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mercredi 3 octobre 2018

HOSTIES NOIRES - AUX SOLDATS NEGRO-AMERICAINS


AUX SOLDATS NEGRO-AMERICAINS
A Mercier Cook

  1. « Je ne vous ai pas reconnus sous votre prison d’uniformes couleur de tristesse, je ne vous ai pas reconnus sous la calebasse du casque sans panache, je n’ai pas reconnu le hennissement chevrotant de vos chevaux de fer, qui boivent mais ne mangent pas. »

    Une autre ramification de ce nouvel ordre mondial qui se prépare : les soldats afro-américains qui ont participé à la guerre.

    Partis d’une Amérique ségrégationniste, relégués aux positions arrières tout le long de la chaîne sociale, ils vont affronter d’autres blancs, s’adonner à des actes héroïques, d’emblée hommes parmi les hommes. Mais cette humanité, Senghor va l’éplucher comme un oignon. Il va rejeter l’écorce supérieure, fermant les yeux pour repousser toute connaissance de cette couverture qui vient de l’Europe défunte des machines et des canons : les uniformes sont des prisons, couleur de tristesse, au lieu de la calebasse africaine qui contient le lait à nourrir une famille, les soldats ont un casque en fer, les chevaux sont de fer donc les chars et autres véhicules de guerre. Ils sont réellement habillés par « les somnambules qui ont renié leur identité d’homme, caméléons sourds de la métamorphose, et leur honte vous fixe dans votre cage de solitude » Senghor rejette intégralement cet accoutrement qui est tout sauf humain.

  2. « Et ce n’est plus la noblesse des éléphants, c’est la lourdeur barbare des monstres des printemps du monde. Sous votre visage fermé, je ne vous ai pas reconnus. J’ai touché seulement la chaleur de votre main brune, je me suis nommé : Afrika ! Et j’ai retrouvé le rire perdu, j’ai salué la voix ancienne et le grondement des cascades du Congo. »

    Le poète est en face de ces enfants de l’Afrique sur leurs montures qui n’ont rien de la noblesse première des éléphants. Ces montures sont d’une barbarie qui existait avant toute autre chose, plus animales et sauvages que les animaux, d’où l’expression « prétemps du monde ». Ce visage fermé, cet accoutrement barbare est méconnaissable. Ce ne sera qu’au toucher, réalité sous-jacente, que le poète verra la vraie nature, celle-là qu’il peut et veut accepter et par conséquence re-connaître. Le visage fermé s’ouvre pour dévoiler le rire perdu qui rappelle le grondement innocent des cascades du Congo.

  3. « Frères, je ne sais si c’est vous qui avez bombardé les cathédrales, orgueil de l’Europe, si vous êtes la foudre dont la main de Dieu a brûlé Sodome et Gomorrhe. Non, vous êtes les messagers de sa merci, le souffle du Printemps après l’Hiver. A ceux qui avaient oublié le rire – ils ne se servaient plus que d’un sourire oblique, ils ne connaissaient plus que la saveur salée des larmes et l’irritante odeur du sang, vous apportez le printemps de la Paix et l’espoir au bout de l’attente. Et leur nuit se remplit d’une douceur de lait, les champs bleus du ciel se couvrent de fleurs, le silence chante suavement. Vous leur apportez le soleil. L’air palpite de murmures liquides et de pépiements cristallins et de battements soyeux d’ailes. Les cités aériennes sont tièdes de nids.»

    Ces frères qui viennent de faire leur entrée sont-ils ceux qui formaient cette ligne rectiligne bombardant l’orgueil des capitales ? Sont-ils la foudre dont la main de Dieu a brûlé Sodome et Gomorrhe ? Ce ne serait pas un mauvais rôle, mais Senghor se le refuse. Si les Nègres ont participé à cette catastrophe mondiale, c’est uniquement parce qu’ils y ont été forcés. Le poète veut remonter aux valeurs premières de la négritude, à cet esprit simpliste rejoignant celui de l’animiste qui voyait la joie vivre dans les choses simples, Dieu dans les choses environnantes.

    C’est justement cette joie de vivre, ce « manque d’évolution bénit » qu’apportent ses frères noirs : « A ceux qui avaient oublié le rire – ils ne se servaient plus que d’un sourire oblique, ils ne connaissaient plus que la saveur salée des larmes et l’irritante odeur du sang, vous apportez le printemps de la Paix et l’espoir au bout de l’attente ».

    Perdus dans un système si évolué que l’homme n’a plus de place ; perdus dans un monde qui cherche sa propre figure et a peine à le reconnaître, combien d’européens et d’américains ne viennent se réfugier en Afrique pour retrouver ce monde simple, cette joie de vivre et surtout la capacité de vivre avec des choses simples, sans compte en banque, sans facture d’électricité que poursuivent encore quelques africains ?

    Mais l’Afrique, loin de maîtriser son rôle comme elle semble incapable de maîtriser ses richesses veut la part de l’Autre, être comme l’Autre, prier et voir le monde comme l’Autre, changeant de Dieu à son nom sur la seule base que l’autre, sur la faute de ses oreilles entendait les noms différemment. Au lieu de corriger le tort, de s’arrêter pour mieux se rattraper, voilà que l’Afrique perdue le long du sentier continue de tourner en rond. C’est ainsi que le Sénégalais vous dira phonétiquement que son nom est « Diop », mauvaise transcription française de son nom, alors qu’il n’y a pas de Diop au Sénégal : dans ce pays il n’y a que des « Diôbe », pour suivre une transcription française juste.

    Si elle ose le faire, si l’Afrique ose s’arrêter, comme les tirailleurs osèrent utiliser leur gamelles comme tam-tams après les batailles ou le dimanche pour danser : « Qui donc dansera le dimanche aux sons du tam-tam des gamelles » peut-être réussira-t-elle sa progression, gardant à l’œil le fait qu’elle est « libre de la liberté du destin » et que seul « celui qui est noble peut faire les travaux de hontes ».

    Les noirs américains ont brisé quelque chose pour apposer une simplicité et apporter L’air palpitant « de murmures liquides et de pépiements cristallins et de battements soyeux d’ailes », rendant « les cités aériennes sont tièdes de nids ».

  4. « Par les rues de joie ruisselante, les garçons jouent avec leurs rêves, les hommes dansent devant leurs machines et se surprennent à chanter. Les paupières des écolières sont pétales de roses, les fruits mûrissent à la poitrine des vierges et les hanches des femmes – oh ! Douceur – généreusement s’alourdissent. Frères noirs, guerriers dont la bouche est fleur qui chante – Oh ! Délice de vivre après l’Hiver – je vous salue comme des messagers de paix.»

    Et voilà que l’Eden renaît le long des rues. Une vie nouvelle recommence sur terre parmi les garçons qui, au lieu des éclats de rire et la voix imitant celle des animaux le long des contes, entendaient tonner des canons de désastre. Les hommes dansent devant leurs machines et se surprennent à chanter, les écolières sont pétales de roses… Voilà tout un monde qui se réveille d’un long somme passé dans l’horreur des charniers, dans un monde défunt des canons et des machines pour embrasser la lumière de la joie de vivre.

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