, livrés à la barbarie des civilisés, exterminés comme des phacochères. Gloire aux tanks et gloire aux avions ! »

    Les habitants de la France sont des poissons d’emblée dans les rets, à la merci de la barbarie des civilisés, de cette race qui, paradoxalement, se veut la race suprême et qui traîne le monde dans une barbarie jamais vécue auparavant sur la face de la terre. Cette race aryenne supérieure, cette race humainement supérieure déploie ses tanks et ses avions, faisant de la terre « un immense village de boue et de branchages, un village crucifié par deux fosses de pestilences » où « haines et faims ferment dans la torpeur d’un été mortel » .

  4. « Nous avons cherché un appui, qui croulait comme sable des dunes, des chefs, et ils étaient absents, des compagnons, ils ne nous reconnaissaient plus et nous ne reconnaissions plus la France. »

    Dans ce désarroi, le peuple a cherché un guide, un appui, et cet appui était plus faible que sable croulant. Il a cherché des chefs, mais il n’y avait aucun. Ils ont cherché des compagnons, mais les frères d’armes ne les reconnaissaient plus, n’osaient plus les reconnaître, comme Pierre au moment de l’arrestation de Jésus, et la France avait, encore une fois, ce masque de petite apposé sur son visage, la rendant méconnaissable : « Ah ! Seigneur, éloigne de ma mémoire la France qui n’est pas la France, ce masque de petitesse et de haine sur le visage de la France, ce masque de petitesse et de haine pour qui je n’ai que haine… » Et encore : « …Est-ce donc vrai que la France n’est plus la France ? Est-ce donc vrai que l’ennemi lui a dérobé son visage ? »

  5. « Dans la nuit nous avons crié notre détresse. Pas une voix n’a répondu. Les princes de l’Eglise se sont tus, les hommes d’Etat ont clamé la magnanimité des hyènes. Il s’agit bien du nègre ! il s’agit bien de l’homme ! non ! quand il s’agit de l’Europe. »

    Dans cette Europe sous la griffe du nazisme, toutes les structures s’ébranlent jusque dans leur fondement. L’église est paralysée, comme l’est la machine d’état, qui a clamé, pactisé avec la magnanimité des hyènes.

    Senghor ne mentionne jamais « Hitler », mais parle de l’Hyène : en plus du « h » qui est à l’initial des deux mots, le caractère plus que négatif de l’hyène dans les contes africains rejoint certainement assez bien ceux d’Hitler.

  6. « Guélowâr ! Ta voix nous dit l’honneur l’espoir et le combat, et ses ailes s’agitent dans notre poitrine. Ta voix nous dit la République, que nous dresserons la Cité dans le jour bleu, dans l’égalité des peuples fraternels. Et nous, nous répondons : Présents, ô Guélowâr ! »

    Les plus nobles sont morts pour avoir refusé d’avaler le pain de la honte. Les survivants sont appelés à se relever au nom de l’honneur pour combattre et faire germer l’espoir pour dresser la cité, une nouvelle république faite de tous les peuples confédérés, une république rebâtie dans l’égalité des peuples fraternels. Est-ce justement le moment qui fait dire au poète : « Au champ de la défaite si j’ai replanté ma fidélité, c’est que Dieu de sa main de plomb avait frappé la France. »

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Njamala Njogoy