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mercredi 3 octobre 2018

HOSTIES NOIRES - NDESSE


NDESSE

  1. « Mère, on m’écrit que tu blanchis comme la brousse à l’extrême hivernage, quand je devais être ta fête, la fête gymnique de tes moissons, ta saison belle avec sept fois neuf ans sans nuages et les greniers pleins à craquer de fin mil. Ton champion Kor-Sanou ! Tel le palmier de Katamague il domine tous ses rivaux de sa tête au mouvement de panache d’argent et les cheveux des femmes s’agitent sur leurs épaules, et les cœurs des vierges dans le tumulte de leur poitrine »

    Le poète reçoit une lettre, lui disant que sa mère est en train de vieillir, de pousser des cheveux blancs, de blanchir comme la brousse blanchit et devient fanée à la fin de l’hivernage. Les herbes deviennent jaunes. Cette danse des saisons, le changement du terroir entre septembre et les derniers jours d’octobre ont profondément marqué le poète. C’est ce dualisme de l’existence entre verdure et sécheresse, vie et mort. C’est qu’au quatorzième parallèle nord où se trouve sont Sénégal natal, la transition est aussi rapide que la tombée du crépuscule. Mais le plus important ici, c’est cette situation de la mère qui vieillit, et qui le pousse à faire le bilan en tant que fils.

    Mère tu vieillis [et je suis loin, pas à côté de toi] alors que je devais être ta fête, - lisez ta fierté -, la fête gymnique de tes saisons, ta saison belle avec sept fois neuf ans sans nuage et les greniers pleins à craquer de fin mil. Les points qui devraient faire le poids dans cette balance du bilan sont : La fierté de la mère : « Je devais être ta fête ». C’est le support de la joie de la mère, en la couvrant d’une attention particulière.

    La force de la mère : « La fête gymnique de tes moissons. Etant le support de la mère, il devait être assez fort et pouvoir, durant une seule saison, récolter assez pour que, même s’il ne pleut pas pendant quarante neuf ans, les greniers de la mère seraient pleins à craquer de fin mil pas de ce gros mil qu’il traite de nourriture de cheval.

    Le lutteur de la mère : Comme cette mère de Djirnda Lamine, Senghor devait être l’athlète, la fierté des stades, ce qui l’aurait fait vivre pleinement sa culture, sa liberté d’âme, comme ceux-là qui sont « libres de la liberté du destin » et l’aurait élevé au-dessus de tous ses camarades comme dépassait de son feuillage le géant rônier de Katamague et être la coqueluche des filles. Ici, en réalité, Senghor réellement surpassent bien de gens de sa classe d’âge, ses rivaux par « sa tête au mouvement de panache d’argent »

    Voilà la mesure selon les paramètres de laquelle Senghor fait son bilan, voilà les traits qui auraient fait de sa vie une vie pleine, une vie faite d’émotion, d’un surgissement perpétuel du pouls vital, contrairement à cette raison hellène qui a transformé son monde en un monde défunt des machines, cette Europe qui « enterre le levain des nations et l’espoir des races nouvelles » . Ici l’homme vit pleinement sa vie, sur la simple base de petites choses : le support, la fidélité, l’union humaine, la nourriture et les plaisirs de la vie, interprétés à travers les jeux gymniques accompagnés de ces chants qui vaincront « machines et canons »

    Pour comprendre « l’émotion nègre et la raison hellène », il faut toujours venir puiser dans ce sentiment profond qui habite le poète et qui le fait regretter, presque, d’avoir jamais mis les pieds à l’école, d’avoir fait cette rencontre et la conviction fatale de prendre conscience que ce monde atomique est fait d’interdépendances irrévocables et donc de métissage.

  2. « Voici que je suis devant toi Mère, soldat aux manches nues et je suis vêtu de mots étrangers, où tes yeux ne voient qu’un assemblage de bâtons et de haillons. »

    Initié à la raison hellène, ayant goûté à la pomme du jardin d’Europe comme Adam celle de l’Eden, le bilan se fait terriblement négatif : au lieu du jeune homme qui donne toute sa force pour soutenir sa mère dans ses derniers jours, au lieu d’être l’athlète des arènes où coule la simple joie de vivre, le voilà tout dépouillé, pauvre enfant prodigue. Et sa pauvreté, ici, est encore plus profonde. L’enfant évangélique avait des problèmes matériels, l’enfant sérère a un problème qui frise l’assimilation, car il a perdu jusqu’à la langue, le seul moyen qu’il avait pour se faire comprendre.

  3. « Si je te pouvais parler Mère ! Mais tu n’entendrais qu’un gazouillis précieux et tu n’entendrais pas comme lorsque, bonnes femmes de sérères, vous déridiez le dieu au troupeau de nuages, pétaradant des coups de fusil par-dessus le cliquetis des mots paragnessés. Mère, parle-moi. Ma langue glisse sur nos mots sonores et durs. Tu les sais faire doux et moelleux comme à ton fils chéri autrefois »

    Le souci primordial est étroitement lié à la langue, véhicule central de toute activité humaine. N’est-ce point elle qui fera la différence entre l’Homme et la Bête à la fin du combat ? La compréhension, la connaissance de l’autre passe les vocables porteurs de sa pensée et sans lesquels nous serions tous les uns les autres comme face à des murs que nous appellerions nos semblables. C’est justement à travers ce moteur linguistique que l’assimilation peut intervenir, d’où le souci du poète.

    A la manière des femmes sérères de son village, il y a toutefois une possibilité de l’assimiler, la comprendre, la maîtriser sans être broyé par elle, ce qui sera le combat profond de Léopold Sédar Senghor : maîtriser le français pour s’en servir comme un instrument pur et simple, sans être blessé par l’outil.

  4. « Ah ! Me pèse le fardeau pieux de mon mensonge. Je ne suis plus le fonctionnaire qui a autorité, le marabout aux disciples charmés. L’Europe m’a broyé comme le plat guerrier sous les pattes pachydermes des tanks. Mon cœur est plus meurtri que mon corps jadis, au retour des lointaines escapades aux bords enchantés des Esprits. »

    Quel est ce mensonge ? Pour ne pas accabler sa mère, Sédar ne lui a-t-il caché la réalité qu’il était devenu soldat, avec à chaque instant la possibilité de rencontrer la mort, plus certainement que lorsqu’il revenait de Fa’oye :

    « Or je revenais de Fa’oye, m’étant abreuvé à la tombe solennelle comme les lamantins s’abreuvent à la fontaine de Simal. Et c’était l’heure où l’on voit les Esprits,
    Quand la lumière est transparente et il fallait s’écarter des sentiers, pour éviter leur main fraternelle et mortelle »

    Il n’est plus le fonctionnaire qui a autorité, il n’est plus professeur aux élèves charmés. C’est un simple soldat de deuxième classe dans le quarantième régiment des tirailleurs sénégalais, un soldat broyé, aplati sous les chenilles des tanks. C’est un soldat fatigué, le corps meurtri comme jadis, lorsqu’il allait à la rencontre des Esprits. C’est certainement ces moments qui lui permirent de dire : « J’ai donc vécu en ce royaume, vu de mes yeux, de mes oreilles entendu les êtres fabuleux par-delà les choses : les Kouss dans les tamariniers, les crocodiles, gardiens des fontaines, les lamantins, qui chantaient dans la rivière, les Morts du village et les Ancêtres, qui me parlaient, m’initiant aux vérités alternées de la nuit et de midi ».

  5. « Je devais être, Mère, le palmier florissant de ta vieillesse, je te voudrais rendre l’ivresse de tes jeunes années. »

    Une mère qui vieillit, un fils qui devait être le support et qui est d’emblée soldat, face à la mort à tout instant. Quelle situation, que celle de cet enfant qui devait être le palmier florissant de sa mère, qui n’a qu’un souci, celui de rendre à sa mère les jours bels de sa jeunesse lointaine !

  6. « Je ne suis plus qu’un enfant qui se souvient de ton sein maternel et qui pleure. Reçois-moi dans la nuit qu’éclaire l’assurance de ton regard, redis-moi les vieux contes des veillées noires, que je me perde par les routes sans mémoire. Mère, je suis un soldat humilié qu’on nourrit de gros mil. Dis-moi donc l’orgueil de mes pères ! »

    Mais c’est lui qui a besoin de support. Loin d’être cette colonne majestueuse, cette large épaule portant la mère, c’est lui qui veut redevenir un enfant pour se blottir contre son sein et réécouter les contes des veillées de jadis. Nourri de gros mil, avili comme soldat, il veut remonter les routes du passé pour retrouver la fierté de sa lignée paternelle, la fierté énigmatique de Diogoye le Lion.

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Njamala Njogoy