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mardi 2 octobre 2018


LE RETOUR DE L’ENFANT PRODIGUE

« Le fils prodigue » est une parabole de Jésus, et, pour permettre au lecteur d’avoir une idée de l’image de Senghor, nous allons vous la reproduire, en nous appuyant sur l’Evangile de Luc : « …. Et il dit encore : Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : Mon père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien. Peu de temps après, le plus jeune fils, ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, où il dissipa son bien en vivant dans la débauche. Lorsqu’il eut tout dépensé, une grande famille survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla se mettre au service d’un des habitants du pays, qui l’envoya dans ses champs garder les pourceaux. Il aurait bien voulu se rassasier des carouges que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait. Etant rentré en lui-même, il dit : Combien de mercenaires chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père et je lui dirai : Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ; traite-moi comme l’un de tes mercenaires. Et il se leva et alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion. Il courut se jeter à son cou et le baisa. Le fils lui dit : Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs : Apportez vite la plus belle robe, et l’en revêtez ; mettez-lui un anneau au doigt et des souliers aux pieds. Amenez le veau gras et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous ; car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé… »

Il y a une transposition car, il est vrai que le fils a une inquiétude quant à comment faire face à son père après avoir gaspillé toute la richesse qui lui a été donnée. Ici, si la condamnation semble devoir venir de Diogoye, dans l’Evangile c’est le cas contraire. C’est plutôt l’aîné qui fait des remontrances : « Or, le fils aîné était dans les champs. Lorsqu'il revint et approcha de la maison, il entendit la musique et les danses. Il appela un des serviteurs, et lui demanda ce que c'était. Ce serviteur lui dit : ton frère est de retour, et, parce qu'il l'a retrouvé en bonne santé, ton père a tué le veau gras. Il se mit en colère, et ne voulut pas entrer. Son père sortit, et le pria d'entrer. Mais il répondit à son père : voici, il y a tant d'années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m'as donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis. Et quand ton fils est arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des prostituées, c'est pour lui que tu as tué le veau gras ! ».

Là où le Fils prodigue mangeait des carouges destinées aux pourceaux, Senghor s’est gavé de la poussière de seize années d’errance, l’inquiétude de toutes les routes d’Europe, les cités battues de vagues de mille passions dans sa tête. Mais cela n’a pas perverti son âme. Après tout, le devenir de l’Afrique, son avancée et son développement seront mesurés à la superbe de ces cités, à leurs bâtiments et enseignes multicolores. Toutes les passions déchaînées, l’inquiétude sur les routes d’Europe, la guerre, les charniers… Il n’est pas entré dans la débauche, il ne s’est pas avili, son cœur est resté pur comme vent d’Est au mois de Mars, vent chaud qui brûle tout, et par conséquence stérilise. Et c’est pour se maintenir pur qu’il voulait se réfugier dans le désert « sans ombre, terre austère terre de pureté, de toutes mes petitesses lave-moi, de toutes mes contagions de civilisé. Que me lave la face ta lumière qui n’est point subtile, que ta violence sèche me baigne dans une tornade de sable… »


STROPHE I

  1. « Et mon cœur de nouveau sur la marche de pierre, sous la porte de l’honneur. Et tressaillent les cendres tièdes de l’Homme aux yeux de foudre, mon père. Sur ma faim, la poussière de seize années d’errance, et l’inquiétude de toutes les routes d’Europe ; et les cités battues de vagues de mille passions dans ma tête. Mon cœur est resté pur comme Vent d’Est au mois de Mars. »

    Voilà donc arrivé le temps des comptes, l’heure tant redoutée : « C’est le même soleil mouillé de mirage, le même ciel qu’énervent les présences cachées le même ciel redouté de ceux qui ont des comptes avec les morts. Voici que s’avancent mes morts à moi… ». Sédar doit faire face à Diogoye. L’enfant prodigue retourne à la marche de pierre, sous la porte de l’honneur.

    Ici il nous semble devoir expliquer deux choses intrinsèques à la culture sérère :

    • La porte de l’honneur : Dans les maisons sérères traditionnelles, il y a une entrée principale et une petite entrée, respectivement « a carind » et « a ƥoot » Tout ce qui est honorable, tout acte noble, entre et sort par la porte principale. Ceux qui fuient, qui se cachent, passent par la petite porte.
      Ceci amène une autre réalité additionnelle : faisant face à l’entrée principale de chaque maison sérère, se trouve une palissade symbolique. Elle est dressée entre la case du chef de la maison et la cour, et son nom solennel est « o mbañ-gaci » littéralement « refuse-honte », palissade dressée là pour rappeler au chef qu’il est gardien, et protecteur des valeurs et devant s’évertuer chaque jour pour que jamais « honte dans la maison n’entre ».

    • L’Homme : Contrairement au fils prodigue de la parabole évangélique, son père est déjà mort. Néanmoins, du fond de la tombe, les cendres tièdes de l’Homme aux yeux de foudre vont tressaillir. Senghor garde ici l’appellation toute sérère du fils vis-à-vis de son père.

    A un certain âge, on n’emploie plus le vocatif « baa » ou « baab », en s’adressant à son père ou bien « yaa » ou « yaay » en s’adressant à sa mère. Il ne peut non plus appeler directement ses parents par leur prénom. Alors on commence à dire, par exemple : « Est-ce que l’Homme est-là ? » Ou bien « Est-ce que la femme est là ? », ce qui est exactement équivalent, et par conséquence compris comme, respectivement : « Est-ce que papa est là ? » « Est-ce que maman est-là ? » C’est à cause de cela que l’on retrouve souvent « l’Homme » comme référence à son père .


STROPHE II

  1. « Je récuse mon sang en la tête vide d’idée, en ce ventre qu’ont déserté les muscles du courage. Me conduise la note d’or de la flûte du silence, me conduise le pâtre mon frère de rêve jadis nu sous sa ceinture de lait, la fleur du flamboyant au front. Et perce pâtre, mais perce d’une longue note surréelle cette villa branlante, dont fenêtres et habitants sont minés des termites. Et mon cœur de nouveau sous la haute demeure qu’a édifié l’orgueil de l’Homme. Et mon cœur de nouveau sur la tombe où pieusement il a couché sa longue généalogie. Il n’a pas besoin de papier ; seulement la feuille sonore du dyâli et le stylet d’or rouge de sa langue. »

    Le retour n’est jamais facile. Le poète ne parvient pas à avoir une idée fixe, son courage a tendance à l’abandonner, mais il les récuse. Il faut bien faire face aux cendres tièdes de l’Homme aux yeux de foudre. Il faut qu’il se souvienne, qu’il remonte loin dans le passé pour retrouver son compagnon, le pâtre son frère, le pâtre à la flûte mélodieuse qui savait guider le troupeau vers la maison au soleil déclive.

    Mais la peur est profonde, car elle vient des mânes de ses Pères. Cette maison a les fenêtres et les habitants minés par les termites : les fenêtres sont délabrées, croulantes, et combien de ses habitants sont morts ! Mais ce qui fait plus peur, il l’exprime clairement dans « Visite », « … C’est le même ciel redouté de ceux qui ont des comptes avec les morts. Voilà que s’avancent mes mortes à moi… ».

    Et des comptes à rendre, l’enfant prodigue en a certainement à distribuer, après seize ans d’errance, surtout si le sérère n’’était pas venu au chevet de son père mourant, si ses parents sont enterrés durant son absence. Il faut qu’il affronte cette maison édifiée avec beaucoup d’orgueil par Diogoye.

    Au retour de son long séjour, il a un devoir à accomplir, celui de se rendre au cimetière pour rendre visite à ceux qui sont morts durant l’absence, à ceux que l’on n’a pas vus depuis longtemps. Il doit se rendre à ce cimetière où se trouve toute la généalogie de Diogoye. Il ne va pas sortir l’arsenal du civilisé, se mettre à la plume, mais seulement se munir de sa langue, de dire les mots justes, prendre les notes justes, comme le griot les doigts le long de la kôra, et sa voix d’or aussi futée qu’une plume. Il le dira aussi dans Congo : « Que j’émeuve la voix des kôras Koyaté ! L’encre du scribe est sans mémoire… » .  


STROPHE III

  1. « Que vaste que vide la cour à l’odeur du néant comme la plaine en saison sèche qui tremble de son vide. Mais quel orage bûcheron abattit l’arbre séculaire ? Et tout un peuple se nourrissait de son ombre sur la terrasse circulaire, et toute une maison avec ses palefreniers, bergers domestiques et artisans sur la terrasse rouge qui défendait la mer houleuse des troupeaux aux grands jours de feu et de sang. Ou est-ce un quartier foudroyé par les aigles quadrimoteurs et par les lions des bombes aux bonds puissants ? »

    Après seize ans d’erreur, le poète est en face de la réalité. Les choses, les êtres qu’il avait jadis côtoyés, ces choses que, dans l’absence on maintient de toutes ses forces pour ne pas perdre le cordon ombilical qui maintient à la patrie, à la maison, ces choses n’existent plus. Il est comme en retard par rapport à l’actualité et il y a une espèce de vide, de déception profonde.

    Après une absence de vingt trois ans dont dix ans sans venir au Sénégal du tout, nous savons ce que l’on ressent quand on débarque. Le déphasage est effroyable. Pendant des années on lutte pour se maintenir, ne pas se « civiliser », ne pas oublier. Les souvenirs sont vivaces, on connaît le nombre de termitières qui longent une certaine piste, on voit, dans la distance ces arbres que l’on a laissés derrière, sous lesquels on s’est une fois assis et discuté avec des personnes chères. Contrairement à ce que l’on pense, pour avoir si souvent médité, ces choses quittées sont présentes. Et lorsque l’on débarque, on voit que tout a disparu. Certains arbres sont tombés, les autres n’ont plus le même aspect et ceux qui sont restés, ayant naturellement progressé avec le temps et franchi ces dix ans dans un esprit d’avancement par rapport à nous, émigrés qui nous agrippions à un présent-passé pour nous maintenir intacts, nous nous réveillons à la dure réalité d’être en avance par rapport à l’Europe sur eux, mais très en retard quand à notre acceptation du paysage.

    Eh oui, à son départ, tout un peuple se nourrissait, prenait le repas sous l’ombre du ficus séculaire. Ce ficus, qui, jusqu’à hier, jusqu’à son débarquement, existait encore dans ses pensées, ce ficus séculaire n’est plus. Le bûcheron temps s’en est occupé, avec sa hache impassible. Et avec la disparition de cette ombre protectrice, sont partis les bergers qui s’occupaient des vaches innombrables de Diogoye, les domestiques et les artisans.

    C’est vrai que la disparition, l’inexistence de ce ficus et toute la foule de choses et de gens qu’il avait solennellement gardée dans sa mémoire est venue si vite. L’effet est semblable au travail d’un bombardier, de ces avions quadrimoteurs qui de leurs bombes puissantes, faisaient disparaître immeubles et arbres en un clin d’œil : « Est-ce l’Afrique encore, cette côte mouvante, cet ordre de bataille, cette longue ligne rectiligne, cette ligne d’acier et de feu ?... Mais entends l’ouragan des aigles-forteresses, les escadrilles aériennes tirant à pleins sabords et foudroyant les capitales dans la seconde de l’éclair. Et les lourdes locomotives bondissent au-dessus des cathédrales et les cités superbes flambent, mais bien plus jaunes mais bien plus sèches qu’herbes de brousse en saison sèche. Et voici que les hautes tours, orgueil des hommes, tombent comme les géants des forêts avec un bruit de plâtras et voici que les édifices de ciment et d’acier fondent comme la cire molle aux pieds de Dieu. »

    Voilà l’image qui lui revient devant cette maison dont les fenêtres sont minées par les termites, les habitants morts ou dispersés, le ficus séculaire tombé, choses intervenues trop rapidement dans sa conscience à cause de l’intensité des souvenirs qui maintenaient les images à leur place. La fulgurance des évènements est proportionnelle à la relation entre la vivacité des souvenirs et le grand vide présent laissé par les choses qu’il n’a plus sous les yeux de la mémoire.


STROPHE IV

  1. « Et mon cœur de nouveau sur la marche de la haute demeure. Je m’allonge à cette terre à vos pieds, dans la poussière de mes respects, à vos pieds, Ancêtres présents, qui dominez fiers la grand-salle de tous vos masques qui défient le Temps. Servante fidèle de mon enfance, voici mes pieds où colle la boue de la Civilisation. L’eau pure sur mes pieds, servante, et seules leurs blanches semelles sur les nattes de silence. Paix, paix et paix, mes Pères, sur le front de l’Enfant prodigue »

    Les êtres chers sont devenus cendres, il va s’allonger par terre, par humilité et modestie. Il va se jeter aux pieds des Ancêtres, des Pangools présents, ces esprits qui, il le sait, dominent la grande salle, les visages masqués. Eux au moins ne vont jamais mourir. Ils défient le temps. Grâce à la transcendance, le poète va retrouver les êtres perdus dans une autre dimension.

    Par respect on se déchausse avant d’entrer dans la chambre. Sédar nous le suggère par « leurs blanches semelles », mais veut aller plus loin en se lavant les pieds pour se purifier. Puis il fait sa prière : la paix sur le front de l’Enfant prodigue. Mais le front, c’est aussi le futur.

    Culture sérère introduite : Après un voyage, n’est-ce que de Dakar au village, il faut faire le tour du carré pour saluer tout le monde. Plus le temps de l’absence est long, plus les visites vont s’étendre à travers le village. Le voyageur revenu doit aller s’enquérir de l’état de santé de tous, présenter les condoléances pour les décès et féliciter pour les naissances et mariages intervenus durant son absence. C’est seulement après que l’on peut se reposer et vaquer à la vie normale. C’est ce que fait justement Senghor. C’est à partir de la strophe suivante que commence la mission.


STROPHE V

  1. « Toi entre tous Eléphant de Mbissel, qui parait d’amitié ton poète dyâli et il partageait avec toi les plats d’honneur, la graisse qui fleurit les lèvres et les chevaux du Fleuve, cadeaux des rois de Sine, maîtres du mil maîtres des palmes, des rois de Sine qui avait planté à Diakhâw la force de leur lance. » P align=justify>« Eléphant de Mbissel », le Grand Mansa Waly Mané, devenu Maïssa Waly Dione. Mansa est devenu « maïssa » et « mané » a fait place à « dione » à cause de sa longévité, selon la légende qui va ainsi : « Maïssa Waly vécut si longtemps, que chaque fois qu’un voyageur revenait des recoins de Mbissel, la première question qu’on lui posait était : « Et Maïssa Waly ? [Est-il toujours vivant ?] ». Et l’autre répondait : « Oxaa maaga jon », c’est-à-dire, littéralement : il est toujours là-bas, les yeux bien ouverts [Pas du tout prêt à casser sa pipe] ». P align=justify>Venu du royaume du Mali, Mansa sera propagateur de la royauté dans le Sine, puis devenir un des Pangools les plus vénérés du terroir. Si certains Pangools restent dans le recoin strict d’une famille, certains unissent tous les Sérères. C’est en tant que Pangool que Senghor s’adresse à Maïssa Waly pour qu’il intercède auprès de tous les autres en sa faveur. Le poète dit avoir lié amitié et partagé avec lui les dons du roi du Sine. C’est dire qu’il lui a offert une partie de royauté au même titre que les Guelwârs qui avaient planté la force de leur lance, c'est-à-dire le centre de leur pouvoir, leur trône à Diakhaw

  2. « Et parmi tous, ce Mbongou couleur de désert ; et les Guelwars avaient versé des libations de larmes à son départ, pluie de rosée quand saigne la mort du Soleil sur la plaine marine et les vagues des guerriers morts. »

    Senghor se souvient particulièrement de Coumba Ndoffène Diouf, le roi du Sine lâchement assassiné par un colon pègre du nom de Pierre François Beccaria à Joal le 14 août 1871. Il reçut une balle, perché sur son cheval, ce que fait ressortir le poète en parlant du Mbongou, cheval roux, au couleur de désert. Parmi les rois les plus vénérés du Sine, les Guelwars, et partant, tout le Sine, versèrent des larmes à son départ pour Sangamar la Nocturne, Sangamar l’Eternel, libations de larmes ainsi qu’une pluie de rosée quand saigne la mort du Soleil sur la pluie marine et les vagues des guerriers mourants.

    L’on ne pouvait décrire plus intensément un tel évènement : tous les éléments sont là, s’entrechoquant, se bousculant, se faisant place, se rejetant, exactement comme Joal et ses habitants pendant cette journée funèbre. Le deuil, tout un royaume qui s’émeut, des libations de larmes, puisqu’un des leurs transcende couvert de sang. Mais ce n’est pas uniquement le roi du Sine, c’est un des meilleurs rois du Sine, le Roi Soleil de son terroir, c’est le Soleil couchant, ce soleil qui meurt, couvert de sang sur la plaine marine. Ceci amène cette croyance sérère : les rois morts remontent vers Sangamar, cette longue bande de sable qui casse l’océan comme un îlot devant préserver l’Eternel. Pour les Sérères Sangamar est l’équivalent des Champs élyséens comme, dans l’Odyssée, Protée les décrit à Ménélas : « Les Immortels t'emmèneront chez le blond Rhadamanthe, aux champs Élyséens, qui sont tout au bout de la terre. C'est là que la plus douce vie est offerte aux humains ; jamais neige ni grands froids ni averses non plus ; on ne sent partout que zéphyrs dont les brises sifflantes montent de l'Océan pour donner la fraîcheur aux hommes. »


STROPHE VI

  1. « Eléphant de Mbissel, par tes oreilles absentes aux yeux, entendent mes Ancêtres ma prière pieuse. Soyez bénis, mes Pères, soyez bénis ! Les marchands et banquiers, seigneurs de l’or et des banlieues où pousse la forêt des cheminées – ils ont acheté leur noblesse et les entrailles de leur mère étaient noires – les marchands et banquiers m’ont proscrit de la Nation. Sur l’honneur de mes armes, ils ont fait graver Mercenaire. Et ils savaient que je ne demandais nulle solde ; seulement les dix sous pour bercer la fumée de mon rêve, et le lait à laver mon amertume bleue. »

    C’est à Maïssa Waly que d’adresse Senghor pour faire parvenir à l’ensemble des Esprits sa prière pieuse. Cette période de sa venue au Sénégal est celle qui va le déterminer à plonger dans la politique, à être combattant au flanc de son peuple. Le monde a beaucoup changé, le monde a évolué, du moins à travers les yeux du Senghor actuel, qui a goûté à l’hysope de l’Europe, pour cet intellectuel ayant côtoyé d’autres comme Césaire et Damas et qui a commencé son combat de la Négritude.

    Les nouveaux maîtres ne sont plus ceux qui avaient planté leur lance royale à Diakhaw, ce ne sont plus les Thiédos au courage de lion : une jeune génération, une nouvelle aube s’est levée, celle des marchands, seigneurs de l’or est des banlieues où pousse la forêt des cheminées, des usines. Mais ces marchands n’ont aucune noblesse : ils ont achetée celle-ci, alors que les entrailles de leur mère étaient noires. C’est une expression toute sérère, et traduit la bassesse dans une société à castes. Ce sont eux qui maintenant règnent en puissance sur son peuple de fiers Thiédos et de Guélowârs aux tambours aussi lancinants que ceux des Aztèques, Incas et Zapotèques.

    Devant eux il se sent proscrit de la Nation et sur ce qui faisait de lui un noble, sur ses armes, ils ont fait graver « Mercenaire ». Dans Kaya Magan, il dira : « Mon empire est celui des proscrits de César, des grands bannis de la raison ou de l’instinct Mon empire est celui d’amour ». Ce passage mérite un arrêt notoire.

    Etre proscrit de la nation fait allusion, ici comme dans le Kaya Magan aux proscrits de César : « Marcus Lepidus, Marcus Antonius et Octavius Caesar, choisis par le peuple pour gouverner et mettre la république sur le droit chemin, déclarent que, si de perfides traîtres n'avaient pas demandé pitié et quand ils l'ont obtenue n'étaient pas devenus les ennemis de leurs bienfaiteurs et n'avaient pas conspiré contre eux, Gaius Caesar n'aurait pas été massacré par ceux qu'il a sauvé par sa clémence après les avoir capturé lors de la guerre, ceux qu'il a considéré comme des amis et à qui il a donné des charges, des honneurs et des cadeaux ; et nous ne devrions pas être obligés d'employer cette sévérité contre ceux qui nous ont insultés et nous ont déclarés ennemis publics »

    Mais pourquoi lui ? Il ne demandait même pas un salaire, seulement dix sous pour bercer la fumée de son rêve et avoir le lait à laver son amertume bleue. Mais ce n’est pas exact. Il est redevable, parce qu’il a bénéficié d’une demi-bourse de l’administration coloniale pour aller étudier à l’âge de 22 ans en France et de là-bas il a bénéficié d’une autre bourse pour revenir au Sénégal faire une recherche sur la poésie sérère. Il peut être accusé de trahison, surtout si l’on tient compte de la réaction suscitée par son allocution à la Chambre de Commerce de Dakar avec son fameux « assimiler sans être assimilé ». Il sera taxé de guigne a wêtche, quelqu'un qui oublie le bien fait dès que rassasié !

    Durant la période coloniale, aller en politique pour défendre les droits de ses concitoyens est synonyme de rébellion. N’est-il donc pas du rang de ces « ... perfides traîtres [ayant] demandé pitié et [l’ayant] obtenue, [devinrent] les ennemis de leurs bienfaiteurs et [conspirèrent] contre eux ... » ? Bien possible. Mais dans sa conscience, il sait que son cœur est toujours aussi pur que vent d’Est quant à ses valeurs primordiales.

  2. « Au champ de la défaite si j’ai replanté ma fidélité, c’est que Dieu de sa main de plomb avait frappé la France. Soyez bénis, mes Pères, soyez bénis ! Vous qui avez permis mépris et moqueries, les offenses polies les allusions discrètes et les interdictions et les ségrégations et puis vous avez arraché de cœur trop aimant les liens qui l’unissaient au pouls du monde. Soyez bénis, qui avez permis que la haine gravelât ce cœur d’homme. Vous savez que j’ai lié amitié avec les princes proscrits de l’esprit, avec les princes de la forme, que j’ai mangé le pain qui donne faim de l’innombrable armée des travailleurs et des sans-travail, que j’ai rêvé d’un monde de soleil dans la fraternité de mes frères aux yeux bleus. »

    Le point 2.6.3 donne beaucoup de matières au poète pour se révolter. Ajoutez à cela la défaite de la France et nous reposons le scénario en d’autres termes : Il est rejeté, proscrit de la nation et son mérite n’a pas été reconnu. Malgré cela, noble de cœur il va reconsidérer tout et, au bout du compte, va revenir sur le champ de bataille que tout lui dictait d’abandonner pour replanter, renouveler sa fidélité, parce que Dieu de sa main de plomb avait frappé. Il faut se souvenir des Tirailleurs Sénégalais, ces « dogues noirs de l’Empire » : « Sur le front de France, le Grand Quartier Général dispose ainsi à la veille de l’offensive allemande de huit divisions d’infanterie coloniale (DIC). Les Sénégalais y sont incorporés avec les fantassins des régiments d’infanterie coloniale (RIC) et avec les artilleurs des régiments d’artillerie coloniale (RAC). Les 4e, 8e, 12e, 14e, 16e, 24e, 25e et 26e RTS sont engagés sur le front. Des éléments d’autres corps sont répartis au sein de régiments composés de bataillons et compagnies mixtes, les 5e, 6e, 27e, 28e, 33e, 44e, 53e et 57e régiments d’infanterie coloniale mixte sénégalais (RICMS). La plupart de ces régiments participent aux opérations au sein des divisions coloniales puis, après leur anéantissement au cours des combats de mai - juin 1940, les rescapés sont rattachés à d’autres unités. Selon le Ministère de la défense, le nombre total des tirailleurs sénégalais mobilisés au 1er avril 1940 est estimé à 179 000, dont 40 000 engagés dans les combats en métropole. Près de 17 000 sont tués, disparus ou blessés au combat en 1940.

    « Un exemple : le 19 juin 1940, les Allemands sont aux portes de Lyon. Le 25ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais est envoyé dans un « combat pour l'honneur » ayant pour ordre: « En cas d’attaque, tenir tous les points d’appui sans esprit de recul, même débordé. » Ce combat fut sans merci pour les Africains. En deux jours il y aura plus de 1 300 tués sur 1 800 combattants. Certains tirailleurs, faits prisonniers et même blessés, furent séparés du reste de la troupe, puis massacrés à découvert à la mitrailleuse et achevés sous les chenilles de chars d'une unité SS.

    Selon l'historien américain Raffael Scheck, qui a enquêté dans les archives militaires françaises et allemandes, près de 3 000 tirailleurs sénégalais (terme désignant plus largement l'ensemble des soldats indigènes venus d'Afrique) ont été exécutés par la Wehrmacht en mai - juin 1940, crime de guerre perpétré non pas par des SS, mais par l'armée régulière allemande.

    Durant la bataille de France (10 mai au 22 juin 1940), les troupes coloniales furent peu nombreuses à participer directement aux combats, sauf dans les Ardennes, sur la Somme, au Nord de Lyon et près de Chartres. L'effondrement des armées françaises a été si rapide que l'état major général n'a pas eu le temps de rappeler massivement sur le front métropolitain, les troupes de l'Armée d'Afrique.

    Cependant, quand elles furent en premières lignes, les troupes coloniales livrèrent de rudes combats : le 26ème RTS, de la 8ème DIC (le dernier formé au camp de Souges) en constitue une dramatique illustration. Appelé dans la région de Rambouillet pour couvrir l'armée de Paris en route vers la Loire, il livra de furieux combats les 16 et 17 juin entre Chartres et Maintenon (Feucherolle, Néron, Bouglainval, Chartrainvilliers). Tirailleurs et officiers furent décimés en particulier par le 1er régiment de cavalerie du Général Kurt Feldt (selon archives de l'armée de terre du fort de Vincennes : 52 officiers sur 84 et 2046 sur 3017 tirailleurs sont portés disparus fin juin 1940). Jean Moulin, préfet de Chartres défendra leur mémoire face aux propos racistes des autorités allemandes sur « la honte noire », Die schwartze Schande. Les survivants du 26eme RTS poursuivent les combats, sous les ordres du colonel Perretier, sur la Loire jusqu'à fin juin 1940, c'est-à-dire bien après l'armistice.

    « En 1940, les Allemands détruisent Le Monument aux Héros de l'Armée Noire, que la ville de Reims avait construit en 1924 pour rendre hommage aux soldats noirs de la Première Guerre mondiale. Un nouveau monument fut inauguré le 6 octobre 1963. Une plaque indique simplement : « Ici fut érigé en 1924 un monument qui témoignait de la reconnaissance de la ville envers ses soldats africains qui défendirent la cité en 1918. L’occupant détruisit, par haine raciale le Monument aux Noirs en septembre 1940 ». Par la suite, « durant l'automne 1944, sur ordre du Général de Gaulle, les 15 000 Tirailleurs sénégalais des 9e DIC et 1ère DMI sont remplacés, « blanchis », par des FFI au sein de la 1ère armée française lors d'une opération dite de « blanchiment » et auparavant, les prisonniers français furent assignés par les Allemands pour garder les prisonniers noirs, leurs frères d’arme. .

    Dieu frappant la France de sa main de plomb fait allusion à la victoire allemande au début de la guerre. Cette intervention de Dieu, cette punition, comme le poète l’a déjà mentionnée : « Seigneur, vous avez visité Paris par ce jour de votre naissance parce qu’il devenait mesquin et mauvais » , rappelle cette autre valeur déployée par le poète à l’encontre de ce peuple de feu.

    Le poète accepte, avec un certain taux d’incompréhension et de naïveté qui permettent une raillerie subtile et par conséquence pardonnable, et bénit ces Pangools, les remercie d’avoir « permis moquerie, mépris, les offenses polies, les allusions discrètes et les interdictions et les ségrégations » dont ont été victimes leurs enfants, les Noirs. Pire encore, ils ont arraché les liens forts de son cœur, ils ont permis que la haine gravelât ce cœur d’homme. Le poète se compte parmi les proscrits de l’esprit et s’est lié avec les princes qui ne sont plus princes que dans la forme. Il a goûté au pain qui ne rassasie pas, il s’est lié à l’armée des travailleurs et des sans-travail comme il le fit dans la troisième strophe de « Que m’accompagnent kôras et balafong » : « J’ai choisi mon peuple noir peinant, mon peuple paysan, toute la race paysanne par le monde. »

    Malgré les moqueries, les mépris, les offenses polies, les allusions discrètes et les interdictions et les ségrégations, le poète garde profondément son rêve, qui est celui d’un jour où le soleil se lèvera dessus la fraternité de tous les peuples, la fraternité avec les blancs, ses frères aux yeux bleus.


STROPHE VII

  1. « Eléphant de Mbissel, j’applaudis au vide des magasins autour de la haute demeure. J’éclate en applaudissements ! Vive la faillite du commerçant ! J’applaudis à ce bras de mer déserté des ailes blanches ! - Chassent les crocodiles dans la brousse des profondeurs, et paissent en paix les vaches marines ! Je brûle le secco, la pyramide d’arachides dominant le pays et le wharf dur, cette volonté implacable sur la mer. »

    Surpris ? Oui, de voir un fils applaudir à la faillite des actions commerciales de son père. Mais cette surprise est côté lecteur, pas côté poète. Après le choix effectué, après l’élection de toute la race paysanne de par le monde, Senghor ne pouvait couver quelque part dans son cœur la prospérité de traitant de son père, dont les magasins, autour de la demeure, sont maintenant vides. Il éclate en applaudissement à la faillite du commerçant. C’est que cette faillite du père « traitant » est une conséquence de celle des traitants coloniaux qui pullulaient à Joal, dont Pierre François Beccaria, l’assassin du Maad-a-Sinig Coumba Ndoffène Diouf.

    Cette régression économique des traitants étrangers est supportée par « ce bras de mer désertés des ailes blanches », c’est-à-dire des voiles de navires amarrés, ces navires qui ne pouvaient s’occupaient que du trafic commercial entre Joal, Gorée, Dakar, Saint-Louis, et de là vers la métropole. Avec le départ de ces navires, Senghor va ressusciter la nature propre à l’Afrique, l’Afrique profonde avec sa paix et sa faune : « Chassent les crocodiles dans la brousse des profondeurs, et paissent en paix les vaches marines ! ». Le poète jubile, brûle le secco, qui est cette pyramide d’arachides dominant le pays, la plus haute montagne du Sénégal, qui naît brusquement durant la traite pour disparaître dans le ventre gourmand des voiliers en partance vers l’Europe. Il jubile et brûle le wharf dur, cette volonté implacable qui sort de la mer, une extrémité invisible rejoignant l’Europe tandis que l’autre, plus dure, plus concrète, se brode à la terre africaine comme un serpent à sonnettes.

  2. « Mais lors je ressuscite »:

    • « La rumeur des troupeaux dans les hennissements et les mugissements, la rumeur que module au soir le clair de lune de la flûte et des conques. » A la place du secco, à la place des magasins, des voiliers et du wharf brûlés, le poète ressuscite la rumeur des troupeaux dans le hennissement et les mugissements, il ressuscite les veillées nègres, veillées au clair de lune sous la note des flûtes et des conques, ces battements de mains mêlées aux calebasses dans l’ivresse de la nuit.

    • « La théorie des servantes sur la rosée et les grandes calebasses de lait, calmes, sur le rythme des hanches balancées. » Il ressuscite la longue file des servantes dans l’aube arrosée de rosée, sur la tête des calebasses remplies de lait, et les hanches belles et légères qui flottent, presque surréelles.

    • « La caravane des ânes et dromadaires dans l’odeur du mil et du riz, dans la scintillation des glaces, dans le tintement des vagues et des cloches d’argent. »
    P align=justify>Il fait revivre la caravane des ânes et des dromadaires dans l’odeur du mil jusqu’aux quatre coins du monde : Il a réellement choisi son peuple noir peinant, il a choisi la race paysanne par le monde.  

  3. « Mes vertus terriennes. »

    Senghor a ressuscité ses vertus terriennes. Pour appréhender réellement la dimension de l’allégation « l’émotion est nègre, la raison hellène », il faut bien, très bien comprendre Senghor. Et il suffit d’avoir le courage, de s’arrêter et jeter un coup d’œil sur le monde actuel, ce monde en lambeaux qui a sérieusement besoin de gens courageux, qui a besoin de dirigeants. A ce monde défunt des canons et des machines s’est superposé un autre : le monde de l’information qui distribue aveuglément des droits. Acceptons-nous sans rechigner que des journalistes se mettent une nuit durant sous la fenêtre d’une personne malade, guettant inhumainement pour être les premiers à parler de son dernier souffle ? Acceptons-nous, qu’au nom de la liberté l’on poursuive coûte que coûte une personne pour prendre sa photo jusqu’à l’induire dans un accident mortel ?

    Remettre en question ces choses que nous prenons comme des « droits », peut choquer, comme ont choqué les nègres ces paroles de Senghor. Et pourtant ! Tout jeune, se baladant à travers son royaume d’enfance, et rencontrant sur la distance les premiers européens, le jeune Sédar était certainement très marqué, sublimé par l’exotisme, une certaine finesse, une autre façon de faire. Avec le temps, les chocs culturels vont se succéder : Ngasobil, le froid en Europe, les ségrégations, la guerre. Mais c’est surtout la guerre qui va orienter beaucoup de choses : comment ces personnes, qui dominent l’espace et le temps, peuvent-ils être aussi techniquement barbares ? Comment se fait-il que parmi les fruits les plus cinglants de l’esprit figurent justement les bombes, ces avions quadrimoteurs lancés contre la superbe des villes et des cathédrales ?

    Avec toutes ses expériences, Senghor aurait certainement aimé dire à ses frères africains : « Non ! N’avancez plus ! N’allez pas vers cette évolution, vers cette sorte d’évolution ! Non, ne rejoignez pas ce monde où il n’y a pas : « … un rire d’enfant en fleur, sa main dans ma main, pas un sein maternel, des jambes de nylon. Des jambes et des seins sans sueur ni odeur ; pas un mot tendre en l’absence de lèvres, rien que des cœurs artificiels payés en monnaie forte ». N’allez pas vers ce monde qui recouvre le côté humain des soldats négro-américains : « Je ne vous ai pas reconnus sous votre prison d’uniformes couleur de tristesse, je vous ai pas reconnus sous la calebasse du casque sans panache, je n’ai pas reconnu le hennissement chevrotant de vos chevaux de fer, qui boivent mais ne mangent pas… la lourdeur barbare des monstres des prétemps du monde ». N’allez pas vers cette « Europe qui enterre le levain des nations et l’espoir des races nouvelles ».

    En réalité, ce que Senghor veut maintenir de toutes ses forces, c’est le côté humain, de « Chant de Printemps » : « Je t’ai dit : Ecoute le silence sous les colères flamboyantes la voix de l’Afrique planant au-dessus de la rage des canons longs, la voix de ton cœur de ton sang, écoute-la sous le dire de ta tête de tes cris… »


STROPHE VIII

  1. « Eléphant de Mbissel, entends ma prière pieuse. Donne-moi la science fervente des grands docteurs de Tombouctou. Donne-moi la volonté de Soni Ali, le fils de la bave du Lion – c’est un raz de marée à la conquête d’un continent. Souffle sur moi la sagesse des Keita. Donne-moi le courage du Guelwar et ceins mes reins de la force d’un tyédo. Donne-moi de mourir pour la querelle de mon peuple, et s’il le faut dans l’odeur de la poudre et du canon. Conserve et enracine dans mon cœur libéré l’amour premier de ce même peuple. Fais de moi ton Maître de Langue ; mais non, nomme-moi son ambassadeur. »

    Salomon s’était rendu dans le désert, et avait choisi la connaissance. Sédar demande la science fervente des grands docteurs de Tombouctou. Il demande la volonté impassible de Soni Ali et la sagesse des Keita qui régnèrent sur l’empire mandingue – L’Eléphant de Mbissel est issu de cet empire. Il a aussi besoin du courage du Guelwar, le courage d’un roi du Sine, son royaume d’enfance, et la ceinture d’un thiédo, ces vaillants guerriers qui entouraient et faisaient la force du monarque sinois. Il est prêt à se battre pour son peuple jusqu’à la mort. Mais sa prière suprême est que son cœur s’enracine dans l’amour de ce peuple. Il ne faudra pas que cet amour reçoive des parasites narcissiques. Il veut être son maître de langue mais il rectifie. Il veut être son ambassadeur, son envoyé, son serviteur. L’envoyé a une mission clairement établie par l’envoyeur et doit déplier la récade sans un iota de plus ou de moins.


STROPHE VIII

  1. « Soyez bénis, mes Pères, qui bénissez l’Enfant prodigue ! Je veux revoir le gynécée de droite ; j’y jouais avec les colombes, avec mes frères les fils du Lion. Ah ! De nouveau dormir dans le lit frais de mon enfance. Ah ! de nouveau mon sommeil les si chères mains noires et de nouveau le blanc sourire de ma mère. Demain je reprendrai le chemin d’Europe, chemin de l’ambassade dans le regret du Pays noir. »

    Comme le père reçut son enfant avec beaucoup d’amour et de grandes festivités, les Ancêtres pardonnent et reçoivent l’Enfant prodigue, le bénissent. Celui-ci veut descendre vers gynécée de droite où il jouait avec les colombes (les filles) et ses frères, les fils de Diogoye Basile Senghor. Il veut s’endormir de nouveau sur le lit de son enfance, ressentir les chères mains de Gnilane Bakhoum avec, au-dessus de son visage, son sourire blanc, son rire de paix. Le temps d’une nuit. La mission est devant. A l’aube il faudra qu’il se lève, qu’il reparte pour l’Europe, mais le cœur saigne déjà pour cette Afrique qu’il laisse derrière lui.

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UN RAPIDE EXEMPLE POUR LE DICtiONNAIRE

Njamala Njogoy